Neurophilosophie

Patricia Smith-Churchland

 

Smith-Churchland (P.): Neurophilosophie. Paris, P.U.F. 1999, 655 p. Psychopathologie.

D'une importance capitale, ce livre de Patricia Churchland (comme on dit chez nous), souffre un peu de la minutie des "data" rapportés et des longueurs de l'argumentation.

Il n'empêche qu'il cornmence par un petit Traité de neurobiophysiologie qui en apprendra beaucoup aux philosophes et qui, en tout cas, m'a rappelé que nous autres, médecins, nous finissons par ne plus nous étonner de rien (I'étonnement, ce commencement de la philosophe disait Aristote ! Lequel, il est vrai, est une référence purement négative chez P.S.C., pour qui il est le parrain de toutes les inepties des représentations physiques, logiques, et psychologiques "populaires"). Il est fort exact que - à part quelques exceptions de neuro-psychiatres philosophes d'un autre âge - personne ne s'étonne, dans nos rangs, de l'étrangeté de l'anosognosie, de la vision aveugle; voire, tout simplement, que la croyance à l'immédiateté de "la perception" externe ou interne est un processus, non seulement "élaboré" en cascade, mais en réseaux parallèles (il existe un nombre extraordinaire de zones "visuelles" réparties dans le cerveau et qui n'aboutissent à l'unité visuelle qu'à force de connexions, ré-entrées, fréquences et synthèses avec d'autres "localisations" et intermodalité). Encore l'auteur n' évoque-t-elle pas les paradoxes de Kornhuber qui montre des tracés de préparation à l'action... que nous n'avons pas encore voulue, et celui de Libet montrant que la stimulation directe du cerveau est locali-sée dans le temps exactement comme celle d'un organe périphérique (qui suppose un temps -décalé - de conduction !) . De fait, il n'y a rien qui corresponde clairement dans les conséquences neurophysiologiques avec une soi-disant "donnée immédiate de la conscience". Il y a là un argument fort pour "éliminer" des représentations d'évidence toute fiabilisée sur "I'esprit-cerveau". Nous en serions au stade où il fallait un "calorique" avant qu'il ne soit éliminé par la thermodynamique et la mécanique cinétique etc...

PS.C. brosse ensuite un très impressionnant panorama des doctrines épistémologiques (empirisme puis positivisme logique, conjecturalisme popperien, etc.) avant de déboucher sur la réfutation de tout dualisme, matérialisme fonctionnalisme, ou de la boîte noire de "I'émergentisme". Elle expose elle-même les contradictlons internes de sa position éliminativiste, mais comme elle ne croit ni à la logique aristotélicienne, ni à la simple signification des termes employés - puisque tout terme ou "fait" est déjà un élément d'une théorie tenant à la langue, à l'état socio-historique, aux découvertes, etc... - elle n'en a cure.

La troisième partie est plus dure à avaler puisque -très tranquillement, sans passion- elle propose des modèles machinaux de la motricité, de "l'attention", sur des considérations de "système de tensions" supportés (c'est très illustratif au niveau du cerve!et) par les dispositifs d'entrée-sortie avec leurs particularités connectives. On ne peut s'empêcher de songer (tant qu'on reste "naïf" et "populaire"), qu'on oublie quelque part que le cerveau est "du" vivant (vivant lui-même, et faisant partie d'un ensemble qui est vivant) et qu'il a donc... tout naturellement une "finalité interne" (horresco referens) qui est celle de l'organisme et de son autonomie relative.

Il y a une chose dont je suis "certain": c'est,qu'en effet, il est absurde de vouloir identifier la psychologie des facultés (et des Facultés) avec une fonction cérébrale ("La" mémoire/ dont je ne sais plus combien il y en a, en plus ce celle à court et à long terme, de la déclarative, de l'opératoire actionnelle; "la" perception sans compter les formes pré ou subconscientes, etc...). Mais je n'arrive pas tout à fait à croire qu'il n'y a pas quelque "émergence" dans la conscience et qu'on puisse faire fi du rêve, du sexe, et du désir (dont celui de le... modéliser). Et même si la lecture directe nous montre que les critiques (comme Searle) sont souvent très injustes avec Patricia Churchland, il n'en reste pas moins que modéliser la digestion d'une blanquette de veau. n'est pas la même chose que de la manger et de sentir son ventre bien tendu,"pour de vrai". De deux choses l'une, ou bien en effet nous sommes de purs mécanismes (extrêmement sophistiqués dans la co-évolution des éléments et des réalisations); ou bien on nous refait le coup, non pas du lapin, mais du canard fianteur de Vaucanson.

Le problème fondamental est très bien posé par l'auteur: faut-il partir du "à quoi ça sert ?" (et traiter alors des processus "top-down") ou "comment ça marche?" (bottom-up). Sa solution est dans l'exclusivité donnée à la seconde proposition.

C'est peut être dans ce manque de va-et-vient qu'il y a difficulté. Il nous semble qu'il reste quelque chemin à parcourir entre l'habituation selon Kandel et "Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour"...

JC