Dictionnaire taxinomique de psychiatrie
(J. Garrabé)



RÉACTIONS ET PSYCHOSES RÉACTIONNELLES [angi. reactive disorders].


Définition-Historique : Les mots reagere et reactio, qui n'appartiennent pas au latin classique, ont été utilisés au XVIIème siècle dans le langage philosophique d'où ils sont passés dans notre langue - réagir, réaction - et les autres langues européennes (angl. To react, reaction - esp. Reaccion). Réaction prend son sens scientifique au XVIIIème siècle dans l'énoncé du 31 principe de Newton : « A toute action est opposée une réaction égale. » En médecine, il est utilisé jusqu'au début du XIXème siècle pour désigner conformément à la théorie vitaliste la « réponse originale que l'organisme oppose, sous la direction du "principe vital" à tout ce qui met en péril sa survie ». L'action thérapeutique pourra donc chercher à provoquer une réaction ou, tout au moins, à s'appuyer sur elle. L'adjectif réactionnel date en français de 1869 : « qui a rapport à une réaction organique. Le pouvoir réactionnel d'un organe contre une action morbifique » (Littré). L'introduction des notions de traumatisme* psychique et d'abréaction (le préfixe ab indiquant que cette réaction spontanée ou thérapeutique doit pour être cathartique libérer l'affect attaché à la représentation de l'événement traumatique) provoque une réorganisation du champ sémantique que Staborinski propose de schématiser ainsi :


Traumatisme (Dehors Dedans) produit par un « corps dur » -> Réaction (dynamique de l'émotion) Images de mobilisation et de répartition d'un fluide. Rétention
(Dedans -> Dehors) Abréaction
(Dedans -> Dehors)
a) processus normal
b) procédé émotif
Processus pathogène Trouble ou maladie réactionnels.


Au xx, siècle l'emploi des mots réaction et réactionnel s'oriente selon trois axes :


- le premier résulte de la réaction, si l'on peut dire, antinosographique qui oppose aux entités cliniques pures ou typiques des « réactions » individuelles n'ayant aucun caractère de spécificité ;

- le second « implique la psychogénèse compréhensive de la motivation soit au niveau conscient, soit au niveau inconscient » des psychoses ou névroses dites réactionnelles ;

- le dernier correspond à l'idée de la détermination du trouble par un événement. Adolf Meyer est le plus illustre représentant de la tendance qui l'utilise dans le premier sens, la description des « types de réaction » visant à substituer au système kraepelinien une classification plus souple.

Réaction dans le second sens reste dans la continuité de la nosologie kraepelinienne opposant endogène et psychogène. C'est cette psychogénèse des « psychoses psychogènes réactives* que s'est efforcé de préciser Kretschmer. Il propose de distinguer les réactions primitives et les réactions de la personnalité. Les premières, ontogéniquement et phylogéniquement archaïques, s'observent chez les sujets dont la personnalité n'a pas achevé son évolution ou bien est faible ou affaiblie (traumatisés du crâne) mais aussi lorsque le traumatisme est trop violent (catastrophes).

Dans les secondes, « la réaction représente vraiment l'expression la plus pure et la plus marquante de l'individualité tout entière. Ce sont des expériences clés : « Caractère et expériences-clés vont ensemble comme clé et serrure » ... Plus intéressants que les réactions simplement sthénique ou asthénique ... sont les développements des caractères fortement contrastés, c'est-à-dire les développements psychiques de sujets dont la disposition caractérielle à prédominance sthénique se trouve excitée par un pôle antagoniste puissamment asthénique ou inversement. Dans le premier cas, nous parlons d'une nature expansive ; dans le dernier d'une nature sensitive ». C'est dans le domaine de la paranoïa* que l'on observe les plus beaux exemples de développements psychiques expansifs, notamment dans certains cas de délire de jalousie* et de persécution*. Le délire d'interprétation* sensitif (Beziehungswahn) correspond, lui, aux développements sensitifs ainsi d'ailleurs que la névrose obsessionnelle*. Enfin, les réactions de la personnalité peuvent prendre la forme de réalisations autistiques de désirs, formations catathymiques dont l'exemple le plus achevé est pour Kretschmer le délire amoureux chronique, c'est-à-dire l'érotomanie que l'école française range dans les psychoses passionnelles*. Pour Jaspers, trois critères définissent « la réaction normale à l'événement vécu :

1) elle ne se serait pas produite sans l'événement en question

2) le contenu de l'état réactionnel est en relation compréhensible avec le facteur déclenchant ;

3) si la cause disparaît, l'effet cesse.

Au contraire, dans la réaction pathologique, le vécu s'éloigne du thème de l'expérience traumatisante et, d'autre part, l'évolution de l'état réactionnel ne dépend pas du devenir du facteur traumatique ». C'est le délire de jalousie*, psychose passionnelle*, qui a contraint Jaspers à substituer à l'idée du développement normal de la personnalité la notion d'un processus* psychique. Finalement, c'est peut être cette manière de voir qui correspond avec le troisième sens de réaction - détermination d'un trouble psychique par un événement - qui est adopté implicitement par deux classifications.


INSERM : Il n'y a pas de catégorie « Réactions pathologiques ». L'adjectif réactionnel est par contre utilisé pour qualifier sept rubriques dans pas moins de 4 catégories :

01. Psychoses maniaques et dépressives : .4 Psychose dépressive réactionnelle ; .5 Etat d'excitation maniaque réactionnel.

02. Psychoses délirantes aiguës et états confusionnels : .1 Psychose délirante aiguë réactionnelle. Bouffée délirante aiguë réactionnelle. 3 Etat confusionnel ou confuso-onirique réactionnel.

10. Névroses et états névrotiques : .6 Etat aigu réactionnel à symptomatologie névrotique : .7 Etat chronique réactionnel ou situation à symptomatologie névrotique. Les états réactionnels de l'enfant doivent être classés en .6 et .7.

13. Etats dépressifs non psychotiques : .1 Dépression réactionnelle non psychotique.


C.I.M. 9 : Il y a une rubrique Etats réactionnels aigus à une situation très éprouvante 308 mais en fait les états qui y figurent correspondent plutôt aux névroses traumatiques* et c'est dans d'autres rubriques que l'on retrouve les réactions pathologiques et les réactions de la personnalité. Ainsi, dans les Troubles de l'adaptation 309, les réactions dépressives brève .0 et prolongée .1 correspondent aux états dépressifs réactionnels.

Mais c'est à Autres psychoses non organiques 298 que l'on retrouve les états psychogénétiques « dont l'origine est principalement ou entièrement attribuable à une expérience vécue récente ».

Certains des équivalents cités montrent que, pour cette classification, psychogène et réactionnel sont synonymes.


CIM Proj. rév. : Il est proposé une rubrique Réaction à une situation très éprouvante et troubles de l'adaptation F43 pour des troubles dont il est dit que ce ne sont pas simplement des réponses exagérées à un stress grave ; ce sont des réactions anormales, en ce sens qu'elles sont habituellement intenses et mal adaptées.


D.S.M. III : Il n'y a pas de catégorie diagnostique « Réactions ou Troubles réactionnels, ces deux termes n'étant d'ailleurs pas définis dans le glossaire. Dans la classe Troubles psychotiques non classés ailleurs figure cependant comme catégorie spécifique Psychose réactionnelle brève 298.80 dont les critères diagnostiques montrent qu'elle correspond à la bouffée* délirante polymorphe. L'adjectif réactionnel est employé dans Troubles réactionnels de l'attachement de la petite enfance 313.89 mais avec un tout autre sens puisqu'il se réfère à la réactivité sociale. Mais la notion de réaction reste présente à travers le Trouble de l'adaptation* défini comme « une réaction non adaptée à un facteur de stress psychosocial identifiable ».


D.S.M. III-R : Les critères diagnostiques de la Psychose réactionnelle brève ont été modifiés : sa durée doit être supérieure à un mois et les facteurs de stress cumulatifs.

Quant aux troubles de l'adaptation, ils sont au contraire limités à six mois en raison du caractère nécessairement transitoire pour cette classification d'une réaction.


Bibliographie : Ey H. - La notion de « réaction » en psychopathologie (essai critique). Conf. Psych., 12, 1974, 43-62.
KRETSCHMER E. - Manuel théorique et pratique de psychologie médicale (1926). Traduction française de la 3e éd., Payot, Paris, 1927.
PELICIER Y. - Réaction et histoire de la personnalité. Conf. Psych., 12, 1974, 7-18.
STAROBINSKY J. - Réaction. Le mot et ses usages. Conf. Psych., 12, 1974, 19-42.


Dernière mise à jour : dimanche 4 mars 2001 0:24:10
Dr Jean-Michel Thurin