le Livre Blanc

de la Fédération Française de Psychiatrie


6 – Recherche en psychiatrie

- Coordonnateurs : Ph Mazet et JM Thurin

Et le groupe de travail : P. Ageneau, R. de Beaurepaire, S. Consoli, M. Falk-Vairant, S. Friedman, V. Kovess, C. Spadone, M. Thurin, C. Trichard

- Avant propos


La recherche planifiée en psychiatrie se trouve aujourd’hui au centre d’une mobilisation et d’enjeux importants qui vont peser largement sur l’avenir de la spécialité. Ils tiennent au moins à trois raisons :

- 1. l’agenda scientifique a placé la connaissance de l’esprit comme la nouvelle conquête à l’ordre du jour du XXIème siècle, après celle du génome [1] ; elle concerne de fait l’ensemble des neurosciences dans lesquelles la psychiatrie est désormais intégrée par les uns et ignorée par les autres [2] . Le choix propre de notre discipline par rapport à cette alternative est évidemment essentiel.

- 2. la psychiatrie sortie de ses murs apparaît comme un problème de santé publique de toute première importance, et même majeur si on le situe dans le cadre de l’ensemble des morbidités (cf. rapport OMS 2001) ; cette situation s’exprime non seulement en termes de prévalence des troubles mentaux et de l’invalidité directe qui leur est associée, mais aussi de comorbidité somatique dans un contexte de renforcement du stress et de vieillissement de la population dans les décennies à venir. Cela a plusieurs conséquences : d’une part, la question des coûts prend une nouvelle acuité ; d’autre part, la psychiatrie émerge d’une sorte d’extra territorialité par rapport au champ médical et social, dans lequel elle se trouve désormais directement impliquée. Les questions concernant les soins proprement dits d’affections déclarées se trouvent ainsi complétées par celles de leur dépistage précoce, de l’organisation des soins dans le cadre de l’ensemble du système médico-social, des actions de prévention primaire, secondaire et tertiaire [3].

- 3. les connaissances scientifiques actuelles, impliquant de façon conjointe et interactive les facteurs génétiques, neurophysiologiques, d’environnement psychosocial et psychologiques dans une biologie dynamique de l’esprit qui dépasse largement les limites de l’organisme, offrent la possibilité d’aller au delà d’une coupure entre théorie et pratique et de mettre en place une véritable approche pluridisciplinaire .

Cette perspective n’est pas véritablement révolutionnaire pour la psychiatrie qui a introduit depuis son origine la dimension psychosomatosociale dans son approche théorique des troubles et dans celle de leur prise en charge. Elle n’en pose pas moins de délicats problèmes d’articulation entre la perspective clinique interindividuelle, celle des neurosciences, ainsi que celle de la santé publique dans son double registre épidémiologique et de planification des soins. Cette difficulté s’exprime à différents niveaux.
- D’une part, à propos de la place que doit occuper la psychiatrie – et les psychiatres cliniciens – dans le dispositif de recherche. Disons le clairement, cette place semble aujourd’hui lui être quelquefois contestée. On a pu voir comment le rêve d’une découverte neurobiologique réglant de façon globale le problème de la psychiatrie a pu avoir des implications négatives en terme de politique de recherche pendant des décennies. Une autre erreur potentielle, qui se dessine aujourd’hui, serait de croire que la question de la souffrance psychique et de son émergence sous forme de pathologie déclarée peut être traitée essentiellement par des mesures de réduction des risques et de planification des soins.
- D’autre part, chez les psychiatres eux-mêmes qui ressentent douloureusement l’écart qu’il peut y avoir entre certaines conceptions, travaux de recherche et la réalité clinique qu’ils appréhendent quotidiennement.
Il est aujourd’hui décisif de promouvoir une nouvelle orientation. Celle-ci devra pouvoir à la fois utiliser pleinement les compétences aux différents niveaux, mais aussi situer comment les différentes actions peuvent s’intégrer dans un cadre conceptuel partagé. Autrement dit, il s’agit de concevoir comment répartir les tâches et d’organiser les interfaces, plutôt que de mettre en concurrence et quelque fois en opposition différentes approches qui ont chacune leur spécificité et leur nécessité.

Ce chapitre s’adresse ainsi évidemment aux autorité compétentes (Ministères, Inserm, ...) susceptibles de débloquer une situation dont presque tout le monde s’accorde à considérer qu’elle n’est pas satisfaisante alors que des propositions précises ont été faites à maintes reprises [4] . S’il fallait les résumer en trois phrases, elle seraient : 1) la recherche clinique et fondamentale en psychiatrie implique nécessairement la participation directe des psychiatres cliniciens ; 2) ceux-ci doivent pouvoir s’appuyer sur une infra-structure de proximité de mise en forme et d’accompagnement des recherches, animée par des professionnels dédiés à cette tâche ; 3) l’étendue et la complexité de l’objet clinique impliquent nécessairement un investissement important et organisé sous la forme de réseaux de recherche multicentriques autour des thèmes émergents.

Il s’adresse aussi à la communauté professionnelle dont la place particulière dans l’animation et le développement de la recherche clinique, mais aussi fondamentale, apparaît clairement, mais qui a peut-être sous estimé le travail qu’elle a à faire pour s’inscrire à la mesure de ses potentialités dans l’espace ouvert qui définit celui de la psychiatrie aujourd’hui .

- Le psychiatre, qui a le rare privilège d’atteindre et de partager ce que la personne a de plus personnel, a la possibilité de suivre précisément les processus psychiques, souvent en interaction, qui accompagnent le déclenchement d’un symptôme, quelque fois d’un passage à l’acte. Du fait de sa position clinique dans la durée, il est amené en permanence à élaborer des hypothèses et à observer les facteurs dynamiques de changement, qu’ils contribuent à la santé ou qu’ils engendrent une souffrance psychique, des troubles patents, voire l’évolution vers une pathologie.
Tout cela constitue l’objet même de la psychopathologique et le cœur de la recherche clinique [5].
- Le psychiatre est aussi concerné pour concevoir les actions de prévention et d’éducation qui découlent assez naturellement de la connaissance des trajectoires ratées et rattrapées qui sont son lot quotidien, et évidemment pour suivre précisément les actions thérapeutiques, depuis le diagnostic jusqu’à l’évaluation des résultats.
- Enfin, il a la capacité de mettre en relation et d’intégrer des connaissances émanant de différents champs scientifiques pour constituer son objet scientifique.

Cela ne signifie pas pour autant que le psychiatre puisse répondre seul aux questions à résoudre aujourd’hui la recherche en psychiatrie, y compris dans le domaine clinique.
La recherche en psychiatrie, du fait même de la nature de son objet est et sera nécessairement pluridisciplinaire et interdisciplinaire. D’abord, parce que ses interventions, faut-il le rappeler, dépendent de l’organisation du système de soins dans lequel elles se développent. Ensuite, parce que beaucoup de ses actions trouvent un prolongement dans l’intervention organisée des différents acteurs de l’environnement, du plus jeune âge à la fin de la vie de la personne. Ces interventions concernent particulièrement la famille, mais aussi les milieux de l’éducation, du médico-social et les autres disciplines médicales. Enfin, parce que la connaissance du « comment » accompagne nécessairement aujourd’hui celle du « pourquoi ». Elle implique d’autres disciplines telles que la biologie, la neurologie, la psychologie cognitive, la linguistique, la sociologie.

La véritable question qui se pose à la psychiatrie est de savoir si elle sera une discipline parmi d’autres contribuant à la recherche en psychiatrie ou en santé mentale, ou si elle peut et veut se charger de la mise en relation et en cohérence des données issues de ces différents niveaux d’approche.

Cette situation implique nécessairement une évolution culturelle qui est déjà largement engagée, mais qui se heurte encore dans le domaine de la recherche à des débats qui concernent le statut des données objectives et plus généralement la méthodologie, l’articulation entre clinique et recherche. Or ces deux points conditionnent de fait la possibilité de la participation des psychiatres cliniciens à la recherche, et donc en fin de compte la recherche elle-même. La position de la fédération à ce niveau a été d’une part de privilégier leur abord dans la pratique, plutôt que de façon théorique, et surtout d’éviter une fracture entre chercheurs professionnels et cliniciens. Cette fracture ne pourrait être que catastrophique car les moyens humains doivent correspondre à l’étendue du champ concerné et atteindre une masse critique qui assure la possibilité même des recherches.


Le rapport est constitué de quatre parties principales, complétées d’une cinquième partie dans laquelle sont regroupées les annexes.
Les trois premières parties sont résumées pour cette présentation. Seule la quatrième, qui concerne les orientations et les moyens de développer rapidement la recherche psychiatrique en France, est présentée in extenso.

Dans une première partie - Recherche en psychiatrie : une longue histoire


- Le rapport rappelle d’abord, en s’appuyant sur quelques repères historiques, que la recherche a toujours constitué une dimension essentielle de la psychiatrie.

- Il reprend ensuite la définition du champ de la recherche en psychiatrie dans le livre blanc de 1965 et le débat épistémologique et méthodologique qui s’exprime dans l’ouvrage qui en est issu en 1972. Ce débat se conclut à cette période par la séparation de la recherche psychiatrique en deux domaines : celui qui relève d’une méthodologie objective scientifique et celui qui relève de la méthodologie subjective psychanalytique. Il s’agit d’années charnières qui correspondent à la naissance de la psychiatrie comme spécialité médicale, années durant lesquelles les spécificités de la psychiatrie par rapport au reste de la médecine, en particulier dans le domaine de la recherche, sont plus volontiers exprimées que les communautés. C’est aussi une période durant laquelle le dualisme corps – esprit s’exprime avec une vigueur particulière. Nous y voyons une des causes d’une désynchronisation d’une partie de la recherche psychiatrique (celle qui concerne les psychothérapies, notamment psychanalytiques), de celle émanant de la perspective biologique qui va rester relativement en phase avec celle émanant du reste de la communauté médicale française, puis internationale.

- Trente années vont suivre (1970-2000) durant lesquelles les initiatives pour développer la recherche clinique, qu’elles émanent de la communauté professionnelle, de l’Inserm ou du ministère de la santé sont extrêmement nombreuses. Pourtant, elles n’atteignent pas les résultats escomptés. Pourquoi ?

La seconde partie - Analyse des difficultés -

tente de répondre à cette question en présentant quelques unes des difficultés qui peuvent être invoquées. Evidemment, l’étendue et la complexité du champ de recherche qui a entraîné une multitude d’approches dont la cohérence globale n’a pas été assurée, mais également – et c’est associé – 1) des différences d’appréciation de la valeur sémantique de certains termes, 2) des objectifs et des moyens chez les différents acteurs impliqués, voire 3) une divergence apparente des résultats attendus en terme de santé et sur les moyens pour y parvenir. Il y a également aussi 4) non seulement la faiblesse de moyens structurels existant, mais aussi pour une part importante, leur inadaptation aux préoccupations des psychiatres. Nous évoquerons également 5) une crise de la pensée psychiatrique française dont les prémisses sont déjà présents dans le premier livre blanc.

- 1. Que recouvre finalement dans l’esprit de ceux qui l’utilisent le terme « amélioration des soins » et les moyens pour y parvenir ? N’y-a-t’il pas là, dans bien des cas une confusion entre deux orientations « santé individuelle » et « santé publique » dont les implications en terme d’amélioration de soins et du système de soin peuvent être perçues comme divergentes, surtout si elles ne sont pas explicitées ?

- 2. la convergence de deux objectifs principaux de la recherche en psychiatrie, l’amélioration des soins et la réduction des coûts, présentée régulièrement comme évidente, s’inscrit-elle toujours dans une logique de complémentarité ?

Dans ce registre, un facteur important va intervenir dans les années 80. C’est celui d’une évolution d’une politique de santé vers une politique de réduction des coûts. Si initialement les deux paramètres semblent pouvoir être abordés de façon convergente « une meilleure santé » au « meilleur coût », le conflit - voire la divergence des perspectives - va apparaître à de maintes occasions, l’objectif du progrès en santé semblant devenir accessoire par rapport à celui de la réduction des coûts à court terme. Cette confusion va renforcer une méfiance des psychiatres par rapport à tout ce qui est objectif, quantitatif, statistique ... ces termes étant directement associés à une perspective comptable. Elle va aussi faire craindre que la recherche n’aboutisse au développement de solutions globales qui ne conviennent pas nécessairement à une discipline où le relationnel occupe une place essentielle et où un des pièges peut être précisément d’assimiler l’expression pathologique à une cause parmi l’ensemble de celles qui peuvent la produire.

- 3. L’idée que la recherche permet une amélioration des soins et que même « seule la recherche peut amener au meilleur soin d’améliorer les soins », selon les termes d’un chercheur en neurosciences [6]. Cette idée, qui ne paraît pas contestable a priori, conduit à un paradoxe. En effet rien n’indique que la carence maintes fois dénoncée de la recherche clinique se soit exprimée dans la qualité des soins psychiatriques en France. Cela conduit à s’interroger sur la nature des critères utilisés pour apprécier l’activité de recherche et leur validité. Il s’avère qu’il existe effectivement deux types de recherche clinique en psychiatrie : la « recherche réflexive et d’élaboration » et la « recherche planifiée ». On ne considère généralement que la seconde, sur la base notamment des projets retenus dans les différents appels d’offres et des publications (notamment qui en présentent les résultats) dans des revues indexées dans les banques de données internationales. Selon ces critères, la recherche menée personnellement ou en groupe, présentée dans le cadre des sociétés savantes et publiée dans leurs revues, comme c’est le cas par exemple pour la Société et les Annales Médico-Psychologique depuis sa fondation, n’apparaît pas.

- 4. Revenons à la recherche planifiée. De quelles ressources dispose-telle pour se développer (appels d’offres et structures) ? Un état des lieux a été réalisé sur les moyens offerts par l’Inserm, le CNRS, les PHRC, les Fondations, la DGS, la MiRe et les laboratoires pharmaceutiques. Il s’avère que la base structurelle fixe (unités, chercheurs) est extrêmement faible et que des bases d’organisation qui correspondaient bien à la psychiatrie – les réseaux de recherche clinique - ainsi que les contrats de recherches externes ont été supprimés. D’autre part, les appels d’offres émanant des différentes structures correspondent généralement à une approche particulière (neurobiologique, par exemple) ou à des besoins spécifiques (organisation des soins, par exemple). Le seul AO “généraliste“, le PHRC, n’est ouvert qu’au secteur public et est surtout accessible aux CHU.

- 5. Si l’on résume la situation précédente, il s’avère finalement que la recherche clinique planifiée en psychiatrie est dans les faits peu ouverte, voire inaccessible aux psychiatres cliniciens. Comment ont-ils finalement accepté cette situation ? Nous avons évoqué précédemment des raisons épistémologiques, idéologiques, d’imprécision des objectifs, voire leur déplacement sur un terrain qui ne correspond plus au soin. On pourrait y ajouter le classique manque de formation des psychiatres à la recherche et un certain isolement qui a réduit les échanges interdisciplinaires. Mais ces difficultés sont loin d’être spécifiques à la France et se sont résolues ailleurs. On est amené à considérer plutôt une crise de la pensée française, qui s’est exprimée dans un morcellement professionnel et conceptuel, et qu’ont favorisé différentes causes. Cette question n’a pas seulement un intérêt historique. Elle conditionne aujourd’hui la possibilité d’une meilleure cohérence dans l’action de notre communauté scientifique et la possibilité que la réflexion et l’expérience engrangées puissent s’exprimer au delà du cercle des publications et des colloques français, en particulier dans des domaines où elle est extrêmement développée, la psychopathologie et le soin.

Troisième partie : Sommes-nous à un tournant ?


Sommes nous parvenus à un moment où la recherche en psychiatrie planifiée peut vraiment démarrer ?
Cette réflexion conduit évidemment à la question préliminaire : doit-elle évoluer ?

- Si la communauté psychiatrique française ne s’implique pas dans son ensemble avec force dans la recherche planifiée et n’exige pas les moyens de le faire, il y a fort à craindre que la connaissance et l’expérience qu’elle a développées disparaîtront définitivement dans quelques années ou deviendront un objet de recherches historiques.
- La recherche planifiée apporte une dimension secondaire à la recherche réflexive : c’est une ouverture sur d’autres abords et façons de penser possibles.

- Peut-elle évoluer ? Nous pensons qu’effectivement nous sommes aujourd’hui à un tournant, avec de nombreux éléments favorables :
- au niveau scientifique, un phase d’intégration et d’enrichissement mutuel des modèles, la maturation d’un cadre conceptuel qui peut être commun aux psychiatres cliniciens et aux praticiens des neurosciences : celui de la complexité dynamique, modèle qui intègre dans la vie biologique l’influence réciproque des facteurs d’environnement et des facteurs génétiques, modèle aussi qui prend en compte cette spécificité de l’appareil neuronal qui est la plasticité synaptique ; le retour de l’étude approfondie des cas individuels comme une nécessité scientifique ; une meilleure structuration des axes potentiels de recherche et de nouveaux moyens d’étude (comme l’imagerie et différents paramètres biologiques) qui peuvent se corréler à l’approche clinique.
- au niveau des moyens, une implication plus forte du politique dans le développement d’actions de recherche et un début de renforcement des moyens structurels offerts par l’Inserm.

La dernière partie est reproduite ici in extenso. Elle présente :

Quatre orientations générales et dix moyens pour développer rapidement en France la recherche en psychiatrie


- Quatre orientations

1) Impliquer largement les psychiatres cliniciens dans la recherche planifiée

“L’esprit de recherche est à la fois ce qui sied le mieux au clinicien et ce qui lui importe le moins. Tout cas particulier lui pose une énigme. Il doit recueillir tous les indices pour tenter de la résoudre. La recherche, en ce qu’elle s’offre à l’occasion de tout cas individuel, ne lui est pas étrangère. Là où la question demeure ouverte, c’est quand de la connaissance individuelle on passe à celle du général“[5]

L’orientation principale qui est ici défendue est que les psychiatres cliniciens soient largement dans la recherche planifiée, notamment celle qui concerne la psychopathologie (et ses relations avec les interactions sociales) et l’évaluation des stratégies thérapeutiques. C’est la seule façon d’avoir accès à l’essentiel de la clinique et de réunir des cohortes de patients dans une perspective quasi expérimentale.

Cette orientation implique de développer la recherche dans les différents domaines sanitaires dont elle est actuellement exclue, en particulier la psychiatrie libérale et associative, ou insuffisamment développée, comme le secteur. La psychiatrie se démarque des autres disciplines médicales dans la mesure où l’expression de la pathologie mentale n’est sans doute pas la même selon les lieux et où par ailleurs l’hôpital ne représente pas le lieu à partir duquel des découvertes vont pouvoir être appliquées selon une méthodologie identique dans les différents lieux de soin, contrairement à la cardiologie par exemple.

Elle implique également une volonté et les moyens de structurer cette recherche pour qu’elle s’inscrive dans le champ scientifique.

2) Se doter d’une organisation à la fois souple et cohérente qui permette de développer la recherche clinique planifiée.


Si la recherche clinique nécessite la participation directe des cliniciens dans les cas que nous avons souligné plus haut, c’est aussi un travail qui nécessite qu’ils s’inscrivent dans des équipes ou des structures organisées.

L’expérience des réseaux de recherche clinique a montré que le fait de réunir des équipes même hétérogènes autour de questions communes permet non seulement une évolution culturelle rapide, mais aussi d’homogénéiser les méthodologies, ce qui est indispensable à la comparaison des résultats, le montage de projets structurés et l’accession à une position nationale et internationale [7]. Des approches à priori difficiles à structurer comme le interactions précoces ou l’analyse des rêves dans une psychothérapie peuvent donner lieu à de bonnes recherches planifiées. La plus grande difficulté est sans doute d’admettre cette possibilité et de se lancer pour pouvoir en ressentir l’intérêt et l’ouverture que cette démarche procure. Rappelons ici qu’actuellement les RRC de l’Inserm n’existent plus ! Il faudrait donc qu’ils soient recréés, ce qui avait d’ailleurs été annoncé en 2000.

D’autre part, dans la majorité des cas, la mise en œuvre exige l’accompagnement par des professionnels. Un cas idéal est l’implication directe et durable d’un chercheur dans un hôpital ou un secteur géographique, mais outre le fait que leur nombre réduit rend cette possibilité exceptionnelle, cette existence ne règlerait pas le problème de l’encadrement du recueil des données et du suivi des protocoles, comme cela existe dans les autres discipline. Nous préconisons donc la création d’une une infrastructure de proximité animée par des professionnels dédiés à cette tâche associant un médecin psychiatre avec décharge de temps consacré à la recherche ou de santé publique, un infirmier et un pôle secrétariat.

3) Développer une recherche clinique à partir de l’évaluation des pratiques cliniques

L'évaluation des pratiques cliniques en psychiatrie est un sujet à la fois complexe et polémique qui pose au moins deux questions essentielles. La première est celle des buts de cette évaluation et la seconde celle des outils les plus pertinents pour la réaliser. Nous distinguerons ici schématiquement trois types d'évaluation des pratiques.

Nous n'évoquerons que très rapidement ici les évaluations ayant un but avant tout d'ordre quantitatif et destinées essentiellement à faciliter la gestion des systèmes de soins. Un exemple de ce type d'approche est le PMSI. Dans cette optique particulière, si l'on cherche à analyser, à caractériser la nature des activités cliniques, c'est avant tout pour pouvoir les quantifier et en évaluer le coût. Cette approche se heurte depuis longtemps à l'opposition d'une majorité de psychiatres qui en dénoncent à la fois la logique et les effets pervers potentiels.

L'évaluation peut également porter sur la nature même des pratiques cliniques, en particulier pour juger de la qualité des soins. Cette approche suppose la définition préalable de référentiels sur ce qu'est une bonne pratique dans une situation clinique donnée. Ce type d'évaluation pose certaines difficultés en psychiatrie. La qualité par exemple est habituellement jugée par la différence existant entre la pratique et le référentiel. Autrement dit, ce qui compte c'est moins le résultat final que le fait que la procédure correcte ait été mise en œuvre. Cette démarche apparaît logique dans la plupart des domaines de la médecine ou l'on observe une assez bonne corrélation entre les procédures et les résultats. La pertinence de ce modèle en psychiatrie est plus discutable. Deux stratégies thérapeutiques très différentes, par exemple, peuvent conduire à un même résultat. A l'inverse, la mise en œuvre dans une situation clinique donnée d'une même stratégie thérapeutique peut conduire à des résultats très différents en fonction d'éléments du contexte difficilement contrôlables dans un protocole. Enfin, il faut noter que ce genre d'évaluation peut faire craindre une standardisation des pratiques cliniques, pas forcément garante d'une plus grande efficacité.

Les pratiques cliniques, enfin, peuvent être vues comme des objets de recherche en elles-mêmes, des phénomènes que l'on peut répertorier, décrire, analyser pour en comprendre les mécanismes et en évaluer les résultats. Les questions qui peuvent être posées alors sont multiples, souvent très proches des préoccupations immédiates des cliniciens. La question de l'efficacité - et non plus de la qualité des soins – est cependant au premier plan (est-ce que cela marche? et non plus: est-ce qu'a été fait ce qu'il fallait faire?). Ce type d'évaluation se heurte à de nombreuses difficultés techniques. On connaît par exemple les débats qui entourent l'évaluation de l'efficacité de certaines psychothérapies analytiques. Les difficultés sont tout aussi importantes en ce qui concerne l'utilisation des structures de soins. Si on peut facilement, par exemple, déterminer le coût de fonctionnement d'un CATTP, comment en évaluer le bénéfice pour la population du secteur concerné? Il y a là pourtant un enjeu qui ne peut être négligé. Ne pas se donner les moyens de répondre à ce genre de questions, c'est prendre le risque de ne voir perdurer que les pratiques les plus faciles à évaluer ou à quantifier (médicaments, hospitalisation temps plein...) et non forcément les plus efficaces. Du reste, en dehors de toute discussion théorique ou même de toute concertation avec la profession, de nombreux éléments d'ordre administratifs ou économiques (disparition des infirmiers psychiatriques, diminution du nombre de lits d'hospitalisation, des temps médicaux...) sont déjà venus modifier de façon parfois considérable le fonctionnement institutionnel de la plupart des services.

Deux exemples très différents de recherche clinique portant sur l’évaluation des pratiques cliniques sont présentés en annexe

4) Favoriser des recherches pluridisciplinaires


Elles ont le grand avantage de pouvoir associer différents niveaux d’approche, et quelque fois d’ouvrir la possibilité de les intégrer. Cela nécessite le développement d’échanges et de formations permettant de bien connaître un ou plusieurs registres voisins à côté du sien propre.
Un bon exemple en cours est celui qui se mène actuellement sur le thème Stress, pathologies et immunité. Un premier colloque pluridisciplinaire, organisé en 1999 à l’initiative des comités d’interface de psychiatrie, neurosciences, maladies infectieuses et immunologie / Inserm, a permis une approche générale de la question, en particulier autour de la définition du stress psychosocial, de la neurophysiologie de l’axe HPA, de ses relations avec le système immunitaire et de la présentation d’un certain nombre de recherches mettant en relation stress et pathologies. Un deuxième colloque est en élaboration, avec la participation de nouvelles disciplines dont l’objectif est d’approfondir les aspects qui n’avaient pu être abordés en 1999 et l’élaboration de méthodologies de recherche. Il apparaît bien comment à la fois peut se développer un champ conceptuel commun, alors qu’en même temps l’apport des compétences particulières de chacun est indispensable. D’autre part, le travail en commun a permis progressivement de concevoir des articulations entre les différents niveaux d’approche. Ainsi, les observations cliniques de Spitz et Bowlby et éthologiques d Harlow chez le nouveau né animal trouvent un prolongement très intéressant dans les travaux expérimentaux chez les rongeurs sur le CRH, ainsi que ceux qui concernent ses effets neurobiologiques, au sein d’un système régulé. La description précise des effets du stress précoce ouvre évidemment tout un champ de recherche portant sur la prévention, les conséquences et l’éventuelle réparation des dommages causés.
On voit ainsi l’aller retour entre observation clinique – recherche fondamentale et recherche clinique qui devrait être une modalité naturelle de nombreuses recherches en psychiatrie.

- Dix moyens


1. Doter la Fédération Française de Psychiatrie de moyens lui permettant de :

a. poursuivre le travail d’animation scientifique et d’accès à l’information qu’elle a mené depuis 1992 (rapports, organisation des journées d’interface, Pour la recherche, Psydoc-France) ;
b. organiser dans le cadre de la formation médicale continue un programme d’initiation des cliniciens à la recherche clinique, des écoles d’été, en collaboration avec les chercheurs ;
c. mettre en place un « réseau sentinelle » de psychiatres destiné à faciliter l’organisation de recherches, notamment épidémiologiques ;
d. favoriser la mise en place de recherches et leur suivi, à l’instar de ce qui existe dans les autres spécialités médicales

2. Constituer de façon formelle ou informelle une instance de coordination et d’innovation associant les différents acteurs ou agences, publics ou privés dans le champ de la recherche en psychiatrie (DGS, Inserm, FFP, Associations de patients et leurs familles, CNRS, MiRe, CNAM, Fondations) dont l’objet sera de définir les thèmes prioritaires de la recherche, par exemple par période de 5 ans, et d’en assurer le suivi par l’organisation de Journées nationales de la recherche clinique en santé mentale, à la mise en œuvre desquelles la FFP est prête à apporter son concours. Cette instance s’assurerait que l’ensemble des besoins repérés sont couverts, veillerait à la cohérence générale du dispositif, rechercherait une utilisation optimale des moyens (éviter des recueils de données en parallèle portant sur des déterminants communs, mais non globalement identiques ; bénéficier des recherches documentaires déjà approfondies) tout en s’assurant que les objectifs des différents études sont clairement établis et différenciés.

3. Ouvrir des “contrats de définition“ d’un an, encadrés et précédant pour les équipes l’inscription dans des projets plus ambitieux. Créer des réseaux de recherches psychiatriques, et peut-être même un réseau des réseaux

4. Privilégier dans les axes de recherche des sujets pour lesquels la France peut avoir un discours original (psychopathologie, stratégies thérapeutiques, organisation du système de soins associant secteur et cabinet...) ; les thématiques ou programmes intégrant pathologies et méthodologies évaluables, et impliquant les cliniciens sur des thèmes qui concernent directement leur pratique (et en particulier ceux qui sont issus des différentes conférences de consensus) ; les recherches pluri et interdisciplinaires.

5. Organiser et rendre cohérente les démarches de recherche hors organisme spécialisé (Inserm, etc..) et CHU : par exemple un médecin coordonnateur par département pour la recherche libérale, un pour la recherche hospitalière.

6. Valoriser
- l’activité de recherche lors de l’accréditation et de l’évaluation des services de psychiatrie, ainsi que dans le cadre de l’activité libérale conventionnelle.
- les carrières de chercheur (rémunération plus décente pour les médecins chercheurs).
Le but n’est pas d’attirer les meilleurs vers la recherche, mais de permettre à ceux qui ont le plus de compétence et le plus d’intérêt pour ce domaine de la pratiquer dans les meilleures conditions possibles : actuellement, ceux qui seraient le plus « utiles » dans la recherche s’en détournent souvent au profit d’exercices professionnels plus attractifs.

7. Favoriser les « chercheurs temporaires»
les allers-retours de la clinique à la recherche (quelques années de recherche en détachement de recherche dans une carrière de praticien, ou temps partiel de recherche à côté d’une pratique clinique hospitalière ou libérale : dans ce dernier cas, la recherche est aujourd’hui quasi bénévole...). La création statutaire de postes de cliniciens chercheurs, évoquée depuis plusieurs années, devient indispensable. L’assouplissement de la barrière étanche entre cliniciens hospitaliers et privés, demandée par la profession, favoriserait ce résultat.

8. Assouplir intelligemment les contraintes réglementaires de la recherche en les adaptant à la psychiatrie clinique
(par exemple aujourd’hui, pour faire passer un questionnaire diagnostique d’une heure et demie avec un patient dans le cadre d’une recherche sans bénéfice individuel direct (par exemple un travail épidémiologique), il faut l’habilitation d’un lieu avec une convention avec un service de réanimation...)

9. Augmenter les nombre des enseignants chercheurs (et notamment de deux qui sont particulièrement orientés vers la recherche) ; renforcer les collaborations entre les chercheurs des organismes (Inserm, Cnrs), universitaires et non universitaires. Reconnaître les compétences par la délivrance de « valences universitaires de recherche » ; associer les psychiatres universitaires, non universitaires publics et libéraux pour renforcer la présence de la psychiatrie dans les Délégations régionales à la recherche clinique

10. Développer la recherche au sein des structures psychiatriques intersectorielles spécialisées regroupant des populations plus homogènes de malades et en rendant plus habituel le consentement des patients à des protocoles dans leur pathologie.

Rapporteur : Jean-Michel Thurin


Notes:

1. Kandel E. La biologie et le futur de la psychanalyse : un nouveau cadre conceptuel de travail pour une psychiatrie revisitée, trad. JM. Thurin Evolution Psychiatrique 1 2002
2. Par exemple, la psychiatrie est intégrée dans les neurosciences à l’Inserm, tandis que l’on peut voir des appels d’offres de neurosciences européens pour lesquels aucun psychiatre ne participe au comité scientifique
3. Danion JM. La recherche en santé mentale et en psychiatrie : le défi de la pluridisciplinarité. Inserm Actualités juillet/août 2001, p 21
4. Voir par exemple Pour la recherche n° 15, p.3 et n° 19 p.2-3
5. Widlöcher D. Principes généraux. In La recherche clinique en psychopathologie, O. Bourguignon et M. Bydlowski (eds). PU, Paris, 1995. pp 9-33
6. B. Giros in Tribune Presse 10 déc. 2001, document de la conférence de presse organisée par la Fondation pour la Recherche Médicale à propos du lancement du programme de la FRM « Action dynamique en psychiatrie ».
7. Les réseaux à l’Inserm : un enjeu de la recherche. Dialogue Recherche Clinique Santé, 5 avril-mai 1996


Dernière mise à jour : mercredi 20 mars 2002 17:26:39

Dr Jean-Michel Thurin