Avertissement

Article paru dans L'ENTREPRISE MÉDICALE n° 138 du 10 mars 1997.

Certaines modifications sont susceptibles d'être intervenues depuis la parution de cet article. En cas de doute sur la nécessité d'actualiser certaines données, nous vous recommandons d'interroger un expert habilité, membre d'un profession juridique réglementée.

 

 

 

Une évolution majeure de la jurisprudence de la Cour de cassation est opérée par un arrêt du 25 février 1997. Désormais, tout débiteur d'une obligation d'information (médecin, mais également avocat, agent immobilier...) est tenu, en cas de litige, d'apporter la preuve qu'il a bien délivré cette information. Auparavant, en matière médicale, il appartenait en principe au patient d'apporter cette preuve. Désormais, la preuve incombe au médecin.

L'information du médecin au patient doit porter sur :

- l'affection dont il souffre et l'évolution prévisible de sa maladie,

- les soins préconisés et les risques inhérents à ces soins.

Le but de cette information est de permettre au malade de faire un choix éclairé quant à son refus ou son acceptation du traitement proposé.

Le principe est que le médecin doit donner une information totale sur ces risques de façon loyale (sans dissimulation ni, a fortiori, mensonge) et compréhensible. Dès lors qu'un risque invalidant ou mortel est connu, il convient d'en informer le patient, y compris si la probabilité de survenance de ce risque est faible.

Il faudra impérativement que le médecin préserve la preuve de l'information qu'il a donnée. La preuve peut être apportée par un écrit signé du patient, par témoin (mais attention au risque de contestation du témoignage), ou encore par présomptions (c'est-à-dire par des éléments précis et concordants).

Si le malade, en raison d’une anxiété particulière, par exemple, ne paraît pas en mesure de supporter l'information (risque ou pronostic grave), le praticien, à défaut de pouvoir informer un proche, pourra consigner par écrit, dans le dossier médical du malade, les raisons pour lesquelles il ne pouvait donner une information totale.

Toutefois, l'urgence et le danger immédiat qui imposent une intervention rapide sont toujours de nature à justifier l'absence d'information préalable.

L'étude publiée par "L'ENTREPRISE MÉDICALE" le 16 décembre 1996 (n° 133) et consacrée aux "Fautes médicales dans la jurisprudence civile de la Cour de cassation", indiquait qu'il appartenait au patient de prouver le défaut d'information, mais qu'il ne pouvait être exclu qu'une évolution s'amorce vers un renversement de la charge de la preuve. Un arrêt de 21 mai 1996 (Civ. 1re, Bull. n° 219) avait en effet déjà modifié la problématique de la charge de la preuve en matière d'infections nosocomiales en imposant à la clinique de prouver l'absence de faute lorsqu'un patient avait contracté une infection lors d'une intervention pratiquée dans une salle d'opération.

Ce revirement vient d'avoir lieu par un arrêt rendu le 25 février 1997 par la première chambre civile de la Cour de cassation dans les termes suivants :

"Vu l'article 1315 du Code civil.

Attendu que celui qui est légalement ou contractuellement tenu d'une obligation particulière d'information doit rapporter la preuve de l'exécution de cette obligation ;

Attendu qu'à l'occasion d'une coloscopie avec ablation d'un polype réalisée par le docteur C..., M. H... a subi une perforation intestinale ; qu'au soutien de son action contre ce médecin, M. H... a fait valoir qu'il ne l'avait pas informé du risque de perforation au cours d'une telle intervention; que la Cour d'appel a écarté ce moyen et débouté M. H... de son action au motif qu'il lui appartenait de rapporter la preuve de ce que le praticien ne l'avait pas averti de ce risque, ce qu'il ne faisait pas dès lors qu'il ne produisait aux débats aucun élément accréditant sa thèse ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le médecin est tenu d'une obligation particulière d'information vis-à-vis de son patient et qu'il lui incombe de prouver qu'il a exécuté cette obligation, la Cour d'appel a violé le texte susvisé."

Cette décision mérite évidemment quelques explications quant à ses fondements, sa portée et ses conséquences.

 

 

- I -

L'information du patient par le médecin

 

 

On rappellera, d'abord, brièvement que le devoir d'information du médecin présente un double aspect : il lui impose d'informer son patient, d'une part, de l'affection dont il souffre et de l'évolution prévisible de sa maladie, d'autre part, des soins préconisés et des risques inhérents à ces soins. Le contenu de ces informations est fonction des données acquises de la science à la date où elles doivent être données.

Le principe de cette double information est maintenant formulé par l'article 35 du nouveau Code de déontologie médicale issue du décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995 qui dispose que "Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension."

Le but de cette information duale est de permettre au malade de faire un choix éclairé quant à son refus ou son acceptation du traitement proposé. Mais, bien entendu, il y a lieu de réserver les cas d'urgence et de danger immédiat, ou ceux où le patient est hors d'état de manifester sa volonté, ou encore les situations dans lesquelles l'intérêt du malade interdirait en conscience à son médecin de lui dire la vérité sur un pronostic grave.

 

LE BUT DE CETTE INFORMATION DUALE EST DE PERMETTRE AU MALADE DE FAIRE UN CHOIX ÉCLAIRÉ QUANT À SON REFUS OU SON ACCEPTATION DU TRAITEMENT PROPOSÉ

Contrairement à une idée parfois répandue la jurisprudence n'a pas toujours mis à la charge du patient la preuve du fait que son médecin ne l'aurait pas informé. C'est en effet par l'arrêt Martin/Birot du 29 mai 1951 (Civ. 1re, Bull. n° 162) que la Cour de cassation a, pour la première fois, jugé qu'il appartenait au patient de "…rapporter la preuve que le médecin avait manqué à son obligation contractuelle en ne l'informant pas…" ;

Cette décision avait fait l'objet de vives critiques, de la part, notamment, d'un éminent spécialiste de la responsabilité médicale, le doyen René Savatier, auteur d'un "Traité de droit médical" très connu. Il y voyait en particulier (dans une note publiée au Dalloz de 1952, page 53), une méconnaissance du principe fondamental de la liberté de la personne humaine et du respect de l'intégrité de son corps qui implique qu'il soit en mesure de donner à toute intervention sur sa personne un consentement libre éclairé par l'information médicale.

Et l'évolution moderne du droit de la personne a été dans le sens d'un renforcement de ces principes, avec, par exemple, l'article 36 du nouveau Code de déontologie médicale suivant lequel "Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. Lorsque le malade, en état d'exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposé, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences". On peut aussi citer, issu des lois bioéthiques du 29 juillet 1994, l'article 16-3 du Code civil aux termes duquel "Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité thérapeutique pour la personne. Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir."

Mais dans l'arrêt du 25 février 1997 la Cour de cassation n'a pas voulu faire un sort particulier au contrat médical, ce qui, malgré les justifications de nature éthique existantes, aurait été inévitablement perçu comme imposant une règle plus rigoureuse au corps médical.

Le renversement de la charge de la preuve concerne tous les membres des professions (tels par exemple les avocats, notaires, experts comptables, rédacteurs d'actes, agents immobiliers, etc. et bien entendu les médecins) qui sont tenus d'une obligation particulière d'information vis-à-vis de la personne qui entre en relation avec eux à titre professionnel. Ils doivent désormais rapporter la preuve qu'ils ont exécuté leur obligation d'information.

Le fondement de cette règle est le second paragraphe de l'article 1315 du Code civil aux termes duquel "…celui qui se prétend libéré doit justifier le payement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation".

 

 

- II -

Les conséquences pratiques pour le médecin

 

 

S'agissant plus spécialement des médecins, l'arrêt du 25 février 1997 aura évidemment un impact important sur les pratiques en matière d'information du patient, notamment en ce qui concerne le secteur le plus sensible, c'est-à-dire l'information sur les risques inhérents aux investigations et aux thérapeutiques.

Le principe est que le médecin doit donner une information totale sur ces risques (Civ. 1re,
14 janvier 1992, bull. n° 16) de façon loyale et compréhensible.

 

LE PRINCIPE EST QUE LE MÉDECIN DOIT DONNER UNE INFORMATION TOTALE SUR CES RISQUES DE FAÇON LOYALE ET COMPRÉHENSIBLE

Cette information doit être donnée au malade lui-même lorsqu'il est à même d'exprimer sa volonté ; à ses parents s'il s'agit d'un mineur (le mineur lui-même - article 42 du Code de déontologie - devant être informé lorsqu'il est en âge de comprendre et de supporter l'information) ; aux organes de la tutelle en cas d'incapacité ; ou encore à des proches dans le cas d'un patient qui n'est ni mineur, ni incapable, mais auquel pour une raison légitime l'information ne peut être donnée (article 35 du Code de déontologie).

La jurisprudence autorisait jusqu'à présent les praticiens à ne pas signaler les risques qui ne se réalisent qu'exceptionnellement. Mais on peut douter de la pertinence de cette dérogation prétorienne dans la mesure où dès lors qu'un risque invalidant ou mortel est connu, on ne voit pas de raisons sérieuses d'en dissimuler l'existence au patient qui est en droit de refuser de le courir, ou à tout le moins de pouvoir faire la balance entre les risques de l'affection dont il souffre et ceux du traitement proposé.

 

IL CONVIENT, DÈS LORS QU'UN RISQUE INVALIDANT OU MORTEL EST CONNU, D'EN INFORMER LE PATIENT

Mais il faudra impérativement que le médecin préserve la preuve de l'information qu'il a donnée.

On peut ainsi songer à un écrit signé du patient ou de la personne à laquelle l'information doit être communiquée.

Le recours à un témoin est aussi possible, mais il existe des risques que sa fiabilité soit contestée en cas de litige. Il serait donc préférable que le témoin n'ait pas de liens de préposition, ou des intérêts communs, avec le médecin.

Ce que l'on appelle la preuve par présomptions de l'article 1353 du Code civil (c'est-à-dire la preuve par des faits, circonstances ou éléments graves, précis et concordants) est possible, mais ce mode de preuve est parfois aléatoire.

 

IL FAUDRA IMPÉRATIVEMENT QUE LE MÉDECIN PRÉSERVE LA PREUVE DE L'INFORMATION QU'IL A DONNÉE

 

La difficulté de mettre au point, en fonction des cas, un type d'information approprié semble pouvoir être résolue par l'appel aux Conférences de consensus qui pourraient utilement proposer des modèles d'information en fonction des risques graves connus inhérents à telle investigation ou tel traitement, le praticien conservant évidemment la faculté d'adapter la formulation de l'information à son patient.

Si le malade ne paraît pas en mesure de supporter l'information, il appartiendra au médecin, comme le prévoit le Code de déontologie (article 36) et comme le soulignent très judicieusement les "commentaires du Code de déontologie des médecins", édités par l'Ordre des médecins, d'entrer en relation avec ses proches. En cas d'impossibilité, le praticien pourra toujours consigner par écrit dans le dossier médical du malade, en veillant à donner une date non contestable à cet écrit, les raisons pour lesquelles il a estimé qu'en conscience (article 35 du Code de déontologie), et dans l'intérêt de son patient, il ne pouvait donner une information totale. S'il y a ensuite malgré tout une contestation judiciaire du malade ou de ses héritiers, on peut penser qu'il leur appartiendrait de prouver que le médecin a commis une faute en décidant de limiter l'information.

Enfin, il va de soi que l'urgence et le danger immédiat qui imposent une intervention rapide sont toujours de nature à justifier l'absence d'information préalable.