Alcoologie Volume 19, n°3. supplément Sept 1997



Hélène Ollat

Substratum neurobiologique de la dépendance a l'alcool

Thomas F. Babor

La typologie et le traitement de l'alcoolisme : passe, present et avenir

Jean Ades. Michel Lejoyeux

les classifications de l’alcoolisme : Principes et éléments des nosographies actuelles

Karl Mann, Arthur Günthner

Les methodes d'evaluation en alcoologie

Jean-Dominique Favre, Claudine Gillet

Devenir de patients alcoolodépendants. Résultats à cinq ans et facteurs pronostiques

Dominique Barrucand

Le choix du traitement en alcoologie

Michel Lejoyeux, Jean Adès

Agents prodopaminergiques, neuroleptiques et conduites alcooliques.

Charles P. O'Brien.James W. Cornish.Marc Auriacombe

Apport de la naltrexone dans le traitement de l'alcoolisme

Jean-Yves Benard.Marion Husson. Isabelle Gabriel. Natacha Yarko. Philippe Chaylard. Jean-Pierre Ferrant.

Indications du disulfiram en alcoologie

François Paille

Les sérotoninergiques : indications sélectives en alcoologie

Jean-Dominique Favre. Bruno Delalleau. Muriel Malbezin. Henri Lôo, Rémy Malka.

Intérêt de la tianeptine chez l'alcoolodépendant


Hélène Ollat

Substratum neurobiologique de la dépendance a l'alcool

Résumé

L'étude des substratums neurobiologiques de la dépendance à l'alcool devrait nous permettre de mieux comprendre pourquoi un individu qui rencontre l'alcool tend à le consommer de façon excessive alors qu'il en connaît les risques ; ainsi pourrait-on développer des traitements pharmacologiques pour les malades alcooliques. Les études inspirées des résultats concernant les opiacés et les psychostimulants ont montré que les propriétés renforçantes de l'éthanol jouent un rôle essentiel, qu'il s'agisse de renforcement positif ou de renforcement négatif ; mais les circuits neuronaux impliqués parallèlement au "système de récompense" ne sont pas identifiés. La tolérance et la dépendance physique dépendent de processus adaptatifs de type homéostatique. Il semble qu'ils se développent dans d'autres circuits que ceux des effets de renforcement de l'alcool mais là encore la nature et le site exacts de ces processus adaptatifs restent à découvrir.

Mots clés: Alcool Dépendance Tolérance Conditionnement Renforcement Système de récompense

Summary

The study of the neurobiological substratums of the dependence on alcohol should enable us to understand better why a person who is in presence of alcohol tends to consume it excessively although he knows the risks ; then we could develop pharmacological treatments for alcoholic patients. The studies inspired from the results of the opioids and psychostimulants showed that the reinforcent properties of ethanol have an essential part whether it is a positive or negative reinforcement ; but the neuronal circuits involved in the same way in the "brain reward system" are not identified. The tolerance and the physical dependence depend on adaptative processes of homeostatic type. They seem to develop in other circuits than the effects of reinforcement of alcohol but still then the exact nature and site of these adaptative processes have to be discovered.

Key words : Alcohol Dependence Tolerance Conditioning Reinforcement Brain reward system

Thomas F. Babor

La typologie et le traitement de l'alcoolisme : passe, present et avenir

Résumé

Dans les études consacrées à la classification des alcooliques, de nombreux auteurs ont remarqué des différences importantes quant à l'évolution des symptômes, l'étiologie de la maladie, et l'effet du traitement. Le but principal de cette communication est de discuter la classification des alcooliques sur le plan historique et clinique. L'évolution conceptuelle de cette classification est schématisée en trois phases : la phase pré-scientifique (1850-1940), l'époque de Jellinek (1940-1970), et la phase alcoologique (depuis 1970). En dépit de différences entre les périodes historiques, les méthodes de recherche, et les noms donnés aux types d'alcooliques, il y a des similarités fondamentales dans les théories nosologiques, qui suggèrent la possibilité d'une synthèse globale pour mieux comprendre la maladie alcoolique. Pendant des années, la recherche sur les types d'alcooliques a montré que l'âge précoce du début de l'alcoolisme et le degré de symptomatologie psychopathique sont corrélés avec une hérédité alcoolique. Par contre, la maladie chez les buveurs d'habitude débute plus tardivement, sans base héréditaire et sans symptomatologie psychiatrique sous-jacente. Ces deux types d'alcooliques correspondent plus ou moins aux classifications de Jellinek (les formes gamma et delta), Fouquet (alcooloses et alcoolites), Cloninger (Type II et Type I) et Babor (Type B et Type A). Une question essentielle à résoudre concerne l'harmonisation entre typologie et traitement.

Mots-clés : Alcoolisme - Thérapeutique - Typologie - Classification.

Summary

Clinical classification and treatment of alcoholism: past, present and future In studies devoted to the classification of alcoholism, many authors have noticed major differences concerning the course of symptoms, the aetiology of the disease, and the effect of treatment. The main objective of this paper is to discuss the history and clinical aspects of classifications of alcoholism. The conceptual progress of this classification can be schematically divided into three phases: the prescientific phase (1850-1940), Jellinek's phase (1940-1970), and the alcohological phase (since 1970). Despite the differences between historical periods, research methods, and the names given to various types of alcoholics, there are fundamental similarities in descriptive terms, which suggest the possibility of a global synthesis to allow a better understanding of alcoholic disease. For many years, research into the various types of alcoholism showed that the early age of onset of alcoholism and the degree of psychopathic symptoms were correlated with an alcoholic heredity. On the other hand, the disease in habitual drinkers starts later, with no hereditary basis and without any underlying psychiatric clinical features. These two types of alcoholics more or less correspond to the classifications of Jellinek (gamma and delta forms), Fouquet (alcoholosis and alcoholitis), Cloninger (Type II and Type I) and Babor (Type B and Type A). An essential question to be resolved concerns the matching between clinical type and treatment.

Key-Words : Alcoholism - Treatment - Clinical types - Classification.

Jean Ades. Michel Lejoyeux

les classifications de l’alcoolisme : Principes et éléments des nosographies actuelles

Résumé

Les conduites alcooliques représentent un ensemble hétérogène de comportements dont le seul trait commun n’autorise qu’une définition tautologique : l’usage excessif de boissons alcooliques, nocif pour la santé physique mentale ou sociale du sujet, associé ou non à une alcoolodépendance psychologique et physique. De multiples données d’ordre clinique, épidémiologique, et biologique permettent de considérer que l’étiopathogénie de ce trouble est multifactorielle et qu’une relation peut être établie entre les aspects cliniques très divers de l’alcoolisme, repérés depuis longtemps par les cliniciens, et la prééminence de telle ou telle constellation de facteurs étiopathogéniques favorisant son installation. Les modes de classification nosographique de l’alcoolisme font appel à deux types d’approche : a) un modèle bidimensionnel, purement clinique et comportemental, différencie l’abus ou usage nocif d’alcool dont le repérage n’est possible qu’à partir de ses conséquences négatives de tous ordres, de l’alcoolodépendance, conduite toxicomaniaque dont l’alcool éthylique est l’agent. Ce modèle, largement initié par les travaux de Griffith EDWARDS (8) et du groupe d’experts de l’OMS est celui qu’ont adopté les classifications de portée internationale (DSM IV, classification nord-américaine des troubles mentaux, en 1994, CIM 10, classification de l’OMS, en 1992). b) des typologies, systèmes plus sophistiqués de classification nosographique s’attachant à décrire, à partir de données cliniques, biologiques, psycho- comportementales, des sous-groupes d‘alcoolisme supposés plus homogènes. L’élaboration de typologies de l’alcoolisme peut apparaître, au premier regard, comme un exercice d’entomologie nosographique un peu vain ; chacun sait aujourd’hui que l’affinement de sous-types homogènes conditionne la pertinence des études cliniques, des travaux de recherche (dans les domaines, notamment, de la génétique et de la neurobiochimie), mais aussi celle des travaux permettant l’évaluation des thérapeutiques de tous ordres. Les conceptions thérapeutiques les plus actuelles, en effet, s’appuient sur les hypothèses de l’adaptation spécifique du traitement à des sous-types d’alcoolisme plus homogènes (“matching hypothesis”) (14).

Mots-clés : Alcoolisme, dépendance, classification, typologie

Summary

Alcoholic behaviour represents a heterogeneous group of behaviours whose only common feature authorizes a purely tautological definition: excessive use of alcoholic beverages, harmful to the subject's physical, mental or social health, with or without associated physical or psychological alcohol dependence. Many clinical, epidemiological, and laboratory data suggest that the aetiopathogenesis of this disorder is multifactorial and that a relationship can be established between the very diverse clinical features of alcoholism, identified by clinicians for many years, and the predominance of a given constellation of aetiopathogenic factors predisposing to the development of this disease. The clinical classifications of alcoholism are based on two types of approach: a) a two-dimensional, purely clinical and behavioural, model distinguishes alcohol abuse or harmful use, which can only be defined by all forms of negative consequences, from alcohol dependence, an addictive behaviour in relation to ethanol. This model, largely initiated by the work of Griffith EDWARDS (8) and the WHO expert group, has been adopted by international classifications (DSM IV, North American classification of mental disorders, in 1994, CIM 10, WHO classification, in 1992). b) Clinical types, more sophisticated systems of clinical classification attempting to describe, on the basis of clinical, laboratory, and psychobehavioural data, supposedly more homogeneous subgroups of alcoholism. At first glance, the elaboration of clinical types of alcoholism may appear to be a somewhat vain exercise in nosographic entomology. However, it is now well known that the refinement of homogeneous subtypes determines the relevance of clinical studies, research (especially in genetics and neurobiochemistry), but also studies allowing evaluation of all types of treatment. The most recent therapeutic concepts are based on hypotheses of the specific matching of treatment to more homogeneous subtypes of alcoholism ("matching hypothesis") (14).

Key words : Alcoholism, dependence, classification, clinical type

Karl Mann, Arthur Günthner

Les methodes d'evaluation en alcoologie

Résumé

Quand on étudie l'alcoolisation de l'homme, et les problèmes qu'elle peut entraîner, on a à faire face, au départ, à des conceptions multiples et très différentes. Les théories, l'expérience personnelle, les normes sociales interviennent pour déterminer notre choix pour telle ou telle recherche. Ceci est particulièrement vrai pour le cas particulier des échelles. Elles peuvent être vues comme des instruments permettant d'éliminer, pour le domaine incriminé, un certain nombre des conceptions initiales. Elles représentent alors un exemple de "perception sélective", ou de fondement théorique de la recherche. Ces remarques épistémologiques doivent rester présentes à l'esprit quand on discute le rôle des échelles en tant qu'instrument permettant d'accroître nos connaissances sur la nature de l'alcoolisation et des problèmes qui y sont liés. Le nombre croissant d'échelles disponibles nécessite l'utilisation de règles pour une bonne sélection et un bon usage. Le fait qu'une échelle existe et qu'elle soit valide ne suffit pas, il y a tout une théorie derrière chaque échelle, avec des hypothèses, explicites ou implicites, qui sont à l'origine de la sélection des items, et des différentes étapes qui permettent la construction de l'échelle. Certes il est tentant de recommander telle ou telle échelle, ou même de les classer, mais l'évolution très rapide en ce domaine rend vite ces jugements obsolètes. Nous proposons donc plutôt ici quelques indications prudentes pour la sélection des échelles existantes, à partir d'exemples pris dans notre propre expérience du Centre de Recherche sur les addictions de Tübingen, et concernant en particulier le CIDI, le BDI et quelques questionnaires de personnalité remplis à plusieurs reprises durant le traitement.

Mots clés : Alcoolisme - Évaluation thérapeutique - Questionnaires -Échelles - Interviews structurées. Devenir de patients alcoolodépendants. Résultats à cinq ans et facteurs pronostiques

Summary

The study of alcohol abuse in man, and the problems that it can induce is initially hampered by the multiple and very different concepts of alcoholism. Theories, personal experience, social norms intervene to determine our choice of a given line of research. This is particularly true in the case of evaluation scales. They can be considered to be instruments allowing elimination of a number of preconceived ideas, in the field incriminated. In this case, they represent an example of "selective perception", or theoretical basis of research. These epistemological comments must be kept in mind when discussing the role of evaluation scales as instruments able to increase our knowledge about the nature of alcohol abuse and related problems. The increasing number of scales available requires the use of rules for good selection and good use. The fact that a scale exists and has been validated is not sufficient, as each scale is based on a theory, with explicit or implicit hypotheses, leading to selection of items and the various steps leading to construction of the scale. It is certainly tempting to recommend a particular scale, or even to classify them, but the very rapid progress in this area rapidly makes these judgements obsolete. The authors therefore propose several cautious indications for the selection of existing scales, based on examples taken from their own experience at the Addictions Research Centre in Tübingen, and concerning, in particular, CIDI, BDI and several personality questionnaires completed on several occasions during treatment.

Key-Words : Alcoholism - Therapeutic evaluation - Questionnaires - Scales - Structured interviews.

Jean-Dominique Favre, Claudine Gillet

Devenir de patients alcoolodépendants. Résultats à cinq ans et facteurs pronostiques

Résumé

L’étude multicentrique prospective de la Société Française d’Alcoologie (étude EVA) concerne le devenir de patients alcoolodépendants hospitalisés pour sevrage, précise des modalités évolutives et identifie les facteurs pronostiques de leur évolution à conq ans. 18 services cliniques français incluent 1043 patients (dont 24,5 % de femmes), âgés en moyenne de 40,9 ans. L’alcoolisation à problèmes évolue depuis plus de 10 ans pour 48,1 % d’entre eux. Leur consommation quotidienne moyenne est de 223,8 grammes d’alcool. La durée moyenne de l’hospitalisation initiale est 26,4 jours. Les diverses méthodes thérapeutiques sont détaillées. A cinq ans, 466 patients, soit 44,7 % de la population incluse est évaluée. 89 patients (8,5 %) sont décédés, et 488 patients (46,8 %) sont perdus de vue. L’évolution favorable de la consommation d’alcool regroupe abstinence et consommation contrôlée occasionnelle, soit 63,7 % des sujets à cinq ans et 28,5 % des inclus. Celle de la qualité de vie, appréciée en fonction de l’intégration sociale et de l’équilibre psychoaffectif concerne 39,7 % des sujets à cinq ans et 17,7 % des inclus. L’évolution globale, tenant compte de la consommation globale et de la qualité de vie, est favorable pour 37,3 % des sujets à cinq ans et 16,7 % des inclus. Ces critères évolutifs, analysés dans une perspective dynamique, se montrent stables après la première année du devenir. L’étude relève comme facteurs prédictifs des évolutions favorables : l’âge plus élevé, la vie en couple, l’existence d’enfants, la stabilité de la vie familiale, l’absence d’évènement douloureux précédant l’hospitalisation, l’exercice d’une activité professionnelle et la moindre consommation de substances psychoactives dont l’alcool ; dans le domaine thérapeutique apparaissent l’absence d’hospitalisation antérieure, l’admission dans un service d’alcoologie, la durée moyenne du séjour hospitalier plus longue, le recours plus fréquent aux moyens institutionnels et aux groupes directifs, et les contacts de la famille avec l’équipe soignante. L’étude EVA constitue une base de données sur les caractéristiques des patients alcoolodépendants et sur les méthodes thérapeutiques qui leur sont proposées. L’appréciation du devenir à cinq ans permet en outre un recul suffisant pour apprécier des éléments dynamiques de l’évolution.

Mots clés : Alcool, alcoolodépendance, devenir, traitement, évaluation, évolution, pronostic.

Summary

The predictive multicentre study of the French Society of Alcohology (the EVA study) deals with the follow-up of alcohol-dependent patients hospitalized to undergo withdrawal; it specifies the nature of the course and identifies the predictive factors of it after five years. 18 French clinical departments have included 1,043 patients (24.5 % of women), 40.9 years old on average. Alcohol has become a problem for more than ten years for 48.1 % of them. They drink 223.8 g of alcohol daily. The mean duration of the initial hospitalization is 26.4 days. The various therapeutic methods are detailed. After five years, 466 patients, that is 44.7 % of the included population, have been evaluated. 89 patients (8.5 %) have died and 488 have dropped out (46.8 %). Abstinence and occasional controlled consumption are both considered as favourable course, which is the case for 63.7 % of the subjects. Favourable course of quality of life, taking social integration and psychoaffective balance into account, concerns 39.7 % of the subjects after five years and 16.7 % of the included patients. These course criteria, analyzed from a dynamic point of view, show stable after one year of follow-up. As to predictive factors of favourable course, the study points out an advanced age, a couple life, the existence of children, a stable family life, the absence of any painful event before the hospitalization, practising any occupation and a lower consumption of psychoactive drugs including alcohol; in the therapeutic area, the absence of a previous hospitalization, the admission in a department specialized in alcohol, staying longer in hospital, resorting more frequently to institutional means and to directive groups, as well as the contacts of the family with the nursing team are pointed out. The EVA study makes up a data base for the characteristics of alcohol- dependent patients and the therapeutic methods which may be proposed. Moreover, the five-years follow-up is long enough to appreciate some dynamic components of the evolution.

Key words : Alcohol, alcohol dependence, follow-up, treatment, assessment, outcome, prognosis.

Dominique Barrucand

Le choix du traitement en alcoologie

Résumé

Les limites thérapeutiques, en alcoologie, tiennent à différents facteurs, dont le fait que l'on envisage trop souvent encore "les alcooliques" comme une classe homogène de patients, pour lesquels il faudrait mettre au point un traitement unifié, pharmacologique et/ou psychothérapique. Or l'alcoologue expérimenté perçoit bien que c'est là un leurre, et que, par exemple, tel patient réagira mieux à la psychothérapie individuelle qu'au groupe, ou vice versa, ou tel autre à une thérapie de créativité personnelle qu'à un mouvement d'anciens buveurs, ou vice versa. Le matching, c'est-à-dire la recherche de la meilleure adaptation possible pour le traitement d'un individu, essaie de répondre à ces questions : "quel traitement, donné par qui, et combien de temps, sera le plus efficace, pour cet individu, qui a tels problèmes spécifiques, dans tel contexte spatio- temporel ?". Bien entendu, avant de pouvoir répondre, il faut procéder à un bilan complet de l'individu, dans des perspectives diverses : démographiques (âge, sexe...), alcoologiques (intensité et sévérité de la dépendance, modalités de l'alcoolisation...), psychophysiologiques personnelles (psychopathologiques, génétiques), et sociales (socio-professionnelles). On devrait ainsi, s'appuyant sur les typologies qui sont en train de s'affiner, intégrer cet individu dans un sous-groupe homogène, où seraient précisées les indications thérapeutiques et leurs modalités. On est en fait encore loin d'être parvenu à ce résultat, mais les travaux en cours, par exemple le projet Match aux Etats-Unis, commencent à nous en rapprocher. Il est probable que, petit à petit, on comprendra mieux, par exemple, pourquoi tel traitement, pour lequel on n'a pu déceler d'efficacité significative dans un grand essai multicentrique, se révèle pourtant intéressant pour tel sous-groupe de patients, ou pourquoi, dans telles circonstances, ou devant telle psychopathologie, ou telle comorbidité, il est préférable d'utiliser cette tactique plutôt que cette autre, pourtant plus généralement efficace. Tout ceci demandera encore beaucoup de temps, en particulier avant un accord sur des typologies communes et sur des méthodologies thérapeutiques comparables, et avant la publication, puis la validation des résultats actuellement attendus.

Mots clés : Traitement de l'alcoolisme - Matching.

Summary

The therapeutic limits in alcohology are due to various factors, including the fact that "alcoholics" are still too frequently considered to be a homogeneous patient group, in whom unified pharmacological and/or psychotherapeutic treatment needs to be developed. However, the experienced alcohologist clearly observes that such a simplification is a trap and that, for example, one patient may respond more favourably to individual psychotherapy than to group therapy, or vice versa, while another patient may respond better to personal creativity therapy than to a former drinkers movement, or vice versa. The matching, i.e. the search for optimal adaptation of treatment to an individual, tries to resolve these questions: "which treatment, given by whom, and for how long, will be the most effective for this individual, who presents specific problems, in a specific temporospatial context?" Before answering this question, it is obviously essential to conduct a complete assessment of various aspects of the individual: demographic (age, sex, etc.), alcohological (intensity and severity of dependence, modalities of alcohol abuse, etc.), personal psychophysiological (psychopathological, genetic), and social (socioeconomic). Based on the various clinical types, which are in the process of being refined, this individual can therefore be integrated into a homogeneous subgroup, corresponding to specific therapeutic indications and modalities. However, we are a long way from achieving this result, but ongoing studies, for example the Match project in the United States, are gaining ground. We will probably gradually more clearly understand, for example, why a particular treatment, for which no significant efficacy was detected in a large-scale multicentre trial, nevertheless appears to be useful in a particular subgroup of patients, or why, in given circumstances, or in the context of a given psychopathology, or comorbidity, it is preferable to use one tactic rather than another, despite the fact that it is generally more effective. This will take a long time, particularly before an agreement can be reached concerning the common clinical types and comparable therapeutic methodologies, and before the publication and subsequent validation of the currently awaited results.

Key-Words : Treatment of alcoholism - Matching.

Michel Lejoyeux, Jean Adès

Agents prodopaminergiques, neuroleptiques et conduites alcooliques.

Résumé

Les neurones dopaminergiques apparaissent impliqués dans les phénomènes de récompense cérébrale et dans l'initiation et le maintien de l'appétence pour l'alcool. Les travaux neurobiologiques démontrant l'implication des zones dopaminergiques dans les conduites d'alcoolisation ont conduit à l'évaluation des agents pro et antidopaminergiques (neuroleptiques) dans le traitement de l'alcoolisme. Les neuroleptiques sont indiqués à titre exceptionnel dans les formes d'ivresses agitées et plus régulièrement chez les patients présentant un trouble psychotique associé à l'alcoolisme. Les molécules prescrites sont le flupenthixol et plus rarement l'halopéridol. Dans le traitement à long terme de l'alcoolisme, la principale molécule neuroleptique évaluée est le tiapride. Une réduction des conduites d'alcoolisation et des troubles du comportement sous tiapride a été observée. Parmi les agents pro-dopaminergiques, la bromocriptine a fait la preuve d'un effet sur l'envie de boire qui devrait être confirmé par des études plus prolongées et incluant davantage de patients. Les derniers travaux de matching ou d'adaptation dans le domaine, suggèrent la possibilité d'une activité "spécifique" de la bromocriptine chez les sujets possédant un patrimoine génétique particulier (Allèle A1 du gène DR/D2).

Mots-Clés : Alcoolo-dépendance - Alcool - Dopamine - Neuroleptiques - Bromocriptine - Ttiapride.

Summary

Dopaminergic neurons appear to be involved in cerebral reward phenomena and initiation and maintenance of alcohol appetency. Neurobiological studies demonstrating the involvement of dopaminergic zones in alcohol abuse behaviour have led to the evaluation of prodopaminergic and antidopaminergic agents (neuroleptics) in the treatment of alcoholism. Neuroleptics are exceptionally indicated in forms of agitated drunkenness and more regularly in patients presenting a psychotic disorder associated with alcoholism. The molecules prescribed are flupenthixol and more rarely haloperidol. The main neuroleptic molecule evaluated in the long- term treatment of alcoholism is tiapride. A reduction of alcohol abuse and behavioural disorders has been observed with tiapride. Among prodopaminergic agents, bromocriptine has demonstrated an effect on the desire to drink which needs to be confirmed by longer studies in a larger patient population. The most recent studies on matching in this area suggest the possibility of a "specific" activity of bromocriptine in subjects possessing a particular genotype (Allele A1 of the DR/D2 gene).

Key-Words : Alcohol dependence - Alcohol - Dopamine - Neuroleptics - Bromocriptine - Tiapride.

Charles P. O'Brien.James W. Cornish.Marc Auriacombe

Apport de la naltrexone dans le traitement de l'alcoolisme

Résumé

L'alcoolisme est un désordre commun qui tend à être chronique et récurrent. Bien qu'il y ait des preuves indéniables que le traitement puisse aboutir à une période de rémission, ou, tout au moins, à un allégement des symptômes, on considère souvent le traitement de l'alcoolisme comme inefficace. En fait, il faudrait considérer l'alcoolisme comme tout autre trouble chronique, comme le diabète ou l'arthrose. Bien que l'objectif ultime soit l'absence de symptôme - dans le cas qui nous intéresse l'abstinence complète, - celle-ci demeure rare. Dans notre modèle, les résultats du traitement sont mesurés par la longueur de la rémission, la réduction de la consommation d'alcool, l'amélioration de l'état général et du fonctionnement social. Le traitement se poursuit sur plusieurs années, principalement en traitement ambulatoire ; la fréquence en est intensifiée si les symptômes réapparaissent. Il serait fort utile de disposer d'un médicament réduisant le désir d'alcool ou diminuant l'effet euphorique. Récemment, les résultats d'essais cliniques contrôlés sur la naltrexone, antagoniste des récepteurs opiacés, suggèrent que les médicaments de ce type rendent le traitement de l'alcoolisme plus efficace.

Mots clés : Naltrexone - Opioïdes endogènes - Antagonistes opioïdes - Traitement de l'alcoolisme.

Summary

Alcoholism is a common disorder which tends to be chronic and recurrent. Although there is undeniable evidence that treatment can achieve periods of remission, or at least alleviation of the symptoms, the treatment of alcoholism is often considered to be ineffective. In reality, alcoholism must be considered in the same way as any other chronic disorder, such as diabetes or osteoarthritis. Although the ultimate objective is absence of symptoms, in this case complete abstinence, this is rarely achieved. In our model, the results of treatment are measured by the duration of remission, reduction of alcohol consumption, and improvement of general state and social functioning. Treatment must be continued for several years, mainly on an outpatient basis; the frequency is intensified if symptoms recur. A drug capable of reducing the desire for alcohol or decreasing the euphoric effect would be very useful. Recently, the results of controlled clinical trials with naltrexone, an opiate receptor antagonist, suggest that this type of drug can make the treatment of alcoholism more effective.

Key-Words : Naltrexone - Endogenous opiates - Opiate antagonists - Treatment of alcoholism.

Jean-Yves Benard.Marion Husson. Isabelle Gabriel. Natacha Yarko. Philippe Chaylard. Jean-Pierre Ferrant.

Indications du disulfiram en alcoologie

Résumé

Le but de cet article est une tentative de mise au point sur l’utilisation actuelle du disulfiram en alcoologie pour en dégager les indications préférentielles à partir des données de la littérature. Cette dernière est riche mais nous n’avons retenu que les références les plus significatives dont certaines sont parfois anciennes mais fiables. En effet, l’utilisation de ce produit a fait l’objet de peu d’études contrôlées récentes en particulier dans les pays latins dont la France où il semble faire l’objet d’une suspicion qui, au terme de cette étude, ne nous paraît pas justifiée. Après un rappel des caractéristiques de la réaction éthanol-disulfiram, nous passons en revue les formes d’administration et les dosages, les contre- indications, les effets secondaires, les interactions médicamenteuses, la mesure de l’efficacité du produit pour contrôler l’alcoolisation, les techniques d’amélioration de la compliance, pour finir par dégager les indications préférentielles tout en donnant le point de vue de notre centre de soins où il est largement utilisé depuis plus de trente ans.

Mots clés: Dépendance alcoolique - Disulfiram - Indications préférentielles.

François Paille

Les sérotoninergiques : indications sélectives en alcoologie

Résumé :

De nombreux travaux récents ont permis de mieux connaître le fontionnement et les rôles physiologiques du système de transmission sérotoninergique au niveau du système nerveux central. Une action de ce système a ainsi été évoquée en particulier dans la physiopathologie de l’anxiété, de la dépression et des comportements alimentaires et addictifs. Dans le domaine de l’alcoolisme, un certain nombre d’études ont été menées, d’abord chez l’animal puis chez l’homme. Dans la prévention et le traitement du syndrome de sevrage, il n’y a que peu d’études et aucune substance n’a fait la preuve de son efficacité, notamment par rapport aux produits de référence, les benzodiazépines. En ce qui concerne l’appétence à l’alcool, les travaux menés chez l’animal ont permis d’apporter des arguments en faveur du rôle de la sérotonine : une activité sérotoninergique faible semble un facteur favorisant la consommation d’alcool chez le rat. L’administration de substances ayant des actions variées sur ce système (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, agonistes ou antagonistes de certains récepteurs) a mis en évidence une diminution de la consommation d’alcool chez les rats alcoolo-dépendants ou alcoolo-préférants. Chez l’homme, les études sont peu convaincantes. Elles sont souvent méthodologiquement discutables, notamment en ce qui concerne la définition des populations testées : les études menées chez des alcooliques anxieux et/ou déprimés ne permettent pas de différencier un effet spécifique du rôle d’une amélioration de l’humeur ou de l’anxiété. Certaines de celles menées chez des alcooliques non déprimés ont montré une baisse modérée de consommation chez des patients consommateurs excessifs, non dépendants ou faiblement dépendants et suivis pendant un temps court. Aucune molécule n’a, pour l’instant, démontré d’efficacité dans l’aide au maintien de l’abstinence chez les patients alcoolo-dépendants. Un certain nombre de molécules à action sérotoninergique sont utiles chez l’alcoolique, comme chez le non-alcoolique, dans le traitement des troubles anxieux ou des troubles de l’humeur, mais d’autres travaux sont nécessaires pour explorer d’éventuelles actions spécifiques de ces substances et notamment pour préciser s’il n’existerait pas des sous-groupes de patients répondeurs à ces produits, par exemple les patients présentant une agressivité marquée ou des tendances suicidaires. Ceci pose d’ailleurs le difficile problème de la définition de ces sous-groupes.

Mots-clés : abus d’alcool, alcoolo-dépendance, sérotonine, agoniste de la sérotonine, antagoniste de la sérotonine, inhibiteur de la recapture de la sérotonine.

Summary :

Many recent studies have elucidated the functioning and physiological roles of serotoninergic transmission in the central nervous system. An action of this system has been proposed, in particular, in the pathophysiology of anxiety, depression and eating and addictive behaviours. A number of studies have been conducted in the field of alcoholism, firstly in animals and then in man. Few studies have been conducted in the prevention and treatment of withdrawal syndrome and no substance has been shown to be effective, particularly compared to reference products, benzodiazepines. Animal studies concerning alcohol appetency have provided arguments in favour of the role of serotonin: a serotoninergic activity appears to be a promoting factor for alcohol consumption in rats. Administration of substances with various actions on this system (serotonin reuptake inhibitors, agonists or antagonists of certain receptors) has demonstrated a reduction of alcohol consuption in alcohol-dependent or alcohol-craving rats. Himan studies have been less convincing. They are often methodologically questionable, especially in terms of the definition of study populations: studies conducted in anxious and/or depressed alcoholics were unable to differentiate a specific effect from the role of improvement of mood or anxiety. Some studies conducted in non-depressed alcoholics showed a moderate reduction of alcohol consumption in non-dependent or weakly dependent heavy drinker, with a short follow-up. At the present time, no molecule has been shown to be effective in maintenance of abstinence in alcohol-dependent patients. A number of serotoninergic molecules are useful in alcoholic as well as non-alcoholic subjects, in the treatment of anxiety or mood disorders, but further studies are required to investigate possible specific actions of these substances and especially to determine whether certain subgroups of patients may respond to these substances, for example patients with marked aggressiveness or suicidal tendencies. Moreover, this raises the difficult problem of the definition of these subgroups.

Key words : Alcohol abuse, alcohol dependence, serotonin, serotonin agonist, serotonin antagonist, serotonin reuptake inhibitor, alcohol.

Jean-Dominique Favre. Bruno Delalleau. Muriel Malbezin. Henri Lôo, Rémy Malka.

Intérêt de la tianeptine chez l'alcoolodépendant

Résumé

Différents arguments plaident en faveur de l'utilisation des traitements antidépresseurs chez les patients alcoolodépendants, en particulier ceux qui agissent sur le système sérotoninergique : - données neurochimiques sur l'interaction entre l'alcool et le métabolisme du 5-HT, - études pharmacologiques chez l'animal montrant des modifications comportementales chez le rat dépendant de l'alcool traité par un antidépresseur, - fréquence de la dépression chez l'alcoolodépendant. La tianeptine a déjà montré son efficacité dans le traitement de la dépression de patients présentant un abus ou une dépendance à l'alcool. Lors d'une première étude, contrôlée en double aveugle versus amitriptyline, la sémiologie dépressive a été améliorée par la tianeptine et les perturbations biologiques liées à l'alcoolisation ont sensiblement rétrocédé. Des résultats similaires ont été notés lors d'une deuxième étude réalisée en ouvert portant sur 277 patients déprimés et alcoolo-dépendants traités pendant un an. Une nouvelle étude a été mise en place afin de comparer l'effet de la tianeptine avec celle d'un placebo dans la prévention des rechutes alcooliques chez des sujets sevrés et non déprimés. 342 patients ont été inclus, répondant aux critères du DSM III-R de dépendance à une substance psychoactive, l'alcool en l'occurence. Les patients ont été sevrés pendant une à quatre semaines avant l'inclusion définitive. L'étude s'est déroulée sur une période de neuf mois, avec des examens cliniques et/ou biologiques mensuels. Le critère principal d'efficacité était l'abstinence alcoolique. La population en intention-de-traiter était constituée de 327 patients ; 111 patients ont été traités pendant les neuf mois. Aucune différence significative en termes d'efficacité sur le maintien de l'abstinence n'est apparue entre les deux groupes, qu'il s'agisse de la population en intention-de-traiter ou des cas complets. En dépit des problèmes méthodologiques particuliers des études d'évaluation dans les dépendances (population incluse et indicateurs de résultats notamment), les espoirs portés par les antidépresseurs sérotoninergiques n'ont pas été confirmés dans les diverses expérimentations cliniques dans le cadre du maintien de l'abstinence. L'indication de la tianeptine doit donc être limitée au traitement des états dépressifs, dont la prévalence sur la vie est importante chez l'alcoolodépendant et dont le rôle sur la rechute ne doit pas être méconnu.

Mots-clés: Tianeptine - Placebo - Abstinence - Dépression - Alcoolodépendance - Alcool - Sérotonine

Summary

Several arguments are in favour of the use of antidepressant drugs in alcohol dependent patients, especially those acting on the serotoninergic system : - neurochemical data indicate the interaction between alcohol and 5-HT metabolism, -pharmacological studies show an improvement in the behaviour of alcoholized animals treated with antidepressants, -depression is a frequent disease in alcoholic patients. Tianeptine has been shown to be active in the treatment of depression in patients with history of alcohol abuse or dependence. In a first double-blind study performed versus amitryptiline, depression after withdrawal was improved by tianeptine, and biological abnormalities usually related to chronic alcohol intake tended to decrease. Similar results were found in an open study carried-out on 277 alcoholic patients treated for one year. As these patients were depressed, no definite conclusion could be drawn from these results in respect of a specific action of tianeptine on alcohol dependence. Thus, a multicentre double-blind study has been performed which compared tianeptine (12.5 mg t.i.d) and placebo in 342 non depressed patients fulfilling DSM-III-R criteria for Psychoactive Substance Dependence (alcohol). Other inclusion criteria were : daily alcohol intake higher than 80 grammes, minimum score of 3 on the Short-Mast Questionnaire, mean corpuscular volume above 98 fl and/or GGt more than twice the upper limit of normal. The patients were treated for 9 months. The intention-to-treat population and the per protocol population were made of 327 patients and 111 patients, respectively. The main efficacy criterion was the absence of alcoholic relapse (abstinence) defined by the patient's statements, the investigator's clinical judgement and some biological parameters: alcohol blood levels, GGt levels. Secondary criteria were the evolution of the alcohol consumption in the patients who relapsed, cumulative abstinence duration, a visual analogue scale for the evaluation of the appetence for alcohol and the clinical global impressions scale. The statistical analysis showed no difference between both groups in respect of the maintenance of abstinence (intention-to-treat and per protocol populations). In spite of the methodological problems of the studies in dependence (choice of the inclusion and efficacy criteria, especially), the preliminary results obtained with the serotoninergic antidepressants were not confirmed in the different trials performed in the maintenance of alcohol abstinence. The indication of tianeptine should be restricted to the treatment of depressive syndromes, which have a high lifetime prevalence in the alcoholic patient, and which have a noticeable role on the alcoholic relapse.

Keywords : Tianeptine - Placebo - Abstinence - Depression - Alcoholdependence - Alcohol - Serotonin