le Livre Blanc

de la Fédération Française de Psychiatrie


4 - Psychiatrie et Société

- Coordonnateur : N. Horassius

Et le groupe de travail : J M Bobillo, C Bonnet, Y Halimi, S.Kannas, P.Louville, V Papadakos.

La psychiatrie a toujours entretenu des liens étroits avec la société. Dialogue permanent entre les psychiatres qui « pensent » le soin et le corps social qui a lui même ses représentations de la maladie mentale, ses besoins, ses options et qui accepte, ou non, les propositions médicales.

Au début du XIXème siècle, par exemple, les idées des médecins et les préoccupations sociales se rejoignent. Le corps médical théorisait alors un «soin par l’isolement », et, au même moment, la société se préoccupait des insensés, auxquels elle souhaitait apporter assistance, car ils étaient misérables, tout en les regroupant, car ils étaient sources de désordre sur la voie publique. « Traitement Moral et Asile » venaient de naître.

Après avoir « consolé et classifié » pendant plus de cent ans la psychiatrie, a bénéficié, à la fin du XXème siècle, de réelles possibilités thérapeutiques, et, peu à peu, des idées nouvelles sont apparues :
- La théorie du soin par l’isolement a été récusée.
- Les psychiatres ont pris en compte l’influence des conditions du milieu de vie et de la société sur l’évolution des pathologies.
- La psychiatrie, « hors les murs » depuis quelques années, est maintenant, peu à peu sollicitée, pour intervenir dans le champ vaste et imprécis de la souffrance psychique où elle est censée répondre « à tout, sur tout et tout de suite ».

Ces d’idées ont influencé le dialogue Psychiatrie et Société actuel. Nous envisagerons successivement :
1 – Le Dialogue avec la société civile (structures associatives, partenaires, droits des malades)
2 - Les Réponses de la psychiatrie à l’évolution des demandes.
3 –La Représentation et l’Image de la psychiatrie dans la société actuelle.


I – Dialogue avec la Société civile


1 - Quel rôle peuvent jouer les structures associatives ?


L’importance de la vie associative comme facteur d’intégration n’est plus à démontrer chacun de nous en a fait l’expérience. Partant de ce constat des associations se sont greffées sur des établissements psychiatriques où le malade mental, grâce aux échanges associatifs, passait d’une position de bénéficiaire à celle d’acteur participant, passait de l’assistance à la responsabilisation.

Une surface associative vivante, prenant sa source dans la vie quotidienne et, s’appuyant sur des médiations ergo-sociothérapiques diverses, a créé un véritable outil thérapeutique et constitué pour les malades un support leur permettant d’exercer de façon normale leur sociabilité.

De telles actions, à visée de santé mentale, concernent l’ensemble de la société. C’est avec d’autres, c’est avec l’ensemble de la société, que la psychiatrie doit œuvrer afin que la personne souffrant de maladie mentale puisse être acceptée. L’associatif « fabrique » ce lien social qui fait cruellement défaut aux malades mentaux. L’association peut articuler l’individu au groupe, formuler des besoins dans un espace collectif, initier les adhérents aux mécanismes d’élection et de représentation (véritable école de civisme), réaliser des projets en commun, créer des événements, des occasions de rencontre etc..

Les associations qui se donnent pour mission d’intervenir en santé mentale se distinguent des autres (culturelles, sportives...) par leur projet d’articuler psychiatrie et champ social, de réaliser des zones de passage utilisant plusieurs axes de la vie quotidienne : logement, travail, loisirs, culture etc...Ces réalisations sont le fruit de rencontres, de liens entre professionnels militants de la psychiatrie, bénévoles, familles, usagers, professionnels du logement, de l’entreprise, de la culture, etc...


2 - Les partenaires : travailleurs sociaux, patients et ex patients...


Partenariat, Réseau, Convention sont devenus les maîtres mots de notre modernité psychiatrique.

Trois facteurs ont sans doute contribué à cette évolution :

a / Les patients sont aujourd’hui suivis en ambulatoire, vivent dans leur famille ou sont accueillis dans des structures médico-sociales ou sociales. « L’offre de soins » ne peut plus être pensée « hors contexte ». La psychiatrie, dans la communauté, a dû infléchir ses modes d’intervention d’une approche totale vers une approche globale dont le souci constant doit veiller à une coordination efficace avec les autres acteurs du tissu sanitaire et social.

Dans ce mouvement la psychiatrie sort de son artificiel carcan sanitaire pour retrouver son espace naturel d’exercice. Bio-psycho-sociale dans son approche clinique et thérapeutique, notre discipline ancrée dans le « socius » a une démarche « médico-sociale ».

b/ Le passage du champ de la pathologie mentale à celui de la santé mentale ou de la souffrance psychique a créé de nouveaux espaces de sollicitation (au risque d’une médicalisation de problèmes sociaux ou existentiels). Il va s’agir par une action médiatisée d’aider les autres intervenants à trouver la « meilleure attitude ».

c/ Les contraintes économiques notamment en matière de démographie médicale sont venues renforcer la nécessité de partenariats pour faire face à cette demande inflationniste de la société civile.

A ces trois facteurs est venu s’ajouter le mouvement des usagers, force importante et nouvelle, revendiquant une place de partenaires à part entière, tant au niveau individuel dans le cadre de contrats de soins qu’ au niveau collectif dans une participation à l’élaboration des politiques de santé.

Aujourd’hui, au registre de la concertation entre professionnels échangeant sur la bonne cohabitation de leurs projets respectifs sous le primat du médical, vient peu à peu se substituer celui du partenariat impliquant un principe d’égalité des intervenants dont la complémentarité permet l’élaboration d’un projet commun que viennent alors traduire convention ou contrat.

Ces partenaires peuvent être regroupés au regard de la nature des ajustements en cinq grandes catégories :
- partenaires sanitaires
- partenaires médico-sociaux
- partenaires sociaux
- usagers
- élus.

La confrontation de plusieurs regards posés sur un même problème, regards tout aussi légitimes et tout aussi pertinents dans la parcelle de vérité que chacun détient, nous conduit à un travail sur le lien et sur le métissage des pratiques de terrain, éclairant les logiques des uns et des autres, pour dépasser les a-priori respectifs et susciter une mise en cohérence et des synergies positives entre la psychiatrie, le reste du tissu sanitaire et social et les usagers.

Mais ce travail, pour prendre tout son sens, doit faire l’objet d’un questionnement permanent sur ses enjeux, ses limites et ses risques :
- par une clarification suffisante des identités et positions professionnelles de chacun au-delà des empathies réciproques et des élations groupales fusionnelles confusionnant les logiques d’intervention ;
- la difficulté de promouvoir des réseaux vivants autres que contextuels et en équilibre instable, leur modélisation dérivant la plupart du temps sur leur bureaucratisation où l’évolution des pratiques vient se réduire à la signature d’une convention ;
- risque dans la multiplication des décideurs, institutions ou intervenants d’une incertitude sur les responsabilités de chacun;
- danger de dilution dans le social et de démédicalisation des interventions, les soins étant insidieusement délégués faute de moyens suffisants à des partenaires utilisés alors par le dispositif sanitaire comme un renfort sous qualifié ;
- enfin et surtout, au regard de la nécessaire transmission d’informations utiles à nos partenaires, un travail critique sur le secret médical, d’autant plus partagé que le réseau compte d’intervenants, alors que « l’intime est fondateur du soin en psychiatrie » (C.Barthélémy)

3 - Droits des malades

Le Code de la santé publique dans un chapitre préliminaire consacré aux Droits de la personne malade a souligné que celle-ci garde les droits fondamentaux dont elle dispose en tant que citoyen

Le droit aux soins

C’est un principe fondamental qui ne doit pas être empêché par des considérations d’ordre financier. Il suppose qu’un minimum d’équipements soit mis à disposition des patients

Liberté de choix

Le libre choix du praticien et de l’établissement de soins par le patient (bien informé) est inscrit dans la loi et constitue un principe essentiel de notre système de soins. Ce principe est en contradiction avec la sectorisation, (doit-elle prévaloir sur le libre choix ?) ou encore avec la limitation du nombre des actes pour les praticiens libéraux et même avec l’assurance maladie qui prescrit au patient de se faire soigner dans l’établissement le plus proche de son domicile.

Le droit à l’information

« Le médecin doit informer le patient en vue d’éclairer son consentement aux soins » avec comme postulat que tout homme éclairé est apte à prendre les décisions rationnelles, y compris dans le domaine de sa propre santé. Notre expérience de médecin nous a appris qu’il n’en était pas toujours ainsi.
Ce droit à l’information passe aussi par l’accès direct du patient à son dossier. Accès qu’il convient d’accompagner avec précautions, notre société n’est pas seulement composée d’individus forts, au caractère trempé, capables de tout assumer, de tout entendre, de tout endurer du fait de révélations faites à eux-mêmes ou à d’autres.

Le droit au consentement

Le droit d’accepter ou de refuser les soins proposés doit être libre, éclairé et renouvelé pour tout acte médical ultérieur. Nous sommes là dans l’opposition entre le caractère tranché du juridique et toutes les nuances intermédiaires que nous rencontrons en clinique.

Le droit à la liberté.

Hospitaliser une personne sans son consentement est une disposition dérogatoire en regard du droit commun. La loi du 27 juin 1990 attribue (comme en 1838) ce pouvoir de privation de liberté à l’autorité administrative, qui en décide, après avis médical, et charge les Commissions Départementales des Hospitalisations Psychiatriques de veiller au respect de la liberté et de la dignité des personnes hospitalisées sous contrainte. Divers projets évoquent la possibilité de soins sans consentement dissociés de l’hospitalisation sans consentement.

Le droit de ne pas souffrir

Le code de la santé consacre le droit de ne pas souffrir chaque fois que cela est possible. Certes, il est fait référence plus à la douleur physique qu’à la souffrance psychique mais l’ANAES met sur le même plan ces deux notions dans son manuel d’accréditation. Ce droit suppose de pouvoir bénéficier des soins appropriés, et renvoie au consentement aux soins quand cette souffrance même empêche le patient de consentir.

Le droit à la sécurité et à la qualité des soins

Les patients revendiquent davantage de sécurité et de qualité. Le risque est alors de s’en tenir à des aspects sécuritaires : penser d’abord en termes de prévention des incendies, des infections nosocomiales au détriment parfois de la qualité relationnelle et de l’alliance thérapeutique

Le droit à un choix de vie différent

Les mœurs sociales ont beaucoup évolué, notamment depuis que nos sociétés industrielles ont accepté la « libération sexuelle ». Certains choisissent de vivre différemment et ne suivent pas les modèles que nous avait légué la tradition.
Les configurations parentales en ont été profondément modifiées. La famille « classique » laisse de plus en plus la place à des familles éclatées, dispersées, monoparentales.
Des homosexuels formulent des demandes d’adoption.
Des transsexuels, refusant d’accepter le sexe qui leur a été donné à la naissance, demandent des interventions chirurgicales de castration ou de greffe .
La psychiatrie est alors interrogée pour donner son avis, parfois sous forme expertale. A-t-elle légitimité scientifique pour le faire ?


II - PSYCHIATRIE ET SOCIETE


1) Les demandes s’accroissent depuis le début des années 1990 dans le domaine de la psychiatrie comme de la santé mentale, de 3 à 5% par an environ : dans le dispositif public sectorisé et les urgences, dans le secteur privé associatif ou lucratif et le réseau ambulatoire libéral. Compte tenu du déclin du nombre des psychiatres cette augmentation tend, à saturer progressivement toute l’offre.
2) L’accroissement constaté émane aussi bien des clients individuels et de leurs familles que du réseau primaire sanitaire : généralistes, ou non sanitaire : champ social, éducatif, judiciaire, et plus généralement des agents de contrôle social, ainsi que du politique.
3) Les demandes s’expriment dans des contextes spatio-temporels très diversifiés et pour des clientèles ciblées : urgences, exclus, victimes, détenus, personnes âgées, etc., en dehors du « lit »ou de la « consultation » programmée classiques.
4) Elles apparaissent davantage sous une forme bruyante, aiguë, de « crise », selon une clinique volatile, labile et incertaine par rapport aux repères classiques et traduisent la prévalence de l’immédiateté , du passage à l’acte, de l’agir sur le dire, au détriment de la parole et du lien..
5) L’intrication constante entre une clinique de la personne et les relations de celle-ci avec son environnement laisse beaucoup de professionnels sans outils véritables pour conceptualiser une clinique à la fois psychologique et psychosociale ainsi que l’intervention qui en découle. Ceci augmente alors la tentation et le risque d’en dénier l’opportunité et de se « replier » sur des pathologies plus facilement accessibles aux outils classiques.
6) Cet accroissement des demandes paraît correspondre à un changement global des représentations du psychiatre et de la psychiatrie dans et par l’ensemble du corps social, qui amplifie la reconnaissance du fait mental et de ses avatars.
Dans la très grande majorité des cas, pour ne pas dire la totalité, les situations concernées correspondent à des troubles mentaux correspondants aux critères communément admis (DSM,CIM). En effet, la nosographie moderne, tend à intégrer des situations de souffrance de plus en plus nombreuses. L’idée selon laquelle l’augmentation serait liée exclusivement à une dilution sociale excessive de la réponse, niant le fait psychopathologique, ou en dehors du champ de la psychiatrie, ne paraît donc pas très fondée.
7) Pour autant, l’évolution constatée expose la psychiatrie et les psychiatres à des défis/débats de différente nature. Ils sont éthiques : il existe bel et bien un périmètre d’inclusion et d’exclusion, sauf à être de mauvaise foi. Mais alors, où et comment le situer ?
Bien souvent, la définition du périmètre dépend davantage de l'idéologie de l'observateur et de son savoir-faire, c'est à dire de sa capacité à s'utiliser dans une situation donnée (influencée par les qualités personnelles et le type de formation reçue) que de la nature de celle-ci.
Ils sont également cliniques : sur quels critères enrichir ou limiter les présentations cliniques actuelles et notre nosographie ?
Il s’agit enfin de débats organisationnels ou de posture.
- Si en effet la psychiatrie se replie ou se referme sur le pré carré des représentations classiques des pathologies, elle risque de se marginaliser singulièrement par un psychologisme ou un organicisme inadéquats, et ne sera interpellée que pour des problèmes psychiatriques ou des maladies extrêmement graves.
- Ou bien, et c’est aussi ce qu’on observe, elle sera harcelée par des professionnels extérieurs à la psychiatrie qui surenchériront sur le degré de psychiatrisation de la situation pour mieux faire admettre leur client ainsi pris en otage dans ce bras de fer .
- A l’opposé, si la psychiatrie s’ouvre davantage, comme on le lui demande ou comme elle y est parfois tenue, elle pourra limiter le périmètre d’inclusion ou d’exclusion de ses interventions, avec une légitimité reconnue, si elle est en même temps extrêmement présente sur la frontière avec les demandes sociales, pour mieux se différencier d’elles, mais bien sûr peut-être au risque de s’y engloutir. Cela suppose, que la psychiatrie pourra « tenir bon» sur cette frontière, ni « princesse lointaine » ni « bonne à tout faire » de toutes les ruptures du lien social. Ce travail, et c’est sa principale difficulté, doit s’effectuer conjointement au sein de la profession, et entre la profession et ses multiples interlocuteurs.

III – Image et représentation de la psychiatrie dans la société contemporaine


Pléthore informative et immédiateté de l'image et de l'information caractérisent notre société.
Les espérances suscitées à juste titre – sur le plan thérapeutique – par le savoir scientifique et technique largement médiatisé et le pouvoir idéalisé de la médecine, multiplient et potentialisent les attentes et les demandes individuelles et/ou collectives à l'égard du soin psychiatrique. Comme si nous offrions symboliquement une promesse thérapeutique.
La médiatisation du savoir thérapeutique – au sens large du terme – et la "médiatisation" du trouble mental induisent un effet positif, à savoir une moindre stigmatisation de la maladie. En même temps, le tribut à payer est un certain risque d'idéalisation du soin. Avec le risque de grilles de lectures rapides et simplifiées du psychisme. Il est par exemple plus aisé de pointer un symptôme et l'utilité d'un traitement médicamenteux spécifique que de procéder à une approche psychopathologique.
Si d'un côté, la maladie mentale tend à se banaliser, au bon sens du terme, de l'autre côté la psychiatrie et le soin psychiatrique tendent à une perte de leur spécificité. Il existe une attente sociale à l'égard de la psychiatrie afin que celle-ci "soigne" les comportements désadaptés sans distinction claire entre anormalité du point de vue social, comportemental ou légal, et trouble psychiatrique, ou encore souffrance existentielle du lien social.
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La place de l'individu dans la société « post moderne » change par rapport au groupe et à la collectivité, ainsi que la manière dont les besoins et les obligations sont perçus vis-à-vis de soi et des autres. L'impératif actuel est celui du bien-être et du désir à réaliser dans une perspective individualiste et celui d'un fonctionnement sans faille dans l'image à offrir aux autres. Glissé entre le normal et le pathologique, le soin psychologique peut apparaître comme la promesse thérapeutique de combler les failles narcissiques et d’atteindre à un idéal d'équilibre optimal.
Cette image idéalisée du soin à consommation rapide correspond à celle d'un fonctionnement psychique dont le psychiatre est le "réparateur".


Rapporteur : Nicole Horassius



Dernière mise à jour : mercredi 20 mars 2002 10:53:48

Dr Jean-Michel Thurin