7 - Psychiatrie et sciences humaines
Coordonnateurs : D. Widlocher et D. Kipman
Et le groupe de travail : Jacques Miermont, Richard Rechtman, Monique Thurin
A première vue, que la psychiatrie soit essentiellement liée aux sciences dites de lhomme est une évidence. Cependant ces sciences ont évolué, elles traversent des difficultés structurelles qui permettent de se rendre compte que ces liens sont complexes et parfois fragiles.
Si la psychiatrie est une discipline médicale, elle partage avec toutes les autres cette caractéristique commune : les médecins appliquent à un champs particulier des connaissances scientifiques venues et empruntées à diverses sciences. Que ces connaissances soient scientifiques les différencient des guérisseurs qui nappliquent que des recettes, des méthodes.
On a pris lhabitude de séparer sciences dures et sciences molles, sciences de la nature et sciences de lhomme ; or cette distinction apparaît désormais clairement inappropriée. Elles sattachent les unes et les autres à des objets parfois invisibles, quelles natteignent que grâce à linterprétation des données. Et leurs résultats impliquent lobservateur comme élément de lobservation, par exemple.
Lobjet dattention et daction des psychiatres est le fonctionnement et les dysfonctionnements du psychisme. Ce fonctionnement peut être abordé de plusieurs manières :
- Par les comportements individuels et collectifs, par les mises en forme langagières, par la relation inter-humaine : ce sont les sciences de lesprit, objet réel et immatériel.
- Par la mesure des modifications anatomiques, génétiques, électriques, électroniques, biochimiques : cest alors lappel aux sciences de la nature.
Toutes les sciences de lesprit auxquelles il sera fait référence ici ont en commun :
- une théorie et ses postulats. On verra que le statut scientifique de certaines dentre elles peut être discuté, car les références affirmées comme théoriques sont en réalité idéologiques et que les postulats sont faits de dogmes. Cest le questionnement auquel on doit soumettre les sciences économiques et les économistes, voire lhistoire et les historiens ;
- lutilisation à lintérieur de la théorie, de modèles qui ne rendent compte que dune partie des faits étudiés. Compte tenu de la particularité de leur champs, et de sa parcellisation (clinique, catégorielle), les psychiatres, les soignants, sont souvent plus friands de modèles (quils prennent pour des théories alors quils nen sont que des morceaux amovibles) que de théories.
Ces préliminaires épistémologiques posés sont nécessaires pour dresser une cartographie des sciences en question et des mouvements qui se dessinent en leur sein. Seront donc examinées rapidement (rapidement, car cest la loi du genre) :
- Les sciences de lesprit individuel
. psychanalyse bien sûr, avec le recentrage de ses multiples modèles ;
. la question de la ou des psychologie(s) (en se souvenant de lavertissement de Paul Valéry (journal) avant de construire la psychologie, il faut bien construire son objet = lesprit. ;
. la place des sciences cognitives et comportementales qui souffrent paradoxalement dun phénomène de mode.
On séparera artificiellement, mais en fonction des pratiques psychiatriques, les sciences de lesprit collectif en études des groupes restreints (famille, entourage, institution) et des groupes larges (culture, société, langage).
- Parmi les groupes restreints, nous retiendrons :
. la théorie générale des systèmes et le traitement des familles ;
. les apports des sciences de lesprit aux dynamiques institutionnelles.
- Et pour les groupes larges : linguistique, sociologie, ethnologie.
- Enfin, une place particulière, parce quambiguë, devrait être réservée aux sciences historiques (histoire, archéologie, paléontologie).
- PSYCHANALYSE
La psychanalyse nest pas seulement une pratique qui joue un rôle majeur dans le champ de la psychiatrie. Elle constitue une science autonome de lesprit humain que certains situeront dans le domaine des sciences psychologiques et dautres en dehors.
Cette position de science autonome de lesprit la place à la fois dans le cadre des sciences naturalistes (comme la psy-chologie dans son ensemble) et dans celui des sciences dites humaines, qui rendent compte de la subjectivité des relations interpersonnelles et de la pragmatique de la communication. Cette distinction se fonde sur des questions de méthode et dépistémologie. La question préalable est de définir les champs dapplication de la connaissance psychanalytique.
La psychanalyse occupe une position scientifique à un tri-ple titre. Elle est en soi un outil de connaissance de lesprit humain ; grâce à cet outil, elle sapplique à différents domaines dinvestigation. Enfin, elle constitue un double objet de connaissance comme pratique et comme savoir.
Depuis lorigine, elle constitue une méthode dinvestigation et de traitement (association libre - entendement des processus inconscients - transfert - etc.). Cette méthodologie est bien connue et elle a porté ses fruits depuis lorigine dans le champ de ses applications dans la pratique psychiatrique et en dehors du cadre thérapeutique (groupes thérapeutiques ou naturels, institutions, etc.). La question posée actuellement est celle de savoir si cette méthode a évolué avec le temps et peut continuer dévoluer, ou si, fixée une fois pour toutes par linvention freudienne , les développements ultérieurs nont guère modifié la structure de loutil.
Lexpansion du domaine de connaissance a été déjà très marquée au cours de ces cinquante dernières années et devrait continuer à lêtre dans les prochaines décennies. Dans le champ de la psychiatrie en général, les applications de la psychana-lyse à dautres modèles psychopathologiques que celui de la névrose ont indiscutablement apporté des connaissances nouvelles, indépendamment de leurs effets thérapeutiques. Lexemple de la psychose montre bien que la pratique de thérapeutiques médicamenteuses qui en a bouleversé le traitement na pas stérilisé la recherche psychanalytique, pas plus dailleurs que létude cognitive des mécanismes de pensée psychotiques.
La psychanalyse dite appliquée connaît actuellement des remaniements épistémologiques et méthodologiques dont on peut attendre des retombées très intéressantes sur des phénomènes comme la victimologie, la violence, le vieillissement, etc.
Une certaine réponse de la psychiatrie aux problèmes de société actuels ne peut être envisagée sans lapport de la psychanalyse. De nombreuses rencontres internationales à propos de la violence, des traumatismes, des abus sexuels, etc. mobilisent des responsables politiques et des professionnels qui prennent en compte la clinique psychanalytique
La méthode psychanalytique elle-même peut être étudiée par des procédures objectives. Cette proposition ne recueille pas lassentiment unanime des psychanalystes considérant que la dimension intersubjective qui guide la pratique clinique est dune nature qui la rend totalement non pertinente pour des approches objectives. Il existe aujourdhui suffisamment de travaux pour considérer que cette position négative de principe mérite très largement dêtre débattue.
Comment aborder des processus comme les mécanismes de défense, les affects, les processus primaires de pensée, etc. ? Le principe de linterdisciplinarité ne devrait pas être récusé en soi. Les recherches sur le langage, sur lexpression faciale, sur les effets psychophysiologiques, sont pratiqués depuis longtemps avec des résultats varia-bles mais sans que le principe de linterdisciplinarité ait été contesté. Les développements de limagerie cérébrale et de la neuropsychologie cognitive devraient permettre douvrir de nouveaux champs de recherche. Il en est de même pour léthologie comparative et les sciences du développement.
La mise en route de recherches empiriques, au sens large, devrait permettre de faire progresser le débat méthodologique et de sortir dun débat idéologique qui constitue souvent un obstacle au développement des études sur le terrain. La psychanalyse clinique proprement dite ne peut être exclue de toute rationalité scientifique.
- SCIENCES COGNITIVES
Aujourdhui, les modèles cognitifs sont venus bouleverser lapproche des opérations de pensée et ouvrir une nouvelle perspective de recherche des troubles mentaux.
La psychologie cognitive prend pour objet les processus de pensée, la boite noire laissée de côté par les béhavioristes, c'est-à-dire la manière dont linformation est saisie, traitée, stockée et récupérée ou utilisée pour élaborer une réponse. Elle traite donc du sujet aux prises avec son environnement dans son interaction avec le milieu.
Cette perspective cognitive, dite du traitement de linformation, sest développée conjointement avec une autre approche dite aussi cognitive et qui se donne pour objet létude des contenus de pensée. Beck en a fourni un modèle théorique et une méthodologie clinique. Cette approche conduit à des ouvertures thérapeutiques, cognitivo-comportementales.
La perspective du traitement de linformation se centre sur les opérations de traitement dont les contenus sont les produits, et non sur les contenus de pensée. Cette perspective et le paradigme théorique qui la sous-tend sont le résultat de la rencontre dun intérêt nouveau, en psychologie, pour les états mentaux et les opérations mentales négligés par les béhavioristes, et du modèle de fonctionnement des ordinateurs constituant un modèle possiblement analogique du fonctionnement de lesprit. Cette perspective a été initiée par Piaget et Chomsky. Le modèle théorique originel est donc celui du traitement de linformation, traitement supposé, à limage des ordinateurs, sériel, découpé en étapes de traitement. Les méthodes utilisées pour décrire ces opérations sont de deux ordres : la simulation, ce sont les systèmes experts et les tâches expérimentales.
Les sous-disciplines de la psychologie peuvent tirer bénéfice de lobservation pathologique en même temps quelles les éclairent. Cette pluralité explique pourquoi nous ne pouvons définir le concept de psychopathologie cognitive de manière unitaire à partir de ses limites. Celles-ci varient selon les sous-disciplines envisagées. Que lon sintéresse par exemple au champ des interactions sociales ou à la psychophysiologie, limportant est didentifier le noyau dur de la psychopathologie cognitive : non pas les fonctions intellectuelles, comme les cliniciens le croient trop souvent, mais les opérations élémentaires non conscientes, qui contribuent à lélaboration des états mentaux complexes. Cest bien en ce sens que lon peut concevoir une approche cognitive des états émotionnels et des motivations.
Autre critère pour définir ce noyau dur : la méthode expérimentale. Ce qui fait la particularité de celle-ci, cest la référence à deux variables indépendantes, la maladie croisée avec lexécution dune tâche. Bien entendu, le terme de maladie désigne ici une construction hypothétique qui est précisément attestée par ce que lon attend chez un malade donné dun dysfonctionnement cognitif quil sagit précisément de retrouver. Quant à la variable dépendante, cest évidemment le résultat mesuré de lexécution de la tâche, que celui-ci soit évalué en terme de performance ou, comme nous le savons, plus souvent en terme de durée.
A partir de ce noyau dur, les applications vont pouvoir être multiples. Mais surtout, de là vont pouvoir naître des constructions théoriques, des modélisations qui constitueront les constructions hypothétiques pour de nouvelles investigations expérimentales, et aussi des modèles de lecture de la clinique. Cest à partir de là que pourront être abordées les correspondances avec lactivité cérébrale proprement dite, en particulier par les techniques dimagerie, et par ailleurs lapproche pharmacologique.
Ainsi, le chemin est encore long, et heureusement prometteur, pour que nous continuions davancer dans cette psychopathologie nouvelle, qui ne cherche nullement à réduire les autres démarches mais, au contraire, à les éclairer et à en tirer également profit. Nous avons à nous interroger sur trois types de rapports : les rapports des activités mentales élémentaires avec laffect, le cerveau et laction. Cest peut-être dans une perspective plus étho-écologique que lon devra, dans les prochaines années, situer le champ de ces recherches.
- SCIENCES DES SYSTÈMES
La psychiatrie combine des démarches pluridisciplinaires, transdisciplinaires et interdisciplinaires. Ses domaines dexploration et daction concernent de multiples niveaux dorganisation, impliquant les échelons moléculaires, macro-moléculaires, hormonaux, neuronaux, comportementaux, langagiers, communicationnels, cognitifs, environnementaux, etc. Elle se décline également en de multiples sous-disciplines : psychiatrie biologique, psycho-dynamique, familiale, sociale ou communautaire, institutionnelle. Elle est par excellence une discipline concernée par lhypercomplexité des systèmes humains. Elle est constituée par un corpus de connaissances qui évoluent rapidement, et de savoir-faire qui ne sont pas en reste. À ce titre, les descriptions approximatives qui précèdent sont particulièrement interpellées par la science des systèmes, et plus précisément par la science des systèmes complexes.
Cette appartenance médicale et psycho-sociologique apparaît dans le titre même de louvrage princeps de Philippe Pinel, le Traité Médico-Philosophique , puis dans lintitulé de la plus ancienne société savante française de psychiatrie, la Société Médico-Psychologique.
La théorie des tendances psychologiques, relevant de champs de forces en tension, de Pierre Janet, la théorie des instances psychiques de Sigmund Freud, la théorie organo-dynamique des niveaux de conscience de Henri Ey, proposeront des élaborations reposant sur des principes systémiques.
La science des systèmes ouvre à des enjeux épistémologiques de première importance devant la complexité de la psychiatrie contemporaine. Elle ne saurait être une sous-discipline de la psychiatrie, puisquelle questionne la grande majorité des sciences, dans leurs aspects disciplinaires et interdisciplinaires.
Réciproquement, la diversité des pratiques cliniques et des théories psychiatriques participent à lévolution de la science des systèmes. Pour Ludwig van Bertalanffy, la personnalité peut être appréhendée comme un système biologique actif, présentant des propriétés de spontanéité, dhoméostasie, de croissance, de différenciation, dinscription symbolique au sein des systèmes sociaux. Dans cette perspective, la maladie mentale est une perturbation des fonctions systémiques de lorganisme psycho-physique. Gregory Bateson élargira cette conception en tenant compte de lenvironnement de lorganisme, des communications et des interactions que cet organisme développe avec son écosystème (relations interpersonnelles, familiales et sociales, contexte technique et épistémique, etc.).
Létude des systèmes relèverait des sciences conjecturales. Elle repose sur un va et vient entre théorisation, méthodologie, modélisation, action, qui interfèrent avec les domaines disciplinaires et inter-disciplinaires spécialisés.
Quoi quil en soit, on peut suggérer, dans une perspective systémique, que les méthodologies analytique et holistique se complètent plus quelle ne sexcluent mutuellement.
La méthodologie analytique cherche à décomposer un système pour étudier les constituants sous-jacents. La description, toujours plus précise, des faits relèverait de la constatation des effets de cette décomposition. Une telle décomposition en vient à détruire lobjet étudié, mais permet dappréhender ses constituants sous-jacents, voire ultimes.
La méthodologie holistique cherche à linverse à appréhender un système comme un tout dans ses contextes dexistence et d évolution. La description des comportements dun système serait liée aux interactions que ce système entretient avec son environnement. Plus un système est complexe, plus son fonctionnement interne échappe à la compréhension de lobservateur extérieur (effet de boite noire et de machine non triviale).
Ces deux méthodologies sont ainsi à la fois complémentaires et antagonistes. La première conduit à une sorte dentomologie qui risque daboutir à une vision statique de niveaux dorganisation, emboîtés entre linfiniment grand et linfiniment petit. À ses échelles extrêmes, mais aussi à léchelle humaine dobservation, surgissent toute une série de paradoxes (interférences entre systèmes observants-observés, relativisme des descriptions en fonction du système de référence choisi). La seconde apparaît davantage dynamique, elle sintéresse à des processus globaux, évolutifs et transformatifs. Mais elle risque daboutir à des représentations approximatives, dépendantes de la subjectivité et des finalités de lobservateur et/ou de lacteur.
Dans les faits, si ces deux méthodologies ne peuvent être utilisées en même temps, elles méritent dêtre soigneusement articulées en fonction des exigences de la clinique.
La souffrance humaine sinscrit dans le corps et le cerveau, sexprime dans les activités comportementales et mentales, infléchit les interactions, affecte lécosystème global du patient et des personnes avec lesquelles il maintient des liens de dépendance vitale, voire de survie. Récursivement, les défaillances du système, à différents niveaux de son organisation, produisent ou entretiennent la souffrance.
Les cliniciens systémiciens ont repéré les paradoxes et les double binds qui caractérisent les systèmes familiaux en prise avec les formes graves de pathologie mentale, marquant les défaillances des processus dautonomisation. Le repérage des formes de schismogenèse (complémentaire, symétrique et réciproque) caractérisant les interactions interpersonnelles et collectives a été dune aide précieuse pour appréhender les interférences complexes qui surgissent entre les patients, leurs familles et les équipes de soins.
La démarche éco-systémique conduit à des modalités dintervention à la fois diversifiées et spécifiques : prescriptions (du symptôme, du statu quo, de tâches, du semblant ), ritualisation des échanges permettant de canaliser les déchaînements émotionnels et de symboliser les situations de violence), exploration et transformation des contextes dans une finalité thérapeutique. Ces modalités dintervention aboutissent à la création des cadres dintervention thérapeutique et à lorganisation des soins :
- Dune part, ces modalités dintervention donnent lieu à la mise en oeuvre de protocoles de psychothérapies individuelles, de thérapies familiales, multi-familiales, de thérapies de réseau. Cette mise en oeuvre repose sur des concertations entre patients, familles et équipes soignantes, aidant à la conception des interventions thérapeutiques, à la délibération entre partenaires et à la prise de décision.
- Dautre part, lorganisation des soins permet de concevoir des polarités ouvertes et coordonnées dactions thérapeutiques différenciées : interventions durgence, interventions à court, moyen et long terme, permettant la prescription des chimiothérapies, des psychothérapies individuelles et collectives, des thérapies institutionnelles. Le patient et ses proches apprennent alors à se repérer face à ces contextes multiples, à les utiliser en fonction des difficultés quils rencontrent concrètement, à augmenter leurs degrés de liberté et à promouvoir progressivement des processus dautonomisation.
- LINGUISTIQUE
Si lobjet de la linguistique était la langue pour Saussure, un objet facile à découper en éléments formant une structure, son objet est devenu aujourdhui le langage (sciences du langage) décliné en différentes approches théoriques.
Dans les lignes qui vont suivre, il sagit dévaluer les questions que se sont posées de tout temps les psychiatres à propos du langage de leur patient, et comment celles-ci peuvent être replacées dans un espace de réponses possibles avec des outils théoriques issus des sciences du langage. La psychiatrie a emprunté aux linguistes ou aux philosophes du langage certains de leurs outils pour tenter de rendre compte du fonctionnement psychique dun patient à partir de sa mise en mots, mais dune façon empirique où deux questions fondamentales sont éludées : celle de lutilité du langage dans un processus thérapeutique et celle de la possibilité de dégager non seulement des indicateurs dune évolution mais des stratégies discursives qui rendent possible cette évolution.
Lutilisation du langage en psychiatrie semble aller de soi dans le double registre du diagnostic et de la thérapeutique. Au delà de ce qui peut apparaître comme une évidence, se pose la question des modèles de référence sur lesquels sappuie cette pratique et la façon dont les sciences du langage ont été instrumentées ou pourraient être utilisées dans lavenir à partir des nouvelles données et outils dont elle dispose. A ce niveau, la question de la collaboration des psychiatres avec les linguistes et dune véritable formation aux sciences du langage est posée.
Trois grands courants se sont imposés en psychiatrie :
- Le structuralisme (notamment avec Saussure et Jakobson). Il se propose de découper le discours en éléments, danalyser ces éléments et de voir comment ils sorganisent entre eux pour donner un sens.
- La pragmatique (avec Austin et Searle) sintéresse à lintention portée par lénoncé concernant un acte à accomplir. Austin a élaboré une théorie des actes illocutoires à partir de leur valeur (se rapportant à la convention) ; valeur quil dissocie de signification (signification équivalant pour Austin à sens et référence (acte locutoire). Dans lénoncé : à présent, vous allez retourner à votre travail je fais un acte locutoire ; correspondant à cet acte locutoire, jai à ma disposition toute une série dactes illocutoires différents : un ordre, une question : lénoncé aura une valeur : lordre, la question, etc. Si lénoncé produit de leffet : énerve, soulage, convainc, etc. et que cet effet est prévu par moi, jaurai accompli également un acte perlocutoire.
La forme logique de lacte illocutoire dans son lien avec le contenu propositionnel a été exprimée par les théoriciens (Searle et Vanderveken) à laide du symbolisme suivant : F(p) où p est le contenu propositionnel et F la force illocutoire. En psychopathologie, on sest intéressé principalement à lacte illocutoire.
- Lanalyse conversationnelle (initiée aux Etats-Unis dans les années 60), est aujourdhui utilisée, notamment par les psychologues auprès de patients schizophrènes. Elle se base sur linteraction (situation discursive, partenaires de léchange verbal, tour de parole, reprise, reformulation, accord, désaccord des différents locuteurs, etc.).
Utiliser lun ou lautre de ces courants revient à réduire considérablement le discours dun individu qui parle à un autre. Le discours du schizophrène , le discours du dépressif sont des termes utilisés qui ne reflètent en fait quun aspect du discours en le généralisant au terme le discours . Cest lenchaînement des éléments du discours qui paraît être un des concepts clés, un autre serait lhétérogénité de ces éléments et la distinction général/particulier.
Utilisation des linguistes en psychopathologie pour une analyse du discours
. Le diagnostic : une sémiologie médicale mais aussi des éléments disparates à repérer dans le discours pour faire des liens. On parlera ici de micro-analyse, du locuteur dans son discours avec les notions de subjectivité, de temporalité, de signes insistants.
. La rééducation : un problème de professionnels, une technique à acquérir mais aussi des repères à cerner (récupération de la fonction méta ou de lutilisation de la modalisation, par exemple).
- ANTHROPOLOGIE ET SOCIOLOGIE
Après avoir longtemps restreint son influence aux champs cliniques de la psychiatrie transculturelle et des ethnopsychiatries, lapport de la sociologie et de lanthropologie sest considérablement enrichi au cours des vingt dernières années. Fruit dun double mouvement de renouveau, tant de lanthropologie que de la psychiatrie elle-même, les complémentarités entre la psychiatrie et les sciences sociales semblent enfin sortir des conflits et des controverses qui ont depuis les origines émaillé les tentatives de rapprochement inter et/ou transdisciplinaire. Mais ce faisant, la place et la fonction que lanthropologie et, dans une moindre mesure, la sociologie occupent désormais en psychiatrie se sont profondément modifiées. Alors que jusquaux années 1980, la psychiatrie se fondait sur une anthropologie générale (au sens philosophique), lanthropologie culturelle et sociale a progressivement remplacé cette anthropologie générale classique, passant du statut de référent général à celui dinstrument technique, dune part, et de caution théorique dautre part.
Ainsi, linternationalisation de la psychiatrie occidentale et de ses classifications a imposé une validation transculturelle de ses outils et de ses pratiques à partir denquêtes de terrain empruntant aussi bien des concepts que la méthodologie de la sociologie et de lanthropologie. Si, avant les années 1980, de telles approches avaient déjà vu le jour (cf. par exemple les travaux de Roger Bastide en France), elles concernaient essentiellement la recherche sociologique et nappartenaient pas en propre à la psychiatrie. Le renversement des années 1980 marque lentrée de ces recherches dans le champ propre de la psychiatrie. Dépassant le seul contexte de la psychiatrie transculturelle et/ou des ethnopsychiatries, lanthropologie est non seulement venue renforcer lapproche épidémiologique, mais plus fondamentalement encore constituer progressivement un élément essentiel du socle du rapport normal/anormal fondateur de la clinique.
Ce mouvement est également contemporain dune redéfinition des objets de lanthropologie et de ses méthodes dinvestigation qui a largement bénéficié aux différentes approches de la psychiatrie. La naissance de lanthropologie médicale anglosaxonne dans la suite de lethnomédecine, lapparition de professionnels de cette discipline au sein des instances de lOMS, jusquà la toute récente anthropologie politique de la santé ont constitué les ingrédients de cette réorientation vers le champ de la psychiatrie.
Enfin, le troisième élément de cette ébauche de généalogie est plus politique et concerne le glissement de la psychiatrie vers le champ plus vaste de la santé mentale. Territoire de moins en moins réservé aux seuls professionnels soignants de la santé mentale, son expansion sest accompagnée dun redécoupage des frontières de la discipline psychiatrique au sein desquelles de nouveaux acteurs sociaux se sont vu attribuer des missions et des pouvoirs grandissants. Or, la mise en oeuvre de plan de santé mentale repose sur une approche plus populationnelle que clinique utilisant, au moins partiellement, des méthodes de la sociologie et de lanthropologie.
Ce tournant est donc marqué par un partenariat rénové avec les sciences sociales ; tantôt il sagit dun apport théorique et instrumental visant lenrichissement de la discipline, tantôt il sagit dun regard critique sur le développement de la discipline, mais dans tous les cas, lanthropologie et la sociologie jouent désormais le rôle dun référent extérieur au seul domaine de la clinique pouvant asseoir tant la légitimité que la validité dun savoir à vocation internationale.
- ETHOLOGIE
Léthologie peut être définie comme la biologie comparative des comportements animaux et humains dans leurs contextes naturels dapparition et dexpression. Elle sinscrit dans le cadre de la théorie de lévolution des espèces et considère que les formes que prennent les comportements, au même titre que les formes anatomiques, organiques et physiologiques, non seulement varient selon les espèces, mais encore ont fait lobjet de multiples transformations et différenciations depuis lapparition du règne animal.
Léthologie objectiviste , qui tient compte ainsi de la niche écologique des espèces pour les observer et pour comprendre leurs conduites, a été une alternative pertinente face au béhaviorisme. Ce dernier postulait en effet que les organismes vivants supérieurs disposaient essentiellement de mécanismes dapprentissage sur le mode de circuits stimulus-réponse, susceptibles dadapter les conduites à nimporte quelle situation vécue ou observation de laboratoire. Pour léthologie objectiviste, il existe un ajustement évolutif et dynamique entre les comportements dune espèce et son adaptation à un écosystème donné, et la capacité plus ou moins développée de créer cet écosystème, de le modifier, voire de le généraliser.
Un tel point de vue permet de considérer que lesprit humain est le produit de lévolution des espèces (phylogenèse), du développement individuel (ontogenèse) et de lhistoire culturelle (culturogenèse). Ces trois processus sont en interaction permanente.
Des échanges fructueux se sont ainsi développés entre léthologie humaine et la psychiatrie générale, la métapsychologie psychanalytique, les sciences des systèmes, de la communication et de la cognition.
Sur le plan psychopathologique, de nombreux troubles ont pu être éclairés par des études comparatives entre espèces : hystérie (comportements simulés, phénomènes hypnoïdes, catalepsie), phobie (réactions de fuite liées à des situations de danger ou à des situations traumatiques), troubles obsessionnels compulsifs (activités de déplacement liées à des conflits de comportements), énurésie, encoprésie (troubles du marquage du territoire), anorexie mentale (réactions de survie alimentaire en situation de famine), schizophrénies, paranoïa (réactions de survie en situation dhostilité, catatonie), dépressions (réactions à la perte du partenaire sexuel ou parental), toxicomanies (perturbations des comportements de dépendance), exhibitionnisme (affichage du phallus erigé), déviations sexuelles (troubles de lempreinte sexuelle).
Par exemple, lobservation des espèces sauvages a permis de remarquer des signes typiques de réactions dépressives chez les animaux confrontés à la perte dun congénère affectivement investi : disparition de la mère pour un petit, disparition du compagnon sexuel chez un adulte. Cest ainsi que sur le plan du développement psycho-affectif, létude du comportement dattachement, de son développement et de sa différenciation a permis den préciser les caractéristiques et la complexité. Celui-ci est médiatisé par des systèmes de signalisation (cris, babillages, sourires, mouvements daggripement, etc.) à partir de processus dempreinte aux personnes familières, en particulier la mère. Lempreinte permet lacquisition des indices olfactifs, visuels, tactiles, auditifs, qui caractérisent les personnes familières et permet la distinction entre celles-ci et les étrangers. Une fois réalisée, cette acquisition nest pas modifiable par des apprentissages conditionnés (atténuation de lattachement en cas de comportements agressifs de la mère, par exemple). Le comportement dattachement présente un caractère instinctif dans son déclenchement, même si lobjet sur lequel il se porte est acquis. Il a pour fonction de protéger des dangers extérieurs et de développer le sentiment de sécurité, de confiance en soi, de bonheur au contact dautrui.
Létude comparative des comportements animaux et humains montre non seulement des parentés phylogénétiques importantes, mais aussi des sauts qualitatifs qui aboutissent au constat que le genre humain échappe en grande partie aux catégorisations opérantes dans le règne animal. Lémergence du langage doublement articulé, lélaboration de rapports sociaux, dorganisations sociales de plus en plus complexes, la réalisation de contextes artificiels qui modifient, voire menacent, lécologie de la planète terre, le déploiement des phénomènes mythiques, religieux, idéologiques, épistémiques, font de lanimal humain un être à part, qui ne peut être réduit à ses origines animales.
Sil existe des analogies fonctionnelles sur le plan des comportements alimentaires, des comportements sexuels et reproductifs, des comportements parentaux, des hiérarchies sociales, etc., il existe également des homologies évolutives qui limitent, voire rendent obsolètes, des analogies fonctionnelles :
- Lutilisation de la parole dans la conversation où la palabre remplace lépouillage social, mais lactivité langagière va bien au-delà : elle devient un instrument qui démultiplie les capacités cognitives, donne accès au monde symbolique, transfigure les rapports que lhomme entretient avec la réalité.
- De même, le processus dauto-domestication a généré chez lhomme une grande variabilité dans lexpression phénotypique des morphologies anatomiques et comportementales : chez lhomme, lintensité et limportance des comportements instinctifs, de même que la taille, le poids, la corpulence, varient beaucoup dune personne à une autre. Lhomme civilisé a perdu, ou canalisé, ses origines sauvages. Pour autant, le repérage de ces vestiges sauvages nest pas sans intérêt dans le cas des pathologies mentales et comportementales graves.
- HISTOIRE
Lhistoire nest pas lanamnèse, cest le premier point. Si les patients souffrent, en général, de réminiscences, cest bien justement quils ne réussissent pas à avoir ou à se faire une histoire personnelle cohérente. Aussi nest-il jamais question de reconstitution historique mais de pouvoir se raconter une histoire satisfaisante au moment où on se la raconte.
Les événements de vie, censés avoir des effets traumatiques en tant que tels, ne permettent pas de rendre compte de la psychogenèse de bon nombre de troubles. Limpact des accidents, deuils, stress, dépend toujours de la manière dont on les a reçus, et ensuite métabolisés.
Il va de soi que le temps historique est, pour les psychiatres, à léchelle de lhomme, de sa vie, et de ses souvenirs ou réminiscences. Dans un entretien, ces réflexions historiques sont utiles pour relativiser le temps chronologique au profit du temps vécu.
Dernière mise à jour : lundi 18 mars 2002 15:44:16
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