RAPPORT MASSÉ

4/ L'ETAT DE LA RECHERCHE EN FRANCE


Le développement de la recherche est un impératif. On oublie trop souvent que son absence est au coeur de la souffrance des familles et qu'elle génère l'insécurité.

Alors que les disciplines somatiques bénéficient d'une infrastructure importante, la situation psychiatrique est dans ce domaine beaucoup plus modeste. Les organismes (INSERM, CNRS, etc...) ne retiennent que rarement les projets présentés par les psychiatres.

Ne pas pouvoir ou plutôt devoir calquer sa démarche sur les critères des sciences de la nature ne doit pas avoir pour corollaire l'absence de recherche.

Les découvertes scientifiques et leur vulgarisation ont joué un rôle majeur dans la modification de la perception des disciplines somatiques et de l'hôpital général. C'est aussi par là que la psychiatrie peut être considérée comme les autres disciplines et que son image peut être valorisée.

a) Spécificité de la Psychiatrie parmi les disciplines médicales ;

L'existence de la psychiatrie au sein des Facultés de Médecine, en tant que discipline autonome, est très récente. Elle date de 1968. Autrefois, la seule discipline reconnue au plan universitaire était la neuropsychiatrie. La formation était essentiellement.d'inspiration neurologique. En 1968, il a été demandé à des hospitalo-universitaires neuropsychiatres, alors en place et exerçant principalement la neurologie, de choisir entre la neurologie et la psychiatrie. Certains d'entre-eux ont choisi la psychiatrie pour des raisons d'opportunité dépendant des circonstances locales et l'on ne peut pas dire qu'ils aient contribué à donner sa spécificité à la discipline. Parallèlement à cette évolution, le corps des psychiatres des hôpitaux psychiatriques voyait son statut et le profil de carrière évoluer en méme temps que se mettait en place la politique de secteur. Enfin, le courant psychanalytique, essentiellement localisé en pratique de ville, contribuait aussi à une spécificité.

La maladie mentale est aux confins du psychologique, du neurobiologique et du social. Elle ne peut donc absolument pas être calquée sur le modèle médical de la maladie somatique. Par voie de conséquence, la recherche en psychiatrie ne peut être exclusivement assimilée à une référence psychologique, neurobiologique ou sociologique.

b) Quelques caractéristiques de La recherche en
psychiatrie

En France, l'investissement dans la recherche en psychiatrie, qu'il s'agisse des moyens financiers ou du nombre de chercheurs, est absolument dérisoire par rapport au poids de la santé mentale dans notre société. On sait que les pathologie psychiatriques représentent la troisième cause d'hospitalisation de notre pays et qu'elles concernent 1/3 du budget de la Sécurité Sociale. En 1979, le rapport de François Gros, François Jacob et Pierre Royer au Président de la République, notait que la psychiatrie concernait 25 % des consultations hospitalières et 30 à 35% des consultations en médecine générale. En 1979, le coût de la santé mentale représentait 3 % du Produit Intérieur Brut. Au regard de ces chiffres, le bilan des structures, des moyens et des hommes qui se consacrent exclusivement à la recherche en psychiatrie, apparaît sans commune mesure.

Il faut peut-être rappeler la phrase de Brody, dans un article paru en 1978, sur le contexte social de la recherche et l'avenir de la psychiatrie. Il disait que "l'importance de la recherche en psychiatrie est le reflet de l'intérêt que la société porte à la psychiatrie". Entre 1945 et 1965, il faut noter la suprématie des courants de pensée psychanalytique et institutionnel, aussi bien en ce qui concerne la formation, l'enseignement que la recherche dans la discipline psychiatrique.

A partir de 1965, et essentiellement à partir de 1970, c'est le courant neurobiologique qui s'est développé avec une prépondérance remarquable proposant une superposition stricte au modèle médical des maladies somatiques. La recherche clinique en psychiatrie se situe entre les deux.

c) Caractéristiques de la recherche clinique en psychiatrie :

La recherche clinique a pour objet d'étude l'être humain vivant non séparé de son environnement. Sa problématique pourrait être centrée sur le bénéfice direct et immédiat pour le malade ou la société. Chaque résultat devant constituer un progrès et engendrer une modification d'habitudes dans les stratégies diagnostiques ou thérapeutiques. La recherche clinique balaie des secteurs divers. De manière non exhaustive on peut citer les domaines de la psychopathologie, de l'épidémiologie, de la psychopharmacologie clinique et de la psychiatrie biologique, au sens large du terme, c'est-à-dire prenant en compte des processus de fonctionnement plutôt que des index biologiques ponctuels. Les investigations d'exception, comme l'immunologie, l'imagerie cérébrale ou la génétique moléculaire, devraient plus s'intéresser à l'homme dans une perspective dynamique et interactive avec son environnement que dans une perspective statique de recueil des données sous forme d'images figées à un instant précis. En d'autres termes, l'utilisation de ces investigations qui ont donné toutes leurs mesures dans des secteurs de la médecine somatique, ne peuvent pas étre utilisées de la même manière dans le cadre de la recherche clinique en pathologie mentale. La recherche clinique n'étudie pas un organe en psychiatrie, mais s'intéresse à une mise en perspective d'un être humain dans ses trois dimensions inséparables que sont le biologique, le psychologique et le social [1]

d) L'esprit de la recherche et l'esprit des soins :

Une première difficulté spécifique à la recherche clinique en psychiatrie est l'antinomie existant entre l'esprit de la recherche et l'esprit des soins. Il n'existe pas de structure de recherche clinique spécifique à la psychiatrie dans notre pays. La recherche clinique, quand elle existe, se développe dans des structures de soins. Cela est totalement différent du fonctionnement d'un certain nombre d'autres pays, comme l'Angleterre, la Hollande, l'Allemagne et les Etats-Unis, pour prendre des exemples qui ne sont pas lïmitatifs. Dans ces pays, il existe soit des structures spécifiques d'hospitalisation, en vue exclusivement de recherche clinique, soit des services universitaires qui n'ont comme seule vocation que l'enseignement et la recherche. Si l'Institut National de la Santé Mentale aux Etats-Unis ne prend en compte que les soins aigus pour des malades hospitalisés en vue d'une recherche clinique, n'assumant aucune prise en charge au long cours de patients psychotiques par exemple, la formule est différente en Grande-Bretagne. L'Institut de Psychiatrie, proche de Londres, fait co-exister sur un même campus des structures de soins traditionnels et des équipes de chercheurs qui poursuivent, indépendemment des Cliniciens qui prennent en charge les patients, les investigations de recherche clinique au cours des hospitalisations. En France, tout le monde s'estime chercheur en psychiatrie pour peu qu'il ait une activité de soignant dans le secteur public. Le rapport de Suzanne Parizot et J.P. Vignat, à l'Association des Présidents de C.M.E. des C.H.S. [2], soutient l'idée que la recherche clinique en psychiatrie peut être faite dans toutes les structures de service public en psychiatrie. De même, qu'en France, la notion qu'une formation et une compétence doivent être acquises pour pouvoir développer des recherches cliniques de qualité, semble absente. Ce n'est évidemment pas la vision des organismes de recherche officiels comme l'INSERM ou le CNRS, mais c'est en tout cas une position souvent entendue aussi bien des les C.H.S. que dans les services hospitalo-universitaires. Au-delà de ces considérations, il parait difficile de pouvoir concilier chez le mème psychiatre ayant en charge un patient l'esprit de la recherche et l'esprit des soins.

La relation que le psychiatre développe avec son patient, dans une perspective de suivi au long cours, avec l'équipe soignante, avec l'entourage du malade, est-elle vraiment compatible avec la rigueur d'application rendue nécessaire par un protocole de recherche clinique ? Une recherche clinique est par définition le plus souvent très limitée dans le temps. On respecte des critères d'inclusion et des critères d'exclusion dans un protocole qui implique des investigations dont le rythme est pré-déterminé et, lorsque les données sont recueillies, le malade sort du protocole. Cette attitude nécessaire est donc parfaitement antinomique avec la souplesse, la flexibilité de la relation du psychiatre avec un patient suivi au long cours et avec la nécessaire concertation entre les autres acteurs de la prise en charge, la famille ou l'entourage. Au Canada, il semble que cette difficulté soit contournée de la manière suivante : aucun soignant en psychiatrie ne peut ètre chercheur à propos du patient qu'il a personnellement en charge. Au sein d'une même structure, on est donc soit soignant d'un patient, soit chercheur à propos d'un patient pris en charge par un autre psychiatre. Cela nécessite bien entendu un excellent esprit de collaboration, une bonne entente entre les membres d'une même institution. Cela implique aussi que la nécessité d'une recherche clinique en psychiatrie soit acceptée par l'ensemble des membres de l'institution, qu'ils aient une activité de chercheurs ou non.

Les lieux de la recherche clinique sont donc les mêmes que les lieux de soins.

C'est essentiellement au cours des hospitalisations ou des prises en charge en secteur public, C.H.S., services de psychiatrie en Hôpital Général ou C.H.U., que se définissent les lieux de la recherche clinique. Les rares personnels INSERM qui ont une activité de recherche clinique en psychiatrie sont hébergés dans des services d'hospitalisation. C'est donc gràce à une collaboration avec les soignants qu'ils pourront avoir accès aux malades leur permettant de développer leurs axes de recherche. On sait maintenant la très grande difficulté créée par cette situation.

e) Les acteurs de la recherche clinique sur le terrain :

Les seules personnes pouvant être prises en compte comme chercheurs dans le domaine de la recherche clinique en psychiatrie sont les chercheurs statutaires de l'INSERM. En effet, il n'est pas possible de répertorier au sein des Hôpitaux Psychiatriques ou des C.H.U., des chercheurs temps plein, mais plutôt des activités de recherche plus ou mains suivies dans le temps et dont la seule concrétisation est représentée par des articles scientifiques publiés dans des revues internationales à comité de lecture. En ce qui concerne l'INSERM, créé en 1964, une des commîssions (le no 6) comportait jusqu'en 1981 le terme "psychiatrie et santé mentale" dans l'intitulé de ses activités, à côté d'autres axes de recherche'recouvrant globalement le système nerveux central. De 1982 à 1986, la "pathologie mentale" s'est trouvée évaluée par une commission (la 6), la "santé mentale" par une autre commission (la 8) et les "sciences sociales humaines" par une autre commission (la 9). De nouveau de 1986 à 1991, la psychiatrie est réapparue dans l'intitulé de la commission 6. Depuis 1991, toute référence à la psychiatrie, à la pathologie mentale au à la santé mentale, a disparu.

Actuellement, les représentants de la psychiatrie, les recrutements éventuels de psychiatres, l'évaluation des chercheurs psychiatres et des quelques uni-tés ayant une activité dans le domaine de la psychiatrie, sont le fait d'une commission dont le label général concerne la neurobiologie et le système nerveux. De 1981 à 1985, 5 chercheurs en psychiatrie ont été recrutés parmi les 200 chercheurs recrutés dont 30 ayant une activité de neurobiologie fondamentale. Il existe actuellement 14 psychiatres à l'INSERM, soit 0,7 % des chercheurs de l'Institut. Sur les 340 Unités que compte actuellement l'INSERM, il existe 2 unités qui se consacrent à des recherches dans le domaine de la pédopsychiatrie et l'unité qui se consacre à la recherche dans le domaine de la psychiatrie de l'adulte.

f) Les résultats de la recherche clinique en psychiatrie en France

Les résultats quantitatifs et surtout qualitatifs sont considérés comme extrêmement faibles. Ils doivent cependant être évalués à la mesure des moyens mis en oeuvre. Dans le rapport sur la recherche psychiatrique,,élaboré pour la Direction Générale de l'INSERM, par le groupe de travail de Claude Kordon, référence était faite aux publications internationales [3]. Pour donner un exemple, le nombre d'articles par pays était répertorié dans une revue européenne jouissant d'une bonne réputation : Acta Psychiatrica Scandinavica. Entre 1983 et 1988, la Grande-Bretagne a publié 89 articles, la République Fédérale d'Allemagne 42, l'Italie 32 et la France 6. Avec ce score, la France se situe en-dessous de la belgique (9) ou les Pays-Bas (28), pour ne citer que des pays européens.. Dans cette même revue, en effet, pendant la même période de temps 120 articles ont été publiés par des équipes des Etats-Unis et méme 5 par Taïwan.

g) Avis exprimés de participer à la recherche et bilan

Les mêmes regrets, les mêmes voeux, les mèmes constats sont régulièrement répétés au fil du temps par des travaux ponctuels ou des groupes de réflexion. La thèse de Charles Lajeunesse en 1981, qui était consacrée à l'état structural de la recherche en psychiatrie biologique en France (thèse ayant obtenu le soutien de la D.G.R.S.T.) [4] trouve un écho non modifié dans la thèse de J.P. Prallet, de 1987, sur la recherche psychiatrique en France [5]. En 1986, le rapport Zambrowski reprenait les mêmes constats et les mèmes suggestions. Toutes ces informations sont connues de l'INSERM, du CNRS, de l'Université, des associations scientifiques de psychiatrie. La pauvreté de la recherche en psychiatrie, l'absence de moyens humains et matériels, est déjà soulignée dans le Colloque de Royaumont en 1977. Le rapport d'activité de l'INSERM, en 1984, note "l'insuffisance et l'inadaptation de la structure de recherche en psychiatrie". Un certain nombre de personnalités du monde de la psychiatrie a pris position à ce sujet. Et si on déplore la faiblesse de la recherche, de son organisation et de l'absence de structures propres, l'intérêt pour la recherche est affirmé partout, dans les congrès, les réunions diverses, et par les syndicats. Il s'agit donc d'une unanimité totale qui semble devoir ne jamais aboutir à une prise en compte de la réalité. Il est vrai que le monde de la psychiatrie n'a guère évolué pour structurer en son sein une recherche clinique répondant aux normes de la communauté scientifique internationale. Les associations scientifiques sont beaucoup trop nombreuses pour un pays comme le nôtre, d'ailleurs pas toujours très "scientifiques", les revues sont beaucoup trop nombreuses, il n'existe par exemple aucune société nationale ou association nationale regroupant la recherche en psychiatrie comme il existe une Société de Cardiologie ou une Société de Pédiatrie. Il n'existe pas non plus de revue de psychiatrie indépendante pouvant accueillir les différents courants de recherche. Les organismes professionnels et syndicaux ont également défendu vigoureusement la nécessité de développer de manière urgente la recherche en psychiatrie. On peut penser que l'existence de cinq syndicats de psychiatres en France ne facilite pas l'homogénéité des positions.

h) Les tentatives de formation de chercheurs et ce qu'ils sont devenus :

Depuis la création de la commission "Dynamique du Neurone à la D.G.R.S.T., il y a plus de -dix ans,; jusqu'aux bourses de formation à la recherche en psychiatrie du M.R.T., plus récemment, des efforts ont été entrepris pour financer les séjours de psychiatres français dans des structures de recherche de haut niveau en Europe ou en Amérique du Nord.

Dix-sept bénéficiaires ont ainsi pu passer pour onze d'entre-eux plus de deux ans à l'étranger, pour six d'entre-eux un an. Cinq ont séjourné en France, 8 aux Etats-Unis, quatre ont fait des séjours mixtes. Le résultat à terme concernant le devenir de ces psychiatres ayant pu bénéficier d'une formation de haut niveau est très variable. Deux d'entre-eux ont été recrutés par l'INSERM, mais l'un est reparti au Canada. Sept d'entre -eux ont actuellement une activité en secteur public, soit C.H.S., soit hospitalo-universitaire, et tous continuent une activité de recherche pour beaucoup centrée essentiellement sur la psychopharmacologie clinique. Un bénéficiaire s'est installé en pratique libérale, deux sont restés aux Etats-Unis et pour l'un d'entre-eux, en dépit d'un recrutement comme CR1 au CNRS. Les autres ont été perdus de vue. Il faut ajouter à ces psychiatres quatre boursiers du N.I.M.H. ayant bénéficié d'une aide de la Fondation pour la Recherche Médicale. L'un est actuellement praticien hospitalier, un deuxième est candidat à l'INSERM, un troisième à migré au Canada et un quatrième développe une carrière privée dans une société de services pour l'industrie pharmaceutique. Il s'agit là d'un panorama général, mais qui à trois ou quatre personnes près, ne prend pas en compte la totalité des psychiatres ayant bénéficié d'une formation de recherche au cours de leur cursus. Néanmoins, ces chiffres sont suffisamment précis pour donner un panorama sur dix ans de l'effort entrepris et des résultats obtenus,

i) Les différents acteurs de la recherche clinique en psychiatrie :

Le rôle de l'INSERM, on l'a vu, a été totalement insuffisant. Mais il s'agit probablement d'une politique délibérée posant comme postulat que les progrès dans le domaine de la recherche en psychiatrie viendront exclusivement du courant de recherche neurobiologique, en particulier dans son approche moléculaire. A cela s'ajoute la situation très particulière que connait un jeune psychiatre qui souhaite intégrer cet organisme de recherche. Le recrutement, le mode d'évaluation, la carrière et l'exercice du métier de chercheur, ne sont absolument pas adaptés à la recherche clinique en psychiatrie. Un psychiatre titulaire d'un double doctorat entrera en compétition avec un jeune docteur ès-Sciences et son cursus médical comprenant souvent un internat, ne sera absolument pas pris en compte. Le recrutement et l'évaluation seront faits de manière minoritaire par des cliniciens et pour donner une idée globale sur une commission d'environ 25 membres, les psychiatres sont au nombre de deux à trois au grand maximum. Au moment des votes, les différences se font sentir.

Ces chercheurs statutaires vont se trouver intégrés dans des services de clinique où la primauté est donnée aux soins où, dépendant d'une unité INSERM, ils devront avoir une localisation physique dans un service de clinique pour pouvoir mener leurs recherches. Leur statut leur interdit de continuer de manière réelle l'exercice de la clinique de soins. Ils sont autorisés à une ou deux vacations par semaine, le plus souvent de consultations, sans être intégrés à l'équipe de soins. Un clivage est donc obligatoire. Etant personnels statutaires à l'INSERM, ils ne pourront se réintégrer ultérieurement en clinique. Il n'existe, par exemple, pas d'équivalence entre un poste de chercheur INSERM et un poste de praticien hospitalier en psychiatrie. Enfin, ces chercheurs vont connaître rapidement une chute de salaire par rapport à leurs condisciples du mème âge se trouvant dans les mêmes services et ayant une fonction de soins. Tous les ingrédients sont donc réalisés pour qu'ils essayent, par des activités marginales, d'améliorer leur niveau de vie au détriment de leur activité de recherche. En outre, la recherche clinique en psychiatrie, mais c'est le cas général pour toute recherche clinique à l'INSERM, ne prévoit pas de formation d'un personnel infirmier qui doit jouer le rôle indispensable d'Assistant de Recherche Clinique au contact du malade. Dans certains pays européens, d'autres modèles existent ; des lits de recherche clinique hors secteur sont intégrés à des services sectorisés dépendant en partie de l'Université. C'est ainsi que l'Hôpital Universitaire de Copenhague comporte des lits de recherche clinique financés pour -1/3 par l'Hôpital, 1/3 par l'Université et 1/3 par le Conseil de la Recherche. En Suède, à l'Institut Karolinska, la recherche est intégrée aux activités sectorisés sur un modèle très proche de celui du Danemark. Il apparaît clairement que le modèle de l'unité INSERM, qui s'est avéré si fructueux dans la totalité des secteurs de la recherche, n'est pas du tout adapté à la recherche clinique en psychiatrie. La spécificité de la psychiatrie évoquée plus haut, la spécificité de la recherche clinique en psychiatrie ne peuvent pas s'accomoder d'une unité géographique (structure identifiée comme présence de l'INSERM) qui soit complètement séparée des prises en charge de patients.

La recherche universitaire n'est pas mieux lotie. Il existe une énorme disparité entre les activités de recherche des services de psychiatrie des différents C.H.U. Les données historiques l'expliquent aussi largement. Certaines Facultés de Médecine ont trente ans d'existence et étaient récemment encore des Ecoles de Médecine. L'environnement de la recherche, en général, y est souvent faible. Les personnels de rang A des services de psychiatrie des C.H.U. n'ont en général aucune formation à la recherche dans leur cursus. On peut espérer que la récente obligation, pour pouvoir se présenter à une liste d'aptltude aux fonctions de rang A, de posséder un DEA, une habilitation à diriger des recherches, améliorera peut-être la situation. Une autre explication à la pauvreté de la production de travaux de recherche en psychiatrie des CHU est liée à trois éléments :

. la quasi-totalité des services est sectorisée, imposant ainsi en matière de recrutement et de suivi, des contraintes qui ne sont pas compatibles avec les caractéristiques de la plupart des protocoles de recherche clinique. S'ajoute à cette situation l'accumulation des tâches diverses, dont l'enseignement représente une part importante, mais également l'administration qui laisse peu de disponibilités pour une véritable activité de recherche clinique . l'antagonisme encore très traditionnel entre services de psychiatrie sectorisés des C.H.S. et service de psychiatrie des C.H.U. explique que les collaborations sont rares et ne permettent pas encore, comme c'est le cas en Hollande, un recrutement de patients entrant dans des protocoles de recherche à partir des services sectorisés des C.H.S, où ils retournent après la fin du protocole de recherche, pour une prise en charge au long cours

. l'énorme effort de l'industrie pharmaceutique pour développer des protocoles de psychopharmacologie clinique, en vue d'expérimenter des médicaments, est beaucoup plus attractif pour les services de psychiatrie qu'une recherche clinique non rémunérée et nécessitant une rigueur parfaite pour pouvoir obtenir la gratification d'une publication dans une revue de haut niveau.

Une enquête, réalisée auprès des Présidents d'Université et demandant l'envoi de l'Annuaire de l'Université, a donné les résultats suivants : 31 Universités : 17 réponses permettant de prendre en compte les publications de ces services de psychiatrie. C'est l'évaluation de ces publications qui permet d'appuyer les affirmations ci-dessus. En 1989, le Collège National des Universitaires de Psychiatrie a fait une enquête de même ordre grâce à un questionnaire envoyé à tous les responsables de services de psychiatrie universitaires et le bilan est grossièrement superposable. Si l'on prend en compte les travaux de recherche clinique issus des services de psychiatrie des C.H.S., ou d'activités de psychiatres libéraux, on peut faire la synthèse suivante : il existe un éparpillement des initiatives et une absence de coordination des efforts. La bonne volonté est générale et n'a d'égale que l'incompétence dans ce que doit être une recherche clinique rigoureuse. Les psychiatres français ont souvent d'excellentes idées, une bonne culture générale, sont capables d'émettre des hypothèses très intéressantes, mais n'ont pas conscience que la recherche clinique nécessite une méthodologie, un protocole, de la rigueur, une exploitation statistique des résultats. Enfin, il faut souligner encore que ce qui est le plus généralement développé, dans les différentes structures que l'on vient d'évoquer, sont les essais thérapeutiques commandités par l'industrie pharmaceutique.

On peut donc résumer la situation en disant que depuis plusieurs dizaines d'années toutes les voix s'accordement pour proclamer que la recherche clinique en France dans le domaine de la psychiatrie est nécessaire, insuffisante, et doit recevoir de vrais moyens pour se développer. Tout le monde reconnait également l'importance quantitative et économique des maladies mentales. Cependant, rien n'a vraiment été entrepris.

D. Widlôcher relevait en 1979 dans "Psychiatrie Française" "La psychiatrie est-elle une discipline qui a le droit de forger ses propres instruments théoriques et d'inventer ses propres techniques, ou la maladie n'est-elle que le champ d'expériences et d'exercices de quelques sciences dites "fondamentales

j) Quelques propositions

Une étape indispensable, pour apporter des solutions à une situation aussi catastrophique, serait d'abord de reconnaître l'existence officielle et indépendante d'une recherche en psychiatrie possédant sa spécificité et devant être évaluée exclusivement par des chercheurs cliniciens. C'est sur les jeunes générations qu'il faut fonder les espoirs en les sensibilisant à la recherche, en les informant et en les formant. L'identification de pôles d'activité de recherche clinique en psychiatrie au plan national permettrait de définir des centres formateurs possédant les moyens et un cahier des charges, susceptibles aussi de jouer un rôle régional. Il est nécessaire de procéder par étapes successives avec définitions d'objectifs. Il existe des thèmes qui pourraient ôtre reconnus prioritaires à cause de leur rentabilité immédiates en termes de bénéfices pour le malade, la famille ou le système de soins en santé mentale. il paraît urgent de repenser l'articulation des soins et de la recherche clinique en termes de locaux, de présence physique de chercheurs ayant des responsabilités réelles au sein des équipes de soins, tout en dissociant à propbs d'un même màlade les fonctions de soins et de recherche. Aucune recherche clinique n'est envisageable sans une formation spécifique du personnel infirmier. L'unité INSERM ne peut être le modèle adapté à la recherche clinique en psychiatrie. Des réseaux inter-connectés, comprenant exclusivement des chercheurs cliniciens et des centres de soins, permettraient les collaborations nécessaires. L'information doit étre centralisée et l'on pourrait envisager des programmes de recherche au minimum sur deux ans car la recherche clinique nécessite beaucoup de temps. Il existe un potentiel considérable pour une recherche clinique de qualité au sein du tissu de l'hospitalisation publique en France ; c'est l'animation de pôles d'activités identifiées pour leurs compétences et connectées en réseaux qui permettraient de sortir de la situation actuelle. L'idée d'un Institut National de la Recherche en Santé Mentale sur le modèle américain n'est pas adaptée à la situation de notre pays. Mais la sectorisation, telle qu'elle est appliquée et vécue dans bien des endroits, est un obstacle considérable à une recherche clinique de qualité. En revanche, si les secteurs de psychiatrie fonctionnaient avec plus de souplesse et pas sur la base d'entités territoriales ou de fiefs, des collaborations seraient alors possibles en particulier dans le domaine de l'épidémiologie. Mais, pour arriver à cette situation, c'est tout un état d'esprit qu'il faudrait changer.

Trois grands thèmes de recherche pourraient être développés car ils correspondent aux critères évoqués plus haut, à savoir faisabilité et intérêt immédiat pour le patient ou pour la collectivité.

- Les étude épidémiologiques

Grâce aux efforts des pouvoirs publics et d'un certain nombre de psychiatres, une collaboration authentique s'est instaurée au cours de ces dernières années avec des épidémiologistes. Il est urgent de combler le retard que nous avons dans ce domaine dans deux directions. La première concerne l'évaluation de la réalité de la pathologie mentale dans notre pays. Une simple quantification des grandes entités n'est pas encore réalîsée. La deuxième devrait s'intéresser aux facteurs favorisants, dans l'environnement au sens large du terme, la décompensation ou l'apparition des manifestations psychiatriques. Les données, pourtant bien préliminaires de la génétique moléculaire en psychiatrie, montrent que l'expression de gènes défectueux est sous l'influence de facteurs d'environnement allant des interactions précoces mère-enfant à la rencontre d'agents étrangers à l'organisme. C'eàt donc une thématique de recherche qui aura un intérèt non seulement pour approfondir nos connaissances sur la réalité de la maladie mentale, et éventuellement sur ses facteurs étiopathogéniques, mais également pour alimenter la réflexion sur l'évolution des structures de soins en santé mentale, conformes aux besoins réels de la population.

- La psychopathologie

C'est un domaine de recherche qui a été longtemps l'apanage de pays européens, et en particulier de la France, et qui semble maintenant complètement tomber en désuétude par un effet de mode dû à la suprématie des thèmes développés en Amérique du Nord. Il semble que la formation de nombreux psychiatres leur permette de rapidement évoluer vers un très bon niveau de compétences dans le domaine de la recherche en psychopathologie.

- L'évaluation de la qualité des soins

Il s'agit là d'une thématique dont l'intérèt immédiat pour le patient et sa famille apparaît évident. Il convient d'ailleurs de séparer deux aspects

° évaluation de l'efficacité des soins,

° évaluation de la qualité des soins.

Si l'efficacité des médicaments doit étre démontrée par des procédures réglementaires prises en compte par les commissions adhoc de la Direction de la Pharmacie et du Médicament, il n'en est pas de mème pour toutes les procédures de soins en psychiatrie en-dehors du médicament.

On sait qu'un courant de recherche se développe aux Etats-Unis dans ce sens puisque les compagnies d'assurances, avant de prendre en charge les soins, veulent avoir obtenu une démonstration de leur efficacité.

Qu'il s'agisse des hôpitaux de jour ou des appartements thérapeutiques, les méthodologies peuvent être mises en oeuvre pour évaluer l'efficacité de ces mesures thérapeutiques. On pourrait multiplier aisément les stratégies thérapeutiques, psychologiques et sociales, pour lesquelles aucune procédure d'évaluation de l'efficacité n'a été mise en oeuvre de manière rigoureuse.

L'autre volet concerne l'évaluation de la qualité des soins, c'est-à-dire que pour une stratégie thérapeutique reconnue efficace, il faut être sûr de la mettre en oeuvre d'une manière qui optimise le résultat. Dans le domaine du médicament, il ne suffit pas d'avoir démontré qu'un médicament est efficace pour en optimiser le résultat. Il faut encore l'utiliser d'une manière appropriée en ce qui concerne l'indication, la posologie, ... Les autres moyens thérapeutiques mis en oeuvre en psychiatrie peuvent également donner lieu à une évaluation de la qualité des soins. C'est un état d'esprit qu'il faut insuffler aux équipes de soins car la recherche dans ce domaine est le seul moyen de faire réellement des progrès.

Ces trois exemples de thèmes de recherche n'ont peut-être pas le prestige d'investigations pointues, mettant en oeuvre des technologies d'exception, mais leur avantage serait d'apporter des résultats dans des délais brefs et d'être accessibles à un plus grand nombre de vocations dans le domaine de la recherche clinique en psychiatrie.

5/ ET L'EUROPE ?

Les psychiatries européennes cheminant de façon assez parallèle tant pour ce qui concerne leurs concepts que leurs réponses thérapeutiques.

Les structures hospitalières importantes et spécifiques ont fleuri partout au cours du XIXè siècle parallèlement à l'industrialisation des divers pays.

Leur dépérissement a tout autant été annoncé de façon générale en cherchant à diversifier les prestations. Malgré des politiques affichées, le système demeure non accompli, freiné par des logiques contradictoires quand ce n'est pas le manque de moyens. La crise économique n'a pas laissé grande chance à une quelconque priorité au moment ou le système hospitalier dans son ensemble devenait fragilisé et contesté.

Une autre constante est celle du manque de réflexion épidémiologique hors des sensibilités anglo saxones et du nord de l'Europe alors que les pays latins ont vu leur évolution presque toujours induite par une frange de praticiens engagés et actifs, mais non toujours représentatifs de l'ensemble de leurs collègues.

Chaque tendance dépend étroitement de systèmes de santé générale particuliers. Si ces derniers contextes sont différents les impératifs externes ne le sont pas.

Les pays les plus démunis sur le plan sanitaire (Sud de l'Europe, Grande Bretagne) ont mis en place des systèmes nationaux de santé institutionnels. Ceux les mieux dotés ont maintenu un aspect libéral avec assurance sociale sous tutelle (France, RFA, Belgique).

Les poids sont les mêmes longévité de la population et maladies chroniques en augmentation expérientielle du fait méme des progrès médicaux, démographie médicale forte, internationalisation des marchés de biens médicaux. Les buts recherchés ne peuvent donc qu'être communs : réduction des surcapacités hospitalières et priorité aux alternatives.

On peut relever qu'en manière de psychiatrie, la France a maintenu une position moyenne entre des concentrations asilaires persistantes et les errements radicaux de la solution italienne. Une traduction en termes budgétaires la situe aux côtés de la Grande Bretagne (stagnation des moyens que certains considèrent comme des ressources potentielles pour les soins généraux) entre le désengagement des financeurs (Italie et RFA) et l'impossibilité de datation (Portugal).

Le conseil de l'Europe a organisé la deuxième conférence des ministres européens de la santé sur la santé mentale qui s'est tenue en 1985 à Stockholm et a réaffirmé l'importance de la promotion de la santé mentale et de la prévention des troubles mentaux, en tant qu'éléments essentiels d'une politique de santé complète.


1. Jean-Paul PRALLET, Henri LOO et Edouard ZARIFIAN. "Organismes de recherche en psychiatrie E.M.C. Psychiatrie, 37960 A 30, 6, 1988, 6 p.

2. S. PARIZOT et J.P. VIGNAT': "La recherche et le service public en psychiatrie". Rapport à l'Association des Présidents de C.M.E. des C.H.S. Novembre 1990.

3. Claude KORDON (Groupe de travail) : "Rapport sur la recherche psychiatrique à l'INSERM". Décembre 1990.

4. Charles LAJEUNESSE : "Etat structurel de la recherche en Psychiatrie biologique- en France - Suggestions pour l'amélioration de sa conditionn. Thèse de Médecine, Paris 1981.

5. Jean-Paul PRALLET : "La recherche psychiatrique en France. Place et rôle des différentes structures". Thèse de Médecine, Lyon, 1987.



Dernière mise à jour : vendredi 5 octobre 2001 17:25:28
Dr Jean-Michel Thurin