Évaluation des psychothérapies psychodynamiques

Etude contrôlée


Facteurs liés aux sorties de traitement des patients borderline

YEOMANS, GOTFREUND, SELZER, CLARKIN, HULL, SMITH
Factors related to drop-outs by borderline patients
Journal of psychotherapy practive and research, Vol 3, num 1, 1994: 16-24

Traduction : Dr Jean-Michel THURIN ©


Un taux élevé de sortie de traitement crée des difficultés dans toute étude sur la psychothérapie. Du point de vue de la conception et de l’analyse statistique de l’étude, les sorties interfèrent avec la procédure de randomisation. Le taux de sortie pose également des questions à propos de la généralisation des résultats de traitement obtenus à partir de ceux qui restent en psychothérapie. D’un point de vue clinique, les patients qui sortent ne profitent pas du traitement, et la question subsiste de savoir comment le traitement lui-même peut être amélioré pour atteindre ces patients.

Les patients présentant des troubles de la personnalité borderline (TPB) sont caractérisés par un taux de sortie particulièrement élevé. Cela n’est pas surprenant quand on reprend les critères de ce trouble de l’axe II. Le patient borderline est instable dans ses relations interpersonnelles, phénomène qui est enclin à se répéter avec le thérapeute. Son humeur est coléreuse et labile.

Il est enclin à mettre en acte ses sentiments plutôt que de les explorer dans la thérapie, et a tendance à les décharger dans une action impulsive, qu’il s’agisse d’un passage à l’acte sexuel, d’un comportement alimentaire perturbé, d’une addiction, d’un comportement d’auto-mutilation, ou d’actions suicidaires. [Nous utilisons le pronom féminin du fait que la majorité des patients borderline sont des femmes [1], et que notre recherche a été limitée aux patientes borderline femmes].

En posant le problème de la sortie du traitement dans la population borderline, nous avons choisi de nous centrer sur le contrat thérapeutique, l’alliance thérapeutique, et la sévérité des caractéristiques du patient borderline. Notre intérêt dans le contrat thérapeutique s’appuie sur notre expérience clinique que la psychothérapie psychodynamique requiert l’établissement précoce d’un cadre qui puisse contenir les orages affectifs du patient durant le traitement [2]. Notre attention pour l’alliance thérapeutique est basée sur 1) son statut comme l’une des quelques variables thérapeutiques qui ont montré qu’elles étaient corrélées avec le résultat [3] et 2) notre conscience du problème impliqué dans la conceptualisation et l’entretien de l’alliance thérapeutique chez les patients borderline, qui souvent fait l’expérience d’un transfert fortement négatif durant la thérapie. Nous avons adopté la définition de Greenson de l’alliance thérapeutique : la capacité de maintenir le contact avec la réalité de la situation thérapeutique et de prendre le risque de la régression dans le fantasme [4].

Avec les patients borderlines, la régression peut être rapide : un transfert significativement négatif est probable au début de la thérapie, et il y a un risque que la régression soit accompagnée d’un passage à l’acte. Une alliance effective dans le cadre thérapeutique établi par le contrat devrait encourager et contenir l’expression libre du transfert négatif, qui pourrait s’exprimer sous la forme d’un passage à l’acte qui pourrait entraîner la fin du traitement. Avec le cadre thérapeutique en place, quelque orageux que soit le transfert (et le contretransfert), le patient et le thérapeute devraient continuer à communiquer verbalement dans la structure de la thérapie qu’ils ont établie dans le contrat.

Skodol et al [5] ont comparé les taux de sortie des borderline, des autres troubles de la personnalité ou névrosés, et des patients schizophrènes traités dans une clinique ambulatoire. Le taux de sortie était le plus élevé pour les patients borderline. Soixante sept pour cent de ce groupe diagnostique sortaient dans les 3 mois, tandis que 38% des autres troubles de la personnalité ou des groupes de névrosés sortaient, et seulement 14% du groupe schizophrénique interrompaient durant la même période de temps.

Waldinger et Gunderson [6] ont étudié 11 cliniciens qui menaient une thérapie d’orientation psychanalytique avec des patients qui réunissaient les critères soit du TPB DSM-III, soit d’une organisation de la personnalité borderline [7]. Quarante-six pour cent de ces patients sortaient durant les 6 premiers mois de traitement.

Gunderson et al [8] ont rapporté une étude prospective de la rupture de la psychothérapie parmi 60 patients borderline dont le traitement avait commencé dans un cadre hospitalier. Les patients quittaient l’hôpital pour continuer la psychothérapie comme patients ambulatoires quand c’était cliniquement indiqué. A partir de l’échantillon dans son ensemble, 43 % avaient quitté la psychothérapie dans les 6 mois. De ces patients qui avaient commencé le traitement ambulatoire à un moment donné durant les 6 mois, 66% étaient sortis au suivi de 6 mois.

Goldberg et al [9] ont mené une étude contrôlée de réponse à une faible dose de neuroleptique dans un groupe de 50 patients ambulatoires avec un trouble de la personnalité borderline ou schyzotypique. Dans leur échantillon, 42% des patients en placebo et 54% de ceux qui étaient sous médicaments sont sortis avant la fin de l’étude sur 3 mois.

Contrairement à la tendance générale des taux de sortie des études concernant les patients borderline, on doit considérer deux études récentes. La première, celle de Linehan et al [10] concerne une étude des patients parasuicidaires recevant une psychothérapie cognitivo-comportementale dans laquelle 16% des 22 patients étaient sortis durant la première année de traitement. Deux de ces patients étaient sortis durant les quatre semaines initiales de traitement (la phase d’induction), et les autres étaient sortis plus tard dans le traitement. Une hypothèse concernant le taux réduit du taux de sortie de Linehan est qu’elle se rapporte à une forme de traitement plus globalement soutenante qui offre au patient davantage de contacts durant la semaine.

Stevenson et Meares [11] on étudié 48 patients recevant une psychothérapie basée sur les concepts de la psychologie du soi. Ils ont rapporté un taux de sortie de 16% à la fin de l’étude à 1 an, avec la plupart des sorties durant les 3 premiers mois de traitement. Cependant, leur taux de sortie rapporté n’inclut pas 3 patients qui étaient sortis de l’étude du fait de l’échec de garder 3 évaluations consécutives ou 11 patients qui avaient terminé l’évaluation et qui soit n’avaient pas respecté les termes du traitement ou qui avaient accepté verbalement le traitement et en étaient ensuite sortis. En incluant ces patients, on arrive à un taux de sortie de 35%.

En résumé, certaines études trouvent que le taux de sortie des patients borderline est deux fois plus élevé que celui des patients névrosés ou présentant d’autres troubles de la personnalité et quatre fois le taux des patients schizophrènes, avec seulement 33% des patients restant en traitement à 3 mois [5]. D’autres études montrent qu’au point de 6 mois, seulement de 34 à 57% des patients ambulatoires restent en traitement [6,8]. L’échantillon relativement faible de Linehan montre un taux encourageant de 84% des patients poursuivant le traitement [10]. Des études étendues de leur traitement et de leur impact à long terme devraient s’avérer interessantes. Stevenson et Meares rapportent également un taux de sortie bas, bien que leur procédure de sélection exclut certains des sujets présentant le plus haut risque de sortie [11].

En étudiant le problème de la sortie, notre point de vue n’est pas de considérer le patient borderline comme un individu isolé qui soit reste ou qui termine prématurément le traitement. Le thérapie est un processus qui implique deux participants et la relation spécifique patient-thérapeute est cruciale. Nous avons étudié les aspects des contributions à la fois du patient et du thérapeute à l’interaction afin de déterminer 1) quelles sont les caractéristiques de l’interaction précoce qui sont corrélées avec le fait que le patient reste en traitement et 2) comment l’approche thérapeutique peut être modifiée pour soutenir la continuation du traitement. Notre compréhension clinique est, qu’en fin de compte, c’est l’interaction entre un patient borderline particulier, avec sa combinaison unique de pathologie et de collaboration, et un thérapeute et une technique particulière à un moment spécifique de l’histoire du patient qui détermine la continuation ou la sortie. Nous avons articulé trois hypothèses spécifiques pour l’étude.

1. Un contrat de traitement adéquat sera corrélé avec la continuation versus une fin prématurée dans la thérapie psychodynamique des patients borderline.

2. Une bonne alliance thérapeutique sera corrélée avec la continuation versus l’interuption prématurée de la psychothérapie psychodynamique chez les patients borderline

3. La sévérité de certains aspects de la pathologie borderline (un ou plusieurs critères clés) est corrélée à la probabilité d’une terminaison prématurée.

METHODOLOGIE

Les données viennent de notre étude de la psychothérapie psychodynamique des patients borderline. Nous donnerons un bref résumé de cette étude qui a été décrite en détail ailleurs [12]

Sujets

Les sujets étaient 36 femmes dont l’âge se situait entre 18 et 45 ans, avec un diagnostic DSM-III R de trouble borderline (SCID) [13]. L’échantillon était limité à des femmes pour accroître l’homogénéité et également à cause de la représentation plus élevée de femmes dans la population des patients borderline [1]. Les sujets étaient recrutés à partir des unités de patients hospitalisés et ambulatoires de la division De l’Hôpital Westchester de NewYork et de la communauté. Les critères d’exclusion incluaient un abus de substance en cours, une maladie dépressive majeure en cours au moment de l’évaluation dans l’étude, une maladie bipolaire, une schizophrénie, des troubles schizoaffectifs, un syndrome cérébral organique, et une trouble de la personnalité antisociale. Tous les patients avaient donné leur consentement avant le début de l’étude. Les patients référés à partir d’unités hospitalières ont commencé le traitement après leur sortie.

Le traitement et les thérapeutes

Le traitement était une psychothérapie psychodynamique de patients borderline comme présenté dans le manuel du projet [14]. Un total de 31 thérapeutes ont traité les 36 patients de l’étude. Vingt-quatre thérapeutes étaient en formation (psychiatres résidents ou internes psychologues) avec au moins une année d’expérience de psychothérapie avant le début de l’étude. Sept des thérapeutes étaient membres de la faculté. Tous les thérapeutes étaient formés par l’usage du manuel de projet. Les thérapeutes en formation ont suivi un séminaire de formation de 12 séances et reçu une supervision hebdomadaire par les thérapeutes séniors.

Le traitement consistait en deux séances de psychothérapie par semaine sans que soit déterminée initialement la date de terminaison (on demandait aux patients de considérer qu’ils resteraient dans l’étude durant deux ans). Les séances de thérapie étaient enregistrées et transcrites. Les évaluations du contrat thérapeutique et de l’alliance thérapeutique étaient basées sur des reprises des enregistrements et des transcriptions.

Nous avons choisi le processus de mise en place du cadre du contrat et de l’alliance thérapeutique comme variables qui étaient probablement associées avec le maintien ou la sortie du patient. La responsabilité potentielle du cadre de contrat thérapeutique par rapport à la sortie est issue d’une revue des cas dans la phase pilote de notre projet psychothérapique de recherche. Les cas où les thérapeutes n’adhéraient pas strictement au manuel de thérapie en relation avec la phase de mise en place du contrat thérapeutique tendaient à se terminer en sortie. Nous avons développé une échelle d’évaluation (décrite ci-dessous) pour la mise en place du contrat afin d’étudier notre permière hypothèse.

Il a semblé logique d’investiguer également la corrélation de l’alliance par rapport à la sortie dans cette population. Il a aussi semblé que l’alliance thérapeutique pouvait être comprise comme émergeant du contrat thérapeutique : l’alliance est la mise en action du modèle de thérapie décrit dans le contrat. D’un autre point de vue, le contrat pourrait être considéré comme une sorte d’enveloppe corporelle qui sert à contenir le transfert orageux et le contretransfert quand l’alliance est sur le point de se former. En plus du contrat et de l’alliance, nous avons choisi de considérer certaines caractéristiques du patient. Du fait que le diagnostic de trouble borderline recouvre un large champ de pathologie, nous avons examiné le niveau de sévérité des symptômes qui produisent le tableau du trouble borderline.

Instruments

Echelle d’évaluation du contrat [Contract Rating Scale (CRS)] : La CRS a été développée par Selzer, Yeomans et Clarkin afin d’évaluer la fiabilité du processus de cadre contractuel dans le traitement dynamique des patients borderline, comme défini dans notre manuel de traitement [14]. D’un point de vue de recherche, comme de clinique, la période de mise en place du contrat thérapeutique dans le traitement dynamique fournit une excellente opportunité de réunir les données sur les patients, le thérapeute et l’interaction spécifique entre les deux individus. Le cadre contractuel est un temps de la thérapie où le thérapeute introduit des informations standardisées (les conditions du traitement, telles que la description des responsabilités du thérapeute et du patient durant le traitement) dans l’interaction, et où le patient a la possibilité de répondre à ces informations. A ce stade, on peut évaluer la réponse du patient au comportement du thérapeute comme on devrait évaluer la réponse à un test standardisé. Pour obtenir des données supplémentaires sur la dynamique du processus thérapeutique après avoir évalué la réponse du patient, nous avons évalué la prise en main du thérapeute de la réponse ; cette évaluation ultérieure fournit une mesure de l’adéquation et de l’habileté avec laquelle le thérapeute dépasse les difficultés et la résistance construite par le patient.

L’unité d’évaluation est la phase de mise en place du contrat dans son ensemble (qui consiste habituellement en deux séances ou davantage), telle qu’elle est enregistrée sous forme de séances transcrites. Les évaluateurs renseignaient 12 items, chacun utilisant une échelle de type Likert à 5 points. Chaque échelle est ancrée de telle façon que les scores 1 ou 2 signifient que le processus a été cliniquement insatisfaisant, 3 qu’il a été adéquat, 4 et 5 qu’il a été établi de façon très complète. Les évaluateurs étaient formés par l’utilisation d’un manuel décrivant les points d’ancrage individuels (M.A. Selzer, J.C. Clarkin et F.E. Yeomans : l’échelle d’évaluation du contrat [1989]). Ces 12 items sont organisés suivant quatre échelles principales : 1) la présentation du thérapeute des conditions du traitement (établissement du contrat thérapeutique), 2) la réponse du patient à ces conditions, 3) la prise en main du thérapeute, et 4) le degré de consensus atteint entre le patient et le thérapeute.

Pour l’analyse des données, la présentation du thérapeute du contrat et la prise en main de la réponse du patient sont combinés pour donner un score du thérapeute unique. Le score du thérapeute, le score du patient et le score de consensus sont combinés pour fournir le score contractuel total pour chaque cas. La fidélité interjuges pour ces sous échelles de la CRS (coefficient de corrélation intraclasse) était de 0.74 pour la cotation du score du thérapeute, de .87 pour celle du patient et de 0.92 pour le score de consensus.

CALPAS-R : Étant donnée la complexité du concept d’alliance thérapeutique dans le traitement des patients borderline comme discuté ci-dessus, nous avons choisi la CALPAS-R comme l’instrument d’évaluation de l’alliance le plus approprié (C.R. Marmar et L. Gaston : manuel des échelles californiennes des échelles d’alliance [Manual of California Psychotherapy Alliance Scales, non publié, 1989). Bien qu’il existe une bonne compréhension hypothétique de l’alliance avec les patients borderline, aucun instrument n’a été conçu spécifiquement pour cette population. Le CALPAS est le mieux adapté du fait que ses quatre dimensions traitent les réponses tant positives que négatives du patient. La version “R” (évaluateur externe) implique un évaluateur formé qui utilise un enregistrement audio d’une séance de thérapie pour évaluer 30 items sur une échelle à 7 points. Ces items sont ensuite organisés dans les quatre dimensions suivantes : 1) Capacité de travail du patient (à la fois sous la forme de contribution positive ou négative), 2) Accord du patient, 3) Stratégie consensuelle de travail, et 4) Compréhension et implication du thérapeute (Therapist Understanding and Involvement (TUI)). Notre évaluateur était formé par l’un des auteurs du CALPAS et évaluait ainsi les séances d’établissement du contrat.

Échelle de sévérité de la maladie : Pour explorer notre troisième hypothèse, nous avons inventé une échelle de Likert à 6 points pour mesurer la sévérité de chacun des huit critères de trouble de la personnalité borderline dans l’Axe II. Chaque échelle était ancrée de telle façon que les scores 1 et 2 soient les scores inférieurs pour le critère, un score de 3 était correspondait au critère défini dans le DSM-III-R, et les scores de 4 à 5 correspondaient aux troubles les plus sévères. L’accord interjuges, évalué par l’usage de coefficients de corrélation intraclasse, s’étendait de 0.99 à 0.89. Utilisant ces scores dimensionnels du trouble de la personnalité borderline, nous avons fait une analyse factorielle des 8 critères concernant un nombre important de patients borderline (n=76) [15]. Trois facteurs ont émergé : 1) un facteur Identité/Interpersonnel composé des critères de diffusion de l’identité, de vide/complétude, de peur de l’abandon, et des critères de relations instables ; 2) un facteur affectif composé des critères d’humeur labile, de colère, de comportement suicidaire et d’auto-destruction ; et 3) un facteur de comportement impulsif composé du critère d’impulsivité seul. Au moment de l’entrée de chaque sujet dans l’étude, un psychologue de faculté l’évaluait pour la sévérité des critères de trouble de la personnalité borderline ; ces évaluations étaient utilisées pour construire des scores factoriels ainsi qu’une évaluation de la sévérité générale constituée de la somme des huit scores de critères.

RÉSULTATS

Échelle de sortie

A cette date, nous avons évalué et commencé le traitement ambulatoire de 36 patientes femmes atteintes de trouble de la personnalité borderline. Six patientes (17%) ont terminé le traitement avant ou durant la phase de mise en place du contrat thérapeutique. Durant les 3 mois de traitement, 5 nouvelles patientes sont sorties, atteignant un taux cumulé de sortie de 31% à ce moment. A six mois de traitement, 2 patients de plus avaient terminé prématurément leur traitement, atteignant un taux de sortie de 36% à ce stade.

Évaluation du contrat et de l’alliance (CALPAS)

Nous avons examiné la relation des évaluations du contrat (CRS) aux évaluations de l’alliance (CALPAS) et la relation de chacune au statut de sortie ou de maintien dans le traitement Nous avons transcrit les séances des vingt premiers patients de l’étude pour laquelle nous avions des données pour les évaluations de contrat et d’alliance. Deux patients qui étaient sortis du traitement avant le processus d’organisation du contrat n’ont pas été inclus à cause du manque de données. Nos vingt sujets, cependant, viennent des 22 premiers patients enrôlés dans l’étude. Notre travail pilote initial avec ces instruments suggérait qu’une taille d’échantillon de 20 serait suffisante pour détecter des relations entre le contrat thérapeutique, l’alliance, et le maintien dans le traitement. Dix de ces vingt premiers sujets ont terminé leur traitement comme des sorties prématurées, et les autres ont poursuivi jusqu’à la fin. Il n’y avait pas de corrélations significatives entre les deux instruments, mais deux corrélations approchaient la signification. Utilisant la corrélation de Pearson, le score négatif de la Capacité de Travail du Patient sur la CALPAS (alliance) et le score de Contribution du Patient sur la CRS (contrat) ont montré une corrélation de -0.39, P=0.088, n=20 (tous les tests statistiques étaient à double taille). La corrélation entre le score d’Accord du Patient et le score de Contribution du Patient sur l’échelle de contrat thérapeutique (CRS) était de 0.42 (P=0.069). En termes de contenu, ces associations sont assez plausibles.

Pour explorer la relation entre l’alliance thérapeutique, le contrat thérapeutique, et le phénomène de sortie, nous avons choisi d’étudier la relation entre les deux variables de traitement et la durée suivant laquelle un patient restait en thérapie plutôt que le statut de dichotomie sortie/maintien dans le traitement. La raison de ce choix est que l’observation seule du statut de sortie / maintien résultait dans une perte de données du fait qu’un patient qui sortait après la 5ème séance de thérapie aurait été considéré de la même façon qu’un patient qui en sortait après la 80ème séance. Clairement, dans ce cas, ce dernier patient aurait eu une expérience différente du traitement que le premier et aurait eu davantage de chance d’en bénéficier à un certain degré. Le nombre de séances durant lequel un patient restait en traitement variait de 5 à 455 dans notre échantillon. Ces corrélations sont résumées dans le tableau 1.

Deux corrélations entre les données des évaluations du contrat (CRS) et la durée du traitement étaient significatives. La corrélation entre la Contribution du thérapeute au contrat et le nombre de séances était de 0.64 (P=0002). La corrélation entre le score de Contrat Total et le nombre de séances était de 0.55 (P=0.013). La corrélation entre les Contributions du patient au contrat et le nombre de séances n’était pas significative (r = 0.04, P=0.86) ; la corrélation entre le score de Consensus de Contrat et le nombre de séances ne l’était pas davantage (r=0.37, P=0.11).

Nous avons trouvé une corrélation significative entre les scores des sous échelles d’alliance (CALPAS) Compréhension et Engagement du Thérapeute (Therapist Understanding and Involvement (TUI)) et le nombre de séances durant lequel le patient restait en traitement (r=0.48, P = 0.032). Les autres sous échelles d’alliance du CALPAS ne montraient pas de corrélations significatives avec le nombre de séances (voir tableau 1).

Étant données ces corrélations, nous avons extrait une analyse de régression pour explorer plus avant la relation entre le score Contrat du thérapeute, le CALPAS TUI, et la durée du traitement. La durée du traitement étaient entrée comme la variable dépendante, avec le score du Contrat du Thérapeute et de Compréhension et d’Engagement du Thérapeute (TUI) du CALPAS entrés simultanément comme prédicteurs. Les deux prédicteurs sont intervenus pour une proportion significative de la variance de la longueur du traitement (R2 ajusté = 0.47, P<0.002). L’inspection des poids beta pour les prédicteurs a montré que le score Contrat du Thérapeute apportait une contribution indépendante significative à la durée du traitement, au dessus et au delà du score de Compréhension et d’Engagement du Thérapeute (TUI) (beta =0.56, P<0.005). Le beta pour le TUI approchait la signification (beta = 0.34, P<0.063).

Caractéristiques du patient

A partir de notre Echelle de Sévérité de la Maladie, nous avons utilisé à la fois le score total de trouble de la personnalité borderline (de 15 à 48) et les scores de chacun des trois facteurs TPB (Identité, Affect, Impulsivité) pour voir si nous pouvions distinguer les patients sortant précocément de l’étude (n = 8) de ceux qui restaient en traitement (n = 10). Notre n pour cette partie de l’analyse des données était de 18 plutôt que de 20 car 2 patients n’ont pas fourni les données. La seule association significative était une corrélation négative entre le facteur Impulsivité et la durée du traitement (r= -0.51, P = 0.029). Il est intéressant que le niveau d’impulsivité du patient ait montré également une corrélation négative avec la Contribution du thérapeute au contrat (r = -0.52, P = 0.027). La corrélation entre le facteur d’Identité du trouble de la personnalité et le nombre de séances n’était pas significative (r = à.15, P = 0.56), ni la corrélation entre le facteur Affectif de TPB et le nombre de séances (r = 0.18, P = 0.44). Enfin, la corrélation entre la Sévérté générale des évaluations du trouble borderline et le nombre de séances n’était pas significatif ( r = 0.11, P = 0.66).

DISCUSSION

Le problème de la sortie du traitement est compréhensible avec les patients borderline, dont la pathologie devrait logiquement conduire à des difficultés dans la collaboration, la fuite du travail d’exploration et À des défenses contre le changement. Afin de mieux comprendre le processus de sortie et les facteurs du traitement qui peuvent l’influencer, nous avons examiné le processus de mise en place du contrat, l’alliance thérapeutique et la sévérité des caractéristiques du patient dans le traitement dynamique des patients souffrant de troubles de la personnalité borderline, comme nous l’avons décrit dans notre manuel de traitement [14]. Nous avons formulé une échelle d’évaluation pour le processus de mise en place du contrat afin de voir si nos thérapeutes mettaient en place normalement le contrat. Nous avons utilisé une échelle d’évaluation de l’alliance thérapeutique pour explorer le rôle de cette variable relative dans le processus de sortie.

Notre taux de sortie de 31% à 3 mois peut se comparer favorablement avec le taux de 67% rapporté par Goldberg et al [9] dans leur étude de médication de patients ambulatoires. Notre taux de sortie de 36% à six mois est plus faible que celui de Waldinger et Gunderson [6] de 46% de patients en thérapie d’orientation psychanalytique et de Gunderson et coll. [8] de 43% dans un échantillon de patients hospitalisés et ambulatoires [8].

Linehan et al. [10] et Stevenson et Meares [11] rapportent l’un et l’autre un taux de sorte de 16% à un an. Ces études méritent une considération supplémentaire. Stevenson et Meares ont exclu certains sujets qui auraient été comptés comme sortis (c’est à dire, ceux qui n’acceptaient pas les conditions de traitement après la période d’évaluation). Appliquant nos critères à leur échantillon, le taux de sortie aurait été de 35%, avec la plupart des sorties se produisant durant les 3 premiers mois de traitement. Notre expérience similaire que la plupart des sorties quittaient le traitement durant les 3 premiers mois suggère qu’il s’agit d’une période critique pour former une alliance thérapeutique et qu’elle devrait être étudiée plus en détail.

Un facteur intervenant dans les résultats de Linehan et al [10] peut être celui du cadre d’environnement fourni par les séances hebdomadaires de thérapie de groupe de 2 h 1/2. Dans notre étude, nous n’avons pas distingué à ce jour les patients qui pourraient bénéficier d’une thérapie psychodynamique soutenante d’une thérapie psychodynamique expressive. Nous n’avons pas inclus dans notre traitement, qui est centré sur l’encouragement à l’indépendance à travers le changement interne du caractère, l’apport d’un travailleur social qui peut être indiqué pour aider certains patients à structurer leur vie et à gérer les stress externes.

Comparant les corrélations entre l’alliance thérapeutique et la longueur du traitement avec celles entre les scores de mise en place du traitement et de longueur du traitement, nous avons commencé à trouver des données convergentes que la technique et les outils du thérapeute ont un rôle dans ce qui détermine le fait que le patient reste ou non en thérapie. Notre analyse de régression incluant à la fois le score Contrat du thérapeute et le score d’Alliance (CALPAS TUI) comme prédicteurs de la durée du traitement suggère que l’expérience du thérapeute dans la discussion du contrat thérapeutique est une variable importante, indépendante du score du thérapeute sur l’instrument d’alliance, dans ce qui détermine la durée suivant laquelle le patient restera en traitement. Néanmoins, du fait que l’analyse de régression sur un petit échantillon peut être biaisée par le hasard, les résultats présents ne peuvent être considérés que comme suggestifs. Le travail futur se concentrera sur la mise en place d’un enseignement renforcé et sur ses conséquences immédiates chez les thérapeutes à propos de leur mise en place du contrat thérapeutique. Cela pourrait modifier le taux de sortie et la durée suivant laquelle les patients restent en traitement.

Le niveau d’impulsivité du patient était la seule variable du patient que nous avons mesurée qui a montré une corrélation avec la durée du traitement. La corrélation négative n’est pas surprenante. La sortie de la thérapie est une manifestation fréquente de l’impulsivité qui est une caractéristique de beaucoup de patients borderline. La découverte intéressante d’une corrélation négative entre le niveau d’Impulsivité du patient et le score de Contrat du thérapeute va dans le sens de notre intuition clinique que les thérapeutes tendent à travailler avec moins d’habileté quand ils sont confrontés à la menace d’acting out impulsifs. Cette corrélation est une des raisons qui met l’accent sur le besoin d’une structure basée sur le contrat dans la thérapie, de façon à contenir l’impulsivité du patient et à permettre au thérapeute de maintenir sa capacité de penser clairement et de travailler efficacement sans devenir lié à la surface de la patholgie du patient.

Nos données, bien que correspondant à une tentative du fait du faible nombre des patientes, suggèrent une direction qui peut aider dans la réalisation d’un traitement. Il appraît que la technnique du thérapeute et ses outils jouent un rôle significatif dans l’engagement du patient borderline dans le traitement et la mise en place de l’alliance thérapeutique. On pourrait arguer que les corrélations du score de Contrat du thérapeute et d’Alliance CALPAS TUI avec la longueur du traitement reflètent une association générale entre l’expérience générale du thérapeute et la durée du traitement et que ce facteur est plus important que le contrat ou l’alliance. Nous envisageons d’étudier cette hypothèse dans un travail futur, en appliquant à nos données un instrument mesurant un large éventail d’outils thérapeutiques.

Le stade suivant de notre travail sera d’expliquer les interventions spécifiques du thérapeute qui réalise une alliance basée sur un contrat avec le patient borderline et d’explorer d’autres variables du thérapeute, telles que le niveau d’expérience. Que fait actuellement le thérapeute avec un haut score de Contrat et d’Alliance CALPAS-R TUI ? Comment identifie-t-il et travaille-t-il l’inévitable résistance rencontrée ?

En résumé, le patient borderline, bien que recherchant le contact, résiste au traitement de différentes façons, et ce fait commence dès la mise en place du contrat. Soit en silence, à travers sa réaction à différentes nécessités de la thérapie, ou en contrôlant et en attaquant le traitement, le patient peut alterner entre une dépendance globale et une attaque et une dévaluation hostiles. L’utilisation par le thérapeute de la phase de mise en place du contrat, à la fois pour préciser une structure et pour évaluer la dynamique de la réponse du patient à cette structure, joue un rôle essentiel en gardant le travail psychodynamique en oeuvre à travers le traitement. La recherche future forunira des données sur cette fonction thérapeutique du contrat en relation avec le développement de l’alliance thérapeutique.


Dernière mise à jour : 1/02/07

Dr Jean-Michel Thurin