On est ainsi conduit à considérer que les modèles ne se définissent pas dans labsolu mais en fonction du niveau que lon considère comme pertinent au moment de leur application.
1 - Modèle en fonction des pathologies :
- Le modèle implique une nosographie qui définit son domaine dapplication tout en étant déterminé par les théories qui sous tendent la construction nosograhique en question.
- Le modèle se construit généralement autour dun malade ou dune maladie paradigmatique dont lélection et la définition sont liés au modèle.
2 - Modèle en fonction des types de pratiques thérapeutiques :
Les types de pratiques découpent le champ considéré en fonction des points de vue quelles adoptent et des priorités quelles déterminent.
a) lurgence : dans ce champ on parle volontiers en population et en cohorte plus quen individus et en sujets. La pratique doit rapidement déboucher sur laction qui détermine une orientation, en mettant au deuxième plan seulement ce qui relèverait plus directement de la subjectivité.
Se pose également la question de savoir quest-ce qui détermine les pratiques de lurgence : réponse à la demande sociale ou véritable théorie de la pratique référée à un modèle théorique implicite ou explicite. Sopposent ainsi les modèles qui font de la proximité ou de la rapidité de la réponse les principaux critères de valeur d'un dispositif durgence, et dautres modèles pour qui cest une véritable théorie de la crise, qui parait déterminants.
b) Cette différence de modèle est également évidente en ce qui concerne les traitements institutionnels par exemple : au delà des différentes théories sur lesquelles se fonde le traitement institutionnel, on peut toujours supposer un modèle ou cest laction sur le dehors qui est sensée modifier les fonctionnements intra-psychiques. Il sagit certes ici, dune considération tout à fait banale en matière de psychothérapie (autre notion dont la définition dépend du modèle). Ce qui fait le point important nest donc pas cela, mais lidée que sopposent ici les traitements institutionnels modélisés sur la psychothérapie, et ceux qui se fixent des objectifs dominants ou exclusifs de protection, de contenance ou de préservation, voire de pédagogie et de rééducation.
c) Dans la pratique privée, beaucoup de praticiens fonctionnent sur un modèle ou se croisent :
- un modèle nosographique
- un modèle psychanalytique
- un modèle biologique (autre terme dont la définition dépend des modèles), chimiothérapique, plus souvent dimensionnel que catégoriel.
d) Le modèle du Secteur:
Dans l'esprit de ses pionniers, le secteur s'est bâti sur la rencontre d'une volonté humaniste de sortir la psychiatrie de la misère matérielle et morale de l'asile et de son modèle totalitaire et d'une application de la théorie psychanalytique à la psychiatrie et à la psychose, le secteur recherchant une adéquation entre d'une part l'organisation des soins et d'autre part relation d'objet, fonctionnement ou transfert psychotique.
Derrière l'évidence sociale des dispositifs de secteur il y a donc une puissante armature théorique qui est sans doute plus déterminante qu'il n'est classique de le dire aujourd'hui.
d2) De la psychiatrie à la santé mentale:
Témoin de cette double référence, l'évolution du modèle du secteur au fur et à mesure que les références historiques ou psychanalytiques s'éloignent.
On risque alors d'aboutir à un modèle où le réseau implique nécessairement une desinstitutionnalisation radicale des pratiques psychiatriques dans le but de " situer clairement les pratiques psychiatriques comme autre chose qu'un nouvel opium visant à adapter le sujet aux lois qui dominent le monde actuel" ce qui "implique de passer d'une psychiatrie qui interprète à une politique de santé mentale qui transforme" comme le conclue "l'enquête sur image et réalité de la santé mentale" menée sous la direction de JL Roelandt .
En séparant la visée antiasilaire des considérations psychopathologiques qui l'accompagne dans le modèle initial du secteur, cette relecture de la santé mentale considère en somme que la maladie mentale n'est ni plus ni moins que l'effet de la psychiatrie, de la pensée psychopathologique et des dispositifs soignants.
L'officialisation de cette nouvelle orientation, qui schématise à l'extrème les notions de l'antipsychiatrie d'autrefois, conduit un grand nombre de psychiatre à considerer que le terme de santé mentale est devenu un habillage commode pour justifier l'instrumentation de la psychiatrie comme outil de régulation d'une souffrance psychique qui, déniant toute référence à une psychopathologie spécifique, est conçue uniquement comme une réaction traumatique à la crise sociale.
d3) L'Hôpital
A l'autre extrémité du spectre, la psychiatrie de secteur se heurte également à une autre butée, celle de l'hospitalocentrisme et de son modèle de référence .
L'hopital ( général ou psychiatrique) reste souvent au centre des pratiques psychiatriques : en effet l'hospitalisation constitue la question centrale qui se pose en situation d'urgence; c'est également la seule référence légale pour les soins sous contraintes; la psychiatrie lui reste d'ailleurs identifié dans les représentations des usagers et du public; c'est enfin encore et toujours le siège des administration gestionnaire du secteur, l'hôpital gérant ses propres alternatives.
D'une façon plus incidieuse, cette centralité s'exprime d'ailleurs par le contremodèle que représente encore l'hospitalisation pour un grand nombre de praticiens du secteur , le bon extra s'opposant au mauvais asile
Trois remarques en ce qui concerne cette relativité des modèles par rapport aux pratiques thérapeutiques .
1- S'il est clair que les modèles sont déterminés par les pratiques, il est également évident qu'elles influent également sur elles.
Les différences entre psychiatrie publique et privée ou celles entre psychiatrie et psychanalyse illustrent tout particulièrement ce point:
Le dispositif de psychiatrie publique est très largement déterminé par la question de la demande sociale que réalisent et métaphorisent les lois d'hospitalisation sous contrainte et la question de la dangerosité.
De son côté, la psychiatrie privée a toujours à faire avec une demande explicite, mais il ne s'agit pas pour autant toujours d'une demande d'interprétation ou d'une demande qu'il faut interpréter. A certains moments, et pour certains patients, c'est l'étayage qui va être essentiel, et un étayage qui ne passe pas par l'interprétation du transfert mais par une mise en forme supplétive. Ceci est particulièrement le cas dans des situations d'effraction ou celles qui font appel à "un espace psychique élargi"(Jeammet) comme dans les situations de crise ou de développement intense( nourrisson, adolescents).
.
2-Cette relativité pose également la question du rapport entre modèle et pratique, rapport qui oscille entre deux risques: celui d'une trop grande dissociation entre modèle théorique et pratique celle ou celui d'un excès de cohérence théoricopratique. De façon schématique s'opposent ici deux conceptions. L'une qui considère qu'il est essentiel que la pratique soit aussi proche que possible du modèle théorique, l'autre qui valorise au contraire les écarts qui se créent entre les deux, les considérant comme des signes de la créativité de l'approche. Tous les modèles ne sont pas équivalents de ce point de vue, certains supposant plus que d'autres la mise en travail de cet écart.
3-Dans tous les cas il apparaît que le modèle thérapeutique est volontiers tautologique puisquil justifie, à priori, la théorie sur laquelle il se fonde. Par ailleurs, ce qui caractérise beaucoup de psychiatres cest quils croient faire une chose et quils font (aussi ?) autre chose. On peut également considérer que les praticiens cliniciens balayent un certain nombre de modèles devant chaque cas et ceci de façon plus ou moins inconsciente. Si lon formalisait ce mouvement, on retrouverait le balayage des différents facteurs de risque ou différentes hypothèses étiologiques (Thurin). Ceci pourrait conduire à penser que laction du clinicien est en fait très construite contrairement à ce que lon pouvait penser. Dans ces conditions on pourrait considérer que lefficience accrue des pratiques tient surtout à lutilisation accrue de modèles toujours plus pertinents.
3 - Modèle en fonction des priorités choisies et des objectifs fixés :
- Importance donnée à léconomique,
- Importance des objectifs de santé publique,
- Importance des valeurs éthiques et humanistes,
- Contexte décisionnaire dans lequel se situe la réflexion sur le modèle ou les résultats attendus de son application. Sopposent ici les débats théoriques sans conséquence directe et ceux dont leffet est immédiatement celui de choix politique et économique potentiellement contraignants et limitants pour les professionnels(comme cest le cas dans les références médicales opposables par exemple).
4 - Modèle en fonction du contexte scientifique du moment :
- La séparation entre psychiatrie et neurologie pousse-t-elle la psychiatrie vers lherméneutique ?
- Quelle influence exerce le modèle des neurosciences sur les considérations psychiatriques générales et leur rapport à la logique biomédicale ?
- Quels sont les mécanismes rhétoriques dominants qui participent à la fabrication des modèles (à cet égard, rôle notamment de lexpansion métaphorique du mot) (Tremine) ?
- Le modèle ne risque-t-il pas de devenir alors une construction très idéaliste qui naurait plus que peu de rapport avec le réel ( Thurin)?
- Le neurologique est-il une meilleure garantie de la prise en compte de ce réel ? Ne relèverait-il pas lui aussi dun idéalisme herméneutique caché derrière le vaste projet dunifier les savoirs de la molécule au comportement ?
- Poser les questions comme cela ne relève-t-il pas également du modèle neuro-scientifique actuellement dominant, la référence au réel ne servant ici que dalibi formel pour poursuivre dans la voie de lidéalisme que lon prétend dénoncer ?
Ces considérations montrent en tout cas la complexité de la définition de ce quest un modèle et de la nécessité probable de le distinguer de la notion de théorie. Ceci devrait être également le cas pour la distinction à faire entre situation et contexte, tous deux déterminants pour la construction et la pertinence des modèles. Il reste que le modèle apparaît toujours comme une construction, ce qui ne doit pas, pour autant, laisser penser que tous les modèles se valent, au nom d'un relativisme absolu.
La première logique courre le risque d'ignorer des champs entiers de la psychopathologie au nom de la priorité donnée à la transmissibilité de la preuve et de son objectivation. Elle se base au fond sur l'idée que la subjectivité ne peut pas être un obstacle car si elle l'était, cela serait trop désespérant pour la recherche en psychiatrie.
La seconde logique courre le risque d'augmenter l'insularité de notre discipline ou celle de pans entiers de son champs puisque les méthodes utilisées pour la recherche sur ses objets les plus subjectifs paraît très en écart de celles exigées par la science classique qui les ramènent au statut d'heuristique littéraire ou philosophique. Ceci peut avoir le résultat paradoxal de survaloriser les approches biologiques ou épidémiologiques qui, dans cette perspective sont les seules capables de répondre aux canons méthodologiques de la science du moment.
A ce propos, deux remarques :
Plus encore que par ses choix concernant l'une ou l'autre de ces positions, la psychiatrie française se caractérise par la place importante que garde ce débat méthodologique (et sans doute idéologique) au sein de la discipline et ceci tant chez les praticiens que chez les chercheurs.
À Cette particularité peut être conçue comme une chance ou comme une faiblesse pour notre psychiatrie :
- Faiblesse dans la mesure où elle relativise la valeur donnée aux recherches standardisées en accentuant leur clivage avec ce qui constitue l'essentiel des pratiques et des réflexions de la plus grande partie des professionnels de la psychiatrie en France.
a)Modèles théoriques pour la Recherche en Psychiatrie
Ils répondent à trois modèles (Thurin) :
- Organiciste (biomédical)
- Psychanalytique
- Socioenvironnemental
b) Modèles théoriques pour la pratique clinique
1 Quatre références théoriques sont ici repérables :
- Modèle nosographique: catégoriel ou dimensionnel, il est particulièrement compatible avec le modèle de recherche biomédical organiciste; il implique une action thérapeutique construite sur la logique diagnostic-traitement ; il n'est pas absent en psychiatrie mais ne représente qu'une partie des pratiques existante y compris dans les domaines les plus médicalisés de la spécialité; il paraît en tous cas dominant dans les développement les plus proches d'une volonté de faire science , nottament ceux relevant des approches cognitifs où la critériologie est plus volontiers dimensionnelle
- Modèle phénomènologique: où entre également en compte le vécu du patient , c'est à dire l'interaction entre le sujet et son environnement tel que le sujet l'expérimente en lui même.
- Modèle psychanalytique: qui , à partir du modèle précédent , renvoie à la notion de division subjective , donnant une place majeure à la conflictualité interne
- Modèle systémique : où , toujours à partir du modèle phénomènologique, l'accent est porté sur les interactions de communication entre les sujets de la relation.
2 Trois types d'approche:
3 Deux types de transmission des données cliniques:
- Transmission "critèriologique": particulièrement adaptée aux approches objectivantes mais utilisables également par d'autres approches
- Transmission "narrative": souvent le seul recours pour transmettre ce qui relève du subjectif
4 Trois modèles thérapeutiques:
Suivant l'un ou l'autre de ces métamodèles différentes constructions intégratives ont en tous cas été proposées ; elles peuvent être regroupées en trois grandes formules :
a) l'objet commun : terme proposé par Widlocher pour évoquer ceux de ces objets de recherche qui sont susceptibles d'être commun à des dynamiques de recherches référées à des théories a priori hétérogènes ; cette formule est particulièrement applicable dans le rapport entre approche cognitif et psychanalyse
b) le modèle de la vulnérabilité: où la vulnérabilité peut conduire à la pathologie comme forme d'adaptation puis a la stabilisation sous forme de la chronicisation, des évenements biologiques ou non intervenant pour passer d'un stade à un autre ; construit en référence à la biologie et plus particulièrement à la génétique ce modèle peut être aisémment élargi à la psychopathologie , ce même modèle permettant de parler de vulnérabilité psychopathologique en prenant en compte également les événements psychiques et environnementaux.
c) Le modèle de la crise : qui insiste particulièrement sur les modalités de passage entre un état et un autre sur le modèle événement-crise-défense.
Notons que chacune de ces formules reste compatible avec la possibilité de considérer le sens individuel que peuvent prendre ces différentes séquences pour le sujet qui les vit, ceci tenant compte de son histoire personnelle et de ses problématiques individuelles. Chacune de ces formules est donc également compatible avec la contrainte de complexité liée au fait psychique dont Zarifian nous dit qu'elle ne peut être prise en compte que si l'on le considère selon les trois niveaux qu'il engage: la machine, le fonctionnement ou la performance , et le sens individuel.
Dernière mise à jour : lundi 18 mars 2002 15:44:16 envoyer vos commentaires et suggestions