Plaidoyer pour le cas unique
Dr Cyrille Koupernik
1 - Le suivi prolongé de cas uniques peut contribuer à la formation et aux progrès du clinicien : cela semble évident, mais il n'est peut-être pas inutile aujourd'hui de le rappeler. Le cadre d'une relation durable constitue l'espace naturel de la Psychiatrie. « Pour voir clair dans I'esprit d'un autre nous devons nous immerger dans le flot de ses associations et de sentiments ; il nous appartient d 'être l'instrument même qui le sonde »(1)
2 - Il est également susceptible d'enrichir notre connaissance et notre compréhension du trouble psychique. En effet, il permet de dessiner un certain profil de la maladie, profil qui est après tout l'une des bases essentielles de notre savoir.
Comme psychiatres, nous gérons deux domaines qui ne sont pas superposables :
Une autre observation faisait partie de notre dossier, celle de Gloria(4). Elle a le mérite d'apporter le témoignage d'une pathologie sociale : l'héroine a fait l'objet d'un traitement biomédical classique dont le résultat est loin d'être optimal. Une autre équipe s'intéresse à sa vie. Elle appartient à une classe économiquement défavorisée, celle d'immigrants dominicains aux U.S.A. ; elle est isolée du fait de la barrière linguistique (aspect anthropologique) ; elle répond aux critères d'une hérédité psychologique selon Lacan (répétition d'une génération à l'autre de processus tels qu'alcoolisme et brutalité du père, départ, mariage précoce et reprise du cycle maudit) ; elle a récemment perdu son logemement. Ce contexte éclaire autrement sa dépression et le diagnostic de psychose maniaco-dépressive est rediscuté. Le traitement est complété avec des mesures psychosociales et un soutien psychothérapique, en mobilisant au mieux les ressources personnelles de Gloria.
J'ai, en ce qui me concerne publié d'une part l'histoire d'une femme atteinte de psychose maniaco-dépressive atypique suivie pendant 29 ans et qui a évolué vers la constitution de rythmes rapides, en précisant quels avaient été les traitements utilisés au cours de chaque accès, l'ensemble étant résumé sous la forme d'un graphique. L'évolution de cette patiente, et en particulier l'existence d'une période de guérison d'une douzaine d'années pose une foule de questions que j'ai tenté d'aborder en relation avec des publications sur ce sujet(5).
Dans une autre publication(6), s'appuyant sur un suivi de 9 ans, j'ai présenté le cas d'une petite fille de 4 ans parfaitement développée du point de vue intellectuel et qui, à la suite d'un attentat sexuel perd en six mois l'usage de la parole, souffre de terreurs nocturnes et de troubles du comportement, puis fait 4 ans plus tard, un état de mal épileptique et évolue vers la démence. Ici encore, et en relation avec la littérature concernant des cas analogues, toute une série de questions se trouve posée.
Pour conclure, je voudrais lancer un appel à la communication scientifique en rappelant au praticien que s'il veut faire bénéficier la communauté psychiatrique de ses observations, il doit d'abord lire ce qu'apporte la littérature sur le point qu'il a choisi comme centre d'intérêt. La possibilité de son accès est aujourd'hui révolutionnée par les bases de données sur internet et en particulier celle de Psydoc- France qui concerne la littérature psychiatrique française. Ensuite, il s'astreindra à laisser de ses entretiens avec le patient une source directe d'information qu'il lui appartiendra de mettre en forme, en prenant en particulier toutes les garanties pour que le secret professionnel soit respecté.
Pr Daniel Widlöcher, Nouvelle Revue de Psychanalyse,
n° 42, automne 1990, 285-302
Nous renvoyons à l'article de D. Widlocher qui, à partir du cas de l'Homme aux loups, se propose de tracer l'histoire du cas unique dans le contexte général de la psychologie et de la médecine d'un point de vue méthodologique.
Cet article ne peut être résumé en quelques mots, cependant nous notons deux points particulièrement intéressants de cet article que nous vous incitons à lire :
- La double démarche de Freud concernant sa démonstration du cas le plus singulier de ceux sur lesquels se fonde la clinique psychanalytique : 1/ enrichir les connaissances de ceux qui partagent le même type d'expérience ; 2/ argumenter une polémique avec les opposants de sa théorie ;
- Les différentes approches pour décrire un cas : décrire et expliquer suivant la démarche médicale (avec la psychiatrie) ou la démarche psychologique (avec la psychanalyse). D. Widlocher dresse l'évolution de ce point de départ et aborde les écueils de la recherche psychanalytique par étude de cas.
Et pour conclure citons D. W. reprenant les remarques préliminaires de L'Homme aux Loups « Naturellement, un cas unique ne renseigne pas sur tout ce que l'on voudrait savoir. Plus exactement, il pourrait tout enseigner pour autant qu'on fût en état de tout comprendre et qu'on ne fût contraint, par inexpérience de sa propre perception, de se contenter de peu ».
Pour soutenir les travaux portant spécifiquement sur le cas unique la F.F.P. envisage d'instituer un prix annuel.
Pour tout renseignement appeler le secrétariat au
01 48 04 73 41
Cas Unique : les mots-clés pour interroger les bases de données
N of One studies
Single case
Single case experiment
Single-subject experiment
Single-case experimental design
Sample size of one
N of One randomized controlled trials
Méthodologie appliquée au cas unique
Dr Philippe Lesieur
La méthodologie appliquée au cas unique fait l'objet d'une littérature assez abondante et généralement méconnue. Parmi celle-ci, l'ouvrage d'Alan E. Kazdin « Single case Research Designs » (N.Y. Oxford, Oxford University Press, 1982) propose un certain nombre de « critères de validité » auxquelles doivent répondre les conditions d'observation dans une optique de fiabilité des inférences faites à partir d'une observation.
Des critères de validité interne sont ainsi opposés à des critères de validité externe. Les premiers ont pour objet d'affirmer que les conditions d'observation permettent d'éliminer toute explication alternative à la relation entre l'effet observé et l'intervention testée. Quand aux seconds, ils permettent de définir les conditions expérimentales garantissant les possibilités de reproductibilité d'une observation.
Cinq principaux critères de validité interne sont donc proposés. Ils cherchent à diminuer la probabilité que l'effet observé soit explicable non par l'intervention réalisée mais par 1) un événement de la vie externe, ou directement lié à l'histoire du sujet, 2) la maturité d'un processus évolutif, 3) la situation expérimentale, 4) une évolution dans la mesure, 5) une fluctuation naturelle de la variable.
Un certain nombre de moyens méthodologiques vont permettre de s'affranchir de ces critères.
En premier lieu, la ou les variables choisies (de même que la définition de l'intervention) doivent posséder un certain nombre de caractéristiques telles que : définition consensuelle, possibilité d'une mesure fiable, reproductible, sensible au changement.
Une méthode importante qui permet de s'affranchir en partie des critères précédents est la répétition de la mesure, celle-ci permet en effet de s'assurer de la stabilité de la variable cible avant l'intervention et de la reproductibilité de l'effet au cours du temps. Cela permet si nécessaire d'introduire des tests « placebo » qui permettent alors l'évaluation en aveugle.
Intérêt de l'étude de cas
Dr Bernard Rivière
L'étude de cas nous offre un moyen supplémentaire d'approfondir la compréhension de l'état mental d'un patient ou d'une méthode de traitement.
Les méthodes de comparaisons de groupes permettent d'accéder à une réponse générale concernant une hypothèse donnée. Mais elles sont lourdes, coûteuses, difficiles à appliquer en pratique quotidienne et ce, en raison de leurs contraintes éthiques, économiques et scientifiques.
Par contre, les protocoles sur cas individuels permettent d'établir des covariations entre deux faits. Trouver ce qui est pertinent pour un patient n'est pas aisé. Cette démarche inclut la formulation d'une hypothèse, la quantification de problèmes, des évaluations continues et l'application de protocoles spécifiques. Elle recherche la pertinence, I'efficience et la durabilité d'une intervention thérapeutique.
Les protocoles sur cas individuels, en répondant à des questions précises, d'une manière souvent plus sensible que l'observation habituelle, aident le clinicien à préciser ce qui est utile au patient. Ils anticipent sur les protocoles de groupe et permettent de les affiner. Ils peuvent aborder des situations cliniques plus complexes dès lors qu' une ligne de base suffisamment longue permet d'écarter les effets des variables secondaires. Ils redonnent au clinicien une dimension de chercheur enrichissant ainsi sa pratique quotidienne.
D'ores et déjà, cette méthodologie a concouru au développement rapide des psychothérapies dans le monde entier, donnant aux psychiatres et aux psychologues, des moyens plus sûrs, plus durables et moins coûteux d'aides à leurs recherches cliniques. Sachons en profiter et en faire profiter nos patients.
Les protocoles de cas individuels dans la recherche en thérapie comportementale et cognitive
Dr Jean Cottraux*
Claude Bernard (1865) est le premier auteur à avoir mis l'accent sur cette méthode : on lui prête la phrase suivante : " Si l'on prélève l'urine des pissotières de la Gare du Nord, on obiendra la moyenne de l'urine de l'Europe, mais aucune information sur la fonction rénale ".
Les protocoles de cas individuels ont été remis au goût du jour par Shapiro en Angleterre dans les années soixante, puis aux USA par Hersen et Barlow (1976) dont l'ouvrage est fondamental. Kazdin (1982), Barlow, Hayes et Nelson (1984), Bellack et Hersen (1984) ont suivi. En langue française, on peut citer l'ouvrage de Ladouceur et Bégin (1980), et des chapitres dans les ouvrages de Cottraux, Bouvard et Légeron (1985), et Bouvard et Cottraux (1996).
Les protocoles de cas individuels représentent une manière simple de promouvoir la recherche clinique. Ils consistent à prendre le sujet comme son propre témoin et à l'évaluer au cours de phases, tantôt d'intervention tantôt de non intervention. Ils représentent un moyen rapide de tester une hypothèse sans engager les frais d'une étude contrôlée. Ils ont aussi été utilisés dans la recherche animale sur le conditionnement opérant. A condition d'avoir un grand nombre de points de mesure, une analyse statistique comparative des différentes phases est possible (Hersen et Barlow, 1976).
La comparaison par inspection des courbes représentant la variable choisie permet d'émettre l'hypothèse que c'est l'intervention thérapeutique qui a été responsable des résultats obtenus.
Si l'on prend pour exemple le protocole représenté sur la figure suivante, on s'aperçoit que durant la phase de ligne de base la patiente ressent une aggravation de ses intrusions cognitives qui sont de plus en plus fréquentes. Le traitement sur 5 séances, utilisant la ré-exposition en imagination à la situation traumatique, va inverser la tendance et introduire une modification favorable stable au suivi. Si la patiente s'était améliorée durant la phase A de ligne de base, on aurait pu se demander si le traitement n'était pas en train de voler au secours d'une victoire acquise par l'effet placebo (les attentes positives de la patiente) ou bien l'évolution spontanément favorable. C'est donc le contraste des pentes de la courbe entre intervention et non intervention qui permet l'inférence qu'il y a bien eu changement.
Le protocole de retrait A-B-A-B est l'un des protocoles les plus utilisés, et est considéré comme un véritable protocole expérimental. Il fait succéder par exemple une phase de liste d'attente, une phase d'intervention, suivie d'une phase de non intervention, puis d'une nouvelle phase d'intervention (protocole A-B-A-B dans lequel A= intervention, B= non intervention). Des mesures répétées des variables à l'étude permettent de voir si le sujet présente des changements importants durant les phases d'intervention, ou s'il s'améliore spontanément durant les phases sans intervention. L'hypothèse qui préside à leur utilisation repose sur le fait que si l'amélioration observée est liée au traitement, le retrait plus ou moins prolongé de celui-ci s'accompagnera d'un arrêt des progrès en cours, ou même d'un retour à l'état initial, ou encore d'une aggravation. Inversement, les progrès reprendront à la réintroduction du traitement. Lorsque un traitement (B) mis en place ne donne pas les résultats escomptés, il est possible d'adjoindre un autre traitement (C) et d'évaluer ainsi l'action combinée des deux traitements (BC) en réalisant un protocole A-B-BC-B ou, au contraire, de supprimer l'un deux ingrédients d'un "package" thérapeutique pour voir s'il participe effectivement aux bons résultats (protocole A-B-C-A-B-C, par exemple).
L'exemple ci-dessous est extrait de Hersen et Barlow (1976 p 182). Il montre l'effet positif du renforcement différentiel des comportements adaptés d'un enfant : ignorer les bavardages et renforcer positivement les phases d'attention de l'enfant. Il s'agit d'un protocole utilisant non seulement le retrait d'une attitude thérapeutique efficace mais aussi de l'inversion de l'attitude de l'enseignant qui au lieu de ne s'intéresser à l'enfant que dans ses comportements déviants, ignore ceux ci et renforce par son attention des comportements adaptés.
Dans ce protocole qui est utile lorsqu'il est nécessaire d'effectuer une intervention, pour des raisons pratique et éthique, l'on intervient, puis on rétire l'intervention pour la réinstaurer ensuite, si le comportement problème réapparait intensément.
Protocole de ligne de base multiple a travers les comportements
La méthode utilisée ne fait pas appel à la présentation suivie du retrait du traitement. Elle consiste, après avoir effectué la mesure simultanée de plusieurs comportments lors de lignes de base (A), d'introduire pour chacun des comportements problèmes que l' on mesure l'intervention thérapeutique (B) a des moments différents. Les changements comportementaux devront apparaître après l'intervention, pur que l'on puisse affirmer qu'il y a eu un effet spécifique du traitment sur chacun des comportements.
Protocole de ligne de base multiple à travers les sujets
Il consiste à effectuer le relevé d'un comportement donné chez plusieurs sujets
et à introduire pour chacun d'eux le traitement à des temps différents.
Au delà de la simple analyse de tendance par inspection, quatre types de statistiques on été proposées
a) Comparaison des phases de ligne de base et d'intervention
Tous les logiciels de statistique actuels peuvent effectuer ces calculs simples. Par exemple A1+ A2 sont comparées à B1+ B2 avec un test t apparié. Il faut au moins dix points de mesures par phase. Quant il s'agit d'un protocole A-B-C il est nécessaire d'utiliser une ANOVA. En cas de protocole à plusieurs sujets on peut faire une ANOVA évaluant l'effet sujet et l'effet phase et leurs interactions.Ces statistiques sont discutées car elle ne tiennent pas compte de la corrélation des mesures intra-sujets, et elle ne reflètent qu'un effet moyen et ne prennent pas en compte les tendances (la pente).
b) Les analyses de série temporelles (time series analyses)
Elles permettent de comparer les moyennes et les pentes de chaque phase en tenant compte des corrélations. Elles nécessitent un logiciel spécialisé. Il faut au moins dix points de mesure par phase.
c) Le Rn de Revusky : protocoles à lignes de base multiples à travers les sujets
C'est une forme de statistique non-paramétrique qui est surtout utile dans les protocoles à travers les sujets (un effectif d'au moins quatre est requis) avec introduction de la phase B de manière aléatoire pour chaque sujet. On évalue les changements de rang des sujets à l'introduction de B. Une somme des rangs est calculée et rapportée à une table de probabilité. (cf Hersen et Barlow, 1976). Le Rn peut être fait " à la main ".
d) Passage du cas individuels au groupe
Ces protocoles, peuvent être pratiqués sur des groupes de sujets en prenant chaque sujet comme son propre témoin et en additionnant les résultats. Il suffit par exemple de mesurerr une ligne de base de non intervention ( A) chez tous les sujets et d'effectuer le traitement de manière identique (B). On se trouve alors devant un protocole à mesures répétées A-B.Une ANOVA à mesures répétées permettra d'évaluer l'évolution du groupe à travers les phases. Un tel protocole a été utilisé de façon par Clark et coll. (1985) pour montrer l'efficacité de la thérapie cognitive dans un groupe de 18 patients avec un trouble panique. Ce type d'étude permet en partie de concilier les exigences du cas individuels et de l'étude contrôlée et de résoudre le problème de la comparabilité des sujets, souvent difficile à établir.
Conclusion
La limite des protocoles de cas individuels reste la généralisation de leurs conclusions à l'ensemble d'une population pathologique.
Ils représentent avant tout un moyen simple et peu coûteux pour tester des hypothèses thérapeutiques et s'initier à la recherche clinique en apprenant à sélectionner des mesures, à observer et à enregistrer sur des courbes des événements cliniques jusque là intuitifs.
Pour le rechercheur confirmé c'est un prélude nécessaire aux études contrôlées, qui permet de rester au niveau de l'individu, et générer des hypothèses qui pourraient ne pas apparaître dans les études de groupes parallèles, en double aveugle et randomisées, effectuées trop rapidement.
* Unité de Traitement de l'Anxiété, Hopital Neurologique,
59 boulevard Pinel, 69394 Lyon - cottraux@univ-lyon1.fr
Bibliographie
AYLLON T., & AZRIN N., Traitement comportemental en institution psychiatrique, Traduction M. Graulich, Dessart, Bruxelles, 1973.
BARLOW D. , HAYES S.C., et NELSON R.O. The scientist practicioner. research and accountability in Clinical and educational settings. Pergamon, New York, 1984.
BERNARD C., (1865). Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, Garnier-Flammarion, Paris, 1980.
CLARK D., SALKOVSKIS P., et CHALKLEY A.J., Repiratorty control as a treatment for panic attacks. Journal of Behavior Therapy and Experimentale Psychiary, 1985, 16, 1, 23-30.
BELLACK A.S. et HERSEN M., Research methods in Clinical psychology, Pergamon, New York, 1984.
COTTRAUX J., BOUVARD M., et LEGERON P., Méthodes et échelles d'évaluation des comportements. Editions d'Application Psychotechniques. Issy les Moulineaux, 1985.
BOUVARD M. et COTTRAUX J., Protocoles et échelles d'évaluation en psychiatrie et en psychologie. Masson, Paris, 1996, 280p.
HERSEN M. et BARLOW D., Single-Case Experimental Designs, Pergamon Press, New York, 1 976.
KAZDIN A., Single-case researach designs. Methods for clinical and applied settings, Oxford Unversity Press, New York Oxford, 1982.
LADOUCEUR R. et BEGIN G., Protocoles de recherche en sciences appliquées et fondamentales. Edisem, Maloine, Paris, 1980.
Le cas unique en psychiatrie
Pour une évaluation psychosémiotique de la psychothérapie
Ivan DARRAULT-HARRIS * & Jean-Pierre KLEIN**
La psychosémiotique, qui n'entend nullement, c'est évident, occuper la totalité du terrain évaluatif de la psychothérapie, propose des référents théoriques et méthodologiques originaux pour évaluer les productions du patient au sein du cadre thérapeutique, et cela quelles que soient les options théoriques et pratiques du psychothérapeute.
Les productions de tout patient sont en effet de nature discursive : discours verbaux oraux et/ou écrits, discours non verbaux (gestualité accompagnant le langage), productions plastiques (peinture, dessin, modelage, etc.), productions (psycho)dramatiques, productions sonores, etc. Ces productions discursives transcrites (prise de notes, enregistrements audio ou vidéo) peuvent donc être soumises à l'analyse psychosémiotique, qui recherchera des indices précis à trois niveaux distincts et complémentaires du discours examiné :
le niveau de l'organisation narrative du discours :
* le niveau des valeurs profondes du discours : l'analyse fine des objets poursuivis, quêtés par le(s) sujet(s) insérés dans le(s) discours du patient permet d'accéder aux valeurs qui sous-tendent son discours, armature sémantique fondamentale, et qui révèlent sa sémiotisation originale, éventuellement pathologique, du monde : valeurs intensément désirées ou repoussées, valeurs indifférentes, facultatives. On obtiendra à ce niveau la carte sémantique profonde du patient, à savoir les constellations de valeurs toujours associées aux valeurs-noyaux permanentes de vie et de mort, très diversement investies selon les cas.
* le niveau des choix énonciatifs retenus nous ramène vers la surface du discours et des indices formels plus directement visibles :
Ces indices, à coup sûr parmi les plus précieux, contribuent à définir la carte énonciative rassemblant les parcours subjectifs et énonciatifs dominants dans les discours analysés.
Et il y a tout lieu de penser que la carte énonciative régit, dans la production du discours, la carte narrative et la carte sémantique. Que, donc, la représentation sémiotique du monde et la sélection des valeurs sont soumises à la position et la nature du sujet de l'énonciation.
L'évaluation de la psychothérapie devrait selon nous s'attacher prioritairement au calcul précis de la position initiale du patient sur cette dimension du discours, pour ensuite déterminer et expérimenter les stratégies adaptées permettant le changement du patient qui, du point de vue psychosémiotique, est toujours un changement des positions d'énonciation entraînant une transformation profonde et durable du sujet.
Pour conclure, la psychosémiotique, après avoir analysé les structures stratifiées des discours du patient, mettra en relation les données obtenues sur les quatre dimensions suivantes :
L'évaluation, on le voit, est un processus nécessairement transversal, qui repère des opérations de conversion plus ou moins réussies d'un niveau à l'autre.
La psychosémiotique privilégie, comme niveau de base, celui des discours. Mais les résultats ainsi obtenus resteraient comme suspendus et peu heuristiques s'ils n'étaient reliés structurellement aux autres formes sémiotiques qui habitent le patient source de symptômes, acteur/agi d'une mythologie, sujet d'un processus de transformation.
(*) Maître de Conférences en Sciences du Langage.
(**) Psychiatre des Hôpitaux ; docteur habilité en Psychologie.
Laboratoire de Psychosémiotique, I.N.E.C.A.T., 23, rue Boyer, 75020 Paris.
Bibliographie
Darrault-Harris, I. (avec Aucouturier, B. et Empinet, J.L.), La Pratique psychomotrice, rééducation et thérapie, Doin, Paris, 1984.
Darrault-Harris, I. et Klein, J.-P., Pour une psychiatrie de l'ellipse; les aventures du sujet en création, P.U.F., Paris, 1993.
Klein, J.-P. et Hénin, M., Métapsychothérapie de l'enfant et de l'adolescent, Hommes et Perspectives, Desclée de Brouwer, Paris, 1995.
Psychanalyse : un exemple de recherche « cas unique »
Verbalisation des conflits et contrôle d'un diabète chez une jeune enfant*
Jean-Michel THURIN**
En voici l'essentiel.
Sally, 13ans, a été admise à l'hôpital entre deux et cinq fois par an pour acidocétose diabétique pendant les cinq ans précédant sa psychanalyse. Elle présente au commencement de son traitement :
Les prises en charge médicale et psychiatrique ont échoué.
Ces différents éléments, somatiques et psychiques constituent sa « ligne de base ».
- Objectifs de l'étude -
Elle a trois objectifs
- Hypothèses de départ -
- Méthode -
L'étude porte sur la corrélation entre le contrôle du diabète insulino-dépendant chez cette adolescente et la variation des thèmes verbalisés au cours de sa psychanalyse. Le contrôle du diabète est estimé sur la base d'un test d'urine deux fois par jour. Le contenu de la psychanalyse est évalué par des cotations indépendantes des rapports hebdomadaires de l'analyste.
- Résultats -
L'évaluation à l'issue du traitement (3ans, 5 séances par semaine) fait apparaître les éléments suivants :
Outre les améliorations à long terme du contrôle, le suivi des corrélations entre le processus psychanalytique et celui du diabète a apporté des éléments théoriques intéressants.
- Analyse de contenu et cotations du traitement -
Cette analyse a fait apparaître que :
* MORAN G.S., FONAGY P., Psychoanalysis anddiabetic control : a single case study, British Journal of Medical Psychology, 1987
** Psychiatre - Psychanalyste, 9, rue Brantôme, 75003, Paris
Cas unique et données cliniques en psychanalyse
Le Comité des Activités Scientifiques de l'American Psychoanalytic Association a mené une étude* dont l'objectif était de tenter de définir ce qu'était la recherche en psychanalyse. Après une revue des articles les plus couramment cités et provenant des trois journaux les plus respectés : le Journal de l'Association Psychanalytique Américaine, le Journal International de Psychanalyse et le Trimestre psychanalytique, il fallut se rendre à l'évidence : pas une seule des publications retenues pour l'échantillon ne contenait, de façon significative, des données cliniques primaires ! Pas une seule se rapportait à une étude de cas. Aucun fragment issu d'un enregistrement ! Un seul fragment de rêve. Les commentaires de ces articles étaient : « pas de données cliniques », « pas de preuve », « généralisation », « assertions non testables ». Ayant identifié ce qu'il considérait comme un sérieux problème, le Comité proposa un format de recueil des données espérant que ce premier travail en suciterait d'autres à venir, avec d'encore meilleures solutions concernant les problèmes identifiés à propos du caractère, de la qualité et la quantité des données dans les publications psychanalytiques.
Il en ressortit deux formats proposés par l'Association Psychanalytique Américaine : le premier concerne le cadre du traitement, le second concerne le recueil du discours pour le compte rendu détaillé des interactions cliniques, des consignes typographiques permettant d'identifier la nature du matériel recueilli. L'article présente deux exemples d'application de cette méthode.
Format de base proposé pour le compte rendu des données cliniques
- Notes prises durant les
séances - Autre méthode |
- Psychanalyse - Description de quelques paramètres spécifiques...............
|
Exemple de format de recueil du discours pour le compte rendu détaillé des interactions cliniques
(1) (Les informations non verbales survenant durant la séance sont placées entre parenthèses)
(2) Les mots approximatifs du patient sont présentés sans aucune ponctuation spéciale LES MOTS APPROXIMATIFS DE L'ANALYSTE SONT INSERES SANS PONCTUATION SPECIALE (3) "Les mots exacts du patient sont placés entre guillemets" « LES MOTS EXACTS DE L'ANALYSTE SONT PLACÉS ENTRE GUILLEMETS » |
(1) (LE COMPORTEMENT NON VERBAL ET LES PENSEES NON COMMUNIQUEES DE L'ANALYSTE DURANT L'HEURE PEUVENT ÊTRE PRESENTEES EN LETTRES CAPITALES ET ENTRE PARENTHÈSES)
Placer ces commentaires dans une seconde colonne n'interviendra pas dans le développement de l'interaction patient psychanalyste mais placera les pensées non dites de l'analyste dans le contexte de leur expérience. D'autres commentaires, qui ne se produisent pas au moment de l'échange clinique peuvent être placés dans cette seconde colonne en lettres minuscules. Si les commentaires de l'analyste traitant sont dans cette seconde colonne, des commentaires provenant d'autres analystes peuvent être placés entre parenthèses ou dans une troisième colonne selon le contexte, la nature et le propos de ce commentaire. Ces commentaires seront liés au processus du matériel clinique car la séance des événements se réfléchira automatiquement dans la dimension verticale. |
Dans la première colonne, deux personnes qui parlent (le patient, en petits caractères ; L'ANALYSTE EN LETTRES CAPITALES) et trois catégories d'informations (informations non verbales ; mots approximatifs ; mots exacts)
Dans une deuxième colonne, les pensées non communiquées de l'analyste.
* Klumpner G.H., Alvin F., On methods of reporting clinical material JAPA, vol 39, n° 2, 1991, 537-551
Directeur de la Publication :
Pr G. Darcourt
Rédacteur en chef :
Dr J-M Thurin
Rédacteurs en chef adjoints :
Dr M. Horassius, Pr Ph. Mazet
Comité de Rédaction
Drs F. Chapireau, A. Gauvain-Picard,
J. Garrabé, J-P Klein,
C.Veil
Secrétaire de rédaction et maquette M.Thurin
PLR électronique
Comité Technique
Drs M. Botbol, L. Fineltain,
M. Grohens, M. Robin,
J.M. et M. Thurin
Remerciements
A la Direction Générale de la Santé
dont la subvention permet l'édition de ce bulletin.
Au Laboratoire Lilly
qui assure le budget de sa diffusion aux psychiatres français.
A l'Association Française de Psychiatrie et à l'Association Française des Psychiatres de Service Public pour leur soutien actif à la diffusion des abonnements.
Tirage 4000 exemplaires - ISSN : 1252-7695
Commission Paritaire n° 1199 G 75389 s
Imprimeur : MURAY-PRINT - 4, rue Louis Armand 92600 - ASNIERES
ABONNEZ-VOUS !
Pour la Recherche
9, rue Brantôme - 75003 - Paris
tel : 01 48 04 73 41 - fax : 01 48 04 73 15