HUMOR : chronique quotidienne de Simon-Daniel KIPMAN


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Mai 1999


Lundi 31 mai 1999
"Nous sommes battus ! La lutte des deux superstructures anti-intellectuelles ne laisse plus aucune place à l'indépendance et à l'intégrité intellectuelle" écrivait Klaus Mann avant la dernière guerre mondiale (et avant de se suicider). Aujourd'hui, sa phrase pourrait presque s'appliquer à la médecine en général, et à la psychiatrie en particulier . A ceci près que les deux puissances hostiles pourraient être la droite et la gauche, ou les assurances privées et la CNAM, mais aussi qu'il résiderait encore un faible espoir dans une défense syndicale commune. SDK


Dimanche 30 mai 1999
Je rêve d'un jour avoir l'occasion d'écrire quelque chose sur la place de l'amitié dans les activités et les découvertes professionnelles. SDK


Samedi 29 mai 1999
Non, la science ne se résume pas aux chiffres et aux statistiques dont on sait qu'ils (et elles) ne sont que des instruments. Non la science, pas plus que les drogues, ne peuvent se saucissonner en dures et molles. Et non encore, la recherche ( et les " expériences de pensée") en ce qui concerne le psychisme et la pensée ne peuvent se réduire à quelques modèles passés, anatomiques, biologiques ou mécaniques.
Il y a encore à prouver et à trouver la place éminente de ces sciences de la pensée.SDK


Vendredi 28 mai 1999
Un article de Jacques Dupâquier, dans Le Monde, explique bien que les prévisions apocalyptiques des démographes, en plus ou en moins, s'avèrent systematiquement fausses. Il en va de même de ce qu'annonccent régulièrement les plus grands experts en économie.
Et c'est plus que probablement la même chose pour ce qu'avancent bien inprudemment les experts de santé du gouvernement et des caisses : ni eux, ni nous, n'avions prévu ou espéré un tel accroissement du nombre des psychiatres au cours des 25 dernières années, ni eux ni nous n'avions non plus prévu un tel accroissement des besoins. Aussi, quand ils annoncent que l'expansion des dépenses de santé est sans fin, à moins qu'on mette le hola, c'est une bêtise de plus à leur actif. Et quand ils affirment qu'il y a trop de psychiatres en France aujourd'hui, c'en est une autre. SDK Jeudi 27 mai 1999
La clinique psychiatrique ne s'appuie pas uniquement sur le texte ; mais aussi sur des tas d'informations relationnelles, que l'on recueille en restant attentif à tout ce qui arrive en cours de séance. " Tout nous trahit, la voix, le silence, les yeux " ( racine Andomaque Acte II scène 3 );
Mais, dans la formation professionnelle encore faut-il se rappeler que cette affirmation est à double entrée : le psychiatre se trahit tout autant que le patient. SDK


Mercredi 26 mai 1999
" Qu'est-ce que cela peut faire que je lutte pour la mauvaise cause puisque je suis de bonne foi ?
- Et qu'est ce que ça peut faire que je sois de mauvaise foi puisque c'est pour la bonne cause ? " ( Prevert ; Représentation )
C'est au nom de cette maxime que l'on avance l'éthique pour défendre ou promouvoir des causes idéologiques. L'éthique ou les valeurs.... SDK


Mardi 25 mai 1999
Ce matin, j'entends parler, à propos d'un corse qui aurait peut être tué un préfet, de " présomption d'innocence". Cette présomption, dont on se sert en fonction des besoins (car, tous, n'en bénéficient pas autant....) est, à mon avis, un temps nécessaire dans toutes les négociations que nous menons. A priori, nos interlocuteurs sont bienveillants et de bonne foi. Il faut qu'ils apportent la preuve de leur mauvaise volonté, de leur hostilité ou de leurs choix dejà faits, pour que le combat commence.
Et, dans mon analyse de la situation, c'est très précisemment là que nous en sommes avec les pouvoirs publics. SDK


Lundi 24 mai 1999
Lundi ferié. Robert Musil : "Comment défendre la culture, et contre quoi, voilà un problème infini"
La psychiatrie, puisque son véhicule privilégié est le langage, et aussi les comportement, est constamment infiltrée de culture. Défendre la culture, c'est défendre la pensée, et défendre la pensée, c'est défendre la psychiatrie. SDK


Dimanche 23 mai 1999
Se rappeler Groddeck "la maladie n'existant pas pour le médecin...." ce qui fait de la médecine un métier de relation et pas un métier de technocrate, mettant ainsi en cause toutes les obligations fondées sur des statistiques ; "Dans sa pratique, il est face à des hommes malades ou en voie de le devenir". La prévention est indissociable des soins. SDK


Samedi 22 mai 1999
L'action syndicale ne peut s'appuyer sur la peur et la dépression. C'est un fond de commerce que je laisse à d'autres le soin d'exploiter.
Le rôle d'un syndicat est surtout de promouvoir des formes de fonctionnement professionnel meilleures pour ses mandants, pour tous les professionnels du secteur, pour toute la poulation. Que l'on ne s'étonne pas, alors, et que l'on ne ricane pas de nous voir sans cesse avancer des thèmes de santé publique. SDK


Vendredi 21 mai 1999
Je suis frappé que, quand on passe à un filtre éthique, un certain nombre de mesures proposées, experimentées, ou mises en place ( soyons clair : je pense entre autres au PMSI, au plan Johannet, aux filières de soins ) il y a toujours une forme de ségrégation à l'egard ou à l'encontre des malades mentaux;
C'est à dire que se réactualisent, sous d'autres formes, de vieilles questions si souvent evoquées et encore mal appreciées : quel poids de honte, de rejet est indissociablement lié a la maladie mentale. Sont ce simplement (sic) des problèmes culturels - et il faut changer les mentalités; ou des processus intrapsychiques et il convient d'en tenir compte et de les intégrer a la réflexion politique. SDK


Jeudi 20 mai 1999
L'humeur des psychiatres évolue lentement mais surement. Il m'apparaît que devant les manoeuvres et magouilles qui entourent la nécessaire évolution de la médecine, ils sont passé de la peur à la crainte, de la crainte à la grogne, et de la grogne à la colère. Celle ci monte et est en train de se prendre en masse, car c'est la santé mentale de la population qui se dégrade pendant que rien ne se fait, ou si peu, ou si mal.SDK


Mercredi 19 mai 1999
"La vie est pleine de surprises, et la plupart d'entre elles sont mauvaises" declarait W.R. Bion en apprenant qu'il était malade.
Mais si on se plie à un raisonnement statistique en vogue, si la majorité des surprises sont mauvaises, peuvent alors seules être considérées comme de vraies surprises les bonnes.
Dans une démarche très médicalisée, on a eu tendance a privilégier les traumas, stresses, ruptures, catastrophes et autres mauvaises surprises. Y a-t-il eu assez de travaux sur les bonnes surprises, dont les effets sont a l'évidence non négligeables : gagner au loto, avoir un coup de foudre, trouver un emploi de rêve....
Voila qui mérite cependant une reflexion psychanalytique approfondie.SDK Mardi 18 mai 1999
Le monde, dit-on, est plein de non-dits. Et ceux ci sont sources de multiples ennuis. Dommage que l'on ait oublié cette puissante pensée de Pierre DAC " Il vaut mieux dire ce que l'on pense, plutôt que de penser à ce qu'on ne dit pas " SDK Lundi 17 mai 1999


Un ami me dit qu'en espagnol Humor signifie a la fois "humeur" et "humour". Si c'est bien le cas, quelle chance. Car aux sombres passions, aux dramatiques revendications et aux oppositions abyssales, je préfère evidemment la fureur des passions tempérées par l'humour et l'ironie. Je me méfie trop des divers populismes pour ne pas croire que l'action politique, syndicale, associative et scientifique ne puisse se repaitre des nuances et des relativisations que l'on peut appeler "complexité" et que l'humour seul permet.SDK


Dimanche 16 mai 1999
La saison psychiatrique ( pas cinématographique) qui se prépare me paraît assez impressionnante, avec, en point d'orgue le congrès de Paris 2000. Mais d'ici là, les réunions à Nantes, à Aix, en Corse, en Angleterre, au Venezuela sans compter les parisiennes. Dispersion ou épanouissement de nos efforts passés? SDK


Samedi 15 mai 1999
Pendant des années, j'allais au festival de CANNES, comme on va à un pélerinage ; Ma cinéphilie, ma curiosité et mon goût de l'incongru y trouvaient largement leur compte. Malheureusement le sérieux de mes multiples engagements professionnels m'a détourné de ces plaisirs pourtant anodins et je ne quitte plus guère mon cabinet en dehors des périodes scolaires que pour des congrès où il faut représenter dieu sait quoi. Je regrette le cinéma, ses strass et ses plumetis, et me demande si je n'ai pas laissé la proie pour l'ombre, le cinéma pour le cirque. SDK


Vendredi 14 mai 1999
Pendant que la guerre continue, pendant que les scandales se développent ou s'étouffent,pendant que la lutte pour l'hégémonie commerciale se poursuit ici ou là, la France jouit en paix d'un long week end. Faut-il le pararsiter avec des chroniques amères ? SDK


Jeudi 13 mai 1999
Hier soir sur Arte une très belle émission parlait de la montée et de la victoire du libéralisme dans le monde à propos des télécommunications . Et, ce voyant, je ne pouvais m'empêcher de transposer ces réflexions dans le domaine de la santé, et de me dire que tous, je dis bien TOUS les indicateurs sociaux et économiques montrent que cette vision libérale ne peut que conduire à des déboires en matière de santé, même si les consommateurs (drôle de concept ) peuvent, un temps, y trouver du profit ; le seul profit qui compte et qui s'accroit, c'est celui des gestionnaires. Et ce profit ne se réinvestit jamais dans des programmes sociaux ou de santé. Cela donne froid dans le dos, sauf à penser que l'absurdité même de la démarche et la vigilance des peuples fera capoter le bel enthousisiame libéral. SDK


Mercredi 12 mai 1999
A disserter de tout (et les diverses invitations à parler ici ou là au nom de tel ou tel titre m'y poussent ), on ne parle de rien. C'est à voir. D'abord l'expérience de la psychanalyse permet de penser que, quoiqu'il en soit, le sujet du discours ou des discours soit limité et clair ou vaste et erratique ; les répétitions et associations dessinnent une ligne directrice perceptible dès lors que l'on change d'objectif, dès lors que l'on ne reste pas le nez sur la lettre du texte.
Mais aussi peut-on se souvenir que toutes ces limites, ces classifications, ces ordonnancements que l'on nous invite ou que l'on voudrait nous obliger à respecter ont, toujours, une double finalité : celle d'éclairer un point de vue, une approche, un mode de gestion ....mais aussi, du même mouvement, d'en masquer un autre. Et le mouvement masqué, du seul fait qu'il est masqué devient encore plus intéressant. SDK


Mardi 11 mai 1999
Malgre la lassitude (et la fatigue .... il faudra un de ces jours faire nettement la différence entre les deux ), il me semble que le mouvement syndical devrait, maintenant, après tous les efforts de la fin de l'an dernier, donner un coup de collier. On n'a dejà que trop laissé "retomber la mayonnaise". Les pouvoirs publics doivent se rendre compte qu'il ne s'agit pas chez nous d'excitation, de panique ou de chantage, mais d'une froide détermination pour éviter le naufrage programmé de la psychiatrie, de tous ceux qui en dépendent ( malades, entourages, familles) et qui en vivent (travailleurs de santé mentale, et pour une part, travailleurs sociaux.) SDK


Lundi 10 mai 1999
José SARAMAGO, le prix Nobel portugais qui a commencé à écrire à 58 ans, dit quelque part " ....les lieux communs, les phrases toutes faites, les mots béquilles, les expresssions bouche-trous, les aphorismes d'almanach, les adages et les proverbes, tout peut paraître nouveau...." Il en va de même pour toutes ces nouvelles cliniques, nouveaux patients, nouvelles thérapies ou chacun peut (et ou certains croient) planter leur statue sur des sentiers battus. SDK


Dimanche 9 mai 1999
En mai, fais ce qu'il te plait ! Et si mon plaisir à mpoi, c'est de soigner des personnes qui souffrent, dans de bonnes conditions, ou, en tous cas dans des conditions suffisamment bonnes ( good enough) pour que je puisse y déployer mes talents ? Et si mon plaisir à moi, c'est de prendre le temps d'échanger et de réfléchir avec mes patients et mes pairs plutot que de m'investir ( un mot de banquier) dans des contrôles, échelles, et autres tracasseries administrativo-médicales ? Et si mon plaisir c'était de voir mes collègues satisfaits et de leur travail et de ce qui leur en est renvoyé ? SDK


Samedi 8 mai 1999
Jour férié, mais jour ouvrable pour la souffrance psychique, pour les maltraitances individuelles et collectives auxquelles nous assistons ( avec l'aimable obligeance de la télévision) et auxquelles nous participons. On ne peut éternellement répondre "que fait le gouvernement ?". Ce qu'il fait et surtout ce qu'il laisse faire (et c'est assez pour le penser complice), c'est une destruction de la notion de solidarité nationale et de santé publique au profit (sic) d'un marché de la santé, au sein duquel le medecin de base serait considéré comme le petit artisan dont les jours sont comptés. SDK


Vendredi 7 mai 1999
Eh ! bien, bravo! la tiers mondisation de la France (dans le domaine de la santé mentale) est à peu pres réussie ou en passe de l'être. Voilà des mois et des mois que j'annonce (Cassandre ou Oie du Capitole) que l'on va vers une catastrophe de santé publique si l'on continue comme cela, et que je ne voyais pas que c'était déja arrivé. Sinon, qu'on m'explique pourquoi les associations humanitaires ont du ouvrir des dispensaires (avec psychiatres) en plein Paris.
Ce la doit bien vouloir dire que, dejà, comme dans n'importe quel pays émergent le service public de psychiatrie est d'ore et dejà incapable de répondre à des besoins auxquels il est destiné, cela veut dire la faillite des organismes de distribution de soins et de solidarité nationale, cela veut dire que l'obstination dans une politique libérale a deja conduit a des impasses et que cela ne pourra que s'aggraver.SDK


Jeudi 6 mai 1999
"Il y a des gens qui nient les faits, et appellent cela penser". Décidemment Musil nous aide à penser, lui. Et dans sa formule bien frappée, il pose tout le problème de la clinique, et surtout de cette clinique fine autour de laquelle nous voulons créer un groupe de travail, bien qu'elle ne paraisse pas intéresser grand monde. Peut être est-ce trop difficile de "penser" la complexité des symptômes mineurs. SDK


4 mai 1999
Il y a plus de quarante jours que nous sommes en guerre, des gendarmes jouent les terroristes, hier soir, à la distribution des Molières, ce sont des pieces évoquant l'immédiat après guerre (celles de J.C Grimberg ; mais tout autant Mademoiselle Else qui montre un monde en décomposition.)
Que se passe-t-il ? La bête est-elle revenue, comme le chante Pierre Perret, au point de pouvoir se passer du front national pour nous envahir et nous dévorer ?
Robert Musil écrivait " toutes les valeurs chancelèrent, nul ne se sentit plus responsable de rien, et l'on se jeta avec volupté dans les flammes." SDK


Lundi 3 mai 1999
L'actualité guerriere me fait conserver cette phrase de Tacite, qui peut s'appliquer tout aussi bien à tous ceux pour lesquels la pure et simple disparition du symptôme tient lieu de guerison "Ubi solitudinem faciunt, pacem appelant".
On ne dira jamais assez les ravages de ces nettoyages par le vide oprérés sous des prétextes thérapeutiques.


Dimanche 2 mai 1999
"Bis dat, qui cito dat" (Celui qui donne vite donne deux fois) Ce proverbe latin me plait car il insiste sur la nécessité d'actions ( bonnes, bien sur) rapides. Ces actions rapides qui sous entendent capacité de décisison, c'est à dire encore capacité de synthèse des informations préalablement recueillies SDK


Samedi 1 mai 1999
Je commence aujourd'hui le cinquième mois de ces notules."Ars longa, vita brevis" ("l'art est long, la vie est courte") Ce premier aphorisme d'Hippocrate peut s'appliquer à bien des situations, mais comme il vient d'un père de la médecine, on peut s'en servir pour notre gouverne medicale, psychiatrique, psychanalytique. Qu'il s'agisse de combat syndical, ou de la prise en charge d'une personne souffrante, il est inutile d'en faire une affaire personnelle : le combat, la cure est longue. Nous passons, nous ne faisons que passer .SDK


Dernière mise à jour : samedi 17 juillet 1999 11:54:05

Dr Jean-Michel Thurin