le Livre Blanc

de la Fédération Française de Psychiatrie


5 – Place et spécificité de la Psychiatrie au sein de la Médecine

- coordinateurs : Silla M. Consoli et Michel Lacour

Et les membres du groupe : BENZAKEN Catherine, CHARMASSON Christiane, CUEGNIET Gérald, DAOUD Véronique, EPELBAUM Catherine, LEJOYEUX Michel, MARIE-CARDINE Michel, MORON Pierre, ROUSSET Hugues,THURIN Jean-Michel

Le retour de la psychiatrie dans le champ de la médecine lui fait-il perdre ou retrouver son identité ?

La psychiatrie française émerge au temps de Pinel, s'est fait doucement pousser en dehors de l'Hôpital Général au début du 19ème siècle, en même temps que la religion, pour laisser la place à une Médecine en recherche de l'objectivation de la maladie.
En 1968, après les réflexions du Livre Blanc, la Psychiatre se décolonise de la Neurologie, les verrous malthusiens de la formation sautent, la psychiatrie décide de rentrer dans la Médecine et le secteur à l'Hôpital Général. A l'AP-HP, les quartiers d'agités gérés par un attaché épisodique se transformeront en Service Universitaire, dans le cadre de la création de nouvelles facultés. Le mouvement est simultané dans l'hexagone et les TOM.
C'est à des pionniers comme Brisset à l'Hôpital Rothschild que l'on doit les premières consultations psycho-somatiques où les références à Balint et à la psychanalyse sont bien sûr présentes. Actuellement, 1/3 des secteurs de psychiatrie adulte et 50 % des secteurs psychiatriques infanto-juvéniles sont rattachés aux Hôpitaux Généraux, les conventions s'étendent avec les ex CHS pour la Psychiatrie de Liaison et les Urgences.
L’implantation de services psychiatriques de secteur à l’hôpital général, été rendue possible grâce à la ténacité de certains psychiatres, mais aussi grâce aux progrès de la biologie. L’image de la psychiatrie, des patients psychiatriques et des psychiatres a changé. Le champ ouvert par les théories psychosomatiques a suscité intérêt et curiosité chez les somaticiens et leurs équipes, confrontés, désarmés face à la souffrance psychique de certains patients, au moment où les progrès et le développement de la médecine se font vers plus de technicité. Facilitée par ce double mouvement et le travail de réflexion qui s’en est suivi, la pratique de la psychiatrie de liaison, a pris une place grandissante à l’hôpital général. Il ne s’agit pas de parfaire l’objet du médecin avec une investigation de plus. Il ne s’agit pas de psychologiser la médecine, pas plus de somatiser la psychiatrie, mais de travailler sous le regard des autres, d’articuler notre savoir à celui des autres.

La psychiatrie de liaison : fruit ou élément moteur de ces retrouvailles ?

La psychiatrie de liaison est une activité, exercée par des professionnels experts dans le domaine de la souffrance psychique et de la santé mentale, destinée à répondre aussi bien aux besoins des patients hospitalisés ou suivis dans les services de médecine, chirurgie, obstétrique (MCO) d'un même hôpital général, qu’à ceux de leur entourage ou des soignants qui en ont la charge.
Ce rapprochement de la médecine et de la psychiatrie qui s’incarne dans la psychiatrie de liaison, mais ne s’y résume pas, pratique, plutôt que discipline, s’illustre surtout dans des collaborations cliniques centrées autour du patient, aussi adressée aux équipes soignantes. Les destinataires de l'intervention psychiatrique sont en effet tout autant le personnel soignant des services de médecine ou de chirurgie que les patients eux-mêmes, la transmission d'un savoir et d'un savoir-faire censés permettre à tous les non-spécialistes d'assurer, par leurs propres moyens, une prise en charge globale optimale de leurs patients, restent à la base de l'activité psychiatrique dite de liaison et la différencie de la simple consultation conçue comme un examen complémentaire parmi d'autres.
Il s'agit, là, d'opérer un véritable transfert de compétences ou plutôt une sensibilisation des médecins et des équipes soignantes au fait psychique, une formation à la dimension psychique qui permettra que nos interventions se déroulent dans de bonnes conditions.
Cette pratique requiert savoir faire et estime réciproque de ceux qui ont à collaborer, même si, ne nous le cachons pas, elle reste encore tributaire de l’intérêt des confrères pour notre discipline et de l’intérêt des psychiatres à ouvrir le champ de leur pratique. Sa place et son utilité sont toujours à reprendre. Elle gagnerait en reconnaissance dans une véritable figurabilité comptable et administrative qui faciliterait et permettrait d’étendre ces expériences, très exigeantes et coûteuses en termes de moyens.

L'avenir et les embûches au développement de la psychiatrie de liaison

Il existe, à l'heure actuelle en France, une grande disparité des moyens, des organisations et de la visibilité des structures chargées de la psychiatrie de liaison, d'un établissement à un autre. L'insuffisance et la dispersion des moyens dédiés à la psychiatrie de liaison, entre la structure psychiatrique de l'établissement et plusieurs services MCO, ont pour conséquences le risque de redondance et l'absence de coordination entre les intervenants, la discontinuité d'une présence concrète auprès des patients et des équipes, la non stabilité des moyens ciblés sur la psychiatrie de liaison, à la discrétion des chefs de service et des contraintes organisationnelles de chaque service MCO, la non mobilité, au fil des ans, des intervenants au sein d'un même établissement, l'entrave aux possibilités d'échange, de théorisation et de productions scientifiques communes. Malgré un certain frémissement récent, il faut bien reconnaître qu'il n'existe pas pour l'instant de véritable politique générale concernant ce type d'activité, ni au niveau de bon nombre d'établissements, ni au niveau des Schémas Régionaux d'Organisation des Soins, ni au niveau d'une politique générale de santé..
Nous ne disposons pas non plus de véritables études médico-économiques sur l'intérêt de la psychiatrie de liaison, mettant en balance les bénéfices pour les patients et les soignants et les coûts hospitaliers, voire le coût global social correspondants (surmortalité induite par exemple par les co-morbidités psychiatriques sur des pathologies somatiques associées).
Le manque de temps et l'insuffisance des moyens réduisent souvent les interventions des psychiatres de liaison au strict minimum, c'est à dire à une simple consultation , à un avis ou à une prescription, cette activité trop souvent encore considérée comme accessoire s'ajoutant aux missions traditionnelles des secteurs psychiatriques.

Psychiatrie, sciences et neuro-sciences

Il était encore de bon ton il y a quelques années de considérer que la psychiatrie était une discipline spécifique qui ne relevait pas du cadre général de la médecine, en particulier pour la recherche. Champ de la complexité, de la singularité et de la relation, elle se situait aux antipodes de la perspective objectivante et réductrice dans laquelle se déploie la médecine.
Cette position paraît aujourd’hui extraordinairement rétrograde pour différentes raisons qui tiennent à la fois à l’organisation des soins et à l’évolution des connaissances scientifiques.
Au niveau scientifique, la distinction entre troubles mentaux et du comportement et maladies « physiques » apparaît de plus en plus comme le reste d’un dualisme esprit –corps dépassé. Les uns comme les autres sont le résultat d’une interaction complexe entre facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. Non seulement les troubles somatiques et psychiques coexistent dans une proportion impressionnante, mais ils s’influencent mutuellement. Ainsi, le « psychosomatique » considéré pendant une période comme le lot des maladies imaginaires, guéries par des moyens tout aussi imaginaires, devient le socle concret d’une biologie intégrée de l’organisme ouverte sur l’environnement . La distinction même d’un déterminisme génétique et psycho environnemental devient tout à fait artificielle, sans doute encore davantage pour ce qui concerne le mental, puisque l’on sait que non seulement les organisations neuronales se construisent en relation avec l’environnement, mais qu’elles conservent une certaine plasticité durant toute la vie. Anxiété et dépression déclenchent une cascade d’altérations des fonctions endocrinienne et immunitaire et accentuent la prédisposition à toute une série de maladies physiques. Des médicaments “psychotropes“ ont des effets sur l’immunité, et réciproquement les médiateurs de l’immunité interviennent sur les neuromédiateurs, etc.

Des équipes mobiles en hôpital général rattachées à un secteur de psychiatrie ou à un établissement psychiatrique

Les populations concernées par la psychiatrie de liaison et celles qui sont suivies par les équipes de secteur ne se superposent pas même s'il existe des zones de recouvrement. La plupart du temps, il ne s'agit pas de personnes souffrant de troubles mentaux caractérisés mais de patients présentant des troubles de l'adaptation à l'occasion de leur hospitalisation et en réaction à une affection somatique plus ou moins invalidante, plus ou moins douloureuse à vivre. D'autre part, ces patients ne fréquentent pas spontanément nos lieux d'exercice habituels. Peu d'entre eux nécessitent une hospitalisation en milieu psychiatrique et ils consultent rarement s'ils n'ont pas été diagnostiqués ou s'ils n'ont pas bénéficié d'une écoute ou d'un soutien psychologique pendant leur séjour hospitalier. Ce soutien n'est d'ailleurs possible que si leur médecin habituel est lui-même convaincu de son utilité.
La mise en oeuvre de certaines unités de liaison émanant d'une structure sectorielle ou intersectorielle s'inscrit dans la logique des recommandations ministérielles successives depuis le rapport Massé de 1992.
Si les pratiques de psychiatrie dite de liaison ne sont pas récentes, c'est l'irruption du sida au début des années 80 et le désarroi qu'il a suscité chez patients et soignants qui a relancé la réflexion sur une alliance nécessaire entre somaticiens et psychiatres. C'est dans ce contexte qu'ont été élaborées des recommandations visant à des collaborations nouvelles: programmation triennale des actions de lutte contre le sida (1990), mise en place d'antennes mobiles (rapport Masse en 1992), développement de la psychiatrie de liaison (rapport Charmasson en 1995) jusqu'à l'officialisation de ces recommandations par la circulaire DGS/DH du 5 août 1996.
Le projet de circulaire DH/EO4/DGS/SP3/98 relative à l'évolution du dispositif de soins en psychiatrie va dans ce sens et fait de la psychiatrie de liaison une des priorités de l'évolution du dispositif sectoriel et, de la promotion de l'intersectorialité, "un principe à mettre en oeuvre lorsque l'expression de la demande transcende les limites des secteurs".

Des services de médecine ou de chirurgie en CHS, dédiés à la prise en charge somatique des patients psychiatriques

Précieux lorsqu'ils existent, car ils offrent aux malades mentaux les plus reclus ou exclus du système, une véritable égalité dans l'accès aux soins du corps, ces services verront leur spécificité d’action de plus en plus réduite avec l’intégration progressive des services de psychiatrie à l’hôpital général.
L'essor de la psychiatrie de liaison, par les collaborations qu’elle peut permettre notamment avec les équipes de psychiatrie de secteur ouvre également, en retour, au patient psychotique la possibilité d’un accompagnement de qualité lorsqu’il est atteint d’une pathologie organique. Cela est redevable tout particulièrement aux infirmiers formés en psychiatrie, investis d'une mission transversale, au service des malades mais aussi et surtout de leurs collègue des structures médicales. Leur formation, l’expérience clinique précieuse apportée par la pratique du secteur se constituent en un savoir faire qui trouve légitimement sa place dans le souci, évident aujourd'hui pour tout soignant, d’une prise en compte du patient dans sa dimension psychique et sociale.

Consultations multidisciplinaires consécutives ou conjointes somaticien -psychiatre

Rares et extrêmement chronophages en termes de temps de consultation et de travail de coordination, ces consultations multidisciplinaires ne peuvent donc être destinées qu’à une minorité de patients. Elles permettent une "double écoute", en particulier pour les cas cliniques complexes. Elles sont utiles en particulier pour des symptômes ou des maladies pour lesquelles une double identification, médicale et psychologique, permet d'éviter les pièges des relations médecin-malade exclusives, tels que les expressions psychiatriques d'une affection organique, les syndromes douloureux chroniques, le retentissement inhabituel de facteurs psychologiques sur une affection organique, ou l'expression très "somatisée" d'un trouble psychologique ou encore les symptômes dits "médicalement inexpliqués", dont les derniers avatars sont le syndrome de fatigue chronique et la fibromyalgie, à l'origine d'impasses où les enjeux relationnels et les conséquences familiales et professionnelles sont déterminantes.
Ces consultations préservent l'unité de temps et de lieu, ainsi que l'unité d'action, permettant le passage d'une demande purement somatique à l'élaboration d'une demande d'aide psychologique. Outre leur intérêt diagnostique et thérapeutique, elles comportent une valeur pédagogique réciproque pour chaque intervenant.
Un tel travail multidisciplinaire est particulièrement pertinent chez l'enfant et l'adolescent, ou il est bien souvent totalement artificiel de dissocier expression corporelle et expression psychique (troubles du comportement alimentaire et obésité du jeune, troubles du sommeil, conduites de dépendance, troubles neuro-comportementaux liés à une infirmité motrice cérébrale ou à une anomalie génétique.

Avancées médicales et doutes métaphysiques : le psychiatre interpellé en tant qu'expert plus qu'au titre de soignant

Le milieu hospitalier confronte la psychiatrie à des pratiques émergentes, à la fois troublantes et porteuses pour la création de liens entre psychiatres et médecins (consultations de dépistage génétique, électro-stimulation dans le Parkinson, greffes d'organes, pose d'un défibrillateur implantable prévenant la mort subite, effets iatrogènes de l’immunothérapie, pose d'un anneau de gastroplastie pour traiter l'obésité morbide, etc.).
Même si ces situations restent exceptionnelles et fascinent autant le psychiatre que le médecin apprenti-sorcier ou le grand public, elles sont exemplaires d'une évolutions des demandes faites au psychiatre, gardien de la liberté de l'esprit et en même temps conscience morale d'une société, ivre comme Icare, de ses réussites médicales sans bornes.

Les usages possibles et les limites du recours à des instruments de dépistage psychiatrique en médecine, confiés à des médecins et/ou à des infirmiers

Les instruments de dépistage psychiatrique en médecine (auto-questionnaires ou hétéro-questionnaires) sont notablement sous-utilisés actuellement. Leur maniement est pourtant simple, on le sait. Les avis sont partagé sur les avantages et inconvénients de leur emploi en première ligne par des non spécialistes, certains les considérant comme un recours fiable et économique, alors que d'autres craignent qu'ils ne donnent lieu à une double dérive : réification de la santé psychique d'une part, autonomisation abusive du monde médical à l'égadr du partenariat psychiatrique, d'autre part. Ce qui est certain, c'est que les troubles mentaux, et en particulier la dépression, continuent à être largement sous-estimés en médecine, pour le plus grand dam des patients, pisque l'on sait aujourd'hui qu'une co-morbidité psychiatrique multiplie par deux à quatre la mortalité liée à l'affection médicale sous-jacente.
Par ailleurs, on ne sait pas encore bien quoi et comment évaluer des patients se présentant avec des symptômes «somatiques » dits "médicalement inexpliqués".

La formation, en France, à la psychologie médicale

La réforme récente du 2ème cycle des études médicales souligne l’importance de la prise en charge des aspects psychologiques des différentes pathologies somatiques. La psychologie médicale doit rester un domaine d’enseignement privilégié dévolu aux psychiatres et destiné à tout futur médecin, sans exception. Son enseignement a été instauré dans les Facultés de médecine en 1962. La récente réforme du premier cycle des études médicales qui a introduit dans le programme de la première année, un module de sciences humaines et sociales , permet dans certaines Facultés d'en augmenter un peu le nombre d'heures qui demeure, en général très réduit.
La Psychologie médicale n'est pas une spécialité médicale mais plutôt un mode d'approche de l'exercice de la médecine qui vise à prendre en charge globalement la personne du malade.
Dans certaines Facultés on a pu instaurer un enseignement optionnel supplémentaire, ouvert aux étudiants du deuxième cycle et créer des Diplômes universitaires ouverts aux étudiants de troisième cycle et aux praticiens qui veulent y poursuivre leur formation continue.
La société de Psychologie Médicale et de Psychiatrie de Liaison de Langue française contribue aussi par ses travaux, ses colloques et les autres manifestations qu'elle organise ou auxquelles elle participe, à favoriser cet enseignement. Par le dialogue et les recherches communes qu'elle cherche à promouvoir dans les différents milieux médicaux , elle joue un rôle indispensable le monde médical .

Le secteur libéral et les patients mixtes

Les généralistes n'ont pas attendu que médecine et psychiatrie communiquent mieux pour se colleter des patients psychiatriques ou mixtes (prise en charge des schizophrènes, réseaux toxicomanie, VIH hépatite C, etc.). Les psychiatres, eux, restent toujours mal-à-l'aise pour suivre des patients malades physiquement, et leur formation à une meilleure connaissance des interactions somato-psychiques et à un maniement plus adroit de la relation avec de tels malades, sachant qu'avec le vieillissement de la population, un patient psychiatrique sur deux présente un problème de santé physique, sera sans doute un des grands enjeux de la formation médicale continue, de même qu'il n'y a plus de formations continues de généralistes ou de spécialistes qui ne passent pas, de manière obligée, par l'apprentissage d'une meilleure communication avec le malade, une réflexion sur l'observance, la qualité de vie, la motivation à changer, etc...

Un équilibre subtile entre aider à penser et aider à faire face

Le développement des contacts entre psychiatrie et médecine, notamment à l'hôpital général, a sans doute contribué également à chercher un équilibre subtile entre recherche du sens et souci pragmatique, individualisation des démarches et des objectifs et rentabilisation des moyens et du temps disponible, déploiement mais aussi aménagements de thérapies d’inspiration psychanalytique destinées à des patients médicaux et recours, souvent d'ailleurs en groupe, aux Techniques Cognitivo-Comportementales. Bien que la psychiatrie, notamment celle du secteur, ait depuis déjà quelques décennies montré la nécessaire complémentarité des approches médico-sociales, voire éducatives et judiciaires en matière de santé mentale, le champ médical a été malgré tout en avance sur la psychiatrie dans le développement de réseaux de soins pluridisciplinaires et l'invite faite au milieu associatif et à la société civile pour définir les priorités, les droits des usagers, rendre possibles des contre-pouvoirs et ériger des garde-fous, grâce à la présence vigilante des associations de malades ou de leurs familles.

Rapporteurs Silla Consoli et Michel Lacour



Dernière mise à jour : mercredi 20 mars 2002 13:46:41

Dr Jean-Michel Thurin