Recherche clinique en psychiatrie




autorisation de diffusion de l'INSERM ©



LES BASES DE LA RECHERCHE CLINIQUE

Claude REVAULT D'ALLONNES
Maître de conférence (Université Paris VII)
UER de Sciences humaines cliniques 13, rue de Santeuil 75005 Paris


Je voudrais relever d'abord qu'il est très difficile de parler de méthodologie de la recherche d'une manière aussi ponctuelle qu'on le fait aujourd'hui, chacun présentant un exposé-discussion d'une heure, alors qu'on aurait besoin d'entrer dans plus de détails, de suivre des projets, de pouvoir faire un travail de formation de longue durée.

Après l'exposé de M. Leyens ce matin, dégageant des profils de recherche possibles, et qui mettait fort bien en valeur l'essentiel d'une attitude scientifique de précaution dans le travail de la recherche, ce que je voudrais essayer de faire, c'est de pointer comment on peut arriver à construire un projet, en partant d'une idée : quelles sont les grandes directions, et les grands axes qui permettent de passer d'une idée de recherche à un projet de recherche clinique ?

INTELLIGIBILITÉ ET COMUNICABILITÉ

Tout d'abord, il me semble qu'il y a deux exigences fondamentales au travail de recherche, qui sont l'intelligibilité et la communicabilité. Ceci demande qu'on s'arrête une toute petite minute avant d'aller plus loin. Quelqu'un a remarqué ce matin qu'on pouvait avancer tout ce qu'on voulait, mais que les autres ne pourraient peut-être pas le refaire, ou bien que ce ne serait peut-être pas prouvé...

La première des dimensions, c'est que le travail que l'on fait, est destiné avant tout à être communiqué aux autres, peut-être pas pour qu'ils refassent toute la série d'expériences ou d'observations, peut-être pas pour qu'ils suivent à nouveau toutes les phases du raisonnement, mais bien tout de même pour qu'ils aient tous les éléments de la compréhension nécessaires à pouvoir ensuite s'appuyer sur ce travail, l'utiliser pour leur propre recherche. C'est une dimension que l'on néglige un peu trop souvent, dans la mesure où l'on est trop ésotérique, trop elliptique sur pas mal de moments de la procédure de la recherche : les chercheurs qui vont venir après nous doivent pouvoir utiliser comme point de départ, comme marchepied de leur propre recherche, le texte que l'on publie ou que l'on communique.

La communicabilité me paraît donc être un souci indispensable, aussi bien en ce qui concerne l'établissement des bibliographies, que les raisonnements et les informations sur les démarches, et ceci jusqu'à ce que chacun puisse les utiliser vraiment.

Le deuxième point qui est peut-être encore plus important, c'est le problème de l'intelligibilité. Qu'est-ce qu'on essaie de faire par un travail de recherche en fin de compte ? Dégager du sens, dégager un sens qui n'apparaissait pas avant le travail de recherche.

Si l'on veut formuler ceci autrement, on pourrait dire qu'il s'agit en quelque sorte d'une deuxième lecture. Après ce travail de recherche, même modeste, une deuxième lecture d'une série de faits sera possible. Il faut immédiatement préciser qu'une troisième, une quatrième, une cinquième lecture des mêmes faits seraient possibles, et que ce que l'on donnera au terme d'une étape, ce n'est pas la lecture, la seule lecture ou une lecture indiscutable des faits, c'est une lecture. Les mêmes faits travaillés avec une autre problématique, ou par d'autres chercheurs auraient été susceptibles d'autres interprétations et d'autres lectures.

MÉTHODOLOGIE

Cette perspective d'intelligibilité et cette perspective de communicabilité sont les deux objectifs de la recherche. A parti ' r de là, toute la démarche du chercheur apparaît en somme comme un vaste artefact, un ensemble d'artifices qui sont destinés à se donnerprise sur des matériaux, pour parvenir au dégagement du sens, pour rendre communicables, pour rendre intelligibles des faits, qui étaient épars, emmêlés dans une situation à la fois complexe et riche, mais où ces lectures n'étaient pas possibles a priori. Et il ne faut pas prendre la méthodologie de la recherche pour autre chose qu'un ensemble d'arte facts, c'est-à-dire des moyens qu'on se donne pour parvenir à son but.

Ceci veut dire qu'il ne faut pas les sous-estimer : si on refuse de passer par là, on ne peut pas faire de recherche. On peut faire tout autre chose, toutes sortes de travaux intéressants, créatifs, mais pas du type du travail de recherche. Donc il y a un passage indispensable par ces fourches caudines de la méthodologie.

Mais d'un autre côté, il ne faut pas non plus la surestimer. Parce que souvent, à force de renforcer la méthodologie et d'y attacher trop d'importance, on arrive à vouloir écraser une mouche avec un marteau-pilon, et on se trouve devant certaines de ces recherches de type américain, où un énorme développement méthodologique sert à enfoncer une porte ouverte : de fait on est dans une situation, pas facile du tout, d'équilibre judicieux à trouver entre créativité et artéfact méthodologique pour parvenir à ce que le travail se fasse, en étant à la fois créateur et organisateur, défendu et offensif en même temps. Ces présupposés sont importants pour bien comprendre ce qui caractérise la démarche de la recherche, par rapport à bien d'autres démarches valables, mais qui ne sont pas de la recherche scientifique.

Une des premières constatations qui fait suite à celles-là, c'est qu'on est obligé d'abandonner un grand nombre de choses auxquelles on tient ; là nous rencontrons une sorte de paradoxe, bien contradictoire entre recherche et clinique, parce que la clinique c'est justement être au chevet du malade, prendre en compte tout ce qui fait partie de la vie du malade et de sa situation, où tous les déterminants sont intriqués, de telle sorte que cette situation et cet individu sont irréductibles à tout autre. On se trouve devant une richesse extrêmement grande, dans les études de cas, dans les observations, dans tout le matériel qu'on peut recueillir par son expérience clinique dont elle se nourrit, mais en même temps à l'opposé de l'expérience clinique, parce qu'il s'agit d'abandonner les trois quarts, les quatre vingt dix neuf centièmes de ce qui fait la diversité et l'originalité du matériel clinique... Pour dégager ce nouveau sens, il faut absolument passer par un élagage, consentir des sacrifices, et on éprouve souvent une réticence très grande, surtout quand on débute dans la recherche, à cette espèce de mutilation nécessaire d'un donné auquel le résultat de la recherche ne renverra plus que de loin. Mais c'est un peu comme une contradiction fondamentale et fondatrice : ou bien on reste devant le donné dans toute sa richesse, et ce qu'on pourra faire c'est un roman, ou une monographie, une étude de cas, dont l'intérêt est absolument indiscutable, mais on ne pourra pas aller plus loin. Si on veut aller plus loin, il faut effectuer un véritable travail de dépouillement: on doit abandonner et orienter sa réflexion.

SUJET ET DOMAINE DE RECHERCHE

Au risque de prendre les choses par le BA BA, il existe un problème importiant (qui est en général sous-estimé, c'est celui de la lecture. Je me rends compte, après des années de recherche collective et de direction de recherche, qu'il y a beaucoup d'ambiguïtés sur la manière de lire, notamment des recherches et des travaux des autres, ainsi que sur le choix des éléments dont on tirera profit pour alimenter sa propre recherche.

Il me semble que ce qu'on appelle « revue de la littérature », est vraiment à l'opposé d'une manière de lire qui puisse être profitable dans une démarche de recherche en psychologie clinique. En gros, dans une première lecture on lit pour savoir ce qu'il y a dans un article ou dans un livre, on ne peut pas faire autrement. On prend connaissance du texte, et éventuellement des notes de lecture, on dresse des fiches concernant son contenu. Mais quand on lit en vue de l'établissement d'un projet de recherche, c'est tout à fait d'une autre lecture dont il est question, puisqu'il s'agit de confronter les différents travaux avec les questions que l'on se pose soi-même, avec cet objectif bien précis qui est la construction d'un projet de recherche limité.

Il s'agit alors de dépasser ce qui a été fourni par les autres chercheurs, et de parvenir à définir son propre créneau (j'emploie ce mot de « créneau », qui est un mot de la publicité parce que je n'en ai pas trouvé d'autre pour essayer de montrer comment axer un projet). Même si on veut être très créatif, même si on a des intuitions nouvelles, même si on a des désirs et des envies - et c'est très important comme motivation de la recherche : nous avons vu qu'on ne choisissait jamais n'importe quoi comme thème de recherche, mais quelque chose qui vous tient à cœur - il est indispensable de prendre connaissance des travaux qui ont été faits antérieurement, il est indispensable de les confronter avec son propre désir et avec les exigences, les limites de la réalité. Comment peut-on tirer quelque chose des travaux des autres en les confrontant à son propre projet ? C'est donc immédiatement après que se pose la question de savoir dans quel créneau on va se situer par rapport aux recherches qui sont déjà faites et publiées, ou en cours. Et là je crois qu'il y a un travail qui ressemble presque à une étude de marché, (pour continuer dans ce vocabulaire, parce que je n'en ai pas trouvé d'autre) : qu'est-ce qui a déjà été fait ? Qu'est-ce qui est sur une voie de garage parce que actuellement, étant donné les possibilités, on ne peut pas aller plus loin ? Quels sont les secteurs dans lesquels, compte tenu des diverses dimensions de la réalité, (dimensions de son propre désir et de sa propre capacité à mettre en route une recherche, à travailler avec les autres, etc.), quel est ce créneau dans lequel une recherche est possible à mettre sur pied et à mener à son terme ?

La recherche apparaît alors comme un train qu'on prend en marche. On ne le crée pas, on monte dedans, on lui ajoute un wagon ou on change sa direction dans les meilleurs cas !

Il est donc nécessaire de mesurer ce qu'on peut faire, qui ne soit ni une répétition, ni un marteau-pilon pour écraser une mouche, ni un château en Espagne qui ferait appel à des compétences ou à des moyens que l'on ne peut pas obtenir dans la situation où on se trouve réellement. Mais bien une pierre que l'on apporte à un édifice en train de se construire, travail modeste et créatif à la fois.

Mettre en route une recherche, cela veut dire débrouiller un écheveau. Le réel dans sa complexité apparaît comme une pelote extrêmement embrouillée, et le problème qui se pose, c'est de savoir trouver un fil, qu'on va tirer, et par où on va arriver à remettre cet écheveau dans un ordre signifiant. Ce n'est pas simple, toutes sortes de démarches permettant d'y parvenir : celle qui est le plus souvent utilisée dans les comptes rendus qu'on lit, c'est une démarche par ronds concentriques comme ceux que fait une pierre qu'on lâche dans l'eau : elle fait d'abord un très petit rond et puis des ronds de plus en plus grands, qui s'élargissent et s'éloignent. La manière dont on traite les sujets, c'est alors soit en partant du point où le caillou sera tombé dans l'eau, et on s'en éloigne par cercles concentriques ou alors l'inverse, on part du plus large : « de tous temps les hommes ont... » et puis on se rapproche petit à petit du sujet qu'on veut traiter. Mais on peut aussi se placer au centre présumé d'un problème, et puis envoyer des pseudopodes un peu comme un protozoaire. Démarche en « étoile de mer », pour tâter le réel d'un côté ou de l'autre de la question. Ce sont des. manières d'essayer de tirer un fil quelque part. Le problème est de savoir quel fil on va tirer, et comment tirer un bon fil. De même qu'il y a de bons et de mauvais fils, il y a des bons et mauvais sujets de recherche. Malheureusement si on n'a pas pris un temps de préparation suffisant, on arrive souvent à des recherches qui ne prendront jamais une tournure opérationnelle, utile. Et c'est souvent parce que le sujet n'a pas été défini d'une manière suffisamment opérationnelle.

Je vais donner l'exemple d'une thèse qui a été présentée récemment en psychologie, et dont le sujet était : « L'enfant prématuré et sa mère ». Voilà un sujet qui est tellement vaste... qu'il n'y a pas de sujet. C'est un énorme secteur de préoccupations passionnantes, personne ne dira le contraire. Mais il faut très bien distinguer entre un domaine de recherche et un sujet de recherche, ce n'est pas du tout la même chose. On parlait tout à l'heure de l'agressivité, j'appellerais plutôt cela un domaine de recherche, mais je ne dirais pas que c'est un sujet de recherche et il y a un énorme travail pour passer d'un domaine de recherche à un sujet de recherche. L'enfant prématuré et sa mère, c'est aussi un domaine de recherche. Cette chercheuse, qui était d'ailleurs une très bonne clinicienne - cela se voyait dans son travail - avait voulu se donner toutes les garanties méthodologiques, et s'était lancée dans une série d'élaborations extrêmement compliquées méthodologiquement, toutes intéressantes - mais avant d'avoir su exactement quelles questions précises elle se posait. Au hasard, dans le cours du texte, on voyait pointer de forts intéressants thèmes qu'elle n'avait pas su se donner les moyens de traiter puisqu'elle ne les avait pas isolés dans son domaine de recherche pour focaliser tout son intérêt, tous ses efforts d'élaboration d'une problématique, puis de choix méthodologiques, autour d'eux.

A un moment, elle se trouve amenée à dire, et c'est bien vrai, que la séparation est un problème extrêmement important : d'abord l'enfant naît plus tôt que prévu, et dans des conditions aléatoires, donc il y a un problème de séparation au sens strict : surprise, déception, difficultés liées à la naissance prématurée... Mais en même temps, cet enfant est séparé de sa mère par les conditions d'hospitalisation établies autour de ces grands prématurés ; dans cette période très particulière de la séparation de la mère et de l'enfant, elle relève qu'il se produit toute une fantasmatisation particulière du côté de la mère, dont on s'occupe fort peu en général. En la travaillant, on pourrait très probablement dégager un matériel fructueux, si elle s'était occupée du problème de la séparation et si elle avait établi un corps d'hypothèses sur les liens entre cette séparation, une certaine vie fantasmatique, et leurs effets éventuels sur la relation de la mère et de l'enfant prématuré, et le développement de celui-ci, on aurait eu une belle thèse de psychologie clinique. Mais il se trouvait que ce point était effleuré en bas d'une page deux fois, et en quelques lignes.

Ce que je veux bien pointer là, c'est la. différence entre un domaine de recherche et un sujet de recherche. Passer du domaine de recherche au sujet de recherche est le fruit d'une élaboration difficile. On peut donc bien dire qu'il y a des bons et des mauvais sujets, certains étant beaucoup trop larges et mal définis pour qu'on puisse en faire l'objet d'un travail d'équipe ou d'un travail individuel de recherche clinique.

Pour arriver à savoir comment tirer le bon fil, il faut essayer d'en tirer un certain nombre, et de savoir quel sera à la fois le plus limité et le plus précis ; en effet, les meilleurs sujets sont les sujets les plus limités et les plus précis ; et d'autre part vérifier qu'il se situe à un point carrefour à partir duquel le dégagement du sens sera le plus facile et le plus éclairant. Ici se pose la question de la pertinence des différents éléments d'une recherche ; c'est un mot que Barthes emploie dans un très joli petit livre qui s'appelle « Éléments de sémiologie » (1). On a parlé tout à l'heure d'interdisciplinarité, de ces régions frontières dans lesquelles le travail est le plus nouveau et le plus intéressant, mais aussi le plus risqué, car on va avoir beaucoup de peine à rendre utilisables et cohérents, dans des domaines voisins mais différents, références théoriques, problématique et méthodologie. Un exemple concret : à la suite du rapport Peyrefitte sur la violence, une équipe interdisciplinaire se pose la question d'un projet de recherche répondant à un appel d'offres. Il s'agit de choisir un sujet à partir de là ; car la violence c'est un domaine, pas un sujet. L'équipe en question a choisi comme sujet le passage à l'acte. C'est un terme emprunté au vocabulaire psychanalytique, sans que sa théorisation ait été poussée très loin. Notion analytique donc, mais qui comme bien d'autres déborde le champ analytique dans la mesure où elle est déjà très employée ailleurs que dans l'analyse.

On peut se poser la question de la pertinence conceptuelle et méthodologique que l'on va choisir, par rapport au sujet du passage à l'acte.

Ce n'est pas si simple... En effet, le passage à l'acte, je vais pouvoir l'étudier d'un point de vue strictement analytique, par exemple : comment comprendre le passage à l'acte dans la dynamique pulsionnelle ? Comment comprendre ses mécanismes, ce qui est inhibition, ce qui est levée des barrières ?

La pertinence sera alors analytique. Je travaillerai avec une conceptualisation analytique, en partant par exemple du Vocabulaire de Laplanche et Pontalis, qui entraînera une attitude et une méthode analytiques. Je ne dirai pas que c'est facile, mais c'est un modèle relativement simple. La plupart du temps on se trouve dans des situations beaucoup plus ambiguës. Par exemple dans cette recherche, doivent travailler des analystes, mais aussi des éducateurs, du personnel de l'éducation surveillée, des psychosociologues proches des jeunes délinquants. Il peut être très intéressant d'étudier le passage à l'acte concrètement sur le terrain avec de jeunes délinquants. Mais en ce cas, on peut s'interroger sur l'opportunité d'utiliser une notion du vocabulaire analytique pour l'appliquer à des faits sociaux réels hors du déroulement de la cure.

On a affaire à des enfants avec leur histoire vécue, les étapes de leur développement, avec toute leur expérience sociale - qui certes mettent en jeu une dynamique pulsionnelle bien particulière - mais pas toujours accessible à travers le mode d'approche et le matériel qu'il permet d'obtenir.

En fait, et heureusement, on n'est pas toujours dans une pertinence complètement cohérente, parce qu'alors on resterait à l'intérieur d'un champ, on ne ferait que des recherches analytiques au sens strict, des recherches sociologiques, épidémologiques, etc.

Ici s'impose l'importance des passerelles d'un champ conceptuel à un autre champ conceptuel. La notion de passage à l'acte peut en être une.

J'ai dit « passerelles », je n'ai pas dit « glissements »... Avec les glissements, les concepts se vident complètement de leur sens : on emploie « Complexe d'Oedipe » à toutes les sauces, phantasme à la place d'imagination, en s'éloignant de leur sens strict. Mais il s'agit bien d'établir des passerelles entre des conceptualisations théoriques différentes, de façon à confronter ces champs à des terrains et à des situations pour lesquels ils n'ont pas toujours été créés. Et de voir s'ils peuvent servir, s'ils peuvent garder du sens ou être ressourcés au point de vue des significations. Problème qui s'est posé pour pouvoir utiliser par exemple des notions anthropologiqties dans le champ de la sociologie, et qui entraine un travail fait avec le plus grand soin afin d'éviter les glissements abusifs, et de ne pas être enfermé trop strictement dans une conceptualisation. La règle absolue me semble être : il faut toujours partir de la réalité telle qu'elle est donnée, et non pas partir de la conceptualisation a priori.

Il faut partir du terrain, de la réalité, la parcourir en tous sens, essayer de la réfléchir, d'évaluer toutes ses dimensions, et à partir de cette première étude, voir si des concepts empruntés à des champs théoriques divers, peuvent garder du sens, en gagner ou être ressourcés. On risque beaucoup moins à aller dans ce sens là, en partant de la réalité et des problèmes qu'elle nous pose, qu'à partir dans le sens inverse, de la théorie pour l'appliquer à la réalité. C'est ce qu'on voit très souvent dans les recherches en psychologie, en psychiatrie ; on part de la théorie, et on essaie de l'appliquer telle quelle à un champ concret. On tombe alors inévitablement dans le placage. C'est-à-dire que, à une réalité qui ne la supporte pas, on va par exemple plaquer toute une théorisation et une interprétation analytiques qui n'ont pas été faites pour elle. Ça va tirer de tous les côtés, ça va forcer le réel, et finalement enlever à la recherche toute crédibilité et toute efficacité.

Donc s'il y a une très grande importance à utiliser les concepts dans un sens strict, à très bien voir à quel champ théorique ils se réfèrent, à essayer d'assurer une pertinence et une cohérence théorique, problématique, et méthodologique maximales, c'est très important d'essayer de créer aussi des passerelles pour pouvoir emprunter des référents théoriques à différents champs, mais en partant toujours de l'expérience concrète et en essayant de ressourcer ou d'éliminer un certain nombre de référents qu'on emprunte à différents champs. C'est un problème difficile sur lequel il y aurait lieu de s'étendre plus longuement...

CLINIQUE ET PSYCHANALYSE

Nous en sommes arrivés au moment où je veux reprendre un problème soulevé dans la discussion ce matin : recherche psychanalytique et recherche clinique. Je voudrais situer ce débat par rapport à un texte de Lagache et un texte de Freud, et voir ce qu'ils peuvent nous apporter. Lagache dans l'article dont parlait A. Bourguignon ce matin, dit que la psychanalyse est à l'intérieur de la clinique, qui est plus large qu'elle. La psychologie clinique, c'est l'étude des conduites normales et pathologiques, et de l'intervention sur ses conduites ; elle s'étend à des champs plus larges que celui de la thérapeutique. Il y a soigner dedans mais il y a aussi éduquer et il y a aussi aider ; et il pense que la psychanalyse est une « ultra clinique » je crois que l'expression est valable.

A l'intérieur de la clinique, beaucoup plus large, la psychanalyse est une sorte de modèle particulier, qui se réfère à une situation de laboratoire artificiellement provoquée, dans laquelle on peut avoir une dynamique d'observation et de travail tout à fait particulière.

La grande différence qu'il voit entre elles (2) et je voudrais bien qu'on en discute et qu'on y revienne - c'est que le clinicien travaille toujours dans le transfert, alors que le psychanalyste travaille sur le transfert, ce qui n'est pas du tout pareil.

Deux amis, une mère et une fille, un enseignant, un enseigné, travaillent dans le transfert, car la relation humaine se fait avec et dans le transfert. Une action d'aide, une action de soins, une psychothérapie, c'est dans le transfert qu'elle se fait : c'est lui qui la rend possible.

Mais c'est tout à fait différent de travailler dans le transfert ou de travailler sur le transfert, c'est-à-dire en utilisant le transfert comme moyen de la thérapeutique, ainsi que le fait l'analyse. La distinction est importante.

A côté de ce texte de Lagache, il existe un texte intéressant de Freud, dans les « Nouvelles conférences », dans lequel il compare le travail de l'analyste, au travail de l'assèchement du Zuiderzee. Le psychanalyste travaille à faire reculer l'inconscient. Certes et heureusement, il n'a pas la prétention de le faire reculer définitivement et tout à fait, mais il mène une lutte pour faire venir à la conscience, et donc rendre disponibles, un certain nombre d'éléments qui sont inconscients ; qui sont bien là et qui agissent, mais sont indisponibles pour le Moi. Ce travail est toujours aléatoire, toujours remis en question puisque la mer peut revenir. Le travail du psychologue clinicien, ou du psychiatre clinicien, c'est la culture maraîchère, c'est d'exploiter, de mettre en culture, de faire donner le maximum à ces terres qui ont été découvertes par ce grignotage sur la mer qu'est le travail de l'analyse. Il y a là quelque chose qui est très important, dans la mesure où nous travaillons beaucoup en France actuellement dans le prolongement de l'analyse, mais pas toujours en tant qu'analystes : ce qui veut dire avec une situation, des objectifs, des moyens différents.

Je vais prendre un exemple. On a appris bien des choses sur la relation mère-enfant à travers la théorie analytique fondée sur l'expérience de la cure. Mais ce qui a été découvert par l'analyse n'a rien de comparable avec le travail des psychologues cliniciens sur la relation mère-enfant.

Il ne faut pas là non plus confondre autour et alentour. Tout à l'heure je vous disais : il ne faut pas confondre dans et sur le transfert ; mais il ne faut pas confondre l'analyse, et ce qui doit quelque chose à l'analyse mais qui n'est pas l'analyse. Quand on travaille sur un certain nombre de recherches qui se font par exemple autour de la naissance, (sujet sur lequel j'ai beaucoup travaillé, comme d'autres dans la salle aussi), on doit quelque chose à l'analyse : on ne fonctionnerait pas de la même manière si l'analyse n'avait pas existé, mais on travaille sur un certain nombre de terrains défrichés et on en défriche d'autres à partir d'un travail de l'analyse. Ce n'est pas de l'analyse exactement, c'est un travail de psychologie clinique, distinction que ce texte ancien de Freud pose bien plus clairement que bien d'autres discours plus récents. Voilà la différence entre psychologie clinique et analyse, dans une première approche. Mais il y en a d'autres. J'en signalerai deux, la durée, et d'autre part l'implication : un des problèmes les plus difficiles dans les recherches que nous menons, c'est que nous n'avons pas avec le patient une relation au long cours du type de celle que l'on a en situation analytique. Lorsqu'on est avec des patients en cure, on sait très bien ce qui n'aura pas été dit un jour, ce qui a été oublié ou que le mécanisme de l'attention flottante n'a pas retenu, on risque fort de le voir revenir à un autre moment. Ce qui a été perdu sera retrouvé.

Quand on aura fait un entretien avec un adolescent délinquant, une observation avec un patient, ou quand on aura rencontré des femmes enceintes aux consultations prénatales deux ou trois fois, on n'aura absolument pas le même type de matériel et on n'aura absolument pas le même type de relation, donc pas les mêmes possibilités de faire un travail clinique, que dans une cure psychanalytique. Ce qui est très important dans la cure, c'est la durée et c'est cette élaboration qui se fait entre l'analysant et l'analysé, et qui permet que tout soit pris, repris, travaillé, parcouru en tous sens. Le temps permet la perlaboration. Dans les recherches que nous faisons en psychiatrie, en psychologie clinique, en psychopathologie clinique, il y a un temps, une élaboration qui n'est pas du tout celle de l'analyse. Et c'est là qu'il y a une difficulté, car très souvent on a le sentiment qu'à travers un certain nombre d'entretiens, on ne peut pas aller très loin parce qu'on n'a pas les garanties nécessaires. Certes il y a les périodes de crise (3) ; notion qui a été précisée par Erikson, Bibring, etc., moments de remaniements intenses, lieux et temps de remémoration où le normal s'approche du pathologique à tel point que tous les critères en sont brouillés. Situations où les problèmes, grossis à la loupe, peuvent être appréhendés et compris plus facilement avec leur issue : une intégration, un dépassement des conflits, s'accompagnant d'un développement, d'un renforcement du moi ; ou la bascule dans une situation névrotique, voire psychotique. Moments de fragilisation et aussi de réactivité au traitement, nous le savons bien.

Donc, situations de laboratoire, vécues, que le chercheur ou le thérapeute ne se prive pas d'utiliser, à juste titre. Mais situations momentanées et exceptionnelles, dont les caractères ne peuvent être transportés à la réalité vécue entre les crises, réalité la plus fréquente, sans la dramatiser, la fausser dangereusement 1

L'autre différence, c'est que le mode d'implication du chercheur et du sujet (ou du patient) n'est pas le même. Le demandeur n'est souvent plus dans le même camp... De plus, on n'a pour travailler cette implication, ni le même temps, ni les mêmes instruments. Et pourtant cette dimension de l'implication du chercheur est une caractéristique très particulière et essentielle de la recherche clinique.

En effet, on peut dire d'un côté, qu'il faut essayer que ce facteur intervienne le moins possible parce qu'il perturbe la relation et la recherche. Et effectivement l'attitude de l'observateur peut changer au fur et à mesure, et il peut faire en fin de recherche des observations différentes, parce qu'il a changé, de celles qu'il aurait faites au début. On peut donc, et c'est une sage précaution scientifique, se méfier de l'implication ou des facteurs personnels de celui qui fait la recherche. Mais en même temps ne risque-t-on pas ainsi la méconnaissance ? On peut se dire aussi que de toute manière on sera impliqué dans la recherche : on est impliqué par le choix du sujet, par les choix problématiques et méthodologiques. Ne vaut-il pas mieux le reconnaîre et faire une démarche parallèle à celle qui consiste à se servir du transfert comme moyen ? On peut se dire « cette implication existe de toute façon: je vais l'utiliser comme un des moteurs de la recherche ». Pour ma part, je pense que toute recherche en psychologie clinique est amenée à tenir compte de l'implication et de son évolution, et à se servir de cette implication comme d'un des éléments du travail de recherche. Peut-être vaut-il mieux l'observation participante qui sait qu'elle n'est qu'une observation qui se veut objective et objectivante, et qui est quand même impliquée sans qu'on s'en rende compte. La prise en compte de l'implication constitue un élément méthodologique important. Qu'on en tienne compte au minimum ou qu'on en tienne compte au maximum. Au minimum ce serait: je ne m'implique pas, je suis comme quelqu'un qui a l'œil derrière un microscope, (encore cet œil peut-il être bon ou mauvais). Ou bien alors à la limite on peut se dire : c'est l'implication qui permet le travail, c'est en travaillant avec elle que le travail va avancer, un peu comme l'analyse du transfert et du contre transfert est le moteur du travail de la cure. Est-ce une gêne pour la recherche ? ou est-ce un moteur de la recherche. Et comment peut-on la transformer de gêne en moteur ? Je crois que toutes les recherches en clinique sont grevées par une insuffisante prise en compte de ce problème de temps, et de ce problème de l'implication, et de l'attitude à prendre par rapport à cette implication dans les choix méthodologiques : de leur juste évaluation dépend la rigueur, c'est-àdire la scientificité vraie de ce type particulier de travail. La recherche en psychologie clinique diffère de Ia recherche proprement psychanalytique.

Ceci dit, les acquis de l'analyse dans la recherche clinique sont extrêmement importants. Au niveau d'abord d'une attitude du chercheur, d'une prise en compte du temps et de l'implication, mais aussi, de certains présupposés qui peuvent modifier complètement la recherche en clinique si on les admet. Je les réduirais à deux : on peut dire qu'on s'inspire de l'analyse et qu'on a une attitude analytique en psychologie clinique ou en recherche clinique, à partir du moment où on admet deux grands points avec toutes leurs conséquences : l'inconscient existe, et il est à l'œuvre dans les conduites et, deuxième point, il y a une sexualité infantile ; et c'est l'élaboration du travail pulsionnel à partir de cette sexualité infantile qui permet de rendre compte et de comprendre le développement des individus. Certes on peut faire un travail en faisant comme si l'inconscient n'existait pas. (Combien y en a-t-il eu et y en a-t-il encore de faits ?). Mais on fera un travail qui ne sera pas le même si on admet cette « plateforme ». La difficulté essentielle vient du fait que ces choix, pourtant essentiels, ne sont la plupart du temps pas explicités : on fonctionne sans trop savoir sur quelles bases, et de ce fait on maîtrise mal les effets d'une position de départ peu élucidée.

Il faut relever qu'il est très différent d'avoir une attitude analytique et de conceptualiser psychanalytiquement. Avoir une attitude analytique, cela veut dire prendre le donné, le parcourir en tous sens, le mettre à plat, essayer de dégager le sens, notamment en le pointant à partir de ce qui paraît le moins signifiant au départ, le moins logique, le plus irrationnel : les lapsus, les contradictions, les marques émotionnelles, les mécanismes de défense et leurs failles. C'est là une attitude analytique qui peut être étendue au champ de la recherche clinique, sans qu'on se dise pour autant être en train de faire un travail d'analyse. Conceptualiser, c'est, à partir du champ clinique sur lequel on travalle, s'interroger sur la fécondité d'une notion ou d'un concept, si on peut l'utiliser, le ressourcer, le retravailler, l'articuler à d'autres ou non.

SUJET, HYPOTHESE ET METHODOLOGIE

Pour terminer, je voudrais revenir un moment sur la problématique et la méthodologie. En ce qui concerne la problématique, je donnerai un schéma de référence très simple : toujours utile quand on construit un projet de recherche :

1) Quelles questions je me pose ? Qu'est-ce que je veux montrer ?

2) Avec quelles hypothèses de départ ?

3) En utilisant quels moyens pour les vérifier, affiner, infirmer ?

Au risque de paraître enfoncer des portes ouvertes, je rappellerai qu'une hypothèse est une question avec une réponse attendue, un lien étant supposé entre une cause et ses effets. Une hypothèse ne peut donc en aucun cas être une affirmation, une négation, un postulat ...

Devant la lourdeur d'une telle démarche, certains chercheurs espèrent en faire l'économie. Mais il est naïf de penser qu'on va faire une recherche « pour voir ». Il y a bien deux types de recherches, les recherches d'investigation, et les recherches sur hypothèses. Mais même lorsqu'on fait une recherche « pour voir », on a toujours une idée derrière la tête. Parce que voir, c'est sélectionner quelque chose : évidemment on ne voit pas tout, et on ne retient pas tout. Donc, « je vais faire une recherche pour voir », c'est éluder le problème ; parce que qu'est-ce qu'on va voir et qu'est-ce qu'on va retenir de ce qu'on voit ?Finalement on a toujours des hypothèses derrière la tête, et plus on arrivera à expliciter le corps d'hypothèses sur lequel on va travailler, moins on sera gêné. En restant à l'état latent et implicite, elles empêchent considérablement l'élucidation du processus de recherche. Je crois qu'il vaut mieux éliminer l'idée de la « recherche pour voir ». Essayer de formuler très simplement ce corps d'hypothèses de départ en les faisant passer de l'implicite à l'explicite : c'est le processus premier de l'élaboration de la problématique. Quant à la méthodologie, elle est un artefact dans l'artefact. Toute la recherche, on l'a vu, est un grand artefact : c'est essayer de construire un échafaudage que l'on retirera quand la maison sera construite, et qui permettra une intelligibilité, une deuxième lecture, et le dégagement du sens. Tout est un artefact, pour permettre cette deuxième lecture. Mais la méthodologie elle-même, ce sont des artifices qu'on se donne pour avoir prise sur le réel. On ne peut choisir des méthodes qu'à partir du moment où on sait quelles questions on se pose, où on sait quelles réponses sont attendues. Et c'est donc sur le corps de la problématique que la méthodologie va pouvoir être mise en place. On ne peut pas faire comme on voit souvent, des choix méthodologiques avant que la problématique soit construite : on voit quelqu'un par exemple, qui est décidé à faire des entretiens (en ce moment la panacée, c'est l'entretien, dans toutes les sciences humaines et souvent sans esprit critique). Alors on va faire des entretiens, mais des entretiens pour voir quoi ? pour faire quoi ? avec quel guide d'entretien ? avec quel corps d'hypothèses, et pour montrer quoi ? Personne n'en sait rien ; on fait des entretiens. Si cette méthode de navigation à vue peut être utile dans la pré-enquête, pour essayer de se rendre compte de quoi il retourne, elle devient impossible au niveaude la recherche elle-même. De même, on voit des chercheurs qui utilisent des tests projectifs, qui ont décidé d'avance qu'ils utiliseront tel test projectif. Mais ça n'a pas de sens, si on n'a pas auparavant posé son questionnement, établi un corps d'hypothèses, même des hypothèses de départ très simples, si on ne s'est pas demandé : comment vais-je m'y prendre pour essayer de démontrer les hypothèses que je me suis données ? C'est seulement à ce moment-là que la méthodologie intervient. Auparavant elle n'a pas de sens : c'est prendre un instrument sans savoir ce qu'on veut en faire.

Donc et pour nous résumer, l'axe central de la recherche, c'est d'abord de passer du domaine au sujet, ensuite d'avoir une pertinence et une cohérence avec des passerelles, en partant d'abord du terrain ; ensuite d'établir un questionnement ; ensuite sur la base de ce questionnement de formuler quelques hypothèses de départ, qui seront peut-être infirmées par la suite peut-être plus ou moins confirmées, peut-être réélaborées et modifiées ; et à partir du moment où on a établi ce corps d'hypothèses, faire des choix méthodologiques. Mais les choix méthodologiques sont un artefact dans l'artefact, à quoi il ne faut pas accorder plus d'importance ou moins d'importance qu'elles n'en ont ; c'est un échafaudage que l'on met en place en vue du dégagement du sens. Et ces choix méthodologiques ne peuvent être faits que quand la problématique est elle-même définie. Si on le fait dans un sens inverse, on ne sait absolument pas ce que l'on va démontrer, les choix seront non pertinents par rapport aux objectifs de la recherche.

Il y a donc tout un travail préalable à la mise en place de la recherche, qui est très caractéristique du domaine des sciences cliniques. Puisque dans aucun autre domaine la prise en compte d'un certain temps de l'élaboration, la prise en compte du questionnement bien particulier, de la construction d'une problématique particulière, et d'un choix méthodologique particulier, ne se posent de la même façon.

CORPUS ET ÉCHANTILLON

A partir. de là, qu'est-ce qu'on appelle le « corpus » ? C'est l'ensemble des documents sur lesquels on va travailler. On peut travailler sur des textes. Par exemple on va prendre toutes les publications médicales sur tel sujet, qui ont paru dans les journaux psychiatriques pendant deux ans ; ou bien on va prendre le matériel des dossiers d'une consultation pendant un an. Il y a donc en ce cas un ensemble de documents sélectionnés, en admettant un critère de durée. Mais Barthes a fait une très belle recherche sur les comportements alimentaires, en prenant uniquement des menus de restaurant. Son corpus était extrêmement limité, et sans étalement dans la durée. C'était ce qu'on appelle un corpus synchronique. Vous connaissez la différence entre diachronie et synchronie ; lorsqu'on dit que l'on ne tiendra pas compte du développement dans la durée, on fait une coupe. C'est-à-dire qu'on prend tous les patients qui sont présents dans le service au jour J de la recherche, par exemple. Et on ne prend pas une perspective évolutive sur tous les patients qui ont pu entrer dans le service pendant un long temps. On va prendre un jour tout ce qui a été dit dans la presse sur un certain sujet, et on fera une coupe dans le donné, qui permettra en comparant plusieurs coupes de dégager des structures. Mais ce procédé ne permet pas du tout d'étudier des évolutions et des processus dynamiques, comme avec une perspective diachronique, développemen tale, évolutive. Il y a donc bien des options différentes : la constitution d'un corpus synchronique ou diachronique modifiera considérablement le profil et les possibilités de la recherche.

On appelle échantillon le choix d'une population sur laquelle on va travailler, celle-ci est fonction aussi des objectifs que l'on se donne ; un exemple : une étudiante s'est lancée dans une recherche sur l'orgasme féminin par la méthode des questionnaires posés à un large échantillon représentatif. On peut se demander d'abord si, en lançant un questionnaire sur l'orgasme, on ne risque pas d'avoir des réponses évasives et très défensives. Quand on choisit le questionnaire, on peut travailler sur un échantillon de milliers de personnes à un niveau plus superficiel. Quand on fait des entretiens, plus ils sont non directifs, plus ils sont libres, plus on pourra travailler avec un petit échantillon, en espérant aller plus loin que par un questionnaire. Donc la constitution de l'échantillon, (comme le choix des méthodes) dépend des possibilités et des objectifs de la recherche. On peut le prévoir petit ou grand, représentatif ou non représentatif. Mais de toutes façons il est indispensable de définir l'échantillon ; effectivement on risque d'avoir un biais énorme dans la recherche si, après avoir choisi un échantillon, on ne mesure pas toutes les conséquences qu'entraîne sur la recherche sa définition insuffisante. Qu'est-ce que cela entraîne de travailler avec des hommes ou des femmes ? Quel poids ont les différentes variables extérieures, socio-professionnelles, culturelles, nosographiques, etc. Mais aussi les variables qui sont internes à la recherche, car on peut avoir une population que l'on choisit en fonction de critères internes à la recherche. On a moins de risques de biais si l'échantillon est aussi défini que possible et si toutes les conséquences sont tirées de la définition de cet échantillon. Mais on a effectivement moins de risques encore quand on compare deux ou plusieurs échantillons entre eux, en ne les faisant varier que par une seule variable. C'est évidemment l'idéal, mais vous savez aussi bien que moi que c'est extrêmement difficile. Parce qu'une caractéristique de la recherche en clinique, c'est justement la difficulté d'isoler les variables : on a en général des pluridéterminations, qui sont la résultante de variables intriquées. On peut essayer quand même de faire des échantillons de comparaison en essayant d'isoler les variables qui les différencient ; mais on peut aussi comparer un échantillon que l'on a construit et défini, avec les travaux des autres chercheurs qui servent alors de référents, sans avoir la peine de constituer soi-même les échantillons de contrôle.

Mais nous abordons ici la question des techniques que l'on peut employer ; c'est le terrain sur lequel Odile Bourguignon parlera tout à l'heure, donc je n'entrerai pas dans l'observation, le questionnaire, l'entretien, l'étude de cas, les méthodes de l'analyse de contenu, les différents profils de recherche, et l'imagination créatrice, sans laquelle aucune recherche valable n'est possible.

* Pour faciliter la lecture de l'exposé de Claude Revault d'Allonnes, nous avons pris la liberté d'ajouter des intertitres (A. B.).

(1) R. BARTHES, 1971. Eléments de sémiologie, in Le degré zéro de l'écriture. Paris, Médiations, Gonthier.

(2) D. LAGACHE, 1949. Psychologie clinique et méthode clinique. L'évolution psychiatrique I, 155 178.

(3) A d'autres niveaux, on peut aussi penser à utiliser la notion de "conflit vital", telle que la définit D. Lagache, ou celle de "situation extrême" posée par B. Bettelheim.


Dernière mise à jour : jeudi 14 février 2002 17:02:26

Dr Jean-Michel Thurin