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André BOURGUIGNON
Le bond en avant prodigieux réalisé par les sciences biologiques durant les dernières décennies a fait oublier, à tort, que dans l'étude de l'homme sain ou malade la recherche clinique est non seulement indispensable mais irremplaçable, qu'il s'agisse de la médecine, de la chirurgie ou plus encore de la psychiatrie. Dans notre pays tout au moins, le prestige des sciences biologiques, et en particulier des neurosciences dans le cas de la psychiatrie, a attiré vers elles l'essentiel des ressources en chercheurs et en moyens de recherche. Maintenant que le développement de la recherche fondamentale est assuré, le temps est venu de mettre en place des structures de recherche qui, tout en ne méconnaissant pas les progrès des neurosciences, travailleront dans les champs de la psychologie clinique normale et pathologique.
S' il n'est de richesses que d'hommes, comme l'affirmait Jean Bodin (1530-1596), la recherche clinique en psychiatrie doit apparaître comme particulièrement indigente au regard de la recherche neurophysiologique. D'une part, les chercheurs professionnels y sont beaucoup trop peu nombreux et d'autre part les chercheurs occasionnels qui souhaiteraient s'y consacrer ne sont pas toujours préparés au travail spécifique de la recherche clinique.
Il y a là une situation qui appelle des mesures urgentes, car la pathologie mentale représente, pour les divers budgets de santé de notre pays, une des charges les plus lourdes. Or, nous sommes persuadé qu'en fondant la politique psychiatrique non seulement sur des sentiments humanitaires mais aussi sur des recherches cliniques allant de la sociologie à la psychopharmacologie, il est parfaitement possible d'améliorer le sort des malades mentaux, tout en faisant de notables économies grâce à une utilisation plus judicieuse des sommes dépensées en leur faveur. Ce n'est là qu'un exemple des retombées immédiates que pourrait avoir le développement de la recherche clinique en psychiatrie.
Ayant eu l'honneur, à deux reprises, de présider le comité « ad hoc » responsable d'une Action Thématique Programmée lancée par l'INSERM, nous avons pu nous rendre compte du fait que la valeur scientifique des principes et méthodes de la recherche clinique est généralement sous-estimée, voire méconnue, non seulement par les fondamentalistes, mais aussi par les cliniciens, psychologues et psychiatres. C'est pourquoi, avec le comité « ad hoc » de l'ATP n' 76-62 (Agressivité), nous avons suggéré à Monsieur Laudat, Directeur Général de l'INSERM, d'organiser un séminaire technique destiné à l'initiation de jeunes psychiatres et psychologues intéressés par la recherche clinique.
Le séminaire eut deux sessions qui se tinrent à Créteil, l'une à la Faculté de Médecine les 30 et 31 mars 1979 et l'autre à l'hôpital Albert Chenevier le 14 mars 1980. Monsieur Laudat, pour témoigner de l'intérêt que la Direction Générale de l'INSERM portait à cette initiative, ouvrit lui-même la première séance du 30 mars 1979 par une allocution dans laquelle il soulignait l'importance de la recherche en psychiatrie et souhaitait que son développement et dorénavant assuré.
Si la première session fut entièrement consacrée à des exposés et à des discussions portant sur les principes et les méthodes, la seconde fut consacrée à la présentation et à l'examen critique de cinq projets de recherche. Le, lecteur trouvera dans le présent recueil l'ensemble des exposés des 30 et 31 mars 1979, ainsi qu'un résumé des présentations et des discussions enregistrées le 14 mars 1980, dont nous n'avons pu retenir que les points essentiels.
Cet ensemble n'a aucune prétention à l'exhaustivité et doit être considéré comme un objet de réflexion pour les chercheurs débutants, qui ont souvent quelque difficulté à trouver dans les ouvrages spécialisés et les traités de langue française les remarques épistémologiques et méthodologiques qui constituent le préalable indispensable à toute recherche clinique. Il est en effet souvent plus difficile de s'informer sur les principes fondamentaux de la recherche que sur telle ou telle technique précise de recueil ou de traitement des données.
Comme l'auditoire était composé surtout de jeunes psychiatres - il y avait près d'une centaine de participants à la première session - nous avons tenu, en tant que psychiatre, à consacrer le premier exposé à une réflexion générale sur l'attitude clinique en psychiatrie, sur ce qu'est et n'est pas la recherche clinique dans cette discipline, afin de bien délimiter le champ considéré. Mais nous avons tenu également à insister sur les obstacles auxquels se heurte inévitablement celui qui travaille dans ce champ de recherche et sur le fait que ce type d'investigation scientifique ne peut être remplacé par aucun autre.
Avec le second exposé, celui de Jacques-Philippe Leyens l'Université de Louvain - que nous tenons à remercier pour sa précieuse participation - les principes mêmes de la recherche ont été abordés à un niveau très concret, dans la perspective des plans de recherche d'application courante. Cet exposé très dense est heureusement illustré de nombreux exemples empruntés au domaine de la psychopathologie la plus pratique, la plus quotidienne, et la description des plans de recherche est précédée de réflexions indispensables - véritables mises en garde - sur le problème & triple validité, conceptuelle, interne et externe, d'une recherche.
Pour aider les chercheurs, J.-P. Leyens s'est donné la peine de rédiger un guide bibliographique qu'il a adjoint à son exposé. Ce guide confirme ce que nous avancions plus haut : les travaux méthodologiques de langue française sont rares (1), aussi les chercheurs doivent-ils le plus souvent recourir aux livres et articles anglo-saxons.
Claude Revault d'Allonnes, qui enseigne à Paris VII et dont les recherches ont porté sur la psychologie de la grossesse et de l'accouchement, a voulu conserver à son texte écrit le ton très libre et t vivant de son exposé oral, afin de donner un exact reflet de son expérience de la recherche et de la direction de recherche. Dans pages qu'elle consacre aux bases de la recherche clinique, elle insiste à juste titre, sur la nécessité pour le chercheur de bien distinguer le domaine de la recherche de celui de la psychanalyse et d'élaborer très soigneusement les hypothèses de départ.
Odile Bourguignon enseigne à Paris VII et poursuit depuis plusieurs années une recherche sur la famille. Son exposé est extrêmement pratique, précis et concret. Elle y aborde les probl&èmes essentiels des méthodes et techniques de recueil et de traitement des données. Elle suit le chercheur dans sa démarche, signalant à chaque occasion les difficultés qu'il aura à affronter. A partir de l'exemple des effets pathogènes de la carence maternelle et en s'appuyant sur l'article classique d'Ainsworth, elle montre que pour ce même sujet de recherche quatre stratégies sont possibles, mais que le choix de l'une ou de l'autre n'aboutit pas exactement aux mêmes résultats. Enfin après avoir décrit les trois phases de la recherche, elle rappelle que tous les efforts du chercheur peuvent être compromis s'il n'a pas pris la peine de réfléchir profondément sur le sens et les implications de recherche, et, plus prosaïquement, s'il n'a pas correctement ajusté celle-ci aux moyens dont il dispose, aussi bien en temps qu'en argent.
Dans le but de montrer tout ce qu'on peut attendre d'une technique précise, ici le questionnaire, nous avons demandé à Louis Crocq de parler de son expérience. Travaillant dans le cadre du service de Santé des Armées, il est amené à travailler sur de grands échantillons et utilise divers questionnaires dans sa recherche en psychiatrie clinique. Son exposé est une très bonne analyse des avantages, des inconvénients, et des dangers du questionnaire, que ceui-ci soit explicite et standardisé ou simplement implicite. Trois modèles de questionnaires commentés par L. Crocq sont reproduits annexe.
Nous savions par expérience à quel point la quantification et l'utilisation des machines fascinent les moins scientifiques des chercheurs, ceux qui caressent l'illusion que l'emploi du calcul et de la statitistique donnera à leur recherche un label de scientificité. C'est pourquoi nous avons fait appel à un informaticien - Alain Guillon, conseiller scientifique d'une société rattachée au CEA - pour mener une réflexion sur la scientificité et la quantification, sur les « théories scientifiques achevées » et sur les « théories en recherche ». Mais sa présence à ce séminaire était aussi justifiée par le fait qu'il avait mis au point un instrument original de traitement des données, qui avait été utilisé dans une recherche sur l'énurésie. Cet exemple clinique a donc servi à illustrer son propos, qui s'est achevé sur une salutaire démythification de l'ordinateur et de l'usage qui peut en être fait dans les sciences cliniques. De toute façon, la machine est encore loin - si elle y arrive un jour - de pouvoir réaliser l'opération fondamentale de la recherche scientifique : conceptualiser.
L'intérêt suscité par cette première session nous a incité à en organiser une seconde, beaucoup plus pratique, qui serait consacrée à la présentation - et à la discussion - de projets de recherche réels, déjà rédigés ou même en cours d'exécution. Parmi les projets qui nous ont été proposés, nous en avons retenu cinq portant sur : les enfants leucémiques et leur famille, les troubles alimentaires des nouveau-nés et des nourrissons gastrostomisés pour atrésie aesophagienne, les facteurs psychologiques de l'hypertension chez la femme enceinte, les soins psychiatriques chez les adhérents à la Mutuelle Générale de l'Education Nationale, et les attitudes et opinions de la population à l'égard de la psychiatrie.
Tous ces projets étaient intéressants à plus d'un titre : sujet de recherche ayant une portée pratique, hypothèses nombreuses, etc., mais presque tous sous-estimaient l'ampleur de la tâche, tous étaient difficilement réalisables avec les moyens dont disposaient les chercheurs. A chacun de ces projets, C. Revault d'Allonnes et 0. Bourguignon apportèrent leurs suggestions et leurs remarques.
Cette seconde session, suivie par une quarantaine de participants, se termina par une discussion générale où les chercheurs, pour la plupart occasionnels et isolés, exprimèrent le souhait qu'une aide leur soit apportée, non seulement en crédits, mais aussi en conseils et en suggestions. Nous espérons que leur demande sera entendue, car nous pensons que la recherche clinique, dont les méthodes et les techniques ont fait leur preuve, est capable de rendre de grands services dans tous les domaines de la médecine. En effet, l'essentiel de ce que nous savons sur l'Homme, sur ses comportements, sur sa vie psychique individuelle et sociale, c'est à elle que nous le devons.
(1) Nous tenons cependant à attirer l'attention sur les deux articles suivants : M. REUCHLIN 1972-1973. Clinique et vérification. Bull. Psychoi., 26, 550-563. D. WIDLOCHER. 1980 Méthodologie de la recherche en psychiatrie. Encycl. Méd. Chir.. Psychiatrie- 37040 B10.
Dernière mise à jour : mardi 29 janvier 2002 7:47:42 Dr Jean-Michel Thurin