le Livre Blancde la Fédération Française de Psychiatrie |
Dans une conception de santé publique les facteurs environnementaux pourraient être améliorés pour optimiser la santé mentale, mais là je crois il ne faut pas rêver car supprimer le stress ambiant est une façon de redonner du pouvoir à chacun..
Martine Burdet Dubuc
La traduction de "Mental health". Bien etre psychique (good physical health/ good mental health)
Vincent Camus
Santé mentale = état du chaos mental que sont les pensées
Paul Cleirec
Par défaut. Ce qui n'est pas du domaine de la santé mentale, c'est l'absence de nécessité du soin psychique (c'est à dire l'absence de souffrance psychique notable qui soit, est intolérable, soit, qui risque de le devenir pour un sujet ou une personne cf. plus haut) Cette notion ne doit pas se confondre avec une hypothétique version santé publique, psychiatrie de masse.
Patrice Duquenne
Ne pas être malade au sens psychiatrique
A. Fournier
Une absence totale de "dysfonctionnement" cognitif, émotionnel et un état hédonique "positif".
Christian Richard-Foy
La santé mentale est un terme général qui concerne toute personne qui ne ressent pas de soufrance psychique et n'éprouve pas un besoin constant d'une assistance à son fonctionnement mental, qui arrive à juguler sans dégats ses états d'âme
Ghizlane Benjelloun
La santé mentale pourrait se définir, mais de manière tautologique, comme l'absence durable de toute affection psychiatrique connue; à ce titre, elle varie avec le domaine de la psychiatrie tenu pour légitime à un moment donné.
Georges Lanteri Laura
Approche communautaire, sociétale, en terme de santé publique, non seulement des troubles mentaux, mais du "capital santé psychique" de chacun à partir de standards, de normes statistiques ? La psychiatrie n'y a qu'une ( plus ou moins petite) place à coté d'autres paramètres économiques, sociaux, judiciaires, éducatifs...
Charles Alezrah
La capacité d'un sujet à surmonter , trouver à résoudre ce qui fait obstacle à sa vie.
Brigitte Helen
Etre en capacité de penser ce qu'on vit, vivre ce qu'on est en capacité de penser
Marie-Françoise Livoir Petersen
Le glissement sémantique historique qui vit la psychiatrie s'effacer au bénéfice de la santé mentale fut une double erreur. Certes, l'on comprend que la psychiatrie (surtout publique) ait voulu se dédouaner d'une appellation porteuse de rejection, dans le mouvement idéologique du secteur s'ouvrant sur la communauté. Après quelques décennies d'échec, le choix doit être reconsidéré. La double erreur aux conséquences fâcheuses affecte à la fois la psychiatrie et la santé mentale. En effet, la psychiatrie spécialité médicale, individualisée après 68, s'est peu à peu dessaisie de ce qui faisait sa spécificité, la psychopathologie, pour se diluer dans une dérive sociale qu'elle ne pouvait d'ailleurs plus assumer complètement, compte tenu de la réduction de ses moyens. La seconde erreur, conséquente, est la stagnation de la notion de santé mentale de la population, qui ne saurait se réduire à sa seule psychopathologie. Confisquée ainsi par les psychiatres, c'est sur eux que toute la problématique de santé psychique fut adressée et donc, sur l'Etat et sur l'organisation des soins en psychiatrie, avec un désinvestissement corrélatif de la société civile (collectivités territoriales). Dans les programmes de formation et d'action de la santé publique, la santé mentale n'est pas prise en considération. Peu à peu, la différenciation nécessaire pour l'avenir entre santé mentale et psychiatrie fait son chemin, mais il sera difficile de rattraper les années passées.
Bernard Jolivet et Frédéric Raffaitin
« Psychiatrie et Politique de Santé mentale »
La question fondamentale quil sagit de résoudre : restaurer la place de la psychiatrie dans le champ de la santé mentale.
Principe de travail: questionner le désir des pouvoirs publics en sefforçant de situer ce quils peuvent bien vouloir dire par « santé mentale » ou « bien-être » ou quoique ce soit du même ordre ne signifie rien dautre que : ne pas savoir nous-mêmes ce que nous voulons dans cette affaire. A cet égard, ce nest en aucun cas les pouvoirs publics qui détiennent la clef du mystère. Dailleurs, eux-mêmes nont pas la moindre idée de ce quils veulent. « Santé mentale », on peut épiloguer là-dessus tant et plus, on peut trouver ça foncièrement énigmatique et se casser la tête pendant des heures. En fait « santé mentale », ça na, en soi, absolument aucun sens...
Quest-ce quune politique de santé mentale ?
La santé mentale, a-t-il été rappelé, est corrélée, selon la définition de lOMS, au Bien-être comme idéal. Toutefois, cest un problème délicat en ceci que le bien-être nest pas une entité mesurable. Il importe de noter que lOMS sest donc concentrée, dune façon somme toute plus pragmatique, sur la question du suicide. Lidée est que le taux de suicide dune population (donnée mesurable), est l indice du niveau de santé mentale du pays concerné. Il faut donc impérativement que le Livre blanc traite de cette question, faute de quoi il sera « à côté de la plaque ». Autrement dit, le problème nest pas la définition de la santé mentale selon lOMS ou selon Laënnec, le problème, cest que la définition actuelle dune politique de santé mentale, concrètement, ce nest pas « une politique du bien être », cest tout dabord une politique qui vise à diminuer le taux de suicide.
Je précise que le Rapport Parquet (« Itinéraires des déprimés ») nous précède largement sur ce point. Et quil est urgent den contrer les conséquences. Je rappelle sa thèse : prendre argument de lexpérience Gotland (1982), pour une mise en application immédiate de programmes de formation destinés aux médecins généralistes (formation en deux fois deux heures), afin de les former à reconnaître et donc à traiter efficacement la maladie dépressive, considérée comme la plus grande cause de suicide (« 70% »), et de réaliser ainsi, dans la perspective dune diminution du nombre de psychiatres, un « transfert de compétence ». Il ne nous suffira pas de démonter ça, dexpliquer que Gotland cétait bien autre chose que ce quon en dit dans le rapport Parquet, de dire que trois ans plus tard le taux de suicide à Gotland était revenu à son niveau antérieur, dajouter que seul le taux de suicide dans la population féminine avait diminué, le taux de suicides chez les hommes étant demeuré inchangé... Il serait également souhaitable de proposer une autre approche de la question. Pour ma part, je trouve impeccables les analyses du Pr Kerkhof ( Pr de psychologie clinique à Amsterdam – co-rédacteur de la revue Crisis, revue spécialisée sur la prévention du suicide- en lien avec lOMS ) sur ce sujet. Kerkhof explique quaprès avoir effectué des analyses comparatives précises des différents programmes de prévention du suicide testés dans différents pays dEurope, il savère quon ne sait rien de ce qui est susceptible dagir effectivement sur le taux de suicide sinon ceci que la seule donnée mesurable ayant une incidence vérifiable, cest lindice économique du pays concerné. Quand lindice économique est bon, le taux de suicide diminue et inversement. Kerkhof souligne en outre que dans tous les cas où un programme de prévention du suicide a abouti à une diminution du taux de suicide, on constate corrélativement une augmentation du nombre de suicides dans la file active du dispositif de santé mentale. Autrement dit, une diminution du nombre de suicide dans une population sous laction dun programme de prévention, entraîne toujours une augmentation du nombre de suicides sous traitement. De là il émet la thèse suivante : à savoir que la meilleure façon dévaluer le niveau de santé mentale dun pays devrait tenir compte du ratio entre suicides traités et suicides non traités. A mon avis, on aurait grand intérêt à sappuyer là-dessus.. Je veux simplement souligner que les analyses de Kerkhof débouchent certes sur lintérêt daméliorer la compétence des généralistes (sur quoi nous sommes absolument daccord), mais absolument pas au sens dun transfert de compétence. Au contraire, il sagit également daugmenter la compétence du dispositif de soin psychiatrique. Du reste, il est clair pour Kerkhof que la population à risque, cest la population des malades psychiatriques (à différencier évidemment des « déprimés » au sens où on lentend actuellement). Dailleurs, Kerkhof a également analysé comparativement des études concernant les suicides traités (études comparatives réalisée en Angleterre), pour tenter de dégager les facteurs institutionnels et thérapeutiques mis en cause, autrement dit les points faibles des dispositifs de soins. Bref, je ninsiste pas ici
- le besoin de soins et la demande de soins
La politique au sens des pouvoirs publics, se détermine à partir dune définition des « besoins ». Il sagit aujourdhui, au vu de linflation des demandes, de cerner précisément ce qui relève des besoins, en faisant appel aux méthodes scientifiques. Il sagit donc, (il faut avoir ceci bien présent à lesprit), des besoins en tant quils sont scientifiquement définissables et évaluables. De là, tout ce qui ne répond à ces critères, sera voué à être reversé au domaine du privé, avec pour conséquence le désengagement de lEtat à cet égard. Cest la logique à lœuvre aujourdhui, et pas seulement en France. La politique des pouvoirs publics visent donc à ajuster loffre de soins aux besoins de soins ainsi déterminés. Corrélativement ils entendent endiguer laugmentation des demandes de soins, phénomène consumériste selon eux, par la diminution de loffre.
Il faut, ma-t-on dit (il sagissait de M. Botbol), sabstenir dévoquer aussi peu que ce soit « la demande » sous peine dêtre jugé politiquement incorrect et dêtre renvoyé dans nos cordes. Je me demande pour ma part, si nous avons intérêt à nous laisser impressionner à ce point. Personnellement, je serais tentée dopter ici pour une contre-attaque rigoureuse. A nous de renvoyer les pouvoirs publics dans leurs cordes. En effet, comment peut-on à la fois mettre en cause la contrainte, la coercition, lexcès dinternement, les soins sans consentement, ceci au nom des Droits de lhomme et du respect des libertés fondamentales, tout en estimant par ailleurs irrecevable toute référence à la demande. La notion de « consentement » serait-elle une notion purement métaphysique ? Il faut que les pouvoirs publics sexpliquent sur leur paradoxe. Pour notre part, nous affirmons par exemple que si linternement a une dimension thérapeutique, comme il a été rappelé au cours de nos débats, nous le concevons toujours comme une thérapeutique dexception, en réponse à une situation dexception. De là, ce que nous visons dans le cours dune hospitalisation sous contrainte, ce nest pas seulement lobtention du consentement aux soins pendant la durée du séjour, nous visons au-delà, à savoir susciter, chez le sujet, une demande de soins. Parce que si ce nest pas ça, alors lidée même de psychiatrie extra-hospitalière, lexistence des CMP et autres structures ouvertes, na absolument aucun sens. Si on rejette toute référence à la demande, ce nest pas seulement la psychiatrie libérale quil convient de supprimer, cest aussi le secteur psychiatrique...
Enfonçons le clou. Une politique de santé mentale aujourdhui, cest une politique de la demande, ce qui est autre chose que dosciller entre les deux pôles du rejet pur et simple de la demande quelle quelles soit et du dire « oui » à tout et nimporte quoi. Une politique de la demande implique fondamentalement une prise en compte de ses variétés cliniques. Pour faire simple : savoir distinguer les demandes sérieuses de celles qui ne le sont pas.
Or on constate aujourdhui en psychiatrie libérale qu un grand nombre de demandes ne le sont pas. Le phénomène est notoire, probablement à mettre au compte du « psy généralisé « dans lequel la société baigne depuis une décennie. Le psy est partout, à la radio, à la télé, dans les magazines. « Aller parler à quelquun », « faire une psychothérapie », « prendre un antidépresseur » est en vogue. Ajoutons que limpératif contemporain du « bien être en toute circonstance » (ce qui est autre chose que lidéal du bien-être selon lOMS) y contribue puissamment. Il nourrit aussi bien linflation actuelle du diagnostic de « dépression », engendrant une iatrogénie psychiatrique, quon nomme parfois « psychiatrisation de la vie quotidienne ». Dans ces cas quelques entretiens convenablement orientés permettent souvent de soulager le sujet de sa plainte... et de ses médicaments.
Mais on constate aussi un grand nombre de demandes qui sont sérieuses. A cet égard, laugmentation de loffre en psychiatrie a eu avant tout cette conséquence fondamentale : permettre laccès au soins pour des sujets gravement souffrants. Nous constatons également que parmi ces sujets, se rencontrent courramment, outre des névroses graves et invalidantes, des sujets dont la pathologie était jusquà présent classiquement considérée comme ne pouvant donner lieu, chez celui qui en était atteint, à une demande de soin. Autrement dit des pathologies mentales réputées jusquà présent ne concerner que le domaine de la prise en charge hospitalière. Il sagit essentiellement, pour reprendre les catégories nosographiques classiques que les systèmes de classification ont quasiment éclipsé, des pathologies psychotiques, (schizophrénie, paranoïas, Psychose hallucinatoire chronique, psychose mélancolique). Les demandes de soins qui émanent de ces patients surviennent le plus souvent à loccasion de moments dépressifs de l évolution de leur pathologie. Soulignons que le risque suicidaire se trouve ici particulièrement majoré, tout comme le risque de rupture familiale grave ou de désinsertion socio-professionnelle.
Ajoutons, que le repérage diagnostic de ces cas et leur prise en charge thérapeutique ne peuvent relever que de la compétence du spécialiste et en aucun cas du médecin généraliste.
Il savère que les études épidémiologiques centrées sur lidée univoque de « dépression » ont pour effet de rendre absolument indistinctes, aux yeux des pouvoirs publics, les réalités cliniques auxquelles est aujourdhui confronté le psychiatre, par le biais de la demande. Le brouillage actuel des catégories cliniques essentielles par des critères classificatoires superficiels aboutissent, en outre, à promouvoir lamalgame et ses conséquences désormais constatables : psychiatrisation de problèmes banals dun côté, banalisation de pathologies graves de lautre. Enfin, il relève de ce qui précède quune politique visant à diminuer la demande en diminuant loffre de soins est susceptible dengendrer des conséquences qui sont, dans létat actuel des données par trop incertaines et imprécises de lépidémiologie psychiatrique, humainement et économiquement incalculables. Il convient donc quune politique de santé mentale se donne prioritairement pour mission détudier et de mettre en oeuvre les moyens dune évaluation cliniquement satisfaisante de la file active dans les dispositifs de soins.
De là en vient-on logiquement à définir lobjet spécifique de la psychiatrie dans le champ de la santé mentale
Lobjet de la psychiatrie comme discipline à part entière
Nous avons tous été sensibles à la difficulté que nous avons rencontrée à trouver une définition satisfaisante. On a dit « les troubles psychiques » mais on a convenu que cela rabattait les choses sur les classifications. Autrefois, on disait « le fou », mais aujourdhui cest totalement démodé. On a évoqué « les maladies mentales » : cest pratique, mais cest réactionnaire, et de surcroît, péjorativement connoté. On a proposé in fine « le fait psychique et ses manifestations pathologiques ». Le problème de cette définition, cest quelle nest en rien spécifique à la psychiatrie. Du reste jen profite pour noter lenvahissement sensible de notre réflexion sur la psychiatrie par des thèmes récurrents dallure psychanalytiques. Au point quon en a même oublié le médicament, ce qui tout de même est un comble. Je suis moi-même psychiatre et psychanalyste, or je ne vois pas pour autant matière à confondre systématiquement les deux. On en vient à se demander ce dont on entend faire une « discipline à part entière » : est-ce la psychiatrie ou la psychothérapie ? Cette ambiguïté manifestement entêtante pour certains est à la source de pas mal de nos difficultés actuelles. Il conviendrait, pour nous ressaisir dans ce qui fonde notre identité de psychiatre, de nous rappeler ce que fut notre formation dorigine si je puis dire. Quand bien même une autre formation serait-elle venue par la suite, quelque peu « déformer » cette formation première, est-ce au point que celle-ci soit frappée damnésie ?
La psychiatrie est une discipline clinique et thérapeutique. La démarche quon y opère repose sur lexamen clinique. Un des temps essentiel de cet examen, cest lentretien clinique. Que cet entretien prélude à létablissement de la relation avec le patient, ne doit pas avoir pour effet den masquer les enjeux fondamentaux dévaluation clinique et diagnostic. Ce temps peut du reste nécessiter plusieurs rencontres successives. (On a beau être psychothérapeute « par nature » ou « psychothérapeute de base », il nempêche que pour faire une psychothérapie il faut être (au moins) deux or rien ne nous garantit que le sujet que nous avons en face de nous pour la première fois soit, pour ce qui le concerne et dont nous ne savons rien, un « patient par nature »).
La chose qui serait à retenir, cest le terme de « pathologie ». En effet ceci est tout à fait cohérent avec lidée de la psychiatrie comme discipline à part entière : il y a donc la pathologie médicale, la pathologie chirurgicale et la pathologie mentale. Et pour donner une note actuelle, se décaler des classifications, et ouvrir la perspective dune recherche clinique en psychiatrie, on pourrait compléter : « la (ou les) pathologie(s) mentale(s) et ses(leurs) expressions (ou ses manifestations) symptomatiques contemporaines ».
On peut ici spécifier la psychiatrie comme « science de synthèse », ainsi que la noté Mme Garret-Gloanec. Il me semble pour ma part que lidée de synthèse dans les affaires scientifiques est une idée souvent aventureuse. Elle engendre des chimères souvent bien étranges. Certains psychiatres aux joints des neuro-sciences, du cognitivisme, de la psychanalyse,...etc nous en ont déjà concocté quelques unes dont je ne suis pas sûre quelles feront date. Lidée de synthèse saccommode en outre aisément de la vulgarisation de ses ingrédients. Ginestet par exemple, déclare rejeter dos à dos « le psycho-bavardage » et la « synapto-thérapie ». Il omet toutefois de constater que le synapto-bavardage ne manque pas démules par les temps qui courent.
Préciser aussi que la psychiatrie est une science du particulier (ou du singulier comme on semble le préférer). Je préfère pour ma part « particulier » en tant quon loppose classiquement à luniversel.
Sophie Bialek
Dernière mise à jour : lundi 17 juin 2002 9:23:30 Dr Jean-Michel Thurin