Formation médicale continue et modifications de pratiques des médecins: quelles perspectives pédagogiques pour les Sociétés Savantes ?
Jacques
H. BARRIER
Professeur de Médecine Interne, Directeur du
Département de Formation Médicale Continue et de Développement
Pédagogique de la Faculté de Médecine de Nantes, 1, rue
Gaston Veil 44035 Nantes. Coordinateur du Collège Interniste de FMC
. Secrétaire Général Adjoint de la FSNSM.
courriel: jacques.barrier@sante.univ-nantes.fr
1. Introduction
La dénomination Formation Médicale Continue
(FMC) est usuelle dans de nombreux pays francophones dont la France, sachant
qu’on emploie les termes d' Education Médicale Continue au Québec
ou de Formation Médicale «Continuée» en Belgique ;
on pourrait dire "continuante" dans les pays anglophones (Continuing
Medical Education. Longtemps définie comme « l’ entretien et
l’actualisation des connaissances », la définition
de la FMC doit être plus large : il s’agit de toute activité
ou programme de formation qui modifie les pratiques des médecins avec
l’objectif d’améliorer leurs performances et par conséquent
la santé des malades. La formation et les modifications de pratiques sont
à l’évidence liées. La modification (faut-il préciser
l’amélioration ?) des pratiques centre donc notre débat,
et nous prendrons en compte toutes les composantes de celle-ci sans exclusive
(1). Les Sociétés Savantes participent à la FMC à
deux niveaux : le premier niveau est celui de l’ actualisation
et la construction de savoirs par la recherche fondamentale et appliquée
ce qui les amènent à proposer de nouveaux modèles de
pratiques ; le deuxième niveau est l’ information des praticiens
et a priori leur formation (les modifications de leurs pratiques).
2. Problématique générale des
modifications des pratiques médicales :
Récemment, P Cleary de l' Ecole de Médecine
d' Harvard (2) posait la question en ces termes provocateurs: "le changement
du comportement clinique (...)
un rêve impossible?", après avoir analysé
l'étude de JB Brown et coll. (3) sur l'impact d'une formation à
la communication médecin
- malade d'une population de médecins et d'infirmiers: les patients
interrogés ne notaient aucune différence significative entre
le groupe des professionnels éduqués et un groupe comparable
n'ayant pas bénéficié de cette formation...; pourtant
les professionnels formés avaient un avis contraire et estimaient avoir
modifié leurs pratiques. Dire que la FMC traditionnelle n'a pas d'impact
sur l' amélioration de la prise en charge des patients est une idée
qui est hélas dans l'air du temps, véhiculée par un certain nombre de praticiens
parfois connus pour leur résistance atavique au changement et même
par quelques organismes ou tutelles... Dans leur magistrale revue de la littérature,
menée des années durant sur la thématique de l'efficacité
des actions de FMC, D Davis et coll. avaient déjà émis
des doutes sur les résultats réels des actions traditionnelles
(conférences, ateliers etc.) que nous dénommerons à leur
suite formations formelles (4-5).
La nécessité de modifier ses pratiques
est admise par tous les médecins en exercice, quel que soit leur investissement
dans la FMC, pour des raisons d' intérêt personnel (clientèle),
socio-économiques (coût croissant de la santé) ou scientifique
(évolution qualitative et quantitative exponentielle rapide des connaissances,
et obligation morale de plus en plus imposée de dispenser des soins
basés si possible sur des recommandations de pratiques et a fortiori
sur des preuves scientifiques). Nous savons aussi que beaucoup ont une motivation
intrinsèque forte à faire évoluer leurs pratiques et
font preuve d’ un professionnalisme fortement teinté d' humanisme.
Face à ce besoin essentiel de changement, le processus de formation,
en groupe et/ou individuel est par définition indispensable.
Comment, où, quand, par qui la formation doit-elle
être organisée et évaluée pour que les pratiques
changent concrètement? Pour répondre à ce questionnement,
il faut faire un état des lieux (donc repérer les problèmes),
émettre des hypothèses et les mettre en perspective. Nous adopterons
dans ce travail une approche scientifique de l' éducation (6-7) , et
postulerons que seuls des travaux de recherche pédagogique avec une
méthodologie rigoureuse sont susceptibles d' apporter des solutions.
Nous verrons ensuite où et comment peuvent se positionner les Sociétés
Savantes en France (réflexions en encadré).
3 - La dimension psychologique individuelle (quels
sont les mécanismes de modification des pratiques?)
Il
est important de connaître les bases psychopédagogiques :
La compétence est la capacité à mobiliser
des savoirs (connaissances déclaratives et d'action) pour atteindre
une performance précise, c'est a dire une bonne prise en charge de
patients par un praticien dans le domaine considéré. Ainsi,
on ne peut pas dire qu'un médecin est globalement compétent (par
exemple en neurologie, ou en médecine générale); il est nécessaire de spécifier
dans quels domaines de cette spécialité il a des compétences
(domaines où on peut s'attendre à ce qu'il atteigne les performances
attendues). Si les compétences sont multiples et susceptibles de s'adresser
à des situations pathologiques nouvelles, complexes et floues, on pourra
dire de ce médecin qu'il est un expert, ou mieux, qu'il a une expertise
élevée dans la discipline d'exercice considérée.
Au fil des années, au cours de notre exercice, nous conservons un certain
nombre de compétences professionnelles à l’intérieur
du champ de notre spécialité, en rodons de nouvelles et perdons
un certain nombre de compétences correspondant à des pratiques
trop peu utilisées.
L' application de la psychologie cognitive à la médecine (8-9) nous
permet de comprendre comment ce praticien doit traiter les informations médicales
qui lui parviennent pour pouvoir
les réutiliser; il y a tout d'abord une sélection de celles
qui lui paraissent utiles, « signifiantes ». Il les
compare alors à celle (s) qu’il a déjà emmagasinée
(s) dans sa mémoire à long terme. Les connaissances antérieurement
stockées et utilisées dans la pratique peuvent être catégorisées
: soit elles sont toujours valides et ne doivent pas être modifiées;
soit elles sont toujours valides mais peut-être améliorées
par la (ou les) information(s) supplémentaire(s), ce qui suppose une
structuration de ce nouveau savoir; soit elles sont erronées
et doivent être modifiées (ce qui suppose un mécanisme
nécessairement beaucoup plus lent de déconstruction puis de
reconstruction du savoir).
Le praticien a à sa disposition des savoirs théoriques
et pratiques, des schémas génériques et des expériences
acquises dans de multiples contextes. Devant un patient posant problème,
il procède à des allers-retours plus ou moins rapides et conscients
entre ces différents savoirs. Il s'agira d'une part des situations
analogues concernant des patients antérieurement connus et d'autre
part des schémas génériques progressivement rodés
et enrichis par les expériences multiples et les apports théoriques
acquis durant sa formation permanente. L'utilisation dans l'action est loin
d'être toujours clairement conscientisée chaque fois dans la
mémoire vive car il se crée une automatisation. En effet, à répéter des tâches comparables,
on passe par un montage conscient, puis un rodage de compétences spécifiques
jusqu'à devenir inconsciemment compétent. Cette automatisation
des connaissances en action a des avantages dont l' applicabilité immédiate
dans un contexte donné, ce qui est indispensable dans l'urgence et
appréciable dans les autres situations cliniques; un inconvénient
sérieux est la difficulté rencontrée par tous à
modifier un comportement rodé de longue date. Le praticien aura des difficultés à modifier des pratiques
d’autant plus qu’elles sont anciennes, c'est à dire à
faire l’ effort de les conscientiser et de les restructurer jusqu'à
acquérir de nouveaux automatismes. Nous comprenons pourquoi cette mémoire
consciente est aussi appelée de façon très pertinente
la mémoire de travail : cette structure est un «lieu de
passage», d' assemblage, de travail dont il faut savoir que la capacité fonctionnelle immédiate
est faible.
DA Schön (10) a apporté il y a plus de 10
ans le modèle du "praticien
réflexif" qui apporte
un autre éclairage théorique tout à fait concordant
sur la dynamique des modifications de pratiques chez le médecin dans
sa vie quotidienne. Dans leurs zones de maîtrise, les professionnels
ont dans l’ action des automatismes
dont nous avons déjà parlé. Devant un problème
inattendu, ce qui le lot habituel des praticiens en exercice, il s'élabore
immédiatement une réflexion "en action" qui met en
rapport les données recueillies avec les connaissances antérieures
en plusieurs étapes, puis a posteriori une réflexion « sur
l'action », plus stratégique à long terme et métacognitive;
cette réflexion sur l'action consiste à analyser les circonstances
de cet évènement imprévu et à voir comment cela
pourra influencer la pratique dans le futur.
Nous savons que les modifications de pratiques concernent
essentiellement les connaissances utilisables en action, c'est a dire les
connaissances dynamiques procédurales et conditionnelles . Les connaissances
conditionnelles sont les plus importantes à considérer en formation
continue, car conduisant à l'expertise. Elles correspondent en effet
à la pratique quotidienne du praticien devant ses malades. Rappelons
que l’exercice de la médecine tient de la complexité (chaque
malade représente une situation nouvelle, changeante, dans un environnement
multiple dont on ne connaît pas toutes les inférences). La connaissance
conditionnelle consiste, par rapport à cette situation complexe, à
définir une action. Par exemple, « si ce malade a tel contexte
personnel et professionnel, s’il a tels antécédents et
tels symptômes, s’il n’a pas tel ou tel signe, etc..., alors
je dois agir ainsi ». Il faut savoir que les arbres décisionnels
que nous avons acquis en formation théorique ne sont pas utilisables
tels quels: d'une part parce que le raisonnement clinique n'est jamais algorithmique,
binaire et exclusif, d' autre part parce qu'ils doivent être repensés
et refondés dans l'action. Ceci rend compte de la difficulté
que nous éprouvons à appliquer une recommandation de pratique
qui a été acquise «de façon déclarative»
au cours d'un cours ou d'une conférence quelle qu’ en soit la
qualité didactique.
Dans le but d’ améliorer ses pratiques, qu’il soit novice ou expert, chaque individu à une stratégie métacognitive qui lui est propre. Il s’agit de l’aptitude du médecin à gérer l’ensemble des ressources, c’est-à-dire la perception qu’il a de ses ressources et du contrôle qu’il est capable d’exercer sur elles pendant la réalisation de la tâche. Cette activité « méta » concerne la surveillance par l’individu de sa progression vers le but. On conçoit que le concept de la métacognition puisse intégrer des concepts comme la motivation et la démotivation.
L’ évolution psychologique à moyen
et long terme des compétences acquises mériterait des études
longitudinales. En effet, en l’absence de rodage suffisant
(ce qui nécessite des mises en situation très régulières)
nous avons tous eu l’expérience d’ un retour aux automatismes
antérieurs.
Qu'est-ce que l'incompétence pour un praticien
?
Il serait faire preuve d’ angélisme de
traiter l’ amélioration des compétences sans évoquer
la possibilité d’ incompétences. La constatation d’
une ou de plusieurs incompétences dans des domaines très spécifiques
est chose classique et ne pose pas problème si le praticien a conscience
de ses limites et s’ adapte en conséquence. L’ incompétence
posant un réel problème n’est pas univoque. Elle est parfois
l' aboutissement chez un praticien vivant sur des acquis anciens parfaitement
rodés et automatisés mais devenus inadaptés suite à
l'évolution des savoirs scientifiques (formation personnelle inexistante
ou insuffisante); elle peut devenir délictueuse s’il prend en charge des patients dont il sait
qu'ils posent des problèmes pour lesquels il n' a pas été
suffisamment formé. Elle est parfois d'ordre psychopathologique ;
c’est un problème réel bien connu de tous les organismes
juridiques et professionnels (par ex. le Conseil de l'Ordre des Médecins)
amenés à juger des comportements déviants. Il y a aussi
la possibilité de réelles insuffisances intellectuelles acquises.
A l' Université de Mac
Master (11), un programme d'évaluation de la compétence des
médecins a identifié qu'un nombre non négligeable (environ
30%) des médecins ayant des résultats médiocres à
cette évaluation des pratiques avaient des tests neuro-psychologiques
insuffisants. La même équipe (12), ayant noté que des
plans de formation classiques ne permettait pas d'améliorer la compétence
de médecins modérément ou sévèrement incompétents
selon l'échelle d'évaluation standardisée utilisée,
ont planifié un programme de formation poussé sur 3 ans , individualisé,
ou en petit groupes, fondé sur la médecine basée sur
les données éprouvées (EBM ), les patients simulés
, les jeux de rôle, la revue par des pairs etc. Chez les 5 médecins
ainsi préparés,1 seul s'est amélioré, 3 se sont
aggravés... Ils apparaissaient pourtant motivés. Il ne faut
donc jamais perdre de vue le déclin cognitif dans le temps (en rappelant
que l'âge n'est pas en soi un facteur d'incompétence), voire
un état démentiel précoce.
Il n‘ est pas évident pour des Sociétés
Savantes de tenir compte de la totalité de ces différentes
données psychopédagogiques d’ordre individuel
(pourtant essentielles puisque représentant les mécanismes
nécessaires de modification des pratiques). En effet, ces Sociétés
sont par essence constituées de grands groupes sociaux avec une organisation
obligatoirement très élaborée voire complexe où
la prise en compte personnelle de l’ individu et de ses pratiques
est impossible. Chaque praticien est considéré comme autonome.
La transmission d’une information scientifique en grands groupes telle
qu’elle est apportée par les conférences où les
rapports en amphithéâtre ne peut pas isolément
avoir l’ ambition d’ être performante sur les pratiques
individuelles de chaque auditeur. Une Société Savante ayant
l’objectif limité de création de savoirs et de transmission
de ceux-ci à l’ ensemble de ses membres est dans cette logique
retreinte. Pourtant, une Société Savante dont les objectifs
sont la formation de ses membres doit avoir des activités qui favorise
au mieux les modifications de pratiques de l’ individu, c’est
à dire tenir compte de ces données scientifiques psychopédagogiques.
Une réflexion approfondie sur l’ efficacité des méthodes
pédagogiques est alors nécessaire.
4 - la dimension socio-professionnelle
4 -1
Modifier les pratiques en se centrant sur le processus de formation:
Les activités de formation individuelles classiques:
A partir de l’analyse de 9 études comparant
l’impact sur les pratiques d’une part de la diffusion de documents
écrits , d’ autre part de l’ absence de cette intervention,
N Freemantle et collaborateurs ont montré que ces supports pédagogiques
« papiers » ne modifient pas significativement la performance
professionnelle des médecins ciblés ni le devenir médical
des patients s'il n' y a pas des mesures d' accompagnement
pédagogique (13). Les revues biomédicales ont un handicap
supérieur encore puisqu’elles ne sont pas ciblées sur
les problèmes immédiats, véhiculent trop d’informations
pour une utilisation pratique ; ceci explique qu’elles soient peu
lues de façon systématique (14). Il n’y a pas d’
études sur l’influence des consultants ou sur celle des autres
media.
Les activités de formation formelles:
Certains praticiens, en proportions variables selon
les spécialités, suivent régulièrement des actions
de formation médicale continue formelles (conférences, ateliers,
tables rondes, etc.), qu'ils soient ou non adhérents à des associations
professionnelles. D Davis et coll. ont tenté de faire la revue exhaustive
des travaux de recherche évaluant ces méthodes formelles (5)
; ils ont regretté l'absence de rigueur des 64 études retrouvées
n’ autorisant l’ analyse finale que de quatorze études
détaillant 17 interventions (manque de procédures de randomisation
et de description précise des interventions éducatives). Il
est clair que l'une ou l'autre de ces activités de formation a rarement
pu montrer, isolément, une efficacité constante et statistiquement
significative, pour tous les items mesurés, en termes de modifications
de pratique et d’ impact sur les patients. D’après cette
revue de la littérature (Medline et Registre Cochrane), il existe un
avantage à employer des méthodes interactives ou mixtes plutôt
que des méthodes didactiques classiques (essentiellement des conférences
avec un minimum de discussions et d’interactivité). Cependant
l’utilisation de ces méthodes interactives ne garantit pas obligatoirement
de bons résultats, ni ne protège d’ effets délétères
sur les pratiques… Il apparaît une meilleure efficacité
des sessions multiples longitudinales, même sur des thèmes variés,
par rapport aux interventions uniques. La taille des groupes formés
n’est statistiquement reliée à une efficacité particulière.
Il est dit communément qu’il y a de meilleurs résultats
lorsque les médecins ont suivi une formation qu’ils n’avaient
pas choisie ; ceci montre que l’analyse des besoins de formation
est une procédure complexe qui se situe bien au dela du vécu
immédiat du participant. Les travaux métanalytiques rapportés
dans la revue de P Durieux et coll. (15) vont dans le même sens.
Quelques détracteurs de mauvaise foi pourraient
dire que la formation médicale continue organisée représente
une dépense d'argent peu productive, voire un gaspillage.
En revanche, lorsque ces actions sont multipliées
(5) et assorties de mesures d’ accompagnement (discussions en petits
groupes, feed-backs, matériels éducatifs permettant un suivi
etc.), un impact sur les pratiques peut apparaître (5, 16, 17). Dans
les réunions dites classiques, il est dit que le choix de l’expert
peut être important, pour des qualifications non univoques : en tant que «leader
d’opinion», en tant que pédagogue et/ ou de communicateur
(charisme). Certains ont pu noter que l’utilisation d’un leader
d’opinion avait un impact sur les pratiques supérieur à
l’audit et le feed-back (18). Nous manquons d’études permettant
de différencier dans les actions de formation complexes et efficaces
l’ influence prédominante du facteur temps ( la répétition
d’interventions quelle qu’en soit la forme pédagogique),
ou du facteur « méthodes » (ce serait la multiplicité
de méthodes d’intervention pédagogiques différentes;
les deux jouent vraisemblablement un rôle.
La conséquence logique d’une formation
centrée sur les processus est la mise en place d’une FMC obligatoire :
le débat sur l’instauration de quotas imposés d’heures
de formation a surtout été européen (19). La FMC obligatoire serait
globalement peu efficace d’ autant que les praticiens sont réticents
à une approche réglementaire (4) ; cela a été
bien documenté en Suisse (20).
Les Sociétés Savantes ayant des objectifs
de formation, donc susceptibles de demander à être accréditées
dans le cadre d’une loi sur la « FMC obligatoire »
en tant qu ‘organisme de formation, doivent s’ imposer une démarche
qualité optimale. Au mieux, il faut commencer par une analyse des
besoins de formation de ses membres. Elles doivent mettre en place des activités
tenant compte de ces données de la littérature: les sessions plénières
d’ information où peut jouer très utilement l’effet
« leader » ne peuvent pas être isolées ;
elles doivent s’ accompagner d’ autres activités multiples
et coordonnées dans la mesure du possible, tels que les ateliers
interactifs, si possible multiples, basés sur les problèmes
rencontrés dans la pratique et la motivation , et d’ autres
activités institutionnelles telles que la création d’un
site internet actualisé régulièrement pour les référentiels
de pratiques et avec des forums d’ échange,
la diffusion d’un journal papier rendant compte non seulement
de résultats de recherches mais aussi de recommandations de pratiques
etc.. Ces Sociétés doivent s’ organiser afin d’
évaluer chaque activité de formation.
Nous pensons que ces Sociétés savantes
doivent alors définir une politique dans le temps (stratégie
basée sur l’ objectif de modifier les pratiques de ses membres).
L’ évaluation de cette politique est alors essentielle; il
ne suffit pas d’ évaluer chaque activité de formation
avec un questionnaire de satisfaction.
4
-2 Modifier les pratiques en se centrant sur les résultats:
Il est
tentant de se préoccuper uniquement des performances des médecins
(impact sur les malades, la population), et plus particulièrement d’
évaluer leurs pratiques sur le terrain; les tutelles pourraient se
satisfaire de cette option et ne plus se sentir concernées par les
méthodes et moyens d'apprentissage utilisées: seul le résultat
compterait. Ce courant d'idée ou "outcomes movement" (21) est actuellement très
présent dans les débats sur l'organisation de la Formation Médicale
Continue.
Les travaux de recherche évaluative qui permettront
de valider cette orientation sont encore rares. Il est important de comprendre
que cette approche nécessite de disposer de référentiels
sous la forme de conférences de consensus, de consensus d’experts,
ou de données éprouvées issues des essais cliniques,
c’est à dire l’ «Evidence-Based
Medicine» (EBM). C’est la médecine fondée sur des
données éprouvées. L’ appréciation de la
performance au bénéfice du patient peut alors devenir mesurable
.Un deuxième niveau de résultats (celui qui importe le plus
pour les organismes financeurs et politiques) est le changement au niveau
de la santé de la communauté, des populations.
- Les informations issues de la recherche et les
recommandations de bonnes pratiques :
Les recommandations : qu’en fait le praticien ?
Le terme d' EBM est un nouveau paradigme apparu dans
la littérature en 1991 (22). Il s’agit en premier lieu d’une
approche épistémologique nouvelle c’est à dire
d’une méthode d’acquisition et de validation des connaissances.
Son utilisation systématisée dans la pratique clinique, aux
dépens des autres méthodes de prise de décision médicale
(l’expérience, les principes physiopathologiques, l’opinion
d’experts, les valeurs individuelles), est un autre aspect de
cette entité (23) qui nous intéresse plus particulièrement.
Nous ne reprendrons pas en détail toutes les données accumulées
dans des centaines d'articles sur l' EBM et son influence sur les modifications
de pratiques. L'EBM est une approche qui devrait faciliter la prévention
de variations inappropriées dans les pratiques cliniques. Il existe
un certain nombre de confusions dans la compréhension de ce terme,
rappelées dès 1996 par DL Sackett
et coll. (24). Ce paradigme doit être défini comme "l'utilisation
consciencieuse, explicite et judicieuse des meilleures données éprouvées
actuelles pour prendre des décisions sur la prise en charge de patients
individuels" (24).
Une condition de base est que les conclusions issues
de travaux scientifiques soient pertinentes, ce qui n'est pas toujours le
cas (25), d'autant que la manière dont les résumés des
essais sont présentés peuvent influencer les décisions
thérapeutiques (26). Si ces conditions de rigueur scientifique sont remplies, ce qui serait le cas a priori pour la
plupart des revues systématiques (en particulier les méta-analyses),
la problématique décisionnelle du praticien n'est toujours pas
résolue (27). Les difficultés de ce clinicien se situent à
deux niveaux puisqu'il s'agit d'une part d'avoir le temps, l'énergie
et la capacité de réunir tous les éléments de
la décision (l’ analyse critique des données éprouvées
de la littérature et le diagnostic précis du malade concerné),
et d'autre part les compétences personnelles spécifiques pour
adapter efficacement les résultats des essais et des revues systématiques
à la situation particulière. L' applicabilité est loin
d'être évidente (23, 28, 29): on ne peut pas exiger d'un individu
malade qu'il réponde à tous les critères d'inclusion
de l'étude originale… et que la conclusion de celle-ci lui soit
adaptée; de même le milieu d'exercice peut
être très différent de celui de l'étude (par exemple
les Etats Unis par rapport à l’ Europe ou aux pays en voie de
développement) ; enfin les valeurs et attentes du patient ont
une influence importante sur la décision. On comprend que l'approche
EBM puisse être difficile à appliquer pour un praticien ayant
une pratique essentiellement basée sur l’expérience, la
relation individuelle parfois émotionnelle avec le patient, la conviction
ou les valeurs (23) .
A l' heure actuelle, le plus important est d'étudier leur impact
chez les cliniciens et d'analyser les facteurs positifs et négatifs
de leur applicabilité. Il est clair que ce nouveau paradigme n'est
pas partagé
par la majorité des médecins pour de multiples
raisons, liées aux patients, au manque de temps et de ressources, et
aussi aux autres partenaires en particulier dans les hôpitaux (30).
Si les professionnels partagent l’opinion des tenants de l’ « outcome
movement », qui est de privilégier une médecine clinique
basée sur des certitudes scientifiques issues d’une recherche
probabiliste, ils ont en revanche parfaitement conscience que leur pratique
est fondamentalement et définitivement basée sur l’incertitude
(31).Le vrai professionnalisme est sans doute de faire l’effort d’éliminer
au maximum la variabilité irrationnelle dans sa pratique, donc d’utiliser
au mieux les recommandations de pratiques disponibles. Un autre indice très
éclairant de l'opinion très partagée qu'ont les médecins
sur l'utilisation des recommandations de bonnes pratique peut être trouvé
dans l'article de M Forsythe
et coll (32): lorsque les médecins sont malades
ou s'ils s'agit de leurs proches , les "guidelines" sont moins suivis
que lorsqu'il s'agit de leurs propres patients...
Pour les tenants de l’ EBM, en particulier l’
EBM Working Group, il est clair que ce paradigme pouvait s’appliquer
aussi bien à la pratique médicale qu’ à l’apprentissage
(33). Les processus de la FMC doivent-ils et peuvent-ils être fondés
uniquement sur l'EBM? La même question peut être posée
pour la formation initiale, avec vraisemblablement des réponses identiques;
HG Welch et coll donnent quelques exemples de la difficulté à
avoir une telle approche (34). Il est clair qu’on ne peut enseigner
de façon pertinente que ce que l’on pratique
réellement (on est loin du compte!).
Les recommandations : place des nouvelles technologies :
D’un point de vue général, les informations
doivent être singulièrement limitées pour ne pas submerger les capacités d' assimilation cognitive du
praticien. Pour paraphraser Confucius: "plus le Maître enseigne
et moins l' Etudiant apprend", on pourrait dire: "plus On informe
le praticien et moins il a la possibilité d’ apprendre, donc
la possibilité de changer ses pratiques ». La recommandation
à faire est de faire le tri. Il faut hiérarchiser des informations
validées et adapter les plus importantes aux médecins -cibles.
Les autres doivent être mises à disposition (s'il y a besoin).
Pour toute organisation, Société Savante ou tutelle, arroser
les médecins d'informations multiples ponctuelles même pertinentes
est une opération à risque, pouvant créer un véritable
frein aux modifications de pratiques. Pour le praticien la tâche est
très difficile de faire un tri orienté par les problèmes
qu'il rencontre ou qu'il est susceptible de rencontrer. Nous parlerons surtout
des nouvelles technologies de l’ information et de la communication
(NTIC), car les nouvelles technologies éducatives restent peu développées.
Les NTIC sont elles la voie d'avenir de l'information médicale? Par
définition, elles se préoccupent de la diffusion de la masse
gigantesque des Informations et de Communication; les applications à
visée éducative spécifique sont très minoritaires
et les sites se préoccupant de formation médicale continue sont
rares; B Sklar (35) rédacteur des "Online CME Sites" n'en
avait recensé le 20 février 2000 que quelques dizaines ce qui
est infime comparé aux 100 000 sites médicaux dans le monde
(36). Il est clair que les multimédias peuvent acquérir une
dimension interactive comme le montrent certaines expériences en particulier
universitaires. Mais la tâche est lourde: pour avoir quelques chances
raisonnables d'entraîner des changements de pratiques, un programme
multimédia de FMC doit tenir compte prioritairement des problèmes
personnels non résolus par les praticiens, les confronter aussi à
des problèmes types susceptibles de l'amener à conscientiser
des problèmes implicites de pratiques
automatisées.
Les recommandations : qu’ en fait le patient ?
La diffusion et l' intégration de l' information
devant se faire à un rythme de plus en plus élevé qui
est celui des changements de notre société,
une des conséquences pratiques pour les praticiens est d'avoir
à modifier ses pratiques sous la pression d’ utilisateurs de
services de soins très au fait de données scientifiques récentes
sur leur pathologie (37, 38). JP Kassirer en 1995 (39) a insisté sur la prochaine transformation
de la délivrance des soins liée aux nouvelles technologies
de l'information; puisque l'information en ligne des patients sur les données
médicales éprouvées et les nouvelles relations électroniques
médecin -malade devraient modifier considérablement le paysage.
Il y a là incontestablement le début d'une ère de modifications
de pratiques majeures et nécessaires des médecins non seulement
dans le domaine de la médecine factuelle mais aussi ceux des comportements
et procédures des soins.
La conséquence logique de la recherche d’une
modification de pratiques centrée sur les résultats est la recertification
La question essentielle est de savoir si les procédures de recertification
induisent le changement des pratiques inadaptées. Ce sont plutôt
les économistes au nom de l'incontournable assurance -qualité
des soins apportés aux malades, et non pas les praticiens, qui sont
les fervents partisans de la recertification imposée à tous,
arguant du principe que l'obligation d'avoir des bonnes pratiques concerne
chacun . La recertification est
largement répandue aux Etats Unis (40), où elle reste sur la
base du volontariat mais où l'incitation est très forte puisque
le certificat est exigé dans de nombreuses structures médicales
ne serait-ce que pour obtenir un remboursement élevé des frais
engagés. Curieusement , les faux certificats de recertification seraient
en cours d'augmentation... Un autre intérêt de la recertification
est de repérer les praticiens qui sont hors standards... Les crédits
d'heures de formation formelle peuvent être pris en compte. La plupart
des "boards" font une évaluation combinée des connaissances
déclaratives (ordinairement par QCM) des habiletés et des performances,
mais toute la difficulté est l'évaluation sur site (41) pour
des problèmes de coûts majeurs, de fiabilité et validité
de l'évaluation. En ce cas, l'information prime (les référentiels).
Qu'importe les moyens quand on ne se préoccupe que de résultats.
Le problème est mal posé, ou plutôt il est incomplétement
posé. L'approche axée sur les résultats ne peut pas se
passer d'une réflexion de fond sur l'étude des mécanismes
de modification des pratiques.
La plupart des Sociétés Savantes françaises
ou francophones se préoccupent de créer des référentiels
de pratiques (conférences de consensus, consensus d’ experts).
Certaines, par exemple la Société de Pathologie Infectieuse
de Langue Française en a fait une de leurs activités prioritaires.
Cette dimension de l’ activité des Sociétés Savantes
est une activité – type de FMC lorsqu’ elles mettent
en application le concept de ne pas se contenter de diffuser des résultats
de recherches (EBM), mais d’ avoir une volonté pédagogique
forte de les traduire en référentiels de pratiques disponibles
et utilisables au moment opportun. Les sites internets et les revues de
spécialité doivent être en tout ou partie consacrés
à la FMC. Le grand avantage des inforoutes est de pouvoir apporter
dans l’ instant (c’est à dire quand le problème
de pratique se pose) le référentiel utile pour la prise de
décision.
4
– 3 - Modifier les pratiques en centrant sur le professionnalisme (autonomie
et motivation)
Le professionnalisme d’un clinicien fait référence à un mandat social et humaniste, ce qui suppose des compétences à gérer d’éventuels conflits de valeurs et à des problèmes éthiques avec une dimension altruiste et déontologique (prise en compte de la collectivité et du groupe professionnel). Il est clair que cette approche peut être réductrice si elle est uniquement basée sur l’expérience et ne s’accompagne pas du respect des données éprouvées de la recherche médicale et des recommandations de pratiques. Le véritable professionnel est par définition un expert. L’ expertise professionnelle ne peut se passer d’une approche scientifique.
L’autonomie et le sens de la responsabilité
qui en est la conséquence directe sont des qualités importantes
en terme de professionnalisme et d’amélioration des pratiques.
Ce sont aussi des qualités privilégiées dans l’approche
andragogique de la FMC (42). Certains ont opposé la pédagogie
(qui s'est surtout intéressée à l' enfant) à l'
andragogie (l' homme, en conséquence l' adulte). Ce distinguo n'est
sans doute pas obligatoire et a été critiqué (43). Pourtant,
si les principes de l' apprentissage des adultes ou andragogie définis
par MS Knowles (42) sont globalement identiques à ceux qui sont préconisés
pour les étudiants en formation médicale initiale, ce cadre
conceptuel met l' accent sur un certain nombre
de points à privilégier chez le professionnel: il participe
à l'élaboration de ses besoins de formation, il ne peut adhérer
à des objectifs d' apprentissage que s'ils sont centrés sur
son exercice professionnel et il tient à être impliqué
dans l' évaluation de sa formation. En clair, le professionnel prend
en charge son propre apprentissage depuis la définition des stratégies
d' apprentissage, la définition de projets, la réalisation de
ceux-ci et leur évaluation. L'andragogie n' est pas véritablement
une théorie mais une description de l'adulte qui réussit son
apprentissage de façon autonome. En réalité, l’apprentissage
auto-dirigé pose problème (44) : l’auto-évaluation
devrait permettre aux praticiens de dépister leurs déficiences
et d’engager une formation permettant de corriger leurs pratiques ;
le plus souvent, ce sont les domaines où ils sont compétents
, c’est à dire à l’aise
qui les motivent à étudier (45). De plus, la médecine
n’est pas la profession où il est le plus facile de définir
ses propres besoins (les besoins sont en fait ceux de nos patients, avec toute
l’imprévisibilité que cela comporte).
Parmi les principes méthodologiques répondant
le mieux aux qualités exigées en andragogie, la résolution
de problèmes est celui qui vient en premier à l'esprit (46).
Il est devenu banal de dire qu'une action de formation formelle est d'autant
plus efficace qu'elle confronte les praticiens participants à des cas
cliniques (il vaudrait mieux dire "problèmes cliniques").
La motivation individuelle intrinsèque est un facteur essentiel de modification de pratiques. Les médecins interrogés déclarent tous leur grand intérêt et même leur fierté à être professionnellement performants (47) et d' accroître leurs compétences à apporter les meilleurs soins à leurs patients. Les réglementations ont peu d'impact sur le changement (48). La première étape de la motivation est la prise de conscience du but à atteindre, c'est à dire qu'il existe une différence entre sa pratique personnelle et la recommandation de pratique (à laquelle on adhère au plan conceptuel). Cette prise de conscience peut être réelle et ne pas entraîner de résultats positifs: dans une étude menée en Espagne dans 11 centres de santé, PJ Saturno et coll (49) ont découvert qu 'il n'y avait aucune corrélation entre le fait d'adhérer à un changement de pratiques, d'affirmer l'appliquer et la réalité du terrain lorsqu'il il y avait une évaluation par des pairs sur dossiers. La motivation s'opère d'autant mieux que le praticien est confronté à des « obstacle -problèmes » qu'il désire franchir et se sent capable de surmonter (49).
La motivation extrinsèque peut participer
à créer un environnement permettant la motivation des praticiens
donc l’ amélioration de leurs pratiques. Les différentes
méthodes ont été testées : elles peuvent
être coercitives ou gratifiantes (incitation financières par
exemple). La recertification est un facteur important de motivation extrinsèque
pour le changement des pratiques, sous la condition expresse du respect des
principes pédagogiques c'est à dire que l' évaluation
soit basée sur les pratiques individuelles. Toute la problématique
est de savoir si la réussite à des QCM (dont la faisabilité
et en particulier le coût sont acceptables) peut être corrélée
à l' acquisition de compétences. Nous pouvons en douter ;
d’ ailleurs il est rare que l' évaluation par QCM soit exclusive
et qu'on puisse juger leur impact en tant que facteur d'induction de formation
pertinente (acquisition de compétences). La démotivation
est un facteur de régression des pratiques médicales ;
il faut rappeler qu’elle survient très rapidement chez un individu
lorsque des outils de motivation extrinsèque lui sont retirés
(essayons par exemple de diminuer la rémunération des consultations…).
Des stratégies de formation favorisant l’
autonomie sont privilégiées par certains praticiens ou certaines
organisations. De nombreux médecins apparaissent autonomes,
utilisant parfois uniquement des supports de formation comme les revues médicales
ou les visites à domicile qui représentent une méthode
de changement des pratiques intéressante ce qui n’a pas échappé
à l’industrie pharmaceutique pour les prescriptions médicamenteuses.
D 'autres se forment dans des groupes de pairs
formels ou informels ou auprès de correspondants spécialistes.
L’autonomie professionnelle ne signifie pas l’exclusion de l’environnement
et la pratique d’une activité de formation solitaire. Au contraire,
la collégialité, les contacts interdisciplinaires s’imposent
en priorité (51). S’agit-il alors de FMC ?
Certains font une différence entre la formation
médicale continue formelle et d'autres interventions qui font appel
à des mécanismes d'encadrement des pratiques sous la forme de
"pense-bêtes" ou de systèmes d'aides à la décision
médicale (feuilles de prescription, rappels de prescription informatisés),
voire d'audit des pratiques avec retour d'information (15). L'utilisation
des portfolios (52) n’est plus exceptionnelle en Amérique du
Nord. L’interprétation littérale des principes de l’apprentissage
auto-dirigé a conduit à la mise en place de stratégies
comme MOCOMP (Maintenance Of COmpetence) où il est fait une absolue
confiance aux praticiens spécialistes canadiens pour définir
et traiter leurs besoins de formation par un mode papier ou électronique
(52) ; cela peut être efficace chez des praticiens qui respectent
parfaitement les règles fixées ; en revanche,
ce ne peut pas être une alternative à d’autres méthodes
où il y un contrôle
de la compétence acquise comme la « formal peer review ».
Par rapport à toutes ces possibilités le praticien pourrait
choisir celles qui lui paraîtraient les plus adaptées à
ses besoins. Il est intéressant de noter que l’ association de
ces diverses méthodes a potentiellement un impact accru, d’autant
qu’elles sont réparties dans le temps, permettant ainsi le rodage
des compétences.
Certes, il est possible d’ être un médecin ayant une excellente expertise professionnelle sans appartenir à une Société. Cependant, les Sociétés Savantes sont des réseaux de santé où la convivialité a une place très importante. Lorsqu’il est dit « j’ apprends parfois plus dans les couloirs d’un congrès que dans les salles de conférence » ne s’ agit-il pas essentiellement d’ échanges individuels, de confrontations de pratiques, de partages professionnels, où l’ humanisme et la motivation sont largement présents ? Combien de travaux en commun ou de nouveaux réseaux s’ amorcent à l’ issue de ce type de réunions ? Combien d’ idées éclosent ? L’ important est de ne pas se limiter à des échanges d’ ultra-spécialistes scientifiques, se réduisant parfois à des groupuscules complètement détachés de toute préoccupation sociétale. Les Sociétés Savantes ont beaucoup à gagner à organiser des échanges interdisciplinaires et multi - professionnels .
6 - Perspectives
L'exploration de cette problématique montre combien
les modifications de pratiques sont du domaine de la complexité. Il
y a par définition de nombreuses approches du changement, face à
un problème complexe. Elles sont de surcroît potentiellement
différentes selon les qualités des acteurs (les praticiens,
les formateurs et les tutelles) qui interagissent.
La première approche est de dire que la complexité
ne peut être abordée que par l'expérience et l'expertise
professionnelle de la personne concernée, le praticien. Elle est individuelle
et phénoménologique, c'est à dire liée aux circonstances
et aux situations professionnelles, bien souvent uniques. Tel médecin,
dans son champ d’ activité (différents contextes), sera
amené à changer sa pratique en se basant sur son
expérience et sa capacité à se former selon les moyens qui lui conviennent le
mieux (qui serait meilleur juge?).
Les moyens de se tenir informé et de se former sont mis à disposition
par les organismes de formation, les Sociétés Savantes, les
universités, la lecture, internet etc. Chacun fait au mieux et la confiance
règne. La pierre d' achoppement est que la logique ultime de cette
hypothèse conduit à l' évaluation individuelle, non pas
par le patient bien qu'il soit de plus en plus informé, ni l'auto-évaluation (on ne peut être juge et partie) mais par une structure
extérieure (donc certifiante et sanctionnelle).
La deuxième approche, d' ailleurs non exclusive,
est planificatrice; elle consiste à privilégier la mise en place
de toutes les conditions qui faciliteront les modifications de pratiques des
médecins. Elle s'appuie
bien évidemment sur une conjonction d'intérêts entre les
formateurs (organismes professionnels, dont les Sociétés Savantes,
les universités) et les tutelles. Il s'agira donc de planifier les
actions qui constitueront la trame de formation , avec des passages plus ou
moins obligés où le praticien sera amené plus ou moins
volontairement à modifier ses pratiques. La logique ultime de cette
approche est l'obligation de formation continue avec tous les a priori sur
les avantages et inconvénients de la formation en groupe versus la
formation individuelle.
Notre hypothèse est de dire qu'il n'y a pas d'argument définitif permettant de choisir entre ces deux approches classiques phénoménologique et planificatrice. Les deux doivent être prises en compte. L' approche scientifique serait d'identifier les facteurs psychopédagogiques de changement de pratique et ensuite d'étudier leur influence dans des situations de pratique pour des populations échantillonnées. il est évident pour nombre d'experts en pédagogie médicale que le facteur le plus significatif (« relevant ») est la résolution de problèmes pratiques. Essayons donc de mettre en perspective la déclinaison méthodique de l'introduction de la résolution de problèmes dans la vie professionnelle des médecins.
Chaque Société savante doit définir
très clairement ses objectifs. Si la formation continue est un
objectif important, sinon prioritaire, la Société Savante doit
se recentrer sur le professionnel. En conséquence, elle doit être
capable de répondre aux questions
suivantes : dans quelles conditions pouvons nous affirmer que les savoirs
scientifiques que nous produisons et transmettons deviennent ou sont des recommandations
de pratiques utilisables? Notre site internet ou la revue que nous éditons
sont-ils réellement des outils de formation continue ? Dans quelles
conditions les membres de notre organisme seront-ils amenés à
changer favorablement leurs pratiques pour le bien des patients ? le
praticien responsabilisé sera t-il plus souvent et de façon
la plus pertinente confronté à des problèmes concernant
ses pratiques, à développer sa motivation à les modifier
si nécessaire, et à planifier son apprentissage? A partir de
cette approche, notre société savante peut-elle définir
de nouveaux critères de qualité en formation médicale
professionnelle comme l’ a suggéré HA Holm (53)?
Les Sociétés Savantes : « organisations
apprenantes » ? Ce cadre conceptuel s'est imposé
dans l'industrie à partir de plusieurs constats: était bien
connue l'influence tantôt favorable tantôt défavorable
de toute structure organisée sur les acquisitions individuelles de
compétence des individus qui la composent; est moins bien connu le
concept d' un hôpital, ou un organisme sanitaire qui sont des apprenants,
développant des savoirs propres, qui ne sont pas uniquement dépendants
des savoirs des professionnels qui la composent. L' enjeu est alors clair:
il faut mettre en place une communication interne et permettre l'assimilation
des savoirs individuels dans les réseaux de travail, les pratiques
, les normes. Récemment, le débat s'est instauré à propos de structures de Santé
nationales telles que le National Health Service en Grande Bretagne (54) avec
une réflexion intéressante non seulement sur l'amélioration
des pratiques et l' établissement des normes de pratique mais aussi
sur le méta-apprentissage de cette organisation (comment maximiser
sa capacité à apprendre l' amélioration des pratiques
et à repenser ses buts
et ses normes). Les Sociétés Savantes doivent devenir des organisations
apprenantes, c’est à dire passer un temps d’ évaluation
interne important pour capitaliser les bonnes expériences, réfléchir
sur celles qui le sont moins, améliorer ses procédures en les
formalisant (c’est une véritable mémoire de l’ organisation
qu’il faut mettre en place).
Quelle place pour les Sociétés Savantes
dans les réseaux internes et externes? La création
de la Fédération des Sociétés Nationales de Spécialités
Médicales témoigne de la volonté des Sociétés
Savantes de fonctionner en réseau. L’ orientation voulue par
un grand nombre de créer des Collèges Nationaux Professionnels
dans chaque spécialité est un autre pas important en termes
de fonctionnalité avec les syndicats, les collèges d’
enseignants, les groupements régionaux dans la spécialité,
tous en interface avec les autres structures préoccupées de
santé. Les contacts avec les médecins de famille sont également
porteurs d’ enrichissement réciproques. Peut-on aller plus loin ?
Un facteur grandissant de modification des pratiques va être
l'exigence de qualité des patients eux-mêmes, car ils sont de
mieux en mieux informés et réunis en associations. La grande
question qui émerge est de savoir quelle sera la participation pédagogique
des Sociétés Savantes dans l’ information des malades,
dans l’ éducation thérapeutique et dans l’ éducation
pour la Santé.
Article soumis à la Revue de
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