11 - Ethique et Psychiatrie

Coordonnateurs : M. Horassius et JJ Kress

Et le groupe de travail : C. Barthélémy, J.Bourcy, A. Danion-Grilliat, J.M. Danion, A.Gouiffes, Y.Hémery
1- Aperçu général
La psychiatrie est concernée d'une manière particulière par l'éthique parce que son objet est le psychisme, lieu central de la singularité.
Parmi les diverses racines de l'actuel mouvement bioéthique la montée de l'individualisme et de l'attention à l'autonomie sont actuellement des facteurs plus déterminant en psychiatrie que les questions posées par l'avancement des sciences.
Le sujet concerné en psychiatrie par le respect des principes éthiques est un sujet modifié par la psychopathologie et ceci de manière non univoque, ce qui accentue la nécessité du débat et parfois la hiérarchisation des principes. D'autre part la compréhension des troubles psychiques relève d'épistémologies diverses, diversité qui retentit sur la mise en forme des thérapeutiques et sur leurs implications éthiques.
La psychiatrie est depuis son origine en débat avec la justice selon des enjeux éthiques. Elle est appelée à sortir de ses attributions strictement médicales en regard de la société et de ses déviances, ce qui rétroagit sur les fondements de ses savoirs et la légitimation de ces actions. La montée actuelle des procédures évaluative et de dénombrement, est en tension avec l'attention à la singularité de la personne qui est centrale pour la psychiatrie. Cette tension comporte des enjeux éthiques.

2- Évolutions éthiques en médecine et en psychiatrie.
Au cours du dernier demi-siècle, les données de l'éthique médicale ont profondément changé, tout le monde s'accordant à reconnaître aux patients le droit de jouir de la plénitude des prérogatives inaliénables de leur citoyenneté.
La France à une tradition de « paternalisme » au niveau de la relation soignante qui est de plus en plus mise en question par l'évolution de nos sociétés qui va dans le sens d’un plus grand respect de l'individualisme et de davantage de démocratie. Sur le plan médical cela se traduit par une participation accrue de la part des patients aussi bien sur le plan individuel que sur le plan collectif. Si depuis un demi-siècle, la place réservée à la « personne » malade ne fait que grandir, c'est surtout au cours de la dernière décennie qu’ont été publiés les textes officiels les plus déterminants.
- la loi n-o 88 -- 1138 du 20 décembre 1988, réviser le 20 juillet 1994, dite loi Huriet. Sur la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales.
- la loi du 27 juin 1990 qui renforce les droits des malades hospitalisés sans consentement.
À partir de l'année 1994 toute une série de textes européens et nationaux vont insister, dans le cadre des droits des malades, sur l'importance du recueil de consentement éclairé après une information loyale, claire et appropriée.

- la loi n-o 94 022 juillet 1994 relative au respect du corps humain.
-le code de déontologie médicale de 1995.
- la charte du patient hospitalisé également de 1995.
- la Convention européenne sur les droits de l'homme et la biomédecine de 1997.
- l'arrêt de la Cour de cassation de 25 février 1997, a stimulé la réflexion du corps médical sur la question de l'information donnée en stipulant que le médecin est tenu d'une obligation particulière d'information vis-à-vis de son patient qu'il lui incombe de prouver qu'il a exécuté cette obligation.
-enfin le Projet de loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de soins, soumis actuellement au vote du parlement, se donne pour but de garantir au malade, la jouissance de la plénitude de ses droits de citoyen.

En ce qui concerne plus particulièrement la psychiatrie, très tôt à la suite de la seconde guerre mondiale, l'ensemble des soignants à été sensibilisé à la dimension éthique du soin à travers la pratique de la psychothérapie institutionnelle, qui s'appuyait sur la reconnaissance de la personne et la recherche de sa participation active. Le but était de faire advenir le « sujet » malade derrière le masque de la maladie mais, du fait des difficultés de coopération, il s'agissait le plus souvent d'une autre forme de « paternalisme éclairé". Mais c'était un premier pas essentiel vers la reconnaissance et le respect des droits des malades tel que l'exprime la Charte des usagers de la santé mentale de 1990 et le Livre blanc des usagers de la santé mentale publié par l'UNAFAM et que reprend le Plan santé mentale du Ministère de l'emploi et de la solidarité, dont le sous-titre est sans ambiguïté : « L’usager au centre d'un dispositif à rénover ".

3- Soin sans consentement
Dans le domaine sensible des « hospitalisations sous contrainte », le groupe de travail sur la psychiatrie et les droits de l'homme, subordonné au Comité Directeur européen pour la bioéthique, a publié, en 2000, un « Livre blanc », à des fins de consultations publiques en vue d’élaborer des lignes directrices à insérer dans un nouvel instrument juridique européen. La plupart des psychiatres français peuvent souscrire à la grande majorité des propositions, à part celle de prôner une séparation des consentements à l'hospitalisation et au traitement, séparation adoptée par les pays anglo-saxons mais qui allant à contre-courant des habitudes françaises, mérite examen. Le spectre de la privation de liberté externe, même justifiée pour des raisons médicales évidentes, habite toujours les esprits même les plus éclairés de notre pays. Pourtant l'expérience des Commissions Départementales des Hospitalisations Psychiatriques, créée par la loi du 27 juin 1990, nous apprend que, à part quelques cas litigieux, il n'y a pas de véritable problème de privation de liberté parmi les plus de 50 000 cas d'hospitalisation sans consentement accueillis, chaque année, par nos institutions psychiatriques. En revanche c'est au niveau de la question du respect de la dignité, dans toutes ses dimensions, des malades hospitalisés que se posent le plus problèmes. Depuis une dizaine d'années, se dégage la notion nouvelle de « démocratie sanitaire » avec la participation plus active du patient à son processus de soins et par l'intermédiaire des associations d'usagers, dont la place et le rôle ont été renforcés, un droit de regard sur la politique de santé publique du pays. Mais un tel mouvement de démocratisation à son corollaire qui est le droit mais également le devoir « d'éducation à la santé » pour chacun afin d'évoluer de l'état de consommateur passif de soins à celui de citoyen responsable.

4- Analyse et synthèse de la dimension éthique de la relation soignant-soigné en psychiatrie.
La visée du soin psychiatrique se caractérise par une attention particulière à la personne portant sur la dimension relationnelle de ce soin, même s'il est centré sur le médicament et intégré à un environnement institutionnel. Dégager la dimension éthique de cette attention à la personne amène à poser la question des objectifs du soin psychiatrique, car la restauration d'une psyché troublée ne saurait obéir au principe général de la restauration des fonctions organiques. Le soin psychiatrique prend sa dimension éthique particulière d'être une histoire qui se déroule, se construit et se parle dans la singularité.
Le psychiatre est en charge de cette orientation du soin dont il n'a pourtant pas la maîtrise. Ainsi se pose à la psychiatrie la question de la nature des normes qui guident son action et de leur sens en regard des principes éthiques.

5- Information et consentement du patient
1 - l'information

Comme en médecine somatique mais d'une manière plus accentuée, l'information des malades consiste en psychiatrie à passer d'un savoir du médecin à une vérité pour la personne et à ces effets sur son existence.
L'information est d'autre part tributaire du trouble lui-même, que ce soit au plan cognitif, affectif ou représentatif ce qui implique un travail relationnel et une élaboration étendue dans le temps. L'image négative spécifique du trouble psychiatrique dans l'opinion publique exige des précautions éthiques vis-à-vis des malades et des familles.

2 - le consentement
La psychiatrie comporte la possibilité de faire usage de la contrainte, ce qui est à l'origine d'un bouleversement de la hiérarchie des principes et nécessite pour chaque cas un débat de nature éthique.
Par ailleurs, le consentement est dépendant des aléas de l'information, mais aussi des dispositions psychiques affectant l'exercice de l'autonomie selon la nature des pathologies et leurs expressions singulières pour chaque personne. De ce fait le consentement devient processus relationnel plutôt que moment ponctuel.
Le consentement aux psychothérapies pose le problème des diverses conceptions du fonctionnement psychique qui les inspirent. Il concerne au départ bien plus le cadre que le processus thérapeutique lui-même.
La question éthique des effets des doctrines voire des idéologies de la psychiatrie sur les destins des personnes par la mise en acte des traitements serait à explorer. La psychiatrie trouvera bénéfice à être de plus en plus attentive aux conceptions, aux attentes, voire aux exigences des patients tels que les actuelles Commissions de Conciliation les recueillent.

6- Accès direct au dossier et conséquences éthiques de l'informatisation des dossiers.
En matière d'information, et notamment la possibilité donnée au patient d'accéder directement à son dossier pose de difficiles problèmes au psychiatre du fait du caractère problématique des diagnostics, de leur éventuelle répercussion psychologique et de leur conséquence pouvant aller jusqu'à une privation de liberté, plus ou moins acceptée, en cas d'hospitalisation sous contrainte. La loi, du reste, à prévu une disposition particulière pour la psychiatrie. Ce sont les Commissions Départementales des Hospitalisations Psychiatriques qui joueront le rôle d'arbitre dans les cas d'opposition entre médecin traitant et patient sur le fait de permettre à ce dernier, de disposer de l'intégralité des données le concernant..
Les nouvelles dispositions légales font du patient l'indubitable propriétaire de son dossier, puisque que les informations qu'il contient sont désormais considérées comme une extension de sa personnalité. Les précédents propriétaires le médecin ou l'établissement prennent ainsi le statut « d'hébergeurs » ou de « producteurs ». Le patient, dès lors, doit être considéré comme habilité à disposer des informations médicales le concernant, en contrôlant la diffusion et l'informatisation ou en s'y opposant. Il est toutefois très probable que, peu conscient de l'avidité des consommateurs de données-santé (PMSI, ARH, assurance-maladie, compagnies d'assurance, industrie pharmaceutique...), le patient hésitera à s'opposer à la communication numérisée de son dossier, malgré l'information qu'il recevra à ce sujet et malgré le contrôle de la CNIL sur les sites hébergeurs que vient d'instituer le parlement.

7- Les questions spécifiques de la psychiatrie de l'enfant
La pédopsychiatrie occupe une place à part entière, dans le dispositif de soins, depuis les années 70-80. La psychanalyse a longtemps été le champ théorique de référence et ce n'est que récemment que la pédopsychiatrie s’ouvre aux approches théoriques de la neurobiologie et de la psychologie cognitive, avec les risques potentiels de la perte de référence au sujet dans sa singularité, au profit du fonctionnement d'un organe, le cerveau ou de la prise en compte isolée de soins apportés à un trouble du développement ou un handicap.
Si les principes éthiques concernant la recherche de bénéfices pour le patient et le respect de sa dignité sont indéniables, la question de respect de l'autonomie de l'enfant, de la transmission de l'information et de la recherche d’un consentement posent évidemment problème: en effet, ses capacités de compréhension sont relatives dans le temps et sa dépendance tant affective que légale, donne un éclairage particulier aux notions de compréhension, autonomie et consentement, qui ne doit pas, pour autant, empêcher de reconnaître à l'enfant une place de sujet mais qui implique la prise en compte pleine et entière à la fois de l'enfant et de ses parents. Cette prise en compte conjointe de la singularité du patient /enfant et de la place qu'occupent ses parents est un des impératifs éthiques lancés aux pédopsychiatres. La médecine et la société convient de plus en plus la psychiatrie à intervenir dans d'autres champs que le sien propre, dans certains domaines de la médecine, dite de pointe, où les découverts scientifiques et l'application de technologies nouvelles ouvrent de nouvelles perspectives thérapeutiques. Notamment la pédopsychiatrie face aux questions posées par le développement de la médecine prénatale.

8- Éthique et génétique
La psychiatrie est encore marquée par les poids des idéologies héréditaires des époques précédentes ; la conjonction entre la crainte du trouble mental et la question de la transmission surdétermine les représentations du public dans ce domaine. De ce fait, une attention particulière doit porter sur la précision et les précautions à apporter à l'information, d'autant plus que les connaissances de la génétique ne sont pas encore nettement assurées, concernant la psychiatrie.
La question de la prédictivité et de la prévention, le décalage entre le savoir et le pouvoir thérapeutique, la nature interindividuelle des phénomènes de transmission, qui sont propres aux problèmes génétiques demande l'adaptation des informations et des actions à chaque situation singulière individuelle et familiale.
Enfin, la génétique attend que la psychiatrie produise des phénotypes sur lesquels elle puisse travailler, ce qui est exige une activité évaluative et de dénombrement en tension avec le respect éthique de la singularité qui lui est propre.

9- Éthique de la recherche en psychiatrie
* * *
10- conclusions
Dès la formation des psychiatres il est souhaitable que les concepts et questionnements de l’éthique soient transmis, perçus et intégrés. Une condition fondamentale de la formation concerne l'acquisition de la capacité à relativiser et à articuler la diversité des théories et des conceptions de la psychopathologie à la conduite effective des soins. Car la rencontre du patient avec le psychiatre ne se limite pas à une prestation de services orientée par des règles et des contraintes techniques, elle concerne toujours une part de révélation du sujet à lui-même. Apprendre à la susciter en s'appuyant sur les savoir des diverses conceptions du fonctionnement psychique et de ses troubles, dans le respect de l'autonomie, c'est-à-dire la liberté de la personne, devrait être l’effet le plus appréciable de la sensibilisation, des psychiatres en formation, à la réflexion éthique. Enfin la médecine française et la psychiatrie, bien sûr, vont se trouver confrontées à des évolutions éthiques, des exigences économiques et des avancées scientifiques qui vont remettre profondément en question leurs positions traditionnelles.
Le plus grand respect de l'autonomie des patients, s'il rend caduque l'attitude paternaliste précédente, ne va pas, pourtant, jusqu'à l'acceptation d’une relation médecin-malade de type contractuel selon le modèle anglo-saxon. Nous sera-t-il possible d'inventer une attitude spécifique, peut-être ce que Madame Anne Fagot Largeault appelle « paternalisme tempéré», conciliant les exigences du principe d’autonomie et du principe de bienfaisance, c'est-à-dire conciliant l’éthique médicale plutôt individuelle où le praticien demeure attentif, aussi bien aux volontés exprimées par le patient, qu’à l'éthique de santé publique, par nature collective, imposant ses exigences aux individus.
Toujours dans le cadre de l'éthique de santé publique, l'accroissement incessant des dépenses de santé oblige et va obliger, encore plus, les Etats à pratiquer des choix budgétaires, rarement favorables à la psychiatrie. Comment parler d’une promotion de l'éthique quand le nombre des soignants, surtout médicaux, subissent une réduction drastique et que le rythme de rénovation des structures de soins ne correspond pas aux besoins. De plus la politique de santé publique se réfère à une économie normative, adoptant un point de vue utilitariste se définissant en fonction du résultat, c'est-à-dire d'un optimum d'efficacité collective ou individuelle pouvant imposer, à ce titre, des mesures de prévention et des traitements limitant, de ce fait, la liberté de décisions des médecins et des citoyens. Une telle politique de santé publique s'appuie sur des procédures d'appui et de contrôle (qualité, accréditation, PMSI, références médicales opposables) qui risquent de décentrer l'action thérapeutique intersubjective vers une approche normalisée du soin en désaccord avec les exigences de singularité de la relation soignante.
Enfin l'éthique est déjà confrontée au changement de nature de la technique médicale. Celle-ci auparavant était au service de l'homme, utilisée comme moyen, simple prolongement des capacités humaines. Le problème éthique posé étant celui de son bon usage. Aujourd'hui la technique est devenue un milieu, un « technocosme », selon l'expression de Mme Suzanne Rameix, qui suit un développement autonome et incontrôlé dans une logique du « tout est possible » (clonage, brevétabilité et instrumentalisation du vivant, etc...). Le problème éthique prend une nouvelle dimension puisqu'il s'agit, maintenant, de la sauvegarde des principes de l'humanité de l'homme.


Dernière mise à jour : lundi 18 mars 2002 15:44:16 envoyer vos commentaires et suggestions