Convention CNAMTS-INSERM, programme 1994, contrat n° 4AE205
Directeur de programme
: Dr S. Kannas
Laboratoire : EPS Charcot, ERIC
30, Av. Marc-Laurent
78 375 Plaisir cedex
Tel : 01 30 79 27 00 - Fax : 01 30 79 27 09
E-mail : charcot@pratique.fr
1. Rapport de synthèse
a) Contexte de la recherche
Depuis de nombreuses années, plusieurs équipes ont tenté, essentiellement à l'étranger, d'apporter des réponses structurées aux urgences psychiatriques. Ces services sont très différents, que ce soit vis-à-vis de leurs objectifs, de leur organisation ou de leur contexte sanitaire ou géographique. C'est pourquoi leur évaluation rend les comparaisons délicates. Il existe néanmoins une certaine convergence autours de l'idée qu'il est possible, en offrant une intervention spécialisée au moment de l'urgence psychiatrique, de diminuer significativement l'hospitalisation en psychiatrie sans augmentation des coûts pour la collectivité.
En France, le dispositif psychiatrique, qu'il soit public ou privé, a longtemps ignoré le champ de l'urgence psychiatrique. En dehors de quelques grands pôles urbains où des psychiatres libéraux se sont organisés pour intervenir en urgence à domicile, les réponses, quand elles existent, sont situées dans des centres d'accueil et de crise (CAC) créés par quelques secteurs ou, de plus en plus souvent, aux urgences de l'hôpital général, notamment sous l'influence du décret de mai 1995 qui intègre la psychiatrie au "plateau technique" obligatoire des pôles d'urgence. Toutes ces structures, sauf quelques CAC, mettent l'accent sur le tri et l'orientation du patient (qu'elles visent à optimiser), plus que sur le traitement de la crise ou la prise en compte de l'entourage. Ce type de réponse ne facilite cependant ni l'intervention précoce (de nombreuses urgences psychiatriques se caractérisent par l'hostilité du patient aux soins), ni l'entrée efficace dans le système de soins spécialisés (les propositions de consultation ne sont que rarement suivies), sauf si l'on privilégie l'hospitalisation psychiatrique, c'est à dire la réponse la plus lourde. Ceci est pourtant à l'opposé de l'orientation de plus en plus ambulatoire des soins psychiatriques, y compris pour les pathologies sévères. De fait, les médecins généralistes et les familles de patients se plaignent de plus en plus de cet état des lieux qui incite l'entourage à l'évitement plutôt qu'à l'engagement.
ERIC (Equipe Rapide d'Intervention de Crise) est un service mobile d'urgence et de post-urgence psychiatrique territorialisé émanant du service public hospitalier. Créé en 1994, il intervient à la demande du SAMU-Centre 15 ou de tout professionnel confronté à une urgence psychiatrique. ERIC a pour objectif d'intervenir en amont de l'hôpital afin de pouvoir offrir, le plus tôt possible, une alternative à l'hospitalisation en s'appuyant sur l'engagement et les compétences de l'entourage du patient. Il dispose d'une équipe d'urgence (1 psychiatre et 1 infirmier ou psychologue) disponible 24h/24, et peut réaliser un suivi de crise en post-urgence pour une durée maximum d'1 mois. Ce suivi intensif est destiné à permettre la prise en charge de pathologies psychiatriques sévères à domicile, à traiter la crise, et à favoriser, si nécessaire, la poursuite de soins spécialisés.
L'objectif de ce travail de recherche était d'évaluer le dispositif ERIC, notamment sur ses capacités à s'intégrer dans le réseau de soins primaires, à élargir l'accès aux soins et à travailler avec l'entourage des patients en limitant le recours à l'hospitalisation psychiatrique.
La méthodologie a consisté en un recueil de données à partir de la fiche par patient (fiche DGS) modifiée. Entre 1994 et 1997, l'activité réalisée et les caractéristiques de la population rencontrée ont été relevées. Nous avons également comparé les trajectoires hospitalières de patients adressés pour une hospitalisation en fonction de la prise en charge initiale (ERIC ou suivi habituel). En 1996, une évaluation de la satisfaction des professionnels susceptibles de faire intervenir ERIC a été effectuée à partit d'une enquête postée. De plus, le type de travail réalisé sur ERIC a conduit l'équipe à étudier plus particulièrement certains domaines comme la sécurité des intervenants, les interventions avec les forces de l'ordre, l'aide aux victimes, la spécificité du travail infirmier ou encore les questions éthiques soulevées par la mise en place de soins ambulatoires sous contrainte.
b) Principaux résultats
Urgence
Le bilan de l’activité d’ERIC montre que l'équipe effectue la plupart de ses interventions d'urgence à domicile en y associant l'entourage du patient. Leur durée moyenne est d'environ 2 heures ; elles ont lieu le plus souvent entre 9h et minuit, et sont à peu près réparties sur la semaine. Le nombre d'interventions est relativement stable dans le temps, proche de 1/jour/100 000 habitants. La mobilité du dispositif permet d'assurer de surcroît des consultations d’urgence dans divers lieux où le maintien sur place d'une équipe psychiatrique 24h/24 n'est pas justifié (SMPR, clinique, hôpital général). Dans la configuration actuelle, le territoire optimum aurait une taille équivalent à 350 000 habitants.
Le service est correctement utilisé par l'ensemble du réseau primaire, pour de réelles urgences psychiatriques. La première année, les médecins généralistes ont été les plus nombreux à demander une intervention (30%). Leur nombre a diminué la troisième année, la part des demandes émanant directement du patient ou de son entourage étant au premier plan (29%). La satisfaction des professionnels qui font appel à ERIC est bonne. Notre enquête dans ce domaine fait aussi apparaître le faible nombre de demandes par professionnel (2 à 3 par an). Au fil du temps, les demandes se sont modifiées et la part des patients adressés avec une prescription d'hospitalisation a diminué (50% en 1994, 39% en 1996).
Les interventions réalisées à la demande ou avec les forces de l'ordre ont en revanche très nettement augmenté (près de 3 fois plus en 3 ans) mais restent rares (5%). L'attente de la police est le plus souvent celle d'un avis spécialisé face à un individu déroutant. Celle d'ERIC correspond à un soutien pour des urgences psychiatriques comportant un risque élevé de violence. Ces situations, à l'intersection de la pathologie mentale et du trouble de l'ordre public, justifient pleinement l'intervention conjointe. Le respect du domaine de chacun a permis d'éviter les conflits de compétence.
Près d'un tiers des urgences concernent une situation ou il existe un contexte de violence. Au plan de la sécurité, nous avons relevé que si les agressions sont en pratique rares, elles peuvent exister ce qui impose à la fois le repérage des situations à risque et la mise en place de procédures visant à réduire au maximum tout danger. L'intervention en binôme va dans ce sens, avec le maintien de moyens de communication. Certains éléments comme l'expression de menaces, les états délirants ou l'imprégnation alcoolique (ou autre toxique) sont à prendre en compte. Mais nous avons particulièrement mis l'accent sur la manière dont l'intervenant doit se comporter dans ce type de situations : diriger l'entretien en adoptant un langage clair, précis, centré sur "l'ici et maintenant", éviter toute escalade symétrique, rechercher la coopération plutôt que la contrainte.
Population rencontrée
Nous retrouvons, pour les patients rencontrés lors d'une urgence psychiatrique en dehors de l’hôpital, les indicateurs de risque habituellement associés aux personnes souffrant de pathologies mentales. Notre population paraît néanmoins plus jeune, notamment les hommes. Ceux-ci sont le plus souvent seuls, célibataires surtout pour les jeunes, sans emploi ou avec une faible qualification professionnelle. Les troubles présentés par les hommes de moins de 30 ans sont essentiellement des troubles psychotiques. Les femmes sont également plus souvent seules et célibataires mais la pathologie dominante est la dépression.
Au plan des antécédents psychiatriques, ERIC touche une population qui a peu recours au système de soins spécialisés, en particulier public, et ce, même pour des troubles évoluant depuis plus de 5 ans. En 1994, près de 3/4 des patients n'étaient pas connus des structures de soins publiques alors qu'un tiers d'entre eux présentaient une pathologie chronique. La relativement moindre désinsertion sociale que dans la population habituellement suivie par les secteurs de psychiatrie va dans le sens d'un contact plus précoce.
Ces résultats suggèrent que l'intervention de crise à l'extérieur de l'hôpital représente un mode d'accès aux soins privilégié, tant pour les troubles psychotiques du sujet jeune que pour une pathologie plus fréquente comme la dépression.
Post-urgence
Un suivi en post-urgence est réalisé pour plus de la moitié des patients. Cette part du travail sur ERIC correspond aux 2/3 de l'activité. Il repose sur des entretiens médicaux (parfois à domicile), des visites infirmières à domicile et de contacts téléphoniques. D'une durée le plus souvent inférieure à 15 jours, la post-urgence permet une réelle amélioration de la situation (amélioration significative de l'échelle EGF), y compris pour des pathologies psychiatriques lourdes comme les états psychotiques. L'hospitalisation ne concernant qu'1/3 des patients initialement rencontrés. Sur 2 ans, seuls 15% des patients ont bénéficié de plus d'une intervention et dans ce cas, il y a rarement plus d'une ré-intervention.
On observe moins de 3% de rejet d'intervention et moins de 7% de ruptures de suivi. La prise en charge est donc bien acceptée, tant par le patient que par son entourage. Nous avons constaté que plus ce dernier s'implique dans la prise en charge, moins l'hospitalisation est requise et plus les patients bénéficient par la suite d'un suivi psychiatrique externe. Quand le réseau n'est pas contacté, la réponse hospitalière domine. La possibilité d'inclure, dans le suivi de post-urgence, une hospitalisation de durée brève est utile ; elle permet à la majorité des patients qui en bénéficient une sortie dans les 48 heures avec un suivi ambulatoire.
Si 40% des patients expriment des idées de suicides lors de l'urgence et 20% ont accompli un geste suicidaire dans le mois qui précède, l'offre d'une intervention explicitement orientée vers des soins ambulatoires n'a pas majoré le risque suicidaire. Cependant, du fait de son activité essentiellement pré-hospitalière, ERIC a vraisemblablement été à l'écart d'une partie des patients ayant réalisés un geste suicidaire, ceux-ci étant initialement orientés vers un service d'urgence hospitalier, même si certains ont été pris en charge secondairement par l'équipe.
Les situations d’urgence psychiatrique, pour des patients ayant préalablement une indication d’hospitalisation, peuvent bénéficier dans plus d’un cas sur deux d’une prise en charge alternative à domicile. Ceci s'observe également pour les patients présentant un premier accès psychotique. L'intervention de crise diminue significativement, au cours des deux années qui suivent, la durée et le nombre d’hospitalisations (2 fois moindres) en comparaison avec des patients ayant bénéficié du suivi habituel et d’une hospitalisation en urgence d’emblée.
En revanche, et contrairement à ce qui était attendu, il n'y a pas eu de diminution notable de l'hospitalisation dans le pavillon correspondant au territoire d'intervention alors que plus d'une hospitalisation sur deux a été évitée. Ceci peut être rattaché à la capacité initialement très réduite du service, mais aussi à l'élargissement de l'accès aux soins, y compris hospitaliers. De plus, les admissions ont augmenté dans toute la France pendant cette période, notamment dans le département des Yvelines, après une tendance à la baisse depuis plus de 10 ans. D'autre part, le nombre de patients hospitalisés dépend non seulement des entrées, mais aussi du dispositif mis en place pour faciliter la sortie.
Victimes
L'activité d'ERIC s'est orientée vers la prise en charge des victimes, notamment d'agression sexuelle, dans un but de prévention des névroses post-traumatique. L'accessibilité du service et sa mobilité ont permis une implication de plus en plus importante dans ce domaine, en partenariat avec les commissariats de police.
Par ailleurs, ERIC a été impliqué dans la mise en place d'une cellule d'urgence médico-psychologique après qu'une avalanche ait causé la mort de 9 élèves et 2 accompagnateurs d'une classe de 4ème. La proximité de cet événement et la rareté de situations analogues nous limitent à une approche descriptive. Il semble néanmoins que l'équipe ait offert une réponse collective immédiate et massive, coordonnée avec les autres acteurs (pompiers notamment), dont l'intérêt a été de pouvoir se prolonger pendant plusieurs jours, voire plus encore en cas de nécessités individuelles.
Travail infirmier
Après 4 années de travail sur ERIC, la pratique infirmière s'est considérablement modifiée du fait :
Cet enrichissement de la pratique s'est traduit par un travail d'évaluation de la qualité des soins et plusieurs demandes de formation à la psychothérapie. Actuellement, la question de la reconnaissance de ces nouvelles compétences et de leur articulation dans la hiérarchie institutionnelle reste posée.
c) Conséquences pratiques
Les objectifs principaux d'un dispositif d'urgence psychiatrique devraient être, selon nous :
Après 4 années de fonctionnement, nous pouvons conclure qu'un dispositif mobile d'urgence et de post-urgence psychiatrique tel qu'ERIC permet :
La souplesse de fonctionnement du service a conduit à une diversification du travail, incluant notamment une action de prévention auprès des victimes d'agression ou de catastrophe. Le faible nombre d'urgences par professionnel ayant demandé une intervention nous laisse penser que, plutôt qu'une formation du réseau primaire au traitement des urgences psychiatrique, l'accent devrait être mis sur la détection précoce et l'articulation forte avec un dispositif spécialisé aisément accessible. Un service comme ERIC ne représente cependant qu'une partie de la filière "urgence psychiatrique" dont le centre de gravité devrait être le service d'urgence de l'hôpital général.
En pratique, pensons que le site d'urgence psychiatrique, situé au sein du service des urgences, doit être aisément accessible et identifiable, articulé entre le dispositif psychiatrique public et celui de l'hôpital général. Le modèle le plus fréquemment rencontré est celui de la mise à disposition, par les secteurs psychiatriques de la zone sanitaire concernée, de personnel médicaux et paramédicaux intervenant sous la responsabilité du chef de service des urgences de l'hôpital général. L'objectif recherché est de faciliter le rapprochement opérationnel entre l'hôpital général et l'hôpital psychiatrique, partout où cela est possible, par le métissage des personnels et des structures afin d'éviter d'une part l'appropriation de l'activité d'urgence psychiatrique au seul profit de l'hôpital général, au détriment de la vision globale de la filière psychiatrique, et d'autre part d'inciter fortement le secteur psychiatrique à y participer. Cette coordination ne nous paraît pas exclure les acteurs privés.
Le travail de base ne peut se limiter à l'urgence psychiatrique proprement dite, c'est-à-dire au tri et à l'orientation, mais doit permettre de mettre en place un travail de crise sur une durée brève tant sur le plan hospitalier (lits d'hospitalisation de durée brève -24 à 72 heures- y compris sous contrainte) que sous forme de consultations de post-urgence sur le même site.
La possibilité, même partielle, d'intervenir en dehors de l'hôpital, dans la communauté (mobilité), peut représenter un facteur puissant d'articulation avec le Centre-15, les médecins généralistes et le réseau social de façon à coordonner un réseau pré-hospitalier et hospitalier d'urgence psychiatrique.
2. Publications
Treatment of suicidal patients
New England Journal of Medicine, 1998, 338 : 261-62
Hospital admission : an anthropological view using mimetic and systemic theories
European Psychiatry, 1997, 12 : 324
Equipe Rapide d'Intervention de Crise
Le journal de Nervure, 1995, 8, novembre
Urgences psychiatriques : doit-on aller sur le lieu de leur émergence ?
L'Information Psychiatrique, 1996; 72, 5: 458-62
ERIC, intervention rapide en psychiatrie
Le Groupe Familial, 1997, 154 : 69-80
Aller au devant de la crise pour désarmer la souffrance
In Albernhe T. Eds., Criminologie et psychiatrie, Ellipses, Paris, 1997 : 623-25
Ethique pratique et situation de crise en psychiatrie
L'Evolution Psychiatrique, 1998, 63 : 227-34
Evaluation des modalités de transposition d’un groupe mobile d’urgence psychiatrique
Annales Médico-Psychologiques, 1998, 5, 156 : 347-49
Sécurité et interventions psychiatriques à domicile en urgence
L’Encéphale (in press)
Enquête de satisfaction auprès des utilisateurs d'un service d'urgence psychiatrique : l'avis des professionnels
L'Encéphale (in press)
ERIC ou la mobilité comme forme d’alternative à l’hospitalisation
in M de Clercq Eds., Urgences psychiatriques et politiques de santé mentale : une perspective internationale, Masson, Paris, & Elsevier (traduction anglaise), 1998 (in press)
L'intervention à domicile : modalités et enjeux
Journal Européen des Urgences (in press)
Alternatives à l’hospitalisation et situation de crise
Annales Médico-Psychologiques (soumission)
Etude d'impact d'une unité mobile d'urgence psychiatrique
Canadian Journal of Psychiatry (soumission)
Waddington A., Carmi A., Kannas S.
Mise en place et fonctionnement d'une cellule médico-psychologique d'urgence au décours d'une catastrophe : les 100 premières heures
L'Encéphale (soumission)
Crisis and removal at hospital for patients suffering mental disease : a social mechanism ?
Family Process (soumission)
Anthropological and systemic hypothesis about suicidal acting-out.
British Journal of Psychiatry (soumission)