" Le projet de léthique est de cultiver lautonomie dautrui ".
J. F. MALHERBE
" On ne subit pas lavenir, on le fait ".
G. BERNANOS
Au plan ordinaire et " naturel ", cest-à-dire individuel, le mot liberté est attaché à des actions qui ont comme traits essentiels dêtre effectuées avec intention et motif, au sens de " raison dagir ", en opposition à la notion de cause. Lintention est ici proche du raisonnement.
En philosophie contemporaine, laction libre est attachée à lidée de projet, pour désigner le caractère anticipatoire de laction et la manière dont lintention se projette en avant. Cette anticipation, cette manière dont lhomme se porte de tout son être au-delà du présent, dans un avenir proche ou lointain qui est son avenir est une liberté.
Au total, agir librement implique pour lindividu que son action soit intentionnelle, motivée, projetée donc anticipée et décidée.
En terme naturel lindividu exerce son libre arbitre, il est autonome, mais la notion dautonomie nest pas univoque ; cest à la fois la faculté de se donner à soi-même la loi de son action (approche romaine) mais aussi la liberté individuelle à avoir des préférences singulières (approche anglo-saxonne, " Habeas Corpus ")
Dans lexercice médical, on constate une évolution dans la conception du soin. Pendant longtemps soigner a été " faire le bien " selon une approche paternaliste et moralisatrice de la relation malade-médecin et, dans ce cas, avoir recours au médecin était un choix qui tenait implicitement lieu de consentement. Actuellement, le malade est considéré comme co-acteur, partenaire de ses soins ; donc, libre et autonome, il est seul apte à accepter ou refuser un acte médical. Le médecin a, quant à lui, un devoir dinformation à légard du malade dans une démarche scientifique en référence par exemple à la " médecine fondée sur les preuves " (" evidence based médecine ").
Le consentement du sujet est " libre et éclairé ".
Les groupes daide mutuelle et de défense des intérêts du patient jouent maintenant un rôle essentiel dans le maintien des droits.
N.B : La problématique des droits de lhomme en matière de santé et de soins différencie ce qui revient à lindividu et ce qui est du ressort de la collectivité au travers de la santé publique ; la santé publique a pour objectif de créer ou de maintenir les conditions dans lesquelles les personnes peuvent être en bonne santé. En rapport avec les droits de lhomme, quand ceux-ci ne sont pas respectés, létat de santé dune population est globalement de mauvaise qualité.
Rappelons que lobjet de la psychiatrie est triple :
Quant à la méthode, la psychiatrie qui est au carrefour des sciences biologiques et des sciences humaines emprunte une triple démarche : médicale, psychologique et socio-anthropologique. Le sujet malade y est lobjet de soins et, bien souvent à la fois, lobjet dassistance dans le respect de son individualité.
Il sagit ici principalement daider les patients à réaliser un projet de vie qui leur soit spécifique et compatible avec leurs propres capacités. Ce projet de vie passe par une insertion dans la communauté.
Cest la préoccupation et la volonté de la société contemporaine de défendre les sujets qui nont pas ou plus leur capacité à consentir en tant quhomme libre et autonome, comme conséquence notamment de troubles psychiques ou dun handicap mental.
Contrairement à lopinion publique qui fait souvent du malade mental ou du déficient mental un sujet " incapable " de discernement, celui-ci est capable de consentir ; en effet, en ce qui concerne la pathologie mentale ou la déficience mentale, le trouble nest jamais totalement hétéronomique et une part dautonomie persiste ; autrement dit, il demeure toujours une part de liberté chez le sujet aussi atteint puisse-t-il paraître. Il y a toujours une partie saine du psychisme qui subsiste ; il ny a pas de folie intégrale, le fou reste un sujet. Cest pour lavoir perçu que Pinel mérite le titre de fondateur de la Psychiatrie, au-delà du mythe de la libération des aliénés de leurs chaînes.
En conséquence, la recherche de consentement va sadresser à cette partie libre du psychisme du sujet.
Par ailleurs, lévolution périodique de certains troubles psychiatriques suggère, tel le contrat dUlysse, la possibilité pour le sujet de consentir en phase de rémission des troubles valant ainsi acceptation et consentement en période de rechutes.
La législation française a prévu des dispositions légales de protection envers les sujets " empêchés de manifester pleinement leur volonté " ; deux exemples seront envisagés :
La loi précédente du 30 Juin 1838 dite " loi sur les aliénés " visait à " ...ouvrir aux insensés indigents, des asiles où ils puissent recevoir un traitement curatif si leur maladie est susceptible de guérison et, dans le cas contraire, les soins et les secours que les infirmes et les vieillards pauvres reçoivent dans nos hospices "
La loi réglemente lhospitalisation (libre ou sous contrainte) mais, pour lhospitalisation sous contrainte, les soins à apporter au sujet apparaissent implicites et ne font pas lobjet dune réglementation. Au demeurant, force est de constater que nombre de malades hospitalisés sous contrainte vont adhérer aux soins proposés, comme si la contrainte avait pour eux un caractère contenant, apportant des limites et acquérant ainsi une valeur thérapeutique, véritable espace de soins.
Gérer un revenu, des biens, etc..., même si ce nest pas en principe gérer un mode de vie, cest inévitablement gérer les relations du sujet aux objets et aux personnes en ce sens que les biens sont un attribut du sujet ; ainsi il apparaît que les relations indéfectibles que certains sujets entretiennent avec des biens matériels ont valeur de sens dans leur histoire personnelle.
La protection des biens est donc aussi une protection de la personne.
Comment concilier ce qui pourrait de prime abord apparaître comme antinomique, protéger en contraignant et, en même temps, sauvegarder lautonomie du sujet ? Cest le principe de dignité, tel quil a été énoncé dans le droit français de bioéthique, qui permet de sortir du cadre trop restrictif de la notion de relation centrée sur le concept dautonomie-négociation, qui aboutit à une médecine de contentieux envahie par le droit.
Il fait référence à lhumanité fondamentale que tout individu possède. Cest un principe absolu qui nadmet aucune restriction.
Dans cette dimension, la défense du principe de dignité passe par celui des droits de lhomme, droits essentiels à laccomplissement de toute vie " digne de ce nom ".
Le respect du principe dautonomie et de liberté du sujet ne passe donc plus nécessairement par celui du consentement, mais par celui de la dignité et son corollaire des droits de lhomme.
M. G.
LETHIQUE DE LA TUTELLE
Les libertés individuelles du majeur
Monsieur Philippe DARRIEUX*,
magistrat.
Dans le cadre de cette première partie de nos travaux sur léthique de la tutelle, il mappartient après lexposé très complet du Professeur Goudemand sur ces notions de personne, de liberté et de consentement, de revenir sur ces points en les recadrant un peu sur le domaine juridique et sur la pratique judiciaire, pour tenter danalyser en quelques minutes quels sont les droits et les libertés dont dispose le majeur, les moyens dont il dispose pour les mettre en oeuvre mais aussi les limites que présentent tant notre droit que notre pratique judiciaire, variable selon la conception que le juge se fait de la protection judiciaire des majeurs.
Le doyen Carbonnier concluait son Traité sur la protection judiciaire des majeurs en indiquant : " La garantie suprême de la liberté civile pourrait bien être dans ce délicat équilibre entre le familial, le médical et le judiciaire ".
Je ne peux, bien évidemment, vous faire une liste exhaustive de ces libertés..., la capacité étant la règle..., lincapacité lexception.
Si, en matière de gestion de ses affaires et de son patrimoine, le majeur sous curatelle ou sous tutelle bénéficie -ou est affecté- dune " assistance " ou dune représentation obligatoire, quen est-il en ce qui concerne plus particulièrement sa personne ? En effet, la loi du 03.01.68, qui a parfaitement -ou presque- organisé la protection des biens, ne sest que très incomplètement prononcée sur la protection de la personne et ce nest que la jurisprudence, et notamment quatre arrêts marquants de la Cour de Cassation des :
qui ont, successivement, posé en principe que les régimes qui décident dune incapacité ont pour objet dune manière générale de pourvoir à la protection de la personne autant que des biens de lincapable.
La Cour " suprême " a régulièrement insisté sur le terme " protection " et non direction, ce qui signifie bien que son objectif -ou ce quelle tente de définir comme tel- est bien de faire surgir et triompher la volonté du majeur lui-même (si elle est sans danger réel) et de maintenir ses libertés visées précédemment.
Mais il serait tout à fait naïf de considérer que le majeur va pouvoir décider en toute autonomie. Par définition -ou par postulat-, un majeur protégé est " incapable " et une multitude de personnes risquent détouffer toute tentative de volonté propre. Ce sera lobjet de ma deuxième partie : les limites de notre droit actuel.
Cest au juge dêtre garant de cette co-action et il se doit, dans son intervention, de veiller au respect de ces libertés en appliquant les principes évoqués par la Cour de Cassation.
Pour tenter dachever de convaincre, jindiquerai, enfin, que le droit de la santé publique, lorsquil règle le sort de nos protégés et de leurs libertés, ne se porte pas excessivement bien :
Notre loi de 1968 se doit dêtre " toilettée ", et non réformée, pour accentuer la protection des libertés individuelles... Une réforme de la procédure serait déjà un pas important... Mais dans cette attente annoncée comme proche par Madame le représentant du Garde des Sceaux, il convient de se mobiliser : signaleurs, médecins, juges, pour accorder au mieux les procédures et le suivi de nos dossiers, dans le sens du respect des droits et des libertés de chacun.
Ph. D.
ELEMENTS DE BIBLIOGRAPHIE
* Fondation Nationale de Gérontologie.
**Ecole Nationale de la Magistrature.
*** Fédération Nationale des Associations Tutélaires
LES MESURES DE PROTECTION :
de la déontologie et de léthique
des professionnels
Monsieur Pierre CALLOCH*,
magistrat.
La loi du 3 janvier 1968, on le sait, est quasiment muette sur le sujet de la protection de la personne des majeurs vulnérables. Ce mutisme, loué ou déploré par les praticiens selon leur humeur, a une raison historique très claire : le législateur de lépoque a voulu renvoyer la question du statut de la personne du majeur protégé à la question alors particulièrement brûlante de lhospitalisation du malade mental. Cétait donc lors de lexamen de la réforme de la loi de 1838 que la question de la protection de la personne devait être abordée. En 1990, le Parlement a en fait évité daborder de front le problème et sest contenté de redéfinir les modes dhospitalisation en matière psychiatrique sans poser de manière générale les règles concernant la protection des majeurs vulnérables. Pourtant, la Cour de cassation venait daffirmer, en 1989, que la tutelle a pour objet non seulement la protection du patrimoine du majeur, mais aussi celle de la personne. La jurisprudence mettait ainsi fin à une querelle doctrinale récurrente. Elle semblait imposer au législateur de définir le cadre de la mission de protection de la personne ainsi reconnue. La loi resta cependant prudemment muette et il est en est encore ainsi, trente ans après la promulgation de la loi de 1968.
Ce silence de la loi est différemment apprécié par les praticiens, quils soient juges des tutelles, tuteurs ou curateurs bénévoles ou professionnels. Labsence de textes laisse à toutes ces personnes une liberté de manoeuvre qui nest pas sans charmes. Par moments toutefois, ces professionnels regrettent quun article du code civil ne puisse pas être invoqué, soit pour éclairer le sens de leur mission, soit de manière moins avouable pour les dégager dune éventuelle responsabilité ou pour légitimer auprès des travailleurs sociaux ou familiaux leur intervention. Nous verrons quels sont les projets de textes proposés qui seraient de nature à répondre à cette attente. Sans déflorer le sujet, ni mésestimer limportance des travaux délaboration entrepris, il faut cependant affirmer quen la matière il sera impossible dédicter des textes précis répondant à toutes les situations. Tout au plus, les textes pourront reprendre des principes généraux, principes qui ont été plus ou moins dégagés par la jurisprudence au cours des trente dernières années. Nous pensons que le problème du rôle du tuteur ou du curateur dans la protection de la personne trouve une solution, ou tout du moins une amorce de solution, non pas dans une tentative de codification des pouvoirs des représentants des majeurs protégés, mais dans une redéfinition législative de leur responsabilité. La comparaison avec les réflexions menées sur le fondement de lautorité parentale semble sur ce point tout à fait éclairante, et cest donc sous cet angle de vue que nous rappellerons tout dabord les principes généraux quen létat actuel on peut dégager de la loi de 1968 grâce à lapplication des règles du droit civil, pour tenter ensuite de poser le problème sous langle de la responsabilité tutorale.
I. PROTECTION DU MAJEUR ET AUTORITÉ TUTORALE.
La pratique quotidienne des juges des tutelles met en évidence quil est parfois nécessaire de rappeler les principes de base en matière de majeurs protégés. Les tuteurs, bénévoles ou professionnels, sont en effet propulsés dans un monde dassistance où lurgence ne permet pas une réflexion approfondie sur le statut des personnes prises en charge. Le premier principe à rappeler, et lon excusera laspect un peu scolaire de ces propos, cest que lincapacité affectant les majeurs sous tutelle est une incapacité dexercice et non de jouissance. Dit autrement, le majeur sous tutelle conserve lintégralité de ses droits. Toutefois, il ne pourra exercer certains droits prévus par le code civil que par lintermédiaire dun tiers. La personne sous tutelle ne perd pas ses droits civils, disons-le clairement ; elle ne perd que la possibilité de les exercer elle-même. Il existe souvent là une confusion alimentée par la malheureuse disposition du Code électoral qui, en matière de vote, fait perdre effectivement au majeur protégé ses droits civiques. Par ailleurs, lorsque le code civil ne dit rien, le majeur sous tutelle garde la possibilité dexercer seul ses droits civils. La doctrine et la jurisprudence sont quasi unanimes, en particulier pour affirmer quun majeur sous tutelle peut valablement reconnaître un enfant naturel ou exercer lautorité parentale sur ses enfants. En matière dactes personnels, ce constat prend toute son importance : puisque la loi de 1968 ne dit rien sur lexercice des droits personnels, le choix du lieu de vie, le consentement à un acte médical, etc...., cela signifie que le majeur sous tutelle garde là sa capacité de décision. Principe juridique qui conserve toute sa valeur pour les majeurs pouvant lucidement sexprimer. Il ne sagit pas ici de pratiquer la langue de bois et de soutenir que les majeurs sous tutelle doivent prendre seuls les décisions concernant leur personne. Chacun sait ici quen fait, une telle prise de décision est souvent impossible. Mais il nen demeure pas moins que le tuteur qui va prendre une décision concernant la personne dun majeur sous tutelle ne pouvant sexprimer est dans un cas différent du tuteur qui, lui, agit en lieu et place du majeur de par les pouvoirs qui lui sont expressément conférés par la loi de 1968.
Le second principe général qui doit être rappelé est posé par larticle 465 du Code civil qui dispose que sont applicables dans la tutelle des majeurs les règles relatives à la tutelle des mineurs "à lexception toutefois de celles qui concernent léducation de lenfant". La loi de 1968 a posé très clairement le principe que le majeur sous tutelle nest pas assimilable à un mineur et quil nest pas concerné par les dispositions concernant léducation de celui-ci ; dit autrement, il nest pas soumis à lautorité parentale de son tuteur. On rappellera que dautres législations ont prévu des dispositions différentes (nous faisons ici référence au droit belge qui, alors que le droit était relativement similaire au nôtre en ce domaine, a créé en 1973 le statut de "minorité prolongée" pour les handicapés mentaux les plus graves : ces malades atteints dune affection mentale "grave, précoce et irréversible" sont juridiquement placés sous lautorité parentale de leurs parents ou de leur tuteur après avoir atteint la majorité). En labsence dune telle disposition de notre système juridique, on doit en déduire que le majeur sous tutelle, quelle que soit la gravité de son état, ne peut être soumis à lautorité de son tuteur. Il nexiste pas de gouvernement du majeur protégé.
On notera au passage que les dispositions de larticle 465 dispense le tuteur dune quelconque mission éducative. Cest au demeurant ce qui donne toute sa justification à la coexistence entre une mesure de curatelle ou de tutelle et une mesure de tutelle aux prestations sociales. Si lon accepte cette expression, le curateur (ou le tuteur) est un " conservateur " qui doit permettre au majeur protégé de vivre dans les conditions les meilleures possibles. Mais il nest pas, au contraire des parents, tenu à lobligation déduquer le majeur, notamment dans un but dinsertion. Cette remarque est quelque peu incidente par rapport à notre sujet mais elle nen demeure pas moins cruciale en pratique.
Si lon résume cette première partie, on peut affirmer que le tuteur na aucun pouvoir de coercition sur le majeur protégé et quil ne peut juridiquement intervenir en lieu et place de ce majeur que dans les cas prévus par le Code civil. A la lumière de ce constat, on peut légitimement se demander alors si le tuteur est vraiment en mesure dassurer une protection de la personne et sinterroger sur les moyens dont il dispose pour assumer ce rôle affirmé par la jurisprudence mais que lon a peine à deviner à la lecture des textes. Cest là quintervient la notion de responsabilité tutorale.
II. VERS UNE RESPONSABILITÉ TUTORALE ?
Ce nest pas la lecture des décisions de la Cour de cassation affirmant son rôle de protecteur de la personne du majeur vulnérable qui est de nature à rasséréner le tuteur ou le juge des tutelles. Si la cour suprême affirme sans ambages ce rôle, elle se dispense cependant den donner la base légale. Cette situation est relativement confortable pour le tuteur et le juge des tutelles ayant en charge un majeur capable de sexprimer. Cest généralement avec soulagement quil rappellera les principes évoqués en première partie pour affirmer quil doit seffacer devant la volonté du majeur. Celui-ci veut retourner vivre chez lui et quitter lhôpital ? Il souhaite avoir des enfants, ou vivre en concubinage ? Soit, diront les tuteurs. Nous sommes en matière personnelle et nous devons nous incliner. Bien plus délicate est la situation du tuteur qui considère que le majeur prend une décision sans en apprécier la portée, ou qui a en charge une personne totalement incapable de sexprimer. Car cest vers lui que les équipes soignantes, les assistantes sociales, la famille se retournent, le sommant de prendre une décision. Son seul secours dans ce cadre est le juge des tutelles. Lorsque la mesure prononcée est une mesure de tutelle en gérance, ce recours au juge simpose. Sauf à violer les textes, le juge est bien obligé daccepter ou de refuser telle ou telle décision, le gérant de tutelle ayant pour seul pouvoir de percevoir et de gérer les revenus du majeur. Mais lorsque nous sommes en tutelle familiale ou en tutelle dEtat, un certain nombre de juges des tutelles sempressent de rappeler le tuteur à lordre et de lui signifier quils ne sont pas là pour choisir les lieux de vie ou décider des opérations de la prostate. Le tuteur se retrouve alors face au silence ou à lopposition du majeur, avec cette question en tête : " En quoi suis-je légitimé pour prendre telle ou telle position ? ". Cette situation est dautant plus délicate que rien ne justifie la différence entre la tutelle en gérance et les autres formes de tutelle en ce qui concerne la protection de la personne. Si, comme le veut la loi de 1968, ont peut considérer que la famille sera plus attentive à la protection dun patrimoine important quun préposé détablissement, un gérant bénévole ou une association tutélaire, ce postulat sefface en matière de personne. Dès lors que les gérants de tutelle sont de plus en plus des professionnels, on peut même affirmer quils ont plus de qualification pour résoudre les problèmes posés par une personne atteinte de troubles mentaux ou de handicaps physiques graves que lentourage familial. On serait tenté dès lors daffirmer quen matière personnelle, il ny a pas de différence à faire entre les formes de tutelles et que le recours au juge doit être systématique. Mais se pose alors le problème de la base légale de lintervention du juge, sans parler de celui de lencombrement et des délais de réponse des magistrats. Si lon fait, là encore, un parallèle avec la situation des mineurs, on notera que le juge des enfants nintervient que lorsque le mineur est en danger. Cest cette seule notion qui permet à la puissance publique de se substituer aux détenteurs de lautorité parentale. Alors que lon vient daffirmer que le majeur protégé ne pouvait être assimilé à un mineur, nest-il pas paradoxal de soumettre systématiquement la protection de sa personne à limperium dun juge ? Et inversement, comment justifier le pouvoir quaurait le tuteur dagir seul dès lors quil est tuteur familial ou dEtat, et ce en dehors de tout contrôle du juge ?
En létat actuel des textes, les auteurs résolvent cette série dinterrogations en soutenant généralement que le tuteur est curateur à la personne du majeur. Il doit aider celui-ci à prendre des décisions personnelles et, en cas de conflit, il est habilité à saisir le juge des tutelles qui doit trancher. Ce schéma a pour avantage dobliger le juge des tutelles à intervenir, quelle que soit la forme de la tutelle ; il a pour inconvénient de ne reposer sur aucune base légale et de laisser en suspens le cas du majeur qui ne soppose pas, mais qui est tout simplement dans limpossibilité dexprimer sa volonté. Dans bien des cas, le tuteur laisse des tiers décider, et tout particulièrement les équipes soignantes lorsque le majeur est hospitalisé ou les assistantes sociales pour les majeurs restés à domicile. Lun des axes de la loi de 1968 sen trouve totalement laissé de côté. Il faut rappeler en effet que le législateur de 1968 avait voulu expressément distinguer la mesure de protection du traitement médical. Le tuteur était conçu comme une sorte de contre-pouvoir médical. On trouve cette idée dans les dispositions de larticle 499 du Code civil qui interdit au personnel soignant dexercer au sein dun établissement hospitalier les fonctions de gérant de tutelle. La création dun curateur à la personne en établissement psychiatrique et nétant pas sous un régime de protection dans la loi de 1990 ne sera quun écho maladroit de cette notion. Le tuteur protégeant un majeur ne pouvant sexprimer a souvent du mal à exercer ce contre-pouvoir ; sans référence textuelle pour appuyer son action, il se trouve dépossédé de toute légitimité pour décider pour quelquun qui, en toute hypothèse, nest nullement soumis à son autorité.
Cest ici quintervient la notion de responsabilité tutorale. Le mot responsabilité retrouve ici son origine étymologique, cest-à-dire quest responsable celui qui accepte de répondre de quelquun.
Avant dexplorer cette notion de responsabilité tutorale, il apparaît utile de rappeler que le droit des mineurs connaît un glissement de la notion dautorité parentale à celle de responsabilité parentale. La Convention internationale sur les Droits de lenfant du 20 novembre 1989 en particulier utilise cette notion qui a pour but de recadrer les pouvoirs des parents à légard de leurs enfants : les parents ont un devoir éducatif à légard de leurs enfants mineurs et cest cette seule obligation sociale qui justifie leur pouvoir de coercition.
De pouvoir de coercition à légard du majeur protégé, il ny en a pas. Cela signifie-t-il quil ny a pas de responsabilité tutorale ? Les bons auteurs nous apprennent à ce titre que la responsabilité du tuteur est celle du gérant daffaire : le tuteur aurait pour obligation de gérer en bon père de famille le patrimoine du majeur. Il serait tenu au paiement de dommages intérêts en cas de carence en ce domaine. Une telle conception de la responsabilité tutorale apparaît totalement dépassée. Le tuteur, quelle que soit la forme de la mesure, doit pouvoir être tenu pour responsable de la personne du majeur. Pour être légitime à parler en lieu et place de ce majeur, il doit pouvoir dabord en répondre. Au risque de faire tressaillir les associations tutélaires et les gérants de tutelle des établissements, je pense quil serait tout à fait souhaitable dappliquer au tuteur la jurisprudence nouvelle de la cour de cassation sur la responsabilité du fait dautrui, inaugurée par larrêt Blieck du 29 mars 1991. On sait en effet que dans une série darrêts spectaculaires, la cour suprême a instauré une responsabilité de plein droit des établissements dhébergement du fait des agissements des personnes qui leur étaient confiées. Cette responsabilité nest pas fondée sur une notion de faute, mais sur celle de risque. Il serait hautement souhaitable que les tribunaux fassent application de cette jurisprudence aux tuteurs et curateurs. Ceux-ci pourraient être condamnés à verser des dommages intérêts en cas de dommages causés par les majeurs à eux confiés, sur la même base que les établissements dhébergement, soit larticle 1384 alinéa 1 du Code civil. On peut se demander en quoi cette nouvelle charge serait de nature à faire évoluer la question de la protection de la personne. La réponse est simple : nous serions ici dans le champ du symbole. Tenu à réparation en cas de dommage, le tuteur aurait enfin une légitimité à parler au nom du majeur. Face aux équipes soignantes, aux services sociaux et à la famille, le poids de la réparation éventuelle pesant sur lui lui donnerait vocation à la parole. De même que les parents ont un pouvoir de coercition sur leurs enfants en raison de leur obligation sociale de les éduquer, de même les tuteurs auraient droit dinterpréter le silence des majeurs protégés car ils engageraient leur responsabilité en cas de dommage créé à des tiers.
Cette responsabilité tutorale, concomitante à celle des établissements gardiens, a lavantage de donner un poids au tuteur sans nullement porter atteinte à lautonomie du majeur protégé. En effet, la responsabilité du fait dautrui sapplique non seulement aux mineurs, mais aussi depuis larrêt Blieck aux majeurs dès lors quils sont soumis à une personne chargée dorganiser et de contrôler " à titre permanent" leur mode de vie. Cela concerne, daprès la jurisprudence, les Centre daide par le travail, mais aussi les foyers recevant des mineurs au titre de laide sociale, voire même daprès une série darrêts quelque peu étonnants des clubs sportifs. Cette notion dorganisation et de contrôle, que la Cour de cassation a retenue comme engendrant la responsabilité du fait dautrui, rappelle étrangement le rôle du tuteur en matière personnelle. Elle nimplique nullement la négation de lautonomie de décision de la personne dont on doit répondre : il sagit ici dune organisation et dun contrôle de fait, et non de droit. Le tuteur ne sera pas responsable parce que le majeur est, en droit, incapable de prendre des décisions, mais parce quen fait il ne peut seul organiser son mode de vie et doit être contrôlé dans ses activités. Notons dailleurs que le majeur protégé se retrouve si lon peut dire à égalité juridique avec son représentant : en application de larticle 489-2 du Code civil, il est responsable des dommages quil cause à autrui, et ce même sil était sous lempire dun trouble mental au moment des faits.
Le second avantage dune déclaration de la responsabilité du tuteur du fait des agissements de la personne protégée réside dans la clarification des missions de chacun en matière de protection de la personne. Responsable de plein droit des agissements du majeur, le tuteur familial, professionnel ou bénévole va nécessairement simpliquer davantage dans les décisions concernant le lieu de vie, les conditions dhébergement ou la vie affective et sexuelle de la personne dont il a la charge. On peut penser quil ne restera plus, comme il avait parfois tendance à le faire, passif par rapport aux décisions des équipes médicales ou de certains membres de la famille. Parallèlement, pour les décisions les plus risquées, ou les plus compliquées, le tuteur aura forcément tendance à se retourner vers le juge des tutelles. Ce réflexe, connu dans la fonction publique sous le vocable de "réflexe du parapluie", est ici manifestement favorable à un bon fonctionnement des mesures. Le juge des tutelles devra prendre une décision non pas en fonction de la forme juridique de la tutelle, mais en raison de limplication du choix à effectuer. Ce mécanisme, du moins peut-on lespérer, sera de nature à freiner les ardeurs des tuteurs autocrates qui prennent des décisions sur les lieux de vie ou les modes de vie seuls, sans avis du juge des tutelles, et pour des motifs généralement plus financiers que psychologiques.
Pour être porteuse de sens, cette responsabilité du fait des majeurs devrait être affirmée par un texte et non pas résulter dune évolution jurisprudentielle. Ce même texte devrait prévoir une obligation dassurance à légard des tuteurs ainsi quun fond de garantie. Il ne sagit évidemment pas que les tuteurs sopposent à toute sortie détablissement ou confinent les majeurs chez eux afin déviter tout risque. Leur déclaration de responsabilité doit être de lordre de limplication psychologique et il ne sagit pas de menacer le patrimoine des tuteurs, familiaux, bénévoles ou professionnels. Il ne serait dailleurs pas scandaleux de prévoir que les frais dassurances puissent être intégrés dans les émoluments des gérants de tutelles ou dans le montant récupérable en matière de tutelle dEtat.
Cette reconnaissance dune responsabilité tutorale nest évidemment pas à elle seule la voie permettant de résoudre tous les problèmes liés à la protection de la personne. Elle semble cependant une étape indispensable dans lévolution du droit des personnes vulnérables et une piste de réflexion fructueuse pour les professionnels de la protection des majeurs, professionnels qui, comme on le sait, sont de plus en plus souvent destinés à suppléer les familles en matière de tutelle ou de curatelle. Par linstauration dune assurance obligatoire, cette responsabilité doit pouvoir rester de lordre du symbolique et ne pas être seulement vécue comme une contrainte supplémentaire. A cette condition, la responsabilité pour autrui, si chère au philosophe Levinas, est de nature à conférer une nouvelle valeur à la fonction de tuteur. Celui-ci, de simple gestionnaire de patrimoine, se verrait enfin reconnaître le statut de responsable de lautre, de répondant et de porte-parole de celui qui est privé de voix.
P. C.
LES MESURES DE PROTECTION
Monsieur Michel BAUER*,
Union Nationale des Associations Familiales (UNAF).
A ce stade du colloque, la question est d'évoquer une éthique professionnelle dans l'application de l'assistance ou de la représentation prévue pour les mesures de curatelle et de tutelle. Peut-on également parler de règles déontologiques ?
L'exercice de ces mesures, lorsqu'il relève du dispositif associatif, implique que cette question soit posée du fait même qu'elle nous fait toucher du doigt un aspect fondamental des libertés qui n'a cessé d'être évoqué ce matin.
Comment l'aborder du côté du monde associatif lorsqu'il se voit confier l'exercice de ces mesures par délégation de l'Etat, lorsque la famille n'a pu être retenue ?
A mon sens, en indiquant ici plusieurs points permettant d'alimenter un débat collectif et partenarial :
Le premier est lié à l'histoire : les associations ont été sollicitées par les pouvoirs publics afin d'accepter la délégation de l'exercice des mesures que le décret de 1974 défère aux DASS par délégation du Préfet. On constate aujourd'hui l'absence totale de services publics.
Mais depuis à présent vingt ans, ce qui implique une certaine maturité, nulle précision n'a été apportée à cette mission tutélaire au-delà des éléments contenus dans le code civil et qui précisent exclusivement l'angle patrimonial de la protection, et des arrêts, certes importants, rendus par la Cour de Cassation confirmant la protection des personnes. Ceci est souvent laissé à la seule appréciation du tuteur.
Bien au contraire, les choix de financement alloués et les rares réflexions ont exclu toute notion d'accompagnement social dans l'exercice de ces mesures, alors même que n'ont cessé d'affluer des mesures de plus en plus nombreuses au profit de personnes dont les pathologies sont accompagnées de lourds besoins sociaux. A qui revient donc la résolution de ces problèmes ?
Ainsi, l'Etat n'a-t-il pas indiqué à ces nouveaux mandataires, que sont devenues les associations, la portée et les limites de leurs interventions. Ceci pose un problème à ceux à qui les associations confient l'exercice direct des mesures : les délégués à la tutelle.
Ce point est déjà important pour comprendre les enjeux des libertés au regard de ce que réalise un tuteur lorsqu'il intervient en cette qualité. Protection des biens, des personnes et accompagnement social.
Le second point qui va poursuivre dans ce sens est le constat de l'évolution quantitative des mesures (il est difficile de chiffrer précisément le nombre de mesures suivies par les associations : il se situerait autour de 170.000 mesures, TPSA et tutelles et curatelles confondues) et celui de l'évolution des publics concernés. Aux personnes âgées, aux malades et aux handicapés dont l'altération des facultés nécessite un soutien d'assistance ou de représentation, s'est ajoutée une catégorie non prévue : certains marginaux exclus, désinsérés, fruit des difficultés récentes que connaît la société, notamment la rupture de bon nombre avec l'emploi.
Pour ceux-là, la question doit d'ailleurs être posée clairement. S'agit-il de l'exercice d'une mesure de protection ou bien d'une mission de régulation sociale, de contrôle social ? De cela, les délégués à la tutelle sont aujourd'hui conscients et s'interrogent. En amont, cela pose indubitablement la question des conditions d'accès au dispositif judiciaire de protection des majeurs, le contenu et la limite des actions et l'inévitable réponse aux situations sociales dégradées qui sont quotidiennement rencontrées.
A propos de cette évolution quantitative qui pose la question fondamentale de la limitation du recours à la tutelle ou à la curatelle d'Etat, que d'autres ici traiteront, il faut indiquer le rôle important que jouent bon nombre d'UDAF et d'associations en mettant leurs moyens et leurs compétences au service de tuteurs familiaux. Ce soutien organisé peut à terme devenir particulièrement précieux.
Le troisième point consiste, bien évidemment, à rappeler la complexité du contenu de la mission tutélaire, ou "curatélaire". Chaque mesure comporte une phase de prise en charge, puis d'exercice au long cours de la mesure, et enfin de fin de mesure. Ces phases doivent garantir une protection individualisée des biens et des personnes. Le contenu en est développé plus longuement dans les tableaux suivants.
Néanmoins, l'intervention présuppose que le tuteur soit partie prenante de projets familiaux, de projets thérapeutiques ou de projets sociaux qui donnent le sens à son action.
Méthodologie d'intervention |
Domaines d'intervention |
Actes posés |
|
Prise en
charge
de la mesure |
|
de la personne
= l'inventaire |
de la personne et de ses biens
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Méthodologie d'intervention |
Domaines d'intervention |
Actes posés |
|
Vie de la
mesure
|
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GESTION DU BUDGET
SUIVI DU PATRIMOINE
SUIVI DE LA PERSONNE
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Méthodologie d'intervention |
Domaines d'intervention |
Actes posés |
|
Fin de la
mesure |
|
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Nous voyons là combien nous entrons dans l'intimité de la vie de ladulte protégé, et sommes loin de la tutelle des mineurs. Ce qui implique la nécessité dune définition de règles et dune réflexion sur l'éthique.
Qu'il me soit ici permis de donner le sentiment des délégués à la tutelle, retracé largement dans le rapport FORS, lequel est très fortement d'hériter de situations inextricables dont plus personne ne veut. Pour y répondre, la tutelle aux prestations sociales est souvent utilisée et pourrait trouver une place plus juste dans la panoplie de réponses nécessaires.
Alors, en quatrième point, en conclusion et pour rester dans le sujet, nous dirons que la déontologie est urgente. Ainsi, les règles d'habilitation des associations doivent-elles être édictées, leur code de fonctionnement revu afin d'éviter que certains ne viennent ternir une image de qualité indispensable à cette mission et nécessaire à l'usager.
Dans l'exercice des mesures, les associations ont un rôle important à jouer dans l'investigation permettant de connaître les situations. Dans le domaine des actes relatifs à la personne la réflexion collective doit être instaurée et la décision totalitaire doit être évitée. L'information préalable de la personne protégée est un impératif. Le juge doit trouver là une place indispensable dans le circuit de décision. Le commissariat aux comptes est un outil indispensable et doit être appliqué aux délégués à la tutelle. Il est possible de proposer des outils de rendu compte qui sécurisent l'application des mesures. Enfin, un outil d'organisation de la qualité doit être recherché afin que soit vérifiée l'application des obligations essentielles qu'a le tuteur et notamment la différenciation dans l'exercice des mesures.
Tout ceci nécessite des moyens et il est urgent, nous dirons gravement urgent, que les mesures soient correctement rémunérées et que la logique actuelle des financements totalement incohérents soit revue. Ce chantier est ouvert par l'UNAF qui entend préparer les niveaux de qualité que doivent offrir les UDAF, et revendiquer les moyens nécessaires. Pour ce faire, une charte de gestion en établit déjà les principes. L'Association Française de Psychiatrie aura, elle aussi, un rôle à jouer dans les trois journées d'assises que tiendra l'UNAF fin 99.
Pour l'éthique, qui pose au quotidien de multiples problèmes moraux à ceux qui exercent les mesures, nous vous renverrons à la philosophie de Michel Serres : avant d'organiser le bien d'autrui, ce qui revient souvent à lui faire violence, c'est-à-dire du mal, l'obligation minimale demande qu'on évite soigneusement de lui faire ce mal.
Et puis nous dirons aussi que dans une société qui développe les droits des personnes, il y a ceux qui savent faire respecter leurs droits et ceux qui ne le savent pas, ne le peuvent pas. Pour cela, nous avons une mission.
M. B.