Rapport JOLY




1 CHAPITRE IV ÉTAT DE LA RECHERCHE EN SANTÉ MENTALE



Philippe PINEL a forgé un consensus qui fut durable pendant tout le XIXème siècle : seule l'observation clinique peut permettre une connaissance cohérente de la folie. C'est donc par la multiplication d'expériences au contact direct des patients que l'on peut élaborer une théorie scientifique de la maladie mentale. PUSSIN, le célèbre « infirmier » de PINEL, en fut l'illustration. C'est ainsi la grande époque causaliste, constitutionnaliste et positiviste avec, notamment, la notion de démence précoce (KRAEPELIN - 1899).

Ce système de pensée fut toutefois progressivement modifié à partir du début du XX' siècle. Ainsi, E. BLEULER (1911) présentait le « groupe des schizophrénies » ( du grec schizein : diviser, fendre ) sur la base conceptuelle, inspirée de l'associationnisme et de la psychanalyse, d'une dissociation des différentes fonctions psychiques.

Puis, dans les années 30, apparaissent les méthodes de choc, en particulier les comas insuliniques (1933) et l'électrochoc (1938). La psychiatrie et la thérapie de communauté sont nées pendant le second conflit mondial à la fois en milieu militaire et civil. Par la suite, la psychopharrnacologie - étude du contrôle chimique du comportement - née de la découverte des psychotropes, constituera une des révolutions majeures de ce demi siècle.

Reste que la psychiatrie présente des spécificités par rapport aux autres disciplines médicales. Elle n'est discipline autonome que depuis 1968, la neuropsychiatrie ayant induit, avant cette date, une nette orientation de la recherche vers la neurologie. Les organismes publics, C.N.R.S. et surtout I.N.S.E.R.M,. sont encore marqués par ce courant qui part du postulat que le progrès en la matière ne saurait venir que de la biologie et de la génétique moléculaire. En conséquence, la recherche génétique et biologique s'est développée au détriment de la recherche clinique dont les projets sont trop rarement retenus.

On doit à la vérité de dire que la recherche clinique présente, en elle-même, des difficultés telles qu'elles peuvent expliquer, pour une part, son caractère parfois lacunaire comparé à ce qui existe pour les autres disciplines médicales. En effet, en psychiatrie, les approches thérapeutiques sont très diverses et il existe donc plusieurs modèles théoriques dont découlent des orientations thérapeutiques et de recherche différentes. Gérard MASSÉ, dans son rapport, y ajoute le fait que bien des thérapeutes, en France, s ' 'estiment chercheurs dans la mesure où ils exercent une activité de soins ce qui ne facilite ni l'établissement de protocoles de recherche rigoureux ni la coordination des travaux. Une tendance d'ailleurs soutenue par l'association des présidents de C.M.E. des Centres hospitaliers spécialisés publics 1. Reste que, de plus en plus, les chercheurs se rejoignent désormais dans une approche complémentaire des pratiques.

Par ailleurs, le caractère nécessairement scientifique de la recherche se heurte à bien des obstacles. Comme le souligne la Fédération française de psychiatrie « la scientificité

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d'une assertion implique généralement une expérience répétable, vérifiable, reproductible,
généralisable (..). Appliqué à la psychiatrie, ce projet risque en fait, dans bien des cas, de

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dénaturer la recherche ou simplement, d'être impossible à réaliser. » . Il y aurait donc antinomie entre esprit de recherche et psychiatrie laquelle relèverait plus des sciences humaines que des sciences dîtes exactes.

Enfin, il existe une réelle difficulté à concevoir et à mettre au point des protocoles précis de recherche car les références diagnostiques se doivent de prendre en compte l'évolution de la psychopathologie, d'appréhender des processus complexes, longs, évolutifs et, surtout, imprégnés d'une forte subjectivité.

La finalité de toute recherche sur les maladies mentales, que résume bien D.
WIDLOCHER : « Mieux connaitre la nature et l'origine des troubles qui altèrent l'activité
mentale pour leur opposer des actions préventives et thérapeutiques efficaces. Dégager des
connaissances acquises une compréhension meilleure des rapports de l'homme avec lui-même
et avec son environnem . ent ( ce qui est le propre de la démarche psychopathologique ) et des
mécanismes neurophysiologiques qui assurent l'exécution et la régulation de cette activité

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relationnelle. » peut donc s'en trouver pervertie.

Peut être en partie en raison des limites posées par la recherche clinique, continue de se développer, généralement hors du sérail psychiatrique, une recherche intense sur les causes génétiques - réelles ou supposées - des pathologies mentales.

Les arguments en faveur du rôle joué par les facteurs génétiques en psychiatrie proviennent de l'épidémiologie génétique. Les études portant sur l'adoption ou encore les jumeaux homozygotes ont permis de les isoler des facteurs environnementaux, notamment dans les schizophrénies et les psychoses maniacodépressives. Le mode de transmission reste toutefois inconnu et une origine multigénique ou une interaction avec des facteurs exogènes est souvent évoquée. Ces facteurs sociogénétiques comportent, par exemple, des évènements précipitants ou prédisposants ( séparation parentale ... ) voire, à l'extrême, un lien exclusif avec des dysfonctionnements familiaux ou sociaux, thèse défendue par les tenants de l'antipsychiatrie pour les états schizophréniques.

La recherche sur l'autisme est sur ce point exemplaire. Deux grandes théories s'étaient, en effet, développées depuis 1943, date à laquelle Leo KANNER avait découvert le syndrome autistique. L'école organiste défendait l'idée que l'autisme a des origines biologiques, voire génétiques. A l'inverse, la maladie était perçue comme un trouble d'ordre relationnel par l'école psychanalytique, relayée dans les années 1970 par un troisième courant de pensée fondé sur des travaux cognitivistes et psycholinguistiques. Aujourd'hui, tous les spécialistes s'accordent à penser que l'autisme est le résultat de la combinaison de multiples facteurs qui doivent être appréhendés dans leur ensemble dans les travaux de recherche sur le suj et.

Enfin, dernier pôle de la recherche, les approches psychogénétiques sont multiples et en constant développement. Parmi celles-ci, la psychanalyse est une théorie de la

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vie psychique et des processus înconcients qui a pour objet essentiel non de rechercher a priori le bien de l'analysant mais de lui laisser la responsabilité de ce qui survient pendant la cure et de lui donner l'occasion d'atteindre à une certaine vérité de lui-même. En soi, elle n'est donc pas une méthode thérapeutique. Les psychothérapies non analytiques s'en différencient par leur dimension directive, leur recours explicite ou non à la suggestion, leur utilisation du transfert dans son versant uniquement positif Elles s'attachent à reconciler le patient avec lui même et avec le monde. Les psychothérapies cognitivo-comportementales se sont développées surtout au profit de patients dépressifs et anxieux.

Ces divers courants et dimensions de la pratique et de la recherche - dont nous n'avons abordé que les très grandes lignes - ne se rejoignent pas toujours suffisamment. De surcroît, la recherche en psychiatrie est soumise à de nombreuses querelles entre professionnels malgré le désir commun d'une approche holistique, biopsychosociale, de la personne malade. C'est dire l'intérêt qui s'attache à un développement des moyens consacrés à la recherche en psychiatrie et, plus généralement dans le champ de la santé mentale (recherche épidémiologique comprise ) d'autant, qu'à ce jour, tout le monde s'accorde pour estimer que ses résultats sont extrêmement faibles tant quantitativement (une étude à partir des articles publiés dans une revue internationale de grand renom montre que, de 1983 à 1988, les auteurs français ont publié 6 articles contre 120 pour les américains, 89 pour les anglais, 42 pour les allemands et même 9 pour les belges !) que qualitativement. L'investissement matériel et humain dans la recherche est dérisoire par rapport au poids de la santé mentale dans la société au point que BRODY (1978) a pu écrire : « limportance de la recherche en psychiatrie est le reflet de l'intérêt que la société porte à la psychiatrie ». Nous pourrions renchérir en parlant de l'intérêt que la société porte au malade mental lui-même.

1 « La recherche clinique en psychiatrie » Rapport de la Fédération française de psychiatrie Septembre 1994.

2 D. WIDLOCHER « Méthodologie de la recherche en psychiatrie » Encyclopédie médicale et chirurgicale Paris 1980.

1 Rapport PARIZOT - VIGNAT : « La recherche et le service public en psychiatrie » Novembre 1990


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Dr Jean-Michel Thurin