Colloque "La protection des Majeurs" (Lille 20 et 21 mars 1998) organisé par l'Association Française de Psychiatrie et l'Association régionale de Psychiatrie du Nord Pas-de-calais


3 - LA PRATIQUE INSTITUTIONNELLE AUJOURD’HUI

 

 

 

 

 

LA PRATIQUE A L’HÔPITAL

 

 

Monsieur Jean-Pierre PERPOIL*,

gérant de tutelle.


1.La spécificité des services des majeurs protégés des établissements de soins.

Ce sont les héritiers de l'ex "administration provisoire des biens des malades mentaux" qui, avant 1968, protégeaient -le terme n'est sans doute pas le plus approprié !- les "aliénés non-interdits". Le profil des majeurs était tel que le préposé gérant de tutelle issu de la Loi de 1968 est pratiquement le seul organe des mesures de protection ne faisant l'objet d'aucun agrément des autorités de justice. Il est choisi par le seul directeur, sans critère précis. C'est une simple fonction, et non un grade. Il ne dispose d'aucun statut.

Paradoxalement, dans nombre d'établissements hospitaliers ou de long séjour, on a assisté à une véritable professionnalisation de ces services et à un développement important. On en rappellera très succinctement les causes :

- pour la prise en charge des cas les plus lourds, d'une part,

- sa nomination dans l'urgence, d’autre part : multiplicité des désignations en
qualité de mandataire spécial (qui n'ont de "spécial" que le nom, le plus
souvent !), même lorsque la mesure définitive ne leur sera pas confiée.

Cette évolution et ces avantages ont également quelques contreparties :

Ce constat conduit à une double conclusion :

    2. Quelques réflexions quant au projet de modification de la Loi du 3 Janvier 1968.

      a. Il faut, encore et toujours, rappeler que la Loi de 1968 est un instrument juridique remarquable et exceptionnellement performant. Le fait qu'il s'agisse d'une loi despécifiée, indépendante du traitement médical et donc de l'hospitalisation (l'existence de gérant de tutelle "hospitalier" n'est nullement contradictoire avec ce principe ! ) a été une des causes principales de son succès. Sa souplesse (tutelles et curatelles aménagées des art. 501 et 511 du Code Civil) n'est malheureusement pas assez souvent utilisée : les mesures classiques sont prononcées, et les mesures "à la carte", à vocation quasi-thérapeutique, telles que les rédacteurs de la Loi les avaient prévues, peu utilisées.

      b. La loi de 1968 est un instrument que l'on pourrait qualifier de trop performant -en fait trop lourd- dans nombre de situations où elle est actuellement mise en place. Une partie importante des mesures de Curatelle "512" et de tutelles en gérance actuellement confiées aux services de tutelle "hospitaliers" -et ceci est particulièrement vrai dans les C.H.S.- correspondent totalement à l'indication des actuelles T.P.S.A. Il n'est nullement nécessaire de rendre un majeur juridiquement incapable lorsque l'assistance ou la représentation consiste essentiellement à équilibre un budget d'Allocataire aux Adultes Handicapés ou de RMIste ! Le projet de mesure d'aide à la gestion, sans incapacité, inspiré de la T.P.S.A. nous semble très positif.

      Problème : les T.P.S.A. ont un coût. L'extension de leur champ d'application (ex. T.P.S.A. et mesures substituées aux actuelles tutelles en gérance et curatelles "renforcées") devra faire l'objet d'un financement approprié. Les majeurs à protéger sont souvent très appauvris, et il est illusoire de penser qu'une simple rémunération par prélèvement sur leurs ressources permettra de financer ces services d'aide à la gestion. Il parait tout aussi illusoire d'imaginer que la mesure prévue par les rédacteurs du projet de réforme de la loi puisse être confiée à des bénévoles. Toute réforme, au niveau de la Chancellerie, n'est donc réalisable qu'après concertation avec les autres ministères concernés.

      c. La protection de la personne

      Elle n'est certes que rarement directement envisagée dans la Loi de 1968 (mariage, donations), mais les renvois aux règles des mineurs d'une part, et une jurisprudence constante d'autre part, permettent de penser qu'il n'y a pas de vide juridique réel dans ce domaine. L'adéquation la plus affinée entre la restriction de la capacité juridique et l'altération des facultés personnelles est déjà envisagée dans le texte actuel (regret déjà évoqué du nombre très réduit de mesures aménagées).

      Il est sans doute important, dans le sens d'un renforcement de la protection des libertés individuelles, de préciser le rôle (et les limites du rôle) du représentant légal, et la recherche du consentement du majeur protégé, ne serait-ce que pour "officialiser" ce qui existe déjà ou, pour le moins, devrait exister... Cela permettra par ailleurs d'éviter la multiplication de textes particuliers (Loi Huriet-Serusclat, par exemple), avec des textes plus clairs que de simples références jurisprudentielles.

      Par contre -et il s'agit là de réflexions personnelles, l'Association Nationale des Gérants de Tutelle n'ayant pas encore été consultée-, il apparaît délicat de vouloir, à l'occasion de chaque jugement, "étalonner" précisément la capacité du majeur au regard du gouvernement de sa propre personne* , déterminer ce qu'il aurait le droit de décider seul, ou au contraire délimiter un champ réservé au gérant de tutelle avec intervention du Juge des Tutelles. Le recours au magistrat-arbitre tel qu'il est actuellement affirmé par la jurisprudence me parait préférable. Il convient d'attendre des précisions quant au projet de réforme pour pouvoir affiner ces observations. "Trop" légiférer dans une telle matière pourrait impliquer plus d'inconvénients que d'avantages...

      De la même manière, même s'il est toujours souhaitable d'associer la famille et les proches aux mesures de protections, de quelque manière que ce soit, l'institution de la tutelle testamentaire ne me parait pas constituer -c'est un euphémisme- une avancée juridique...

       

      En conclusion, et pour évoquer de nouveau la spécifié des services "hospitaliers" de gestion, écarter systématiquement les gérants de tutelles de toute intervention en matière personnelle me parait aussi inopportun que difficile à mettre en oeuvre (sauf à décider la suppression pure et simple de ces services) : le choix d'un lieu de vie, l'autorisation de procéder à un acte chirurgical ou à des essais thérapeutiques se posent à eux de manière quasi identique au secteur associatif ou privé. Encore une fois, s'il y a, au sens juridique, conflits d’intérêt, le gérant hospitalier, comme en matière de gestion des biens, sollicitera l'avis du Juge et éventuellement son dessaisissement. Il parait difficile de créer des gérants de tutelles de second ordre, sauf à revenir à la conception purement "administrative" qui prévalait il y a trente ans.

      La situation du gérant de tutelle hospitalier est ambiguë, mais son évolution a été parallèle avec les progrès de la pratique des soins en psychiatrie et gériatrie. On peut certes -c'est une position qu'il est tout à fait possible d'argumenter- souhaiter sa disparition. Il suffira alors de savoir qui le remplace... et de faire un bilan de l'économie du système. Dans l'immédiat, il existe, même s’il est systématiquement "oublié" dans les discours et les écrits de la Chancellerie. Avec une certaine amertume, nous devenons une profession quasi virtuelle ! Quel décalage avec la (dure) réalité, celle des juges des tutelles qui confient à ce secteur plus du tiers des mesures de protection non-familiales ! Pour ces magistrats, nous avons sans doute des améliorations à apporter, des statuts à préciser, des ambiguïtés à dissiper (comme d'autres secteurs, sans doute), mais nous n'avons rien de virtuel ! Sans prétendre abusivement à la reconnaissance, il conviendrait, a minima, de le prendre en compte.

      J-P. P.

       

       

       

       

       

      LA PRATIQUE DE

      LA PROTECTION DES MAJEURS

      AU SEIN D’UN

      ETABLISSEMENT HOSPITALIER

       

      Docteur Bernard NEYRINCK*,

      psychiatre.

       

       

       

       

       

      En présence de patients présentant de graves troubles de la personnalité dont on sait qu’ils vont persister pendant un certain temps, le psychiatre hospitalier dans sa mission de réhabilitation ou de réappétence sociale, mission prévue par le code de la Santé Publique, doit tenir compte dans le bilan clinique du volet socio-économique, c’est-à-dire les conditions sociales de vie du patient et sa capacité à gérer son quotidien.

      Une des réponses qui est alors envisagée et initiée, est la mise sous protection des biens. Le recours à l’application de la loi du 3 janvier 1968, s’il est en constante progression, reste toutefois assez modeste par rapport aux patients pris en charge. A titre d’exemple en ce qui concerne le secteur de Wattrelos-Leers, sur une file active de 1.200 patients, à peine 6 % d’entre eux bénéficient d’une mesure de protection, que ce soit de sauvegarde, de curatelle ou de tutelle.

      La mesure de protection pour certains patients est assurée par un préposé de l’établissement hospitalier, préposé bien souvent appelé " gérant de tutelle ". Ce choix n’est pas anodin car il peut entraîner des conséquences que nous évoquerons ci-dessous.

      1. Les avantages :

      Il ne s’agit pas ici de porter des jugements de valeur sur les conséquences d’une gestion par le gérant de tutelle d’un établissement hospitalier. Mais plutôt de décrire les avantages et les désavantages d’une telle solution. On peut regrouper les avantages autour de deux thèmes principaux :

      a. proximité de la gestion,

      b. sécurité, garantie et neutralité de la gestion.

      • La sécurité et la garantie de la gestion : en tant que préposé d’un établissement hospitalier, le gérant de tutelle est soumis aux règles de la comptabilité publique. On peut dire qu’il existe de fait un double contrôle de la gestion qui, d’une certaine façon, est aussi garant de la neutralité vis-à-vis à la fois du patient et de l’équipe soignante. Cette neutralité est parfois bien utile et permet d’objectiver certaines réactions que l’on pourrait interpréter comme étant transférentielles ou contre-transférentielles, et qui peuvent parfois être nuisibles à la relation thérapeutique et à la prise en charge du patient.

      2. Les désavantages

      Comme pour d’autres domaines, les avantages d’une gérance de tutelle au sein d’un établissement public de santé portent en eux les germes des désavantages. C’est la réalité qui remet en cause ces avantages :

      a. la proximité peut être transitoire et de courte durée. Les progrès en matière de prises en charge des malades mentaux entraînent, de fait, des durées de plus en plus courtes d’hospitalisation, même si ces dernières sont répétitives. Par ailleurs et conformément aux directives de la loi du 27 juin 1990 qui suit en cela l’évolution des progrès, la plupart des hospitalisations se font sur le mode de l’hospitalisation libre. Si les entrées sont prévisibles, les sorties du service hospitalier sont parfois inopinées, imprévisibles, sans que l’on puisse vraiment s’y opposer, aboutissant ainsi à des va-et-vient intra et extra-hospitaliers.

      Cette même proximité, si elle favorise les échanges entre majeur protégé et gérant de tutelle, facilite aussi les échanges entre équipes soignantes et gérants de tutelle. Or, ces derniers expriment légitimement des difficultés dans leurs échanges avec les équipes soignantes. En dehors de l’aspect économique, les informations sociales ne sont pas toujours signalées et les gérants de tutelle hospitaliers ont peu de connaissance des aptitudes éventuelles du majeur protégé. Ils ne participent pas en tant que tels au projet médico-social que l’équipe soignante est amenée à élaborer. Parfois, même, ils ont du mal à connaître le bon interlocuteur du majeur protégé, même si celui-ci est le service social attaché à chaque secteur psychiatrique.

      b. Sécurité, garantie et neutralité de la gestion : la garantie de gestion par l’obligation d’une double comptabilité n’est pas non plus exempte de difficultés. Cette obligation entraîne incontestablement une absence de souplesse dans la gestion des ressources du majeur protégé, surtout quand il s’agit d’une tutelle. Certains problèmes de la vie quotidienne deviennent vite insolubles ; ainsi, tel patient ayant égaré les clés de son logement et devant faire appel à un professionnel mais n’ayant pas la possibilité de faire face à la dépense, ne pourra payer rapidement le serrurier qui, par expérience, sera très réservé pour intervenir ; certains refus ont été clairement exprimés. Cette absence de souplesse a également des répercussions lors des hospitalisations répétitives en fonction des durées d’hospitalisation. Le forfait hospitalier peut être imputé sur les ressources du majeur protégé. Bien souvent, la régularisation se fait avec des retards de quelques mois, rendant ainsi la gestion au quotidien très difficile.

      En cas de tutelle, une autre difficulté existe, même si elle n’est pas spécifique au gérant de tutelle hospitalier. La réglementation exige que le tuteur donne son accord pour certains actes médico-chirurgicaux même s’il n’apparaît pas toujours comme le meilleur interlocuteur. Certes, il peut s’informer auprès des équipes soignantes ; néanmoins, la décision lui appartient, quitte à ce qu’il sollicite l’autorisation du juge des tutelles ; solution inadaptée la plupart du temps lorsqu’une intervention chirurgicale est souhaitable dans des délais assez brefs. De plus, la décision qu’il est susceptible de prendre ne peut être légitimée.

      3. Réflexion en guise de conclusion :

      La loi du 3 janvier 1968 a heureusement rompu avec l’équation " interné = incapable " (qui pouvait se justifier en 1838). Cette suppression de l’automaticité doit être considérée comme une avancée importante ; le patient retrouve alors un statut en tant que sujet et non plus comme sujet malade. Il est incontestable que cette nouvelle disposition joue un rôle important dans la réhabilitation des malades mentaux.

      La prise en charge de ces derniers s’est considérablement modifiée depuis trente ans. La politique de santé publique en matière de lutte contre la maladie mentale, préconisée depuis mars 1960 et légalisée depuis juillet 1985, a modifié radicalement les pratiques psychiatriques institutionnelles, et une politique de réhabilitation ou de réappétence sociale peut maintenant se réaliser. Cette politique nécessite un accompagnement quotidien. Les prises de décisions socio-économiques doivent être souples, rapides, diversifiées. Les mesures de protection doivent être en accord avec cette nouvelle réalité.

      Deux exigences s’imposent alors : proximité et souplesse. Sans évoquer l’étape judiciaire proprement dite, la proximité doit faire envisager un gérant de tutelle proche des secteurs psychiatriques. Faut-il affecter un gérant de tutelle par secteur ? Actuellement, un seul préposé existe par établissement hospitalier. Un gérant de tutelle par secteur devrait pouvoir d’une certaine façon s’intégrer à une équipe pluridisciplinaire ; son statut resterait à définir.

      Proximité mais aussi souplesse dans la gestion. Il est certain que si la gestion par un organisme public offre plus de sécurité et de neutralité par le biais d’un double contrôle, elle est cependant pesante et de moins en moins adaptée aux réalités quotidiennes. Souplesse aussi dans les interventions ; cela suppose que les décisions soient prises dans des délais raisonnables et, pour cela, de redéfinir les actes exigeant ou non l’autorisation du juge des tutelles, c’est-à-dire qu’il faut une évolution de la législation vers plus de subsidiarité.

      Outre les aménagements législatifs, le problème du gérant de tutelle reste posé : faut-il un gérant de tutelle hospitalier ou non... ? En tant que clinicien, nous aurions tendance à dire qu’importe la personne pourvu que la mesure de protection puisse s’exercer au plus près des lieux de vie du malade mental ; ceci dans un contexte d’accompagnement médical, familial et social, et de souplesse dans l’exécution des décisions à prendre.

      S’il fallait envisager des modifications à la législation actuelle, il apparaît souhaitable que l’esprit de la loi du 3 janvier 1968 puisse être conservé. Mais il ne faudrait pas que cette assistance personnalisée devienne un obstacle à une réhabilitation que d’autres appelleraient une " citoyenneté ".

      B. N.

       

       

       

       

       

       

      L’ASSISTANCE

      EN MATIERE EDUCATIVE ET SOCIALE

       

       

      Monsieur Jean DUSAUTOIR*,

      UDAF Nord.

       

       

       

       

      L’exercice quotidien des mesures de protection permet d’affirmer que les délégués à la tutelle exercent, dans le cadre de la loi de 68, une fonction de régulateur social auprès d’un public en difficulté, isolé, démuni face à une organisation de la société complexe.

      Les incapables majeurs, s’ils ont besoin d’une assistance ou d’une représentation dans les actes de la vie civile, s’ils ont besoin d’une aide dans la gestion de leur budget et de leur patrimoine, sont également démunis dans de nombreux domaines où ils auraient à défendre leurs droits car ils sont souvent incapables de se défendre et d’affirmer leurs droits. Le tuteur est donc amené à réaliser des actes ou à accompagner les personnes. Il a également à s’assurer que les services administratifs, sociaux, médicaux, réalisent leur intervention spécifique.

      Il faut également préciser qu’un travail relationnel d’écoute, de compréhension, de soutien est indispensable face à un public en importante difficulté relationnelle.

      Ce " savoir-faire ", conforté par le fait que de nombreux services tutélaires emploient des travailleurs sociaux comme délégués à la tutelle, amène une " saisine " des juges de plus en plus importante.

      C’est ainsi que nous avons à nous adapter à de nouveaux publics, dans un contexte pourtant difficile. Certains parlent d’une société à deux vitesses, nous parlerons pour notre part d’une inégalité qui s’accroît.

      Pourtant les moyens sont insuffisants pour assurer cet accompagnement que nous souhaitons réaliser. En effet, le financement actuel des mesures civiles ne reconnaît pas cette réalité et vient limiter l’action possible auprès de personnes fragiles, démunies de droits, face à une société exigeante et complexe.

      Le nombre de dossiers gérés par un délégué à la tutelle varie selon les services entre 50 et 70 majeurs protégés.

      D’autre part, le constat a été fait que les travailleurs sociaux, délégués à la tutelle, réalisent un travail relationnel qui tente de répondre aux besoins des personnes.

       

      1. Répondre aux besoins des personnes n’est pas simple.

      Ce rappel n’est pas anodin, car c’est dans la gestion du budget que s’installent toutes les situations d’affrontement, de violence, que vivent les associations tutélaires. Il n’est pas besoin de rappeler que dans le Nord particulièrement des violences inacceptables ont été subies par des délégués, même si nous vivons tous régulièrement une violence diffuse et pas toujours déclarée comme telle.

      Répondre aux besoins de la personne, c’est aussi considérer les majeurs protégés comme bénéficiaires de droits, de la même façon que chaque citoyen.

       

      2. Personnes de droit :

      • Droit au logement décent (rappelons les difficultés et le temps passé pour rechercher des logements adaptés et décents),
      • Droit à la santé et à l’accès aux soins,
      • Droit à la différence,
      • Droit à la justice,
      • Droit au respect de la vie privée et du mode de vie,
      • Droit aux loisirs,
      • Droit à la formation, au travail, à l’utilité sociale.

      C’est pour favoriser le respect de ces droits que le délégué recherchera le partenariat facilitant la mise en place de ce droit à la vie, droit dont sont bien souvent exclues les personnes marginalisées.

      Nous parlerons ici du droit à la santé.

      Un travail de suivi médical régulier et durable est souvent nécessaire auprès des majeurs protégés lorsqu’ils souffrent d’une maladie mentale. Certes, la prise régulière d’un traitement pendant l’hospitalisation en établissement spécialisé permet quelquefois de stabiliser rapidement l’état du patient et de réduire la durée du séjour. Mais nous pouvons affirmer aussi que, dans de nombreuses situations, le suivi médical hors de l’établissement se réalise de façon soutenue et durable permettant ainsi au " patient " de poursuivre une évolution positive, ou au moins de maintenir un équilibre relatif. Les services de tutelle collaborent et sont partie prenante dans le dispositif d’aide mis en place. La concertation et la définition des rôles respectifs permettent à la personne de se repérer et de distinguer la place nécessaire des différents intervenants.

      Nous constatons cependant que cette collaboration n’existe pas partout.

      La mise en place d’une mesure de protection ne doit pas signifier le désengagement des services médicaux qui assuraient jusqu’alors le suivi médical de la personne. Trop souvent, le délégué se retrouve seul confronté aux troubles et à la souffrance du malade. Et nous ne pouvons que constater notre incapacité à répondre alors aux demandes de la personne et à réaliser la mission tutélaire qui nous est confiée.

      Dans le département du Nord, des recommandations ont été négociées en 1996 pour : " assurer l’accompagnement des personnes bénéficiant d’une mesure de protection ", protocole qui devait s’imposer à l’ensemble des structures psychiatriques. Or, peu de médecins en ont eu connaissance (il est à votre disposition). Aujourd’hui, pour tenter d’améliorer cette prise en charge hors établissement, un groupe de travail se met en place réunissant l’administration, les services hospitaliers et extra-hospitaliers, les magistrats et les services de tutelle. Ces réflexions sont revendiquées par les délégués à la tutelle, à la suite d’agressions physiques sur leur personne.

      Le droit à la santé c’est le droit d’être soigné, d’être entendu et soutenu dans ses difficultés personnelles, d’être accompagné dans le traitement et le suivi, même contre son gré.

      Les associations tutélaires se fixent également pour objectif de faciliter l’intégration de la personne.

      La gestion des ressources est un levier puissant dans l’intervention réalisée. En effet, cette gestion qui permet d’assurer des contacts réguliers avec la personne protégée, oblige à organiser le budget en s’appuyant sur la réalité, et permet de fixer un cadre de vie durable et sécurisant.

      Dans bon nombre de situations, les mesures de protection permettent de stabiliser les conditions de vie de la personne, de lui donner des repères dans le temps et d’apporter une sécurité matérielle. La relation qui se construit avec le délégué est une relation durable, incontournable, base d’un travail de construction. Elle n’empêche cependant pas un paradoxe que connaissent bien les intervenants sociaux qui travaillent dans le secteur du judiciaire et de l’aide contrainte : comment favoriser l’autonomie de la personne, en assurant une mesure de protection dont chacun convient qu’elle est privative de liberté ?

      3. Privation de liberté

      En effet, les mesures de protection sont privatives de liberté car les personnes protégées perdent le libre choix de leurs dépenses et les contraignent à obtenir au minimum l’accord du délégué pour tous les actes qu’ils engagent : choix du logement, achat ou vente de mobilier, règlement de dettes, prêts ou dons familiaux, mais également mariage, placements, donations notariées, actions en justice.

      Les choix de gestion faits par les délégués sont tributaires de contraintes fixées par l’institution et son organisation, ainsi que par leur conception personnelle de la bonne gestion d’un budget. Cet arbitraire est nuancé par des conceptions de travail fixées par le service mais reste néanmoins présent.

      Et, on ne peut que s’étonner lorsque la mesure sert principalement à rembourser des dettes quelquefois anciennes et irrécupérables sans mesure (tels que forfaits hospitaliers et frais médicaux), ou des crédits passés auprès d’organismes qui n’ont pas mesuré réellement la capacité de remboursement de la personne.

      Que dire lorsque le règlement de factures de loyer et de dettes ne permet de délivrer que 150 F ou 200 F par semaine au majeur pour assurer ses petits frais et son alimentation ? Et il faut s’étonner également lorsque la bonne gestion amène à constituer des réserves financières importantes pour des personnes bénéficiaires du RMI(1) ou de l’AAH(2) . De quelle marge de négociation dispose la personne protégée dans l’organisation de son budget ?

      Privatives de liberté, les mesures de protection le sont puisqu’elles tentent d’assurer une protection de la personne quelquefois contre son gré. L’hospitalisation à la demande d’un tiers est régulièrement demandée par le délégué à la tutelle. Il faut cependant noter que la décision appartient aux médecins qui rédigent les certificats médicaux nécessaires à l’hospitalisation.

      Autorisations d’opérer, demandes d’IVG(3) , autant d’actes pour lesquels la signature du délégué est sollicitée, quelquefois à tort et de façon abusive.

      Ces contraintes fixées par la loi, l’organisation des services tutélaires et des délégués se justifient lorsque l’altération des facultés mentales ou corporelles est importante et ne permet plus à la personne de développer une pensée cohérente, ou lorsqu’il faut la défendre face à un entourage qui abuse de son handicap. Cependant, de nombreuses mesures sont sollicitées pour des personnes qui ne correspondent pas à cette altération, mais dont le comportement, le mode de vie ne sont pas satisfaisants pour l’environnement social.

      D’autre part, certaines personnes sont trop faibles pour se défendre face à des logiques administratives des législations complexes. C’est ainsi que nous avons vu récemment une mesure de sauvegarde pour une personne âgée de 95 ans, bénéficiaire de la PSD(4), mais qui ne saurait réaliser les obligations dévolues à un employeur qu’elle sera obligée d’être.

      Faut-il mettre en place des mesures de protection pour des personnes qui dérangent par leur marginalité, leur comportement asocial, par l’échec de tous les projets d’aide construits par les intervenants sociaux ? De quels moyens dispose le Juge des tutelles pour éviter une systématisation du recours aux tutelles, dans des situations d’exclusion sociale ? Le médecin expert jour un rôle déterminant dans cette décision, dès lors que son expertise est circonstanciée et précise quant aux limites et capacités de la personne. Le contenu du mandat spécial et l’aménagement de la mesure pouvant être alors individualisés et, pourquoi pas, définis dans le temps.

      4. En conclusion

      Les services de tutelles assurent, dans le cadre de la loi 68, un accompagnement lié à la gestion du budget et à l’organisation de la vie quotidienne.

      Les délégués se doivent également de mettre en place un partenariat avec les services qui ont à assurer leur mission spécifique, respectant ainsi les droits des usagers.

      Nous partageons ainsi la définition que donnent Thierry Fossier et Michel Bauer du majeur protégé : " Personne âgée de 18 ans au moins qui dispose de tous ses droits mais ne les exerce pas lui-même ou ne le fait pas en totalité, ou pas seul, ou encore ne le fait qu’au bénéfice de contrôles a posteriori ".

      J. D.

       

      PLACE DU PSYCHIATRE

      DANS LE SYSTEME DE PROTECTION

      DES MAJEURS INCAPABLES

       

      Docteur Jean-Louis GRIGUER*,

      psychiatre des hôpitaux.

       

       

       

       

       

      Majeurs ou incapables majeurs pour les juristes, patients pour les soignants, handicapés pour d’autres, cette difficulté à " nommer " témoigne d’abords sans doute différents.

      La loi du 3 Janvier 1968 a une incidence sociale importante. L’augmentation du nombre de mesures de protection juridique prononcées, est liée d’une part à la crise économique (précarité, exclusion), d’autre part à une évolution de notre société : modifications de la structure familiale, vieillissement de la population avec, pour conséquences, l’isolement et les difficultés de prise en charge du sujet par sa famille.

      Des dérives pourraient être possibles, notamment devant l’augmentation des demandes fréquentes en raison du chômage, du surendettement, amenant le médecin et en particulier le psychiatre, ainsi que le juge, s’ils n’étaient pas attentifs, à exercer un rôle de régulateurs sociaux, alors même que la mise en place de la mesure doit être la conséquence d’un trouble médicalement défini.

      La loi de 1968 (non ségrégative, concernant les troubles psychologiques et physiques) a institué une indépendance tout à fait essentielle entre le traitement médical et la protection juridique qui affirme le caractère despécifié de la loi, alors qu’auparavant un certain nombre de patients étaient internés sous le régime de la loi 1838 dans le but essentiel de les protéger dans la gestion de leurs biens.

      Dans le dispositif de protection, le médecin-traitant est envisagé comme un partenaire actif, expert permanent, dans une collaboration nécessaire avec le juge (unique) " organisateur " de la procédure.

      A la différence de la protection du mineur (" juge-famille "), le médecin occupe une place non seulement lors de l’ouverture mais tout au long du dispositif jusqu’à sa mainlevée, en qualité de praticien traitant ou spécialiste agréé spécifiant l’altération, étranger à la prise en charge thérapeutique du malade, évitant ainsi la confusion des rôles qui s’opère quelquefois dans le cadre hospitalier (certificat établi par le psychiatre du service).

      La mise en place d’une mesure qui a pour unique objet le majeur protégé (faut-il le rappeler ?) s’organise selon une démarche où chacun se doit de tenir sa place.

      Le psychiatre intègre la mesure dans un cadre thérapeutique, parfois lieu de rencontre, parfois de conflit, positif lorsque celui-ci est verbalisé et analysé. Il peut être interpellé par son patient lorsque la mesure est vécue comme abusive (mauvais rapports avec le tuteur, par exemple), et sollicité par les tuteurs, les associations tutélaires (débordements, conflits d’autorité).

      L’aspect thérapeutique de la mesure aménage un cadre se manifestant dans son caractère provisoire et révisable, et permettant l’ajustement en fonction de l’évolution du sujet.

      Le psychiatre est amené à jouer un rôle important par rapport aux conséquences psychologiques de la décision : que signifie pour un patient une mise sous tutelle ? que peut représenter pour lui un tuteur ? La tutelle permet, par exemple, de rassurer un moment un patient psychotique et de mettre en place un travail psychothérapique.

      Une mesure mal adaptée peut, par contre, aggraver des troubles psychologiques.

      Dans un autre domaine :

      Notons que la Cour de Cassation a affirmé en 1989 une conception globale des mesures, dans le sens d’une protection de la personne et des biens de l’incapable et que le projet de révision de la loi de 1968 s’inspire largement de la loi d’assistance allemande (1992) qui renforce les attributions confiées au tuteur en matière de protection de la personne.

      En pratique, la loi de 1968 est d’un maniement aisé, en particulier pour le psychiatre, mais quelques améliorations apparaissent cependant nécessaires, telles :

      J-L. G

       

       

       

       

      LA REINSERTION DES MALADES MENTAUX

       

       

       

      Docteur Laurence FLEURET*,

      psychiatre.

       

       

      C’est un grand honneur pour moi, d’être parmi vous aujourd’hui, d’intervenir à propos de l’avenir de la Loi de 68 et de contribuer ainsi, en apportant mes modestes réflexions de psychiatre de secteur, à ces travaux sur une réforme en cours qui est, somme toute, du domaine juridique.

      Investie depuis près de vingt ans dans la réinsertion en maladie mentale, je me suis naturellement trouvée intéressée par la place du Délégué à la tutelle (tuteur, curateur, gérant de tutelle, etc...). En effet, dans cet aspect de la prise en charge des patients psychotiques, on ne peut faire l’impasse sur les mesures de protection des biens dont ils sont (ou seront) les bénéficiaires, dès lors qu’un projet d’autonomisation se profile.

      C’est sûrement parce que je n’ai aucune formation juridique et que je ne comprends pas grand-chose en matière de législation que je me suis trouvée, depuis environ dix ans, dans diverses commissions de travail sur les tutelles, organisées par les Croix-Marine.

      Des difficultés rencontrées à propos d’une mesure de protection, il y en a des quantités qui m’ont ainsi été rapportées tant par les équipes de psychiatrie que par les tuteurs, mais aussi par les travailleurs sociaux, les familles, sans oublier les patients eux-mêmes.

      Je félicite l’AFP d’avoir organisé, alors que se profile une réforme de la Loi de 68, ces deux journées d’études permettant l’exposé de points de vue pluridisciplinaires. N’est-ce pas là ce qu’on désigne de nos jours sous le terme de Réseau ? Je souhaiterais, pour ma part, interroger le législateur sur les effets que l’institution d’une loi peut avoir sur le soin, dans le domaine dit de la " réinsertion en santé mentale ".

      En préalable, je me permettrai quelques réflexions sur la Loi de 68, puis je tenterai de situer le cadre de la réinsertion.

      Lorsque j’étais psychiatre en formation, les cours sur la législation en psychiatrie mettaient essentiellement l’accent sur deux lois : la loi de 1838, revue depuis en 1990, et la loi de 1968 (intéressant parallèle entre deux structurations opposables).

       

      Situons maintenant le cadre de cet exposé. Le terme de réinsertion remonte aux années 80, alors que se sont mises à fleurir les alternatives à l’hospitalisation, avec la mise en place des appartements thérapeutiques et des maisons communautaires. Le terme de réinsertion s’est plus récemment heurté à ceux de réadaptation ou de réhabilitation psychosociale. Dans la dynamique d’insertion (car il s’agit le plus souvent d’insertion plutôt que de réinsertion), on peut repérer plusieurs facettes : logement, travail, formation, scolarisation, vie culturelle et sociale " pour considérer plus globalement ce qu’il en est de la citoyenneté ", pour reprendre les termes de C. Bonnet, Président de la Fédération des Croix-Marine. Il ajoute : " Il nous faut être vigilants pour éviter les effets iatrogènes des pratiques réductrices de réhabilitation ".

      Revenons sans cesse au sujet tel que nous le présente le sociologue Alain Touraine : " Etre sujet signifie avoir la volonté d’être un acteur, c’est-à-dire de modifier son environnement plutôt que d’être déterminé par lui ".

      Ce que je continue à appeler la Réinsertion, c’est bien la façon de permettre au patient psychotique d’accéder à cette position de citoyenneté et de sujet, à travers un long parcours émaillé souvent de rechutes, en s’articulant avec un support de réalité qui implique d’autres partenaires au champ du sanitaire. Par simplification, et parce que la place du tuteur y est clairement inscrite, j’évoquerai essentiellement le support du " logement ".

      A cet item simple de logement, se succèdent celui de la domiciliation, mais aussi celui de la séparation par rapport à l’autonomisation, du milieu familial et/ou du milieu hospitalier. Si, depuis près de vingt ans, le paysage professionnel a changé (j’y reviendrai), l’appartement n’a toujours rien de thérapeutique en soi, la maison communautaire non plus.

      C’est de l’investissement possible, à travers la mise en place d’un réseau relationnel, support de relations dites transférentielles, que surgira le soin. Le projet dit thérapeutique s’attache à introduire du mouvement dans la vie du patient, à l’occasion de quoi s’établiront pour lui des contacts et des échanges.

      Les outils dits thérapeutiques sont divers. Il y a l’artillerie lourde avec la maison communautaire en articulation avec l’hôpital de jour et les CATTP (prises en charge à temps partiel). Il y a des prises en charge thérapeutiques plus individuelles, en passant par la création d’outils associatifs (les clubs thérapeutiques).

      Bref, plutôt que de Réinsertion, il est question de relations entre le patient et l’équipe soignante (bien sûr, puisque c’est sa mission dans l’objet de soin), mais également avec les autres : d’autres patients, d’autres personnes du quartier (voisins, commerçants), le médecin traitant, l’infirmière libérale, le kiné, mais également et surtout la famille et le délégué de tutelle. Il faut encore citer dans le Réseau, beaucoup d’autres partenaires : la référente sociale du placement des enfants, les éducateurs du C.A.T., les responsables du centre de formation, etc ...

      Il est peut-être temps de rappeler que l’objectif de la Réinsertion doit, à mon sens, rester le soin. La thérapeutique se situe dans l’accompagnement parfois chaotique d’un processus d’autonomisation. Il s’agit toujours de quitter la famille, donc de gérer le processus de séparation, même si parfois les ruptures ont déjà été agies (décès, placement), corollaires d’hospitalisation prolongée.

      Penser que la Réinsertion se limiterait à une sortie d’hôpital psychiatrique, ce serait oublier l’histoire du patient, la place imaginaire de sa famille. D’autant que le paysage en santé mentale s’est notablement modifié depuis vingt ans, et n’est pas sans incidence sur la croissance exponentielle des mesures de protection. Les équipes de psychiatrie ont à composer avec une nouvelle donne : la réduction de la capacité d’accueil en hospitalisation temps plein et ses effets pervers. A se préoccuper de la meilleure manière de faire de la place pour accueillir les patients en accès aigus, on risque de faire des confusions entre des projets de sortie et des projets thérapeutiques ...

      Revenons au coeur de notre sujet, l’accompagnement tutélaire et, plus particulièrement, celui de la protection des biens à la protection de la personne. Si cet exposé est axé sur la prise en charge de patients psychotiques, je ne suis pas sûre que les réflexions ne soient pas réservées qu’à cette population de majeurs protégés. La singularité du psychotique, c’est certainement la relation toute particulière qu’il établit avec ses parents, relation duelle où la référence paternelle ne peut fonctionner, échec dans l’établissement d’une relation au tiers.

      R. Diatkine commente que " les schizophrènes, quel que soit leur âge, n’ont pas réglé leurs relations avec leurs parents et font ce qu’il faut pour qu’ils ne l’oublient pas ".

      Cette relation duelle d’amour et /ou de haine n’a de cesse que d’enfermer le patient dans un monde psychotique et menaçant qu’il imposera à toute modalité relationnelle débordant le cadre familial. Le parcours psychiatrique d’un patient psychotique s’inscrit nécessairement dans la durée pour qu’un processus de subjectivation puisse advenir, requérant le recours au tiers. Ce processus se déploie d’abord dans l’espace thérapeutique ouvert entre le patient, sa famille et l’équipe de soins. L’argent, dans cette relation particulière à la famille, revêt dès lors toutes sortes de masques traduisant la température de cet échange difficile.

      Rappelons que l’argent permet la satisfaction des besoins vitaux élémentaires (nourriture, hygiène, logement), mais aussi se laisse manipuler (rétention, prodigalité) dans la dimension anale du sujet, et enfin reste l’un des moyens d’accéder à la satisfaction de ses désirs (objets divers de convoitise). Interposer autour de la gestion de l’argent entre le patient et sa famille le délégué de tutelle, c’est de toute façon introduire le tiers, désigné par un effet de loi. L’argent, véhicule affectif entre le patient et sa famille, risque de changer de fonction. Il n’est cependant pas rare que l’argent de poche soit réintroduit, shuntant le délégué, ou que des chantages pressants du patient n’aboutissent à soutirer encore quelques sommes d’argent de la famille, qui se voudraient être des preuves d’amour, de dépendance fusionnelle, etc ...

      Et voilà le délégué de tutelle lâché au beau milieu du drame familial, arguant de la réalité financière, de la réalité des nécessités. Le drame prend un tour plus dramatique encore lorsque la famille n’existe plus, dans la réalité ou dans une absence intentionnelle. Comme il est du soin de traiter la crise dans l’émergence d’un moment fécond, il est du soin de traiter au quotidien ces minidrames mis en scène dans une collusion entre l’imaginaire et le réel. C’est d’introduire le symbolique qu’il est question, d’aider la fonction de tiers à prendre sens, et d’accompagner pour que peu à peu un processus de subjectivation puisse advenir. Il serait en effet simpliste de croire que la prise d’un logement indépendant suffirait à régler des difficultés d’autonomisation. De nombreux patients ont simplement déplacé leur chambre à coucher à quelques kilomètres de celle de leurs parents.

      Pourtant, l’argent devient l’objet autour duquel la séparation va pouvoir se concrétiser, à défaut de se symboliser. Le délégué, bien involontairement, est littéralement embarqué dans ce processus de séparation. Autour du patient psychotique, l’équipe soignante, la famille, le délégué de tutelle s’interpellent, se heurtent parfois violemment. Comment s’entendre dans ce brouhaha, comment résister et maintenir autour du patient psychotique un espace transitionnel, un effet de tiers, une triangulation, une frange fragile où notre patient peut -l’espace d’un instant- sortir d’une relation duelle, et éviter qu’il se fasse récupérer comme l’objet de transaction qu’il tend à vouloir rester dans la chronicité de son affection ?

      A ce point du constat, j’affirme la nécessité d’un véritable travail de partenariat, la nécessité d’un travail avec les familles. Le partenariat me semble être aujourd’hui plus un terme à la mode qu’une réalité des pratiques. Il implique que chacun des intervenants ait une idée très claire de sa mission, de ses objectifs mais aussi qu’il ait la capacité de reconnaître qu’il existe des zones troubles dans l’interface.

      L’échec de cette démarche aboutit tantôt à des positions rigides et défensives sans échange possible entre les équipes psychiatriques et les délégués. Le patient restera alors l’enjeu des effets de clivage, comme un enfant pris en otage entre ses parents qui se font la guerre, et bien souvent avec moins de défense. Tantôt se mettra en place, en croyant faire l’économie d’une position conflictuelle qui n’est somme toute que l’expression d’une diversité d’approche, une espèce de " copinage " qui subordonne l’une à l’autre les parties, instaurant un véritable complot à l’encontre de notre patient.

      Je conclus donc en insistant sur le respect de cet espace transitionnel, sur l’effet de tiers dans la mise en place du réseau de soin et du partenariat. Je m’interroge alors sur les effets de la réforme de la loi à cet endroit. Le délégué de tutelle exerçant légalement une tutelle à la personne conservera-t-il encore ce recours possible à l’espace transitionnel ; ne rencontrera-t-il pas radicalement autrement le discours familial, le discours médical ? Si cette mesure semble régler en apparence bon nombre de situations conflictuelles, n’engendrera-t-elle pas aussi des effets iatrogènes sur le majeur protégé, rivé définitivement à son destin de mort psychique ?

      Pour illustrer mon propos sur le thème de la réinsertion, je ne résiste pas à l’envie de vous présenter quelques clichés qui reviennent sans relâche dans la pratique quotidienne.

      1. La sortie / passage à l’acte :

      • Vendredi, 16 H : Armelle est sortante de l’hôpital psychiatrique. Parfois, l’équipe soignante n’informe pas du tout le tuteur ; parfois, elle le fait.
      • Il arrive que le tuteur n’ait pas de logement à proposer et que, acculé au terrible dilemme du prix de journée, il ne soit contraint à payer une chambre d’hôtel.
      • Il arrive que le tuteur ait conservé un logement au prix d’un équilibrisme financier extraordinaire, payant à la fois le forfait hospitalier et le coût du logement personnel pendant des mois qui se succèdent, car le projet thérapeutique repose sur la nécessité qu’Armelle conserve ce logement disponible.
      • Il arrive que le tuteur soit absent et n’ait pas prévu de verser au patient la somme nécessaire à la survie alimentaire du week-end.
      • Lundi, 9 H : la sortie est programmée de longue date, l’appartement est situé sur le secteur psychiatrique voisin, ou sur la commune diamétralement opposée au lieu de résidence de la nourrice de l’enfant d’Armelle. Il n’y a pas beaucoup de lignes de bus non plus et, de toute façon, Armelle ne sait pas utiliser les transports en commun.
      • Mercredi, 14 H : c’est le jour de l’entrée dans la maison communautaire, mais Armelle voit ses enfants chez ses parents ; comme d’habitude, elle leur soustrait 100 F pour leur offrir le MacDo. Elle les laisse dans la galerie marchande et part avec un nouvel amoureux. Les parents récupèrent leurs petits-enfants et réclament au tuteur le remboursement de leur avance.


      2. La vie quotidienne / passage à l’acte :

      • Mardi, 11 H : Pascale, livide, débarque à l’hôpital de jour, à la C.M.P, ou chez ses parents. Le week-end a été terrible. Les faux amis qui squattent, s’alcoolisent, ont des relations sexuelles et surtout font du bruit, et la police qui débarque pour tapage. Les murs nus de l’appartement qui se rétrécissent puis s’allongent, et parlent et menacent. Les nuits terrifiantes qui n’en finissent pas, les toxiques, l’alcool, les médicaments pour arrêter l’enfer. Pas de télé, rien à manger, pas le téléphone (coupé parce que Pascale a fait des jeux, pour tromper l’ennui), ou bien tomber sur le répondeur à la C.M.P., chez les parents ; pas d’amies, personne quoi.


      3. Le drame / passage à l’acte :

      • N’importe quand, n’importe quelle heure, Jean-Marc, hospitalisé de longue date pour une schizophrénie peu causante et surtout insupportable, est inscrit dans le projet d’un appartement thérapeutique. Le tuteur, délégué d’une Association quelconque, concerte la famille et l’équipe soignante pour concrétiser une bonbonnière à notre enfant chéri. TV, doubles rideaux, micro-ondes, Jean-Marc est installé depuis dix-huit mois, suivi quotidiennement par l’équipe psychiatrique, visité très régulièrement par une famille attentive. L’injection neuroleptique est administrée scrupuleusement.
      • Jean-Marc est retrouvé pendu...

         

      • N’importe quand, n’importe quelle heure, après l’hospitalisation, ou avant l’HDT, l’HO. Victor est fou, violent, déchaîné au beau milieu de ses persécutions. Il n’y a eu aucun suivi psychiatrique parce qu’il faut tenir compte de la demande, ou bien qu’il a réussi à mettre hors circuit l’équipe psychiatrique publique ou le psychiatre libéral. Parfois, il ira jusqu’à interpeller les forces de police ou la justice dans des revendications extraordinaires. Victor est néanmoins bénéficiaire d’une protection des biens.
      • N’importe quand, n’importe quelle heure dans l’avenir. Armelle est psychotique, très peu causante et bénéficie d’une tutelle à la personne. Allez savoir pourquoi, elle est enceinte et c’est son tuteur qui décide, au grand soulagement de la famille et de l’équipe psychiatrique, de l’interruption de grossesse et de la stérilisation.

      J’arrête là sur Armelle, Pascale, Jean-Marc, Victor, et je ne me permets pas de faire le commentaire sur les prémices au passage à l’acte...

      Dans ces clichés, j’ai volontairement et par simplification omis de parler de la référente ASE, du placement des enfants, de l’Assistante Sociale qui a mis en route un projet de réinsertion professionnelle admirable et angoissant, du percepteur rigide qui réclame des impayés astronomiques pour le forfait hospitalier, du bailleur aigri qui exige l’expulsion immédiate, du tribunal conciliant qui fait des injonctions thérapeutiques.

      Je parle donc, au-delà d’un discours juridique, d’une quotidienneté qui impose le partenariat, un terme beaucoup trop à la mode qui mérite, au-delà et peut-être avant de modifier les lois, d’être réfléchi, travaillé sur le terrain. C’est-à-dire d’atteindre une capacité à parler de là où nous sommes avec clarté, de nous opposer sans conflit de pouvoir, et de nous articuler avec complémentarité ; bref à mettre en place ce fameux espace transitionnel, et introduire dans l’établissement des rôles et des fonctions l’effet de tiers.

      4. Conclusion

      Je m’interroge sur les conséquences de la modification de la loi qui, en instituant le tuteur en lieu et place du patient, escamoterait à ce dernier toute tentative d’accéder à une position de sujet. Je redoute également, si cette loi est modifiée, que bon nombre de patients psychotiques fort embarrassés dans leur ambivalence, leur inhibition et leur retrait, ne se voient bénéficier de cette protection à la personne, dans une logique apparente qui ne tient pas compte de la réalité psychique. Dans ma pratique, j’ai été trop souvent témoin d’attitudes trop paternalistes de la part des tuteurs, pour ne pas me méfier d’une loi qui entérinerait cette position en supprimant tout questionnement.

      Je terminerai en m’inquiétant de cette tendance actuelle à vouloir tout légiférer, en réponse à une autre tendance à tout revendiquer, à attaquer en justice ; paradoxalement, n’est-on pas en train d’entamer notre espace de liberté ?

      L. F.

       

       

       

       

      LE JUGE ET LE SUIVI DES MESURES

       

       

       

      Madame Marie-Christine DENOIX de SAINT MARC*,

      Juge des Tutelles.

       

       

       

      Ce n’est que par le biais du contrôle des biens que le Juge des tutelles peut être saisi d’un certain contrôle, sur la personne des majeurs protégés, les textes étant quasiment muets à ce sujet.

      Le rôle du Juge est, en l’état, dépourvu de limites et se trouve laissé à l’appréciation de chacun des Juges des Tutelles en fonction de son temps, de sa personnalité et des moyens matériels laissés à sa disposition.

      D’où les risques de pratiques contradictoires et d’incertitudes ; certains Juges notamment s’opposent à donner un avis ou à intervenir pour des problèmes relatifs à des problèmes d’hospitalisation, de traitements ou d’interventions médicales. D’autres accepteront de participer aux décisions dans ces domaines touchant la personne, sous réserve du comportement des médecins (parfois peu enclins à accepter cette coopération).

      Il conviendrait, en conséquence, de donner aux Juges des moyens d’action et d’intervention précis et réglementés par les textes.

      Dans la pratique, le suivi de la mesure est essentiellement assuré par :

      1. Le contrôle annuel des comptes de gestion du majeur protégé :

      a. avantages : un contrôle minutieux par le Juge des Tutelles devrait permettre de lui communiquer une photographie fidèle du comportement du majeur protégé pendant l’année précédente (lieu de résidence - assistance par des tiers ou non - argent de poche - éventuellement participation aux charges de la famille). D’où des informations sur les modifications dans les conditions de vie matérielles et personnelles de l’intéressé ;

      b. fragilité de ce moyen. Ce contrôle ne peut être effectif que si les comptes sont établis dans des conditions sincères, ce qui trop souvent, n’est pas le cas dans les mesures assurées par la famille. Bonne ou mauvaise foi ? Volonté délibérée de dissimuler ou réelle ignorance du rédacteur. Difficile de distinguer.

      Les comptes établis par les curateurs ou gérants de tutelles institutionnels, selon des procédés informatiques, sont souvent trop lacunaires et ne permettent pas une " interprétation humaine " par le Juge. Il faut donc solliciter, en même temps que les comptes, " un rapport moral " établi par le responsable de la mesure, pour faire une mise au point sur la situation du majeur protégé.

      Ma pratique est d’entendre les parties dès qu’il existe un doute, et de ne pas hésiter à solliciter des explications.

       

      c. qui doit exercer ce contrôle ? L’article 500 du Code Civil prévoit que le gérant de tutelle rend compte chaque année de sa gestion directement au greffier en chef, le Juge des Tutelles ayant la faculté à tout moment de demander communication et reddition de ces comptes.

      Les moyens du greffier en chef sont uniquement un contrôle formel et mathématique des comptes, sans pouvoir apprécier l’opportunité des différents postes de ressources et de dépenses, que seule une connaissance approfondie du dossier apporte.

      En outre, les comptes de gestion avec demandes de taxe, réclamant l’intervention obligatoire du juge pour rendre l’ordonnance, limitent nécessairement le rôle du greffier en chef.

      En pratique, à Paris, seul le juge des tutelles du Tribunal d’Instance du 10° arrondissement (sur les vingt tribunaux d’instance) confie au greffier en chef le contrôle des comptes.

      2. Les autorisations sollicitées en cours de mesure

      Elles permettent de " réveiller " un dossier qui a tendance à végéter et autorisent un suivi efficace dans le cadre d’une tutelle exercée par un professionnel, mais c’est dans ce cas que le contrôle est le moins nécessaire.

      En cas de tutelle familiale, les administrateurs légaux sous contrôle judiciaire ou les tuteurs oublient trop souvent qu’une autorisation préalable du juge ou du conseil de famille est nécessaire pour certains actes lourds, ce qui prive ce dernier d’un moyen de contrôle.

      Ma pratique est que je joins un imprimé visant les différents actes soumis ou non à autorisation, au jugement ordonnant l’ouverture de la mesure, mais cela se révèle souvent insuffisant !

      On se trouve confrontés à des situations de blocage dans les mesures de curatelle, lorsque le majeur protégé refuse de donner son accord au curateur, pour signer un acte (même si ce dernier est manifestement dans son intérêt).

      Ce contrôle demeure limité car les dossiers concernant un patrimoine quasi inexistant sont exclus.

       

      3. Les mesures d’instruction diligentées par le juge en cours de mesure (audition, déplacement du juge et enquête)

      En réalité, elles ne sont pratiquées que lorsque le juge est saisi d’une demande de révision ou de mainlevée de la mesure ou d’une réclamation par des tiers.

      Par exemple, que faire devant la plainte d’un syndic d’immeuble à l’encontre d’un majeur protégé âgé, qui serait trop bruyant et dangereux ? En réalité, manifestement le majeur bénéficiant d’un loyer " loi de 1948 ", le bailleur tente de le faire expulser pour récupérer l’appartement. Une enquête sur place est alors utile car elle permet de vérifier les conditions de vie du majeur, de contrôler si la protection est suffisante et si le curateur (ou le tuteur) exerce sa mission de manière satisfaisante.

      Le contrôle du suivi est très lacunaire et insuffisant. La révision automatique des mesures, par périodes fixes (tous les deux ans par exemple), aurait pour effet de permettre l’exercice d’un contrôle étroit.

      Mais le caractère systématique de cette disposition n’offre pas assez de souplesse au juge. En tout état de cause, une bonne moitié des mesures ne bougeront pas, compte tenu de la gravité de l’altération des facultés des majeurs. N’est-ce pas demander au juge des tutelles un travail trop important, compte tenu des moyens matériels qui sont les siens, pour des résultats faibles ? Il est nécessaire de renforcer les moyens matériels confiés au juge des Tutelles.

      En l’état actuel, le contrôle n’assure pas toutes les garanties nécessaires, en raison de ce manque de moyens. Nous sommes parfaitement conscients des risques. L’absence de collaboration étroite avec les différents intervenants : médecin-traitant (dont le rôle est primordial et trop souvent effacé), assistantes sociales, familles, éventuellement service de police ou enquêteurs sociaux, nuit au fonctionnement harmonieux de ces mesures.

      Il faut renforcer le rôle de ces intervenants. Le juge des tutelles ne peut pas et ne doit pas se charger de toute la couverture du suivi des mesures.

      M-C. D. de St-M.

       

       

       

       

       

      LES JUGES ET LE SUIVI DES MESURES

       

      Monsieur Thierry VERHEYDE*,

      magistrat

       

       

      1. Quelques constatations préalables

      La loi de 1968 décrit la typologie, les conditions de mise en oeuvre et les effets des mesures de protection. En revanche, il existe peu de dispositions spécifiques relatives au "suivi" (la loi ne connaît pas ce terme) de ces mesures.

      L'art. 495 du code civil renvoie à l'art. 395 du même code (issu de la loi de 1964 pour les mineurs) qui donne au juges des tutelles un pouvoir (un devoir ?) de "surveillance générale".

      Pour l'essentiel, et notamment par renvoi à la loi de 1964, la loi de 1968 décrit les modalités de contrôle de la gestion des biens des personnes protégées. En revanche, elle est très lacunaire sur le suivi de la protection de la personne (exception notable : l’art. 490-3 du code civil sur le pouvoir de visiter ou de faire visiter, reconnu au juge des tutelles et au procureur de la République ; mais est-il souvent utilisé en pratique ?).

      Tous les professionnels concernés savent que ce suivi de la personne prend une part de plus en plus importante, et pose des questions délicates, pour des causes multiples (majeurs protégés de plus en plus "difficiles" et vivant hors établissement, "culture professionnelle" des associations tutélaires et de certains gérants de tutelle, etc...).

       

      2. Quels types de contrôles ?

      On peut distinguer les contrôles :

      L'incitation aux contrôles serait peut-être renforcée si la loi prévoyait (comme c'est le cas pour les mineurs, pour la Tutelle aux Prestations Sociales Adultes (TPSA) et dans d'autres pays) un principe de révision périodique obligatoire des mesures. Sinon, les juges des tutelles savent bien qu'en pratique, un certain nombre de dossiers "dorment", ce qui n'est pas forcément bon signe ...

       

       

      3. Quelles méthodes de contrôles ?

      L'essentiel des contrôles se fait sur la base d'écrits (comptes de gestion, rapports sur l'exercice de la mesure etc.). Mais les juges des tutelles recourent aussi à des entretiens, voire à des visites sur place et utilisent parfois des mesures d'instruction (enquêtes sociales, expertises, etc.).

      Un recours plus large à ces mesures d'instruction serait certainement nécessaire si l'on voulait accroître l'efficacité du contrôle : par exemple, le droit marocain exige des comptes de gestion certifiés par experts-comptables !

      L’"intensité" du contrôle est, en pratique, très variable, selon notamment :

      • la nature de la mesure (curatelle simple ou tutelle),
      • l'importance des biens à gérer,
      • le fait que la mesure est confiée ou non à un professionnel,
      • la "confiance" du juge des tutelles dans la personne chargée de la mesure,
      • le fait que des doléances ou des problèmes sont ou non soumis au juge (cf. supra).

       

      4. Qui excerce les contrôles ?

      Si j'ai parlé uniquement du juge des tutelles jusqu'à présent, il faudrait évoquer aussi, même rapidement :

      • le rôle du greffier en chef (comptes de gestion) et, plus largement, du greffe des tutelles qui est en "première ligne" et, comme tel, bien placé pour savoir quels sont les dossiers qui posent des "problèmes" ;
      • le rôle du subrogé-tuteur, méconnu et trop peu utilisé, alors que sa fonction principale est justement de contrôler le tuteur ;
      • l’importance des contrôles internes, spécialement pour les association tutélaires (commissaires aux comptes, sondages, évaluations en équipes, etc...) ;
      • l’importance de la DDASS, spécialement dans le contrôle des association tutélaires. Ce contrôle est pour l'instant surtout budgétaire ; il devrait devenir qualitatif. Il serait intéressant que la commission départementale des Tutelles aux Prestations Familiales (TPF) et Tutelles aux Prestations Sociales (TPS) voie son rôle élargi aux mesures de protection de la loi de 1968 et à ce contrôle qualitatif de tous les professionnels (personnes physiques ou associations) habilités et subventionnés pour exercer des mesures.

       

       

      5. Les limites du contrôle par les juges

      Chacun sait que si le nombre de mesures va en augmentant (100.000 demandes nouvelles en 1996, et 500.000 mesures en cours), leurs difficultés aussi. Chacun sait également que les moyens de la justice pour "suivre" ces dossiers sont insuffisants (en moyenne, dix minutes par an et par dossier).

      La justice est capable d'instruire les demandes, de donner les autorisations ponctuelles, et devrait pouvoir veiller à ce que les comptes de gestion soient rendus. En l'état de nos moyens, il est illusoire de croire que le contrôle puisse être beaucoup plus approfondi, sauf exceptions (dans certains tribunaux ou pour certains dossiers). Ce qui fait craindre le développement de "sinistres" dans les années à venir.

      En même temps, serait-il raisonnable de se contenter d'augmenter les moyens de la justice ? Il faut sans doute redéfinir le rôle du juge dans le dispositif et cesser de penser qu'il pourrait et qu'il devrait, quasiment seul et de manière quasi artisanale, "tout" contrôler.

      Une éventuelle réforme de la loi de 1968 devrait nécessairement prendre parti sur cette importante question de l'office du juge.

       

      T. V.