Le Conseil d'État, Section du contentieux, 5e et 10e sous-sections, 1er mars 1989

M. GELINEAU

N° 68.434

 

 

Sur le rapport de la 5e sous-section

Vu la requête, enregistrée le 7 mai 1985 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'État, présentée pour M. Jean-Claude GELINEAU, demeurant…, et tendant à ce que le Conseil d'État:

1°/ annule le jugement du 21 mars 1985 par lequel le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand - a rejeté sa demande tendant à la condamnation du Centre hospitalier régional de Clermont-Ferrand d'une part, à réparer les conséquences dommageables de l'intervention pratiquée le 15 avril 1982 sur son œil droit à l'hôpital Fortmaure, d'autre part, à lui verser la somme de 140 800 F - a mis les frais d'expertise à la charge du requérant,

2°/ condamne le Centre hospitalier régional de Clermont-Ferrand à lui verser la somme de 140 800 F en réparation des préjudices subis,

Vu le Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-935 du 30 septembre 1953 et la loi
n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Vu la loi n° 77-1468 du 30 décembre 1977.

Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert commis en référé par les premiers juges que l'intervention chirurgicale pratiquée sur M. GELINEAU afin de supprimer les douleurs nées d'une névralgie faciale du côté droit, l'a été suivant les règles de l'art et a d'ailleurs entraîné une totale guérison des douleurs liées aux névralgies diagnostiquées ; que la kératite neuroparalytique survenue à cette occasion qui a provoqué une baisse de vision de l'œil droit de
M. GELINEAU, est une complication exceptionnelle du type d'intervention pratiquée ; qu'en l'absence de faute lourde établie, cette complication ne saurait engager la responsabilité du centre hospitalier ;

Considérant qu'il résulte également de l'instruction que M. GELINEAU avait été informé des risques d'abolition du réflexe cornéen provoqué dans 10 à 20 % des cas par la technique employée de la thermocoagulation ; qu'il ne saurait être reproché au centre hospitalier de n'avoir point également signalé à l'intéressé la possibilité de survenance d'une kératite neuroparalytique dès lors qu'il s'agit d'une complication tout à fait exceptionnelle ; qu'ainsi, M. GELINEAU n'est pas fondé à soutenir qu'il n'avait pas été correctement informé des risques encourus du fait de l'intervention chirurgicale subie ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. GELINEAU n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.

DECIDE

Article 1er: La requête de M. GELINEAU est rejetée.

Après avoir entendu : - le rapport de M. Medvedowsky, Auditeur, - les observations de Me Ryziger, avocat de M. GELINEAU et de la SCP Le Prado, avocat du Centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand, - les conclusions de M. Fornacciari, Commissaire du gouvernement.

Le Conseil d'État, Section du contentieux, 5e et 3e sous-sections réunies, 14 juin 1991

M. MAALEM

N° 65.459

 

 

Sur le rapport de la 5e sous-section de la Section du contentieux,

Vu la décision en date du 14 octobre 1988 par laquelle le Conseil d'État statuant au contentieux a, sur la requête de M. MAALEM, enregistrée sous le n° 65 459 et tendant à ce que le Centre hospitalier régional de Grenoble soit condamné à lui verser une indemnité de 600 000 F en réparation des préjudices qu'il a subis à la suite de deux interventions chirurgicales pratiquées sur sa personne les
9 décembre 1977 et 17 janvier 1978, ordonné une expertise en vue de décrire ces actes ainsi que les soins dispensés entre ces deux interventions, de donner son avis sur ces interventions et soins, d'indiquer si ces actes ont eu des conséquences sur l'état actuel de M. MAALEM et de donner, s'il y a lieu, son appréciation sur les préjudices subis par celui-ci ;

Vu le Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment des expertises ordonnées tant en première instance qu'en appel que M. MAALEM qui, à la suite d'un accident survenu en 1970 avait perdu depuis 1975 l'essentiel de la vision de l'œil gauche, souffrait, en outre, avant son entrée au centre hospitalier régional de Grenoble en octobre 1977 d'une maladie grave affectant l'autre œil et qui était à l'origine de l'importante baisse de la vision pour laquelle il s'était présenté à la consultation du service d'ophtalmologie de l'hôpital ; que l'exploration chirurgicale qu'il a subie le 9 décembre 1977 était justifiée par la nécessité de mettre en évidence la cause de la baisse de la vision qui pouvait être imputable à une affection tumorale du chiasma optique et dont cette opération a révélé qu'elle avait pour origine une anomalie congénitale rare qui ne pouvait être traitée ; que les allégations suivant lesquelles cette intervention aurait été pratiquée sans le consentement du patient, ne sont assorties d'aucun commencement de preuve ; qu'il est établi que les graves troubles de la vue dont souffre
M. MAALEM ont pour cause, non les soins qu'il a reçus de l'hôpital mais de l'évolution de la maladie ; qu'ainsi le requérant n'est pas fondé à soutenir que ce préjudice serait imputable à une faute du service hospitalier ;

Mais considérant qu'il résulte également du rapport de l'expertise ordonnée par le Conseil d'État, qu'à l'occasion de l'intervention chirurgicale subie par "le requérant le 9 décembre 1977, s'est produite une infection de l'os frontal qui a nécessité deux nouvelles opérations, les 17 et 30 janvier 1978 et qui a entraîné la destruction d'une partie de cet os, avec enfoncement de la région frontale et perception des pulsations ; que les troubles du goût et de l'odorat dont souffre M. MAALEM ont pour origine cette complication infectieuse ;

Considérant que rien ne permet de présumer que M. MAALEM ait été porteur, avant l'opération, d'un foyer infectieux ; que l'introduction accidentelle d'un germe microbien dans l'organisme lors d'une intervention chirurgicale révèle une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service hospitalier et engage la responsabilité de celui-ci envers la victime pour les conséquences dommageables de l'infection ; que M. MAALEM est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses conclusions dans la mesure où elles tendent à la réparation desdites conséquences ;

Sur le préjudice :

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence, du préjudice esthétique et de la douleur physique subis par M. MAALEM, du seul fait de l'infection microbienne accidentelle dont il a été victime, en l'évaluant à la somme de 100 000 F ;

Considérant qu'à l'appui de ses conclusions tendant à ce que le centre hospitalier régional de Grenoble soit condamné à lui rembourser les prestations qu'elle a versées et qu'elle sera, par la suite, amenée à verser à son assuré, la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère s'est bornée à produire un état du montant des prestations en nature versées pour M. MAALEM, du montant des arrérages échus de la rente attribuée à celui-ci et du capital représentatif des arrérages a échoir, alors que pour leur quasi totalité ces charges ont pour cause les graves troubles de la vue dont souffre la victime et les frais hospitaliers exposés pour en découvrir la cause ; qu'aucun élément du dossier ne permet de déterminer la charge supportée par la caisse du seul fait de la complication infectieuse susceptible d'ouvrir droit à réparation à la charge du centre hospitalier ; qu'il y a lieu, dans ces conditions, de rejeter les conclusions de la caisse ;

Sur les intérêts :

Considérant que l'indemnité d'un montant de 100 000 F due par le centre hospitalier régional de Grenoble à M. MAALEM devra porter intérêt au taux légal, à compter de la date de réception par l'hôpital de la demande d'indemnité présentée par la victime, le 11 mai 1981 ;

Sur les frais d'expertise :

Considérant qu'il y a lieu de mettre les frais d'expertise exposés devant le Tribunal administratif de Grenoble et devant le Conseil d'État, à la charge du centre hospitalier régional de Grenoble ;

DECIDE:

Article 1er : Le jugement du 18 novembre 1983 du Tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier régional de Grenoble est condamné a payer à M. Amara MAALEM la somme de 100 000 F. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter de la date de réception par le centre hospitalier de la demande d'indemnité présentée par M. MAALEM le 11 mai 1981.

Article 3 : Les frais d'expertise exposés en première instance et en appel sont mis a la charge du centre hospitalier régional de Grenoble.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. MAALEM et les conclusions de la Caisse primaire d'assurance maladie de Grenoble sont rejetés.

Après avoir entendu : - le rapport de M. Damien, Conseiller d'État, - les observations de
Me Hennuyer, avocat de M. Amara MAALEM, de la S.C.P. Le Prado, avocat du centre hospitalier régional universitaire de Grenoble et de la S.C.P. Rouvière, Lepitre, Boutet, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de Grenoble, - les conclusions de M. Stirn, Commissaire du gouvernement

Le Conseil d'État. Section du contentieux, sur le rapport de la 5e sous-section, 9 avril 1993

M. D...

N° 138.653

 

 

Vu la requête, enregistrée le 24 juin 1992 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'État, présentée pour M. D..., demeurant…; M. D... demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler sans renvoi l'arrêt du 16 juin 1992 par lequel la Cour administrative d'appel de Paris, statuant sur sa demande tendant à ce que l'État soit condamné à lui verser une indemnité de
2 500 000 F en réparation du préjudice qu'il a subi du fait de sa contamination par le virus de l'immunodéficience humaine en raison de perfusions de produits sanguins anti-hémophiliques, a ordonné une expertise en vue d'une part de déterminer les dates auxquelles le requérant a reçu des transfusions dérivées de produits sanguins entre le 23 août 1984 et le 14 juin 1985, et d'autre part, de rechercher si la contamination du requérant est intervenue après le 11 mars 1985 ;

2°) de condamner l'État à lui verser cette somme, ainsi que la somme de 10 000 F au titre des frais irrépétibles ;

Vu le Code de la santé publique ;

Vu le Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi
n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Considérant que les articles L 666 et suivants du Code de la santé publique dans leur rédaction en vigueur à la date de l'arrêt attaqué et les dispositions du décret du 16 janvier 1954 modifié pris pour leur application ont déterminé les conditions dans lesquelles peuvent être opérés le prélèvement du sang humain et la préparation, la conservation et la délivrance des produits dérivés du sang humain et ont confié à des établissements de transfusion sanguine non lucratifs, placés sous contrôle de l'État, l'exécution des missions ainsi définies ; que notamment les attributions des centres de transfusion sont énumérées par le décret susmentionné ; que la composition de leur conseil d'administration est fixée par ledit décret, et que le directeur de chaque centre est agréé par le ministre ; que l'organisation générale de la transfusion sanguine est assurée, dans chaque département, où il ne peut exister en principe qu'un centre de transfusion, sous l'autorité du préfet par le directeur départemental de la santé ; qu'enfin le ministre de la Santé est seul chargé, aux termes de l'article L.669, de réglementer les conditions de prélèvement et l'utilisation thérapeutique du sang humain, de son plasma et de leurs dérivés ;

Considérant qu'eu égard tant à l'étendue des pouvoirs que ces dispositions confèrent aux services de l'État en ce qui concerne l'organisation générale du service public de la transfusion sanguine, le contrôle des établissements qui sont chargés de son exécution et l'édiction des règles propres à assurer la qualité du sang humain, de son plasma et de ses dérivés, qu'aux buts en vue desquels ces pouvoirs leur ont été attribués, la responsabilité de l'État peut être engagée par toute faute commise dans l'exercice desdites attributions ; qu'en outre, dans le cas où cette responsabilité serait engagée, l'État ne pourrait s'en exonérer, compte tenu de l'étroite collaboration et de la répartition des compétences instituées entre ses services et les établissements de transfusion sanguine, en invoquant des fautes commises par lesdits établissements ; qu'il suit de là qu'en estimant que la responsabilité de l'État ne pouvait être engagée qu'en cas de faute lourde commise dans le contrôle des établissements de transfusion sanguine et l'édiction de la réglementation destinée à assurer la qualité du sang humain et que l'État pourrait être partiellement exonéré de la responsabilité ainsi encourue en raison de fautes commises par des établissements de transfusion sanguine, la Cour administrative d'appel de Paris a entaché sa décision d'erreur de droit ; que, dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, l'arrêt attaqué doit être annulé ;

Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d'État s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;

Sur la responsabilité de l'État :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le risque de contamination par le virus V.I.H. par la voie de la transfusion sanguine était tenu pour établi par la communauté scientifique dès novembre 1983 et que l'efficacité du procédé du chauffage pour inactiver le virus était reconnue au sein de cette communauté dès octobre 1984, tandis qu'il était admis, à cette époque qu'au moins 10 % des personnes séropositives contractent le syndrome d'immunodéficience acquise dans les cinq ans et que l'issue de cette maladie est fatale dans au moins 70 % des cas ; que ces faits ont été consignés le
22 novembre 1984 par le Docteur Brunet, épidémiologiste à la Direction générale de la santé, dans un rapport soumis à la commission consultative de la transfusion sanguine ; qu'eu égard au caractère contradictoire et incertain des informations antérieurement disponibles tant sur l'évolution de la maladie que sur les techniques susceptibles d'être utilisées pour en éviter la transmission, il ne peut être reproché à l'administration de n'avoir pas pris avant cette date de mesures propres à limiter les risques de contamination par transfusion sanguine, notamment en interdisant la délivrance des produits sanguins non chauffés, en informant les hémophiles et leurs médecins des risques encourus, ou en mettant en place des tests de dépistage du virus sur les dons de sang et une sélection des dons ; qu'en revanche il appartenait à l'autorité administrative, informée à ladite date du 22 novembre 1984, de façon non équivoque, de l'existence d'un risque sérieux de contamination des transfusés et de la possibilité d'y parer par l'utilisation des produits chauffés qui étaient alors disponibles sur le marché international, d'interdire, sans attendre d'avoir la certitude que tous les lots de produits dérivés du sang étaient contaminés, la délivrance des produits dangereux, comme elle pouvait le faire par arrêté ministériel pris sur le fondement de l'article L 669 du Code de la santé publique ; qu'une telle mesure n'a été prise que par une circulaire dont il n'est pas établi qu'elle ait été diffusée avant le 20 octobre 1985 ; que cette carence fautive de l'administration est de nature à engager la responsabilité de l'État à raison des contaminations provoquées par des transfusions de produits sanguins pratiquées entre le
22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'État ne peut s'exonérer de la responsabilité ainsi encourue en invoquant des fautes commises dans la prescription et la délivance des produits sanguins contaminés par les établissements de transfusion sanguine ; qu'il appartient seulement à l'État d'exercer, s'il s'y croit fondé, une action récursoire à l'encontre d'un centre de transfusion sanguine sur la base de fautes imputables à celui-ci et ayant concouru à la réalisation du dommage ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la responsabilité de l'État est intégralement engagée à l'égard des personnes contaminées par le virus de l'immunodéficience humaine à la suite d'une transfusion de produits sanguins non chauffés opérée entre le 22 novembre 1984 et le
20 octobre 1985 ;

Considérant que la séropositivité de M. D..., qui à la date du 23 août 1984 n'était pas porteur d'anticorps révélant l'existence du virus de l'immunodéficience humaine, a été révélée le 14 juin 1985, et qu'il n'est pas contesté qu'il a subi des transfusions de produits sanguins non chauffés à raison d'une injection toutes les trois semaines à partir de lots qui lui ont été fournis le 26 novembre 1984, 4 janvier, 14 février, 16 mars et 21 avril 1985 ; que, dès lors, la responsabilité de l'État est engagée à l'égard de M. D... en raison des conséquences dommageables des transfusions qu'il a reçues au cours de la période précitée ; qu'il suit de là que le ministre n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du 20 décembre 1991 par lequel le Tribunal administratif de Paris a condamné l'État à réparer le préjudice subi par M. D...;

Considérant que le Tribunal administratif a fait une exacte appréciation des troubles de toute nature subis par M. D... en lui allouant une indemnité d'un montant de 2 000 000 F ;

Considérant qu'il y a lieu de subroger l'État dans les droits de M. D... à l'encontre de toute personne reconnue coauteur du dommage ;

Sur les conclusions tendant au remboursement des frais irrépétibles :

Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce d'accorder au requérant la somme de
10 000 F qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : L'arrêt du 16 juin 1992 de la Cour administrative d'appel de Paris est annulé.

Article 2 : Le recours présenté par le ministre de la Santé devant la Cour administrative d'appel de Paris est rejeté.

Article 3 : L'État est subrogé dans les droits de la victime à l'encontre de toute personne reconnue coauteur du dommage.

Article 4 : L'État est condamné à verser à M. D... la somme de 10 000 F au titre des frais irrépétibles.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D... est rejeté.

Article 6 : Le recours incident du ministre de la Santé est rejeté.

Après avoir entendu en audience publique : - le rapport de Mme Mitjavile, Maître des requêtes, - les observations de Me Blanc, avocat de M. D... et de la SCP Rouvière, Boutet, avocat du ministre de la santé et de l'action humanitaire, - les conclusions de M. Legal, Commissaire du gouvernement.

 

Le Conseil d'État, Section du contentieux, 5e et 3e sous-sections réunies, sur le rapport de la 5e sous-section, 15 mars 1996

Mlle DURAND

N° 136692

 

 

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 23 avril 1992 et 21 août 1992 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'État, présentés pour Mlle Sandrine DURAND demeurant… ; Mlle DURAND demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler l'arrêt en date du 27 février 1992 par lequel la Cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement du 3 juillet 1990 par lequel le Tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier régional universitaire de Nîmes à lui verser la somme de 450 000 F en réparation du préjudice résultant du traitement médical qu'elle a subi, d'autre part, à la condamnation du centre hospitalier à lui verser cette somme avec les intérêts de droit capitalisés ;

2°) de renvoyer l'affaire devant la Cour administrative d'appel de Bordeaux ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi
n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Vu le décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 modifié par le décret n° 88-905 du 2 septembre 1988 ;

 

Considérant que Mlle DURAND qui pour le traitement d'un angiome sur l'hémiface gauche a subi, au centre hospitalier régional universitaire de Nîmes, plusieurs séances de traitement au laser-argon à la suite desquelles elle demeure atteinte de cicatrices chéloïdes a, devant la Cour administrative d'appel de Bordeaux, soutenu notamment qu'avant de procéder à une opération à caractère esthétique, le praticien est tenu d'informer le patient de tous les risques encourus, même bénins ou rares ;

Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt de la Cour que celle-ci a écarté ce moyen en indiquant que le risque d'apparition de cicatrices chéloïdes à la suite d'un tel traitement n'a qu'un caractère exceptionnel et que la circonstance que Mlle DURAND n'avait pas été prévenue de tous les risques que pouvait comporter le traitement, ne saurait engager la responsabilité du centre hospitalier de Nîmes ;

Considérant qu'en statuant ainsi, alors qu'en matière de chirurgie esthétique le praticien est tenu d'une obligation d'information particulièrement étendue à l'égard de son client, la Cour a fait une inexacte application des régles relatives à la responsabilité de la puissance publique en matière médicale et hospitalière ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mlle DURAND est fondée, pour ce motif, à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de renvoyer l'affaire devant la Cour administrative d'appel de Bordeaux ;

DECIDE :

Article 1er : L'arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 27 février 1992 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la Cour administrative d'appel de Bordeaux.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mlle Sandrine DURAND, au centre hospitalier régional universitaire de Nîmes et au ministre du Travail et des Affaires sociales.

Après avoir entendu en audience publique : - le rapport de M. Vidal, Conseiller d'État, - les observations de Me Copper-Royer, avocat de Mlle DURAND et de Me Le Prado, avocat du centre hospitalier régional universitaire de Nîmes ; - les conclusions de M. Descoings, Commissaire du gouvernement ; Président : M. Labetoulle.

Le Conseil d'État, Section du contentieux, Sur le rapport de la 5e sous-section, 14 février 1997

CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE

N° 133238

 

 

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 janvier et 14 avril 1992 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'État, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE, sis 5, rue Pierre Devoluy à Nice (06000) ; le CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE demande au Conseil d'État d'annuler l'arrêt en date du 21 novembre 1991 par lequel la Cour administrative d'appel de Lyon a, d'une part, annulé le jugement du 9 mai 1990 par lequel le Tribunal administratif de Nice a rejeté la demande de M. et Mme Quarez tendant à la condamnation du centre hospitalier requérant à la réparation des conséquences dommageables d'une absence de diagnostic d'une trisomie 21 à la suite d'un examen d'amniocentèse et, d'autre part, condamné ledit centre au paiement de diverses indemnités ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le Code de la sécurité sociale ;

Vu le Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et notamment son article 75-I ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi
n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Vu le décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 modifié par le décret n° 88-905 du 2 septembre 1988 ;

 

Considérant que Mme Quarez, alors âgée de 42 ans et qui était dans la 17e semaine de sa grossesse a subi, à sa demande, au service de pathologie cellulaire et de génétique du CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE, une amniocentèse afin qu'il soit procédé à un examen chromosomique des cellules du fœtus qu'elle portait ; qu'alors que cet examen n'avait révélé aucune anomalie, elle a donné naissance, le 28 avril 1987, à un enfant de sexe masculin atteint d'une trisomie 21 dite "régulière et libre" ; que, condamné par un arrêt de la Cour administrative d'appel de Lyon, en date du 21 novembre 1991, à réparer les conséquences dommageables tant pour M. et Mme Quarez que pour leur fils Mathieu de l'infirmité dont celui-ci était atteint à sa naissance, le CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE demande l'annulation de cet arrêt ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :

Considérant qu'en décidant qu'il existait un lien de causalité directe entre la faute commise par le CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE à l'occasion de l'amniocentèse et le préjudice résultant pour le jeune Mathieu de la trisomie dont il est atteint, alors qu'il n'est pas établi par les pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'infirmité dont souffre l'enfant et qui est inhérente à son patrimoine génétique, aurait été consécutive à cette amniocentèse, la Cour administrative d'appel de Lyon a entaché sa décision d'une erreur de droit ;

Considérant que la Cour ayant, dans sa décision, fixé de façon indissociable les modalités respectives de la réparation accordée à M. et Mme Quarez et à leur fils, il y a lieu d'annuler l'arrêt dans sa
totalité ;

Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d'État, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;

Considérant que M. et Mme Quarez demandent, d'une part, l'annulation du jugement du 9 mai 1990 par lequel le Tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande, présentée tant en leur nom propre qu'en qualité d'administrateurs des biens de leur fils Mathieu, et tendant à ce que le CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE soit condamné à réparer les conséquences dommageables de l'absence de diagnostic de la trisomie 21 dont est affecté leur fils Mathieu et, d'autre part, de condamner ledit centre à leur verser en réparation de leur préjudice moral, une somme de 2 000 000 F et, en réparation de leur préjudice matériel, une rente mensuelle de 7 500 F indexée sur l'indice mensuel des prix à la consommation des ménages urbains jusqu'au décès de l'enfant, étant précisé qu'en cas de pré-décès des parents ou du parent survivant, cette rente devra être versée au représentant légal du mineur ou du majeur protégé ;

Considérant que le mémoire de la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes, en date du 15 octobre 1991, par lequel elle déclare qu'elle n'a rien à réclamer ni n'aura jamais rien à réclamer au CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE doit être regardé comme un désistement pur et simple de son action ; qu'il y a lieu de lui en donner acte ;

Sur la régularité de l'expertise ordonnée par les premiers juges :

Considérant que si devant le Tribunal administratif, M. et Mme Quarez ont contesté la pertinence du rapport d'expertise, ils n'ont pas soutenu que les conclusions de l'expert résultaient, en tout ou partie, d'une expertise conduite de façon irrégulière ; que, dès lors, ils ne sont pas recevables à soutenir pour la première fois en appel que l'expertise aurait été conduite de façon non contradictoire ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le service de pathologie cellulaire et de génétique du CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE s'est borné à annoncer à Mme Quarez que l'examen auquel il avait procédé "n'avait révélé aucune anomalie détectable par les moyens actuels" et que Mme Quarez n'a pas été informée du fait que les résultats de cet examen, compte tenu des conditions dans lesquelles il avait été conduit, pouvaient être affectés d'une marge d'erreur inhabituelle ; que, dès lors, M. et Mme Quarez sont fondés à soutenir que le service spécialisé du CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE a commis une faute ;

Considérant qu'il résulte également de l'instruction qu'en demandant qu'il fût procédé à une amniocentèse, Mme Quarez avait clairement manifesté sa volonté d'éviter le risque d'un accident génétique chez l'enfant conçu, accident dont la probabilité était, compte tenu de son âge au moment des faits, relativement élevée ; que les époux Quarez avaient ainsi cherché auprès du service spécialisé du CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE un diagnostic déterminant quant à l'absence du risque ; que, dans ces conditions, la faute commise par le service de pathologie cellulaire et de génétique du CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE avait faussement conduit M. et Mme Quarez à la certitude que l'enfant conçu n'était pas porteur d'une trisomie et que la grossesse de Mme Quarez pouvait être normalement menée à son terme ;

Considérant que cette faute, qui rendait sans objet une nouvelle amniocentèse que Mme Quarez aurait pu faire pratiquer dans la perspective d'une interruption volontaire de grossesse pour motif thérapeutique sur le fondement de l'article L 162-12 du Code de la santé publique, doit être regardée comme la cause directe des préjudices entraînés pour M. et Mme Quarez par l'infirmité dont est atteint leur enfant ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à demander l'annulation du jugement attaqué ;

Sur la réparation due à M. et Mme Quarez :

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral, des troubles dans les conditions d'existence de M. et Mme Quarez ainsi que de certains éléments des préjudices matériels dont ils font état en condamnant le CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE à payer à chacun d'eux une indemnité de 100 000 F ;

Considérant que doivent être également prises en compte, au titre du préjudice matériel, les charges particulières, notamment en matière de soins et d'éducation spécialisée, qui découleront pour M. et Mme Quarez de l'infirmité de leur enfant ; qu'il y a lieu, en conséquence, de condamner le CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE à leur payer une indemnité en capital représentant le versement d'une rente mensuelle de 5 000 F pendant toute la durée de vie de Mathieu Quarez ;

Sur les intérêts :

Considérant que M. et Mme Quarez ont droit à compter du 18 février 1988 aux intérêts des indemnités mentionnées ci-dessus ;

Sur la capitalisation des intérêts :

Considérant que M. et Mme Quarez ont demandé la capitalisation des intérêts le 22 février 1991 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts sur les indemnités en capital ; que, dès lors, en application des dispositions de l'article 1154 du Code civil, il y a lieu de faire droit pour ces seuls intérêts à la demande de capitalisation ;

Sur les frais d'expertise :

Considérant que M. et Mme Quarez sont fondés à demander que les frais d'expertise taxés à la somme de 2 000 F par l'ordonnance du 12 février 1990 du président du Tribunal administratif soient mis à la charge du CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE ;

Sur les conclusions de M. et Mme Quarez tendant à l'application des dispositions de l'article L 8-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions susdites, de condamner le CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE à verser la somme de
10 000 F à M. et Mme Quarez :

Sur les conclusions de M. et Mme Quarez tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que le CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE, qui n'est pas la partie perdante en cassation, soit condamné à verser à M. et Mme Quarez la somme de 20 000 F qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux devant le Conseil d'État et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : L'arrêt de la Cour administrative d'appel de Lyon en date du 21 novembre 1991 est annulé.

Article 2 : Il est donné acte du désistement de la Caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes.

Article 3 : Le jugement du Tribunal administratif de Nice en date du 9 mai 1990 est annulé.

Article 4 : Le CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE est condamné à payer, d'une part, à chacun des époux Quarez une somme de 100 000 F et, d'autre part, à M. et Mme Quarez, une indemnité en capital représentant le versement d'une rente mensuelle de 5 000 F pendant toute la durée de vie de Mathieu Quarez. M. et Mme Quarez sont renvoyés devant le CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE pour liquidation de l'indemnité en capital telle qu'elle a été fixée par le présent article.

Article 5 : Les indemnités prévues à l'article 4 ci-dessus porteront intérêts à compter du 18 février 1988.

Article 6 : Les intérêts prévus à l'article 5 seront capitalisés à la date du 22 février 1991 pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 7 : Les frais d'expertise exposés en première instance sont mis à la charge du CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE.

Article 8 : Le CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE est condamné à payer à M. et Mme Quarez la somme de 10 000 F en application de l'article L 8-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.

Article 9 : Le surplus des conclusions de M. et Mme Quarez devant la Cour administrative d'appel de Lyon est rejeté.

Article 10 : Les conclusions de M. et Mme Quarez tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 11 : La présente décision sera notifiée au CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE, à M. et Mme Quarez, à la Caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes et au ministre du Travail et des Affaires sociales.

Après avoir entendu en audience publique : - le rapport de M. Vidal, Conseiller d'État, - les observations de Me Le Prado, avocat du CENTRE HOSPITALIER RÉGIONAL DE NICE et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat des époux Quarez, - les conclusions de Mme Pécresse, Commissaire du gouvernement ; Président : M. Gentot.

La Cour administrative d'appel de Nantes, 3e Chambre, 24 juillet 1997

M. Jean PINOS

N° 93NT00615

 

 

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 9 juin 1993, présentée pour M. Jean PINOS, demeurant…, par Me GUILOU, avocat ;

M. PINOS demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 90-1060, en date du 14 avril 1993, par lequel le Tribunal administratif de Rennes a, d'une part, rejeté sa demande tendant à la condamnation du Centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Brest à lui payer une somme de 660 000 F, avec intérêts de droit à compter du 9 avril 1990, en réparation des conséquences dommageables d'une intervention chirurgicale pratiquée dans cet établissement le 24 mai 1989, ainsi qu'une somme de 10 000 F au titre des frais irrépétibles, d'autre part mis à sa charge les frais d'expertise d'un montant total de 2 600 F ;

2°) de prononcer les condamnations dont il s'agit et de mettre les frais d'expertise à la charge du CHRU de Brest ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une contre-expertise aux fins, notamment, d'obtenir un avis sur les précautions prises pour éviter les lésions subies, sur le bien fondé du choix du mode opératoire en considération de sa morphologie particulière et sur le défaut d'information quant aux risques de ce type de chirurgie ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le Code de la sécurité sociale ;

Vu l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 modifiée ;

Vu le Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,

Considérant que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande présentée par M. PINOS, tendant à la condamnation du Centre hospitalier régional universitaire (C.H.R.U) de Brest à lui payer la somme de 660 000 F, avec intérêts à compter du 9 avril 1990, en réparation des conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale subie dans cet établissement le 24 mai 1989 ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant que, devant le Tribunal administratif, M. PINOS a fait état de sa qualité de fonctionnaire de la Communauté urbaine de Brest (C.U.B) ; que le Tribunal administratif n'a pas communiqué sa demande à la C.U.B et a ainsi méconnu la portée des dispositions des articles 1 et 7 de l'ordonnance du 7 janvier 1959 susvisée, relative aux actions en réparation civile de l'État et de certaines autres personnes publiques, qui lui faisaient obligation de procéder à une telle mise en cause ; que, dans ces conditions, le jugement attaqué doit être annulé ; qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. PINOS devant le Tribunal administratif de Rennes ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'intervention pratiquée sur M. PINOS, celui-ci demeure atteint d'une lésion du plexus brachial se traduisant, notamment, par d'importantes difficultés d'utilisation de la main et du bras droits ; qu'il résulte également de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que de telles séquelles ne présentent pas un caractère exceptionnel lorsque l'opération a été effectuée selon la méthode thérapeutique retenue, surtout lorsque, comme au cas d'espèce, le patient présente une hypertrophie musculaire ; que, dans ces conditions, il appartenait au personnel médical de l'établissement hospitalier d'informer préalablement M. PINOS sur les risques de complications que présentait l'opération projetée ; que le CHRU n'établit ni même n'allègue qu'une telle information, qui ne ressort non plus d'aucune pièce du dossier, aurait été effectuée ; qu'ainsi l'établissement hospitalier a méconnu ses obligations et commis une faute dans le fonctionnement du service, de nature à engager sa responsabilité ;

Sur le préjudice :

Considérant, en premier lieu, que M. PINOS demande 160 000 F au titre des pertes de revenus qu'il soutient avoir subies au cours de la période courant du 24 mai 1989 au 30 janvier 1992 ; qu'il n'a toutefois produit aucun commencement de justification sur la réalité et le montant de ces pertes ; que, dans ces conditions, la demande présentée à ce titre doit être rejetée ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert, que
M. PINOS demeure atteint d'une incapacité permanente partielle estimée à 25 % se traduisant par une paralysie, une atrophie et une perte de sensibilité de la main droite le rendant, notamment, inapte à ses anciennes fonctions de sapeur-pompier opérationnel ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice et des troubles de toutes natures dans les conditions d'existence de l'intéressé en fixant l'indemnité y afférente à 250 000 F ;

Considérant, enfin que, dans les circonstances de l'espèce il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par M. PINOS en raison des souffrances physiques et du préjudice esthétique liés à l'intervention litigieuse et à ses séquelles en accordant deux indemnités de 30 000 F au titre de ces deux préjudices ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préjudice global indemnisable de M. PINOS doit être fixé à 310 000 F ;

Sur les intérêts :

Considérant que M. PINOS a droit aux intérêts de la somme de 310 000 F à compter, comme il le demande, du 9 avril 1990, date de la décision de rejet de sa demande préalable d'indemnisation par le directeur du CHRU de Brest ;

Sur les dépens :

Considérant que les frais d'expertise, d'un montant total de 2 600 F doivent être mis à la charge du CHRU de Brest ;

Sur les conclusions tendant à l'allocation des sommes non comprises dans les dépens :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L 8-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, de condamner le CHRU de Brest à payer à M. PINOS la somme de 6 000 F ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 90-1060 du 14 avril 1993 du Tribunal administratif de Rennes est annulé.

Article 2 : Le Centre hospitalier régional universitaire de Brest est condamné à verser à M. PINOS la somme de trois cent dix mille francs (310 000 F) avec intérêts au taux légal à compter du 9 avril 1990 et une somme de six mille francs (6 000 F) au titre de l'article L 8-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.

Article 3 : Les frais d'expertise, d'un montant de deux mille six cent francs (2 600 F), sont mis à la charge du CHRU de Brest.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande et de la requête de M. PINOS est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. PINOS, au Centre hospitalier régional universitaire de Brest, à la Caisse primaire d'assurance maladie du Nord-Finistère, à la Communauté urbaine de Brest, à l'expert et au ministre de l'Emploi et de la Solidarité.

La République mande et ordonne en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 juin 1997 : -le rapport de M. CHAMARD, conseiller, -les observations de Me GUILLOU, avocat de M. PINOS, - et les conclusions de
Mme COENT-BOCHARD, commissaire du gouvernement ; M. MARCHAND, Président de chambre.

La Cour administrative d'appel de Paris, Formation plénière, 9 juin 1998

M. GUILBOT

N° 95PA03660

 

 

Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 6 novembre 1995 présentée pour M. Jean-Claude GUILBOT, domicilié… par Me DESCOT, avocat ; M. GUILBOT demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 3 mai 1995 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris soit déclarée responsable du préjudice que lui ont causé les interventions chirurgicales qu'il a subies les 6 et 10 octobre 1987 à l'hôpital Lariboisière de Paris et soit condamnée à lui verser une somme de 4 000 000 F ;

2°) de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser une somme de 3 122 245 F en réparation des préjudices subis ;

3°) de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris au paiement des frais d'expertise et de tous les dépens exposés pour la présente instance devant la cour ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Considérant que M. GUILBOT demande l'annulation du jugement en date du 3 mai 1995 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris soit déclarée responsable du préjudice que lui ont causé les interventions qu'il a subies les 6 et 10 octobre 1987 à l'hôpital Lariboisière, et condamnée à lui verser une somme de 4 000 000 F ;

Sur la responsabilité :

Considérant que M. GUILBOT qui souffrait d'un déficit du membre inférieur gauche en relation avec l'angiomatose héréditaire dont il est atteint depuis l'enfance a été hospitalisé en raison de ce symptôme et après une première tentative le 14 septembre 1987 a subi les 6 et 10 octobre 1987 deux interventions endovasculaires destinées à traiter des fistules artéroveineuses par occlusion à la suite desquelles il s'est trouvé atteint d'une paraplégie des membres inférieurs ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment des constatations et appréciations effectuées par l'expert désigné par le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Paris que, compte tenu de la pathologie présentée par M. GUILBOT et des risques de complication qu'elle comportait, le traitement par embolisation plutôt que par intervention neurochirurgicale était le plus approprié ; qu'il résulte également desdites constatations que l'intervention s'est déroulée conformément aux règles de l'art et que les ballonnets ne se sont détachés qu'en raison du flux sanguin extrêmement important qui existait au niveau de la fistule en cours de traitement ; qu'ainsi, et contrairement à ce que soutient le requérant, aucune faute médicale n'a été commise ni dans le choix de la thérapeutique retenue ni lors de l'exécution des interventions des 6 et 10 octobre 1997 ;

Considérant toutefois qu'il résulte également de l'instruction et notamment du rapport susmentionné de l'expert, que le risque de paraplégie que comportait l'intervention préconisée, quoique exceptionnel, était bien connu ; qu'eu égard à la gravité de ce risque, les praticiens de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris étaient tenus d'en informer l'intéressé ; que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris n'apporte pas la preuve qui lui incombe que M. GUILBOT a été informé de ce risque de paraplégie ; qu'ainsi en omettant cette information, les praticiens de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ont méconnu leur obligation et, par suite, commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;

Sur le préjudice :

Considérant que le préjudice subi par M. GUILBOT en raison du défaut d'information sur l'existence d'un risque grave de paraplégie inhérent à l'intervention qu'il a subie a consisté en la perte d'une chance de se soustraire au risque qui s'est finalement réalisé ; qu'eu égard à l'évolution prévisible de la maladie dont M. GUILBOT souffrait depuis son enfance, au caractère très peu fréquent du risque encouru lors de l'intervention et à l'ensemble des préjudices physiques et des troubles dans les conditions d'existence subis par le requérant, il sera fait une juste appréciation de l'indemnisation résultant de la perte de chance en condamnant l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à payer à M. GUILBOT la somme de 200.000 F ;

Sur les frais d'expertise :

Considérant que M. GUILBOT est fondé à demander, dans les circonstances de l'espèce, que les frais d'expertise soient mis à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;

Sur l'application des dispositions de l'article L 8-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'accorder à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris la somme qu'elle demande sur le fondement des dispositions susvisées ;

DECIDE

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 9309535 du 3 mai 1995 est annulé.

Article 2 : L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris est condamnée à payer à M. GUILBOT une somme de 200 000 F.

Article 3 : Les frais d'expertise sont mis à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. GUILBOT est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris tendant à l'application de l'article L 8-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sont rejetées.

M. RACINE, Président. Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 mai 1998 : - le rapport de Mme KIMMERLIN, premier conseiller, - les observations de la SCP JOUANNEAU-DESCOT, avocat, pour M. GUILBOT et celles du cabinet FOUSSARD, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ; - et les conclusions de
Mme COROUGE, commissaire du Gouvernement.