Du suicidaire au suicidant: la mort dans l'acte
Silvana Olindo-Weber
Le suicide mélancolique a institué une
formule paradigmatique du suicide. Or, ce modèle,
certes non négligeable, a fait obstacle à
l'élaboration théorique d'autres dynamiques
suicidaires qui ne sont recouvertes ni par la formule
mélancolique ni par la formule dépressive. L'expression manifeste d'une perte ne dit pas toujours la
vérité de la perte. De plus en plus de suicides s'accomplissent dans un
passage à l'acte impulsif, réactif, qui sous
le couvert d'un deuil de l'objet d'amour met en oeuvre une
épreuve de réalité pour le sujet
lui-même. C'est donc un enjeu narcissique
masqué par des apparences objectales. On s'y laisse
souvent prendre, confondant ambivalence et
réflexivité. Comment ne pas se laisser leurrer quand il s'agit en fait
de la perte de soi-même en tant que sujet ? Il y a
là un enjeu thérapeutique dont les pathologies
actuelles rendent urgente la prise en compte. L'Harmattan, Paris, 2001,
184p. Silvana OLINDO-WEBER, est docteur en psychologie
clinique de l'Université Paris VII et psychanalyste
membre du CIPA. Commentaires: RM
Palem On croit que tout a
été dit sur le suicide... jusqu'à ce
qu'on lise les ouvrages de Silvana Olindo-Weber sur le sujet
(dont c'est le 3ème, après L'acte suicide en
1988 et La diagonale du suicidaire en 1991). Dans cet ouvrage
exceptionnellement dense (et souvent ardu), l'auteur essaie
de comprendre la disproportion entre la réaction
suicidaire et le motif déclencheur et s'interroge sur
la question de la "carence intérieure de la fonction
de soutien et d'assistance". Elle (re)trouve souvent la
formule d'instabilité stable du Sujet limite
(pp.8O-82) qu'elle a contribué à approfondir
avec tant de talent et d'expérience avec V.Mazeran et
donne sa version de la Névrose
traumatique. Elle démonte, en
analyste expérimentée, le syndrome
réactionnel, le passage à l'acte... ce qui n'a
rien à voir avec les "raisons" du suicidant, que tout
le monde connait. Critique de l'argument sociologique
(pp.94-95). C'est une excellente clinique
et métapsvchologie du passage à l'acte,
débouchant sur des vues prophylactiques, voire
pédagogiques; comme J.Bergeret ne s'est jamais
dérobé à le faire. Psychanalystes mais
responsables. Sans se voiler la face, ni tromper sur sa
pratique: "Son éthique lui impose la
neutralité, dit-elle. Or, la situation de crise
suicidaire requiert une violence intrusive pour s'affronter
à la puissance mortifère de l'agresseur
intime...Dans la crise d'idéalité, il est
nécessaire de produire un mythe avec le suicidant
pour qu'ensuite celui-ci puisse se dégager de
l'emprise mortifère de l'inconscient". La partie la plus originale et
la plus forte de l'ouvrage est cette distinction entre
"enfants dipiens" et "enfants Atridiens", (du mythe
des Atrides) développée au chap.IX (Le cercle
de famille) et appliquée à la
compréhension du suicide des enfants de
divorcés (avec en toile de fond le fantasme
parthénogénétique des parents et le
fait, moins connu, que "le processus oedipien engagé
dans l'enfance ne peut pas s'achever avant une
première procréation" qui va en permettre la
"liquidation" (p.l4l). La préhistoire de
l'acte-suicide est infiniment plus complexe qu'on ne pense.
S'y plonger (guidé par l'auteur) est d'autant plus
nécessaire que, ainsi que tout le monde l'aura
remarqué, "les objets d'amour n'ont jamais
été plus accessibles, la permissivité
plus grande, la réversibilité des engagements
mieux comprise". Alors, pourquoi malgré cela "une
rupture amoureuse crée, chez les jeunes suicidants,
un sentiment d'irréversibilité tragique"?
Beaucoup d'éléments de réponse sont
dans ce livre très important et très utile.
RM.Palem