L’Evolution psychiatrique, N° 63, janvier-juin, 1998

ARVEILLER J.,

Pédophilie et psychiatrie. Repères historiques. -Pedophilia and psychiatry. Historical landmarks.

S’assignant pour propos d’interroger la pertinence du savoir actuel de la psychiatrie en ce qui concerne la pédophilie, l’auteur est amené à tracer comment s’est historiquement constitué ce savoir. Rapportant en permier lieu une expertise psychiatrique de pédophilie, il se demande d’abord si la fonction sociale de la psychiatrie et son savoir coïncident avec les nouvelles images qui sont actuellement proposées de l’abus sexuel sur enfants et de la pédophilie. Après avoir constaté la fréquence des abus sexuels sur enfants au XIXè siècle et noté quelques-unes de leurs caractéristiques par rapport au droit et à la statistique, il aborde ensuite successivement : le développement, au siècle dernier, des expertises médico-légales pour ce type d’abus, centrées surtout sur les victimes et leurs corps, avec la question des fausses allégations; la place peu à peu prise par les psychiatres dans de telles expertises, appuyée de quelques exemples, montrant un intérêt nouveau pour la psychopathologie des abuseurs; les modèles explicatifs successifs retenus par les psychiatres pour rendre compte des conduites d’abus et les limites de ces modèles (monomanies, phrénologie, hérédo-dégénérescence, constitutions). A la fin des années 1880, la pédophilie va prendre place dans le cadre plus général des perversions sexuelles, décrites et définies dans l’oeuvre de R. von Krafft-Ebing et précisées par d’autres auteurs. Puis l’oeuvre de Freud et de ses successeurs, à partir de 1905, renouvellera la vision de la sexualité humaine et de ses perversions, fournissant du pédophile des images opposées qui sont détaillées et discutées. L’auteur montrera pour finir comment, hier comme aujourd’hui, la production de savoir psychiatrique à propos d’abus sexuel sur enfants et de la pédophilie est très fortement déterminée, non par une demande de santé, mais par une requête judiciaire et sociale de fourniture de normes, visant à une régularisation des conduites sociales concernant la sexualité et concernant l’enfant.

- Our aim is to question the value of psychiatry’s current understanding and knowledge of pedophilia. A forensic report is quoted. Is the social function of psychiatry and its knowledge in harmony with the new images of child sex-abuse and pedophilia ? Having underlined the frequency of child sex-abuse in the XIX C and sketched some characteristics in terms of law and statistics, the evolution of forensic reports, psychiatric influence in the forensic sphere, the psychopathology of abusers and a series of explicative models (monomania, phrenology, degeneration etc.) are studied. At the end of the 1880’s pedophilia took its place in the general framework of sexual perversions as described by R. von Krafft-Ebing and others. The work of Freud and others renewed our understanding of sexuality and perversions from 1905 onwards, it provides contrasting images of pedophilia which are studied in detail. To conclude the author argues that the production of a psychiatric understanding of child sex-abuse and pedophilia in determined not by a request for health, but by legal and social requests for norms aimed at regulating social conduct concerning sexuality and children.

Pédophilie, abus sexuels, perversions sexuelles, médecine légale, histoire de la psychiatrie, pedophilia, sex-abuse, sexual perversion, forensic medicine, history of psychiatry.

L’Evolution psychiatrique, N° 63, janvier-juin, 1998,11-34

MARTORELL A., COUTANCEAU R.

Des conduites pédophiliques. Considérations cliniques et sociales.-A few clinical aspects of pedophilic behaviour.

Les auteurs passent en revue le phénomène de la pédophilie (qui fait actuellement rage au plan médiatique). Phénomène découlant, entre autres, d’une protection sociale de l’enfant telle qu’elle n’a jamais existé au plan qualitatif et quantitatif. Les classifications, les théorisations de différentes écoles et de différents axes sont passées en revue, depuis le repérage d’A. Moll dans la dernière refonte du Krafft-Ebing, jusqu’aux plus récentes classifications et taxinomies nord-américaines, dans le souci de mettre en évidence les aspects essentiels, les conceptualisations les plus opérantes pour les cliniciens de terrain. A côté de la présentation d’un cas extrême de “monstre” pervers pédophilico-incestueux, il est itérativement rappelé la plus grande fréquence, si nous considérons la population générale -autant que faire se peut- de potentialités pédophiliques pouvant s’agencer à toutes sortes d’aménagements et d’économies psychiques. Le champ pervers dépasse de très loin la figure du pervers caricatural, telle qu’elle s’est dégagée de la conceptualisation psychanalytique et englobe un très vaste ensemble de comportements plus ou moins sociabilisés parmi lesquels les conduites pédophiliques et certains rares pervers sadiques polymorphes pédophiles et pédérastes par ricochet. Restituer le phénomène médiatique, le scandale de la pédophilie dans le champ social où il a vu le jour pour mieux discerner l’origine et les motivations qui animent le social, mais surtout le politique, nous paraît essentiel pour pouvoir donner une réponse adaptée aux multiples sollicitations qui nous sont faites. Il est certain que nous n’avons pas de solution miracle pour remédier à des problèmes qui dépassent e très loin la pathologie mentale psychiatrique, et même la psychopathologie ambulatoire bien sociabilisée. Néanmoins, il nous paraît primordial d’adopter une position ouverte, nous permettant de nous inscrire de façon harmonieuse dans le champ social, pour apporter une contribution peut-être modeste (de notre point de vue) mais en tout cas précieuse pour les divers intervenants du terrain. Ces derniers (notamment les magistrats et éducateurs de la justice) ont constaté de longue date les fonctionnements mentaux problématiques d’une population de condamnés (incarcérés ou pas) qu’ils doivent gérer pendant la peine, tout en visant à une insertion aussi harmonieuse que possible dans le champ social. Est-il excessif de mettre à contribution le psychiatre en vue d’une meilleure protection des victimes, d’une plus profonde compréhension des comportements pédophiliques, d’une meilleure prise en charge des agresseurs sexuels ? Surtout lorsqu’on a conscience qu’il s’agit d’oeuvrer dans l’intérêt des victimes mais aussi dans l’intérêt bien compris des agresseurs sexuels... récidivistes malgré eux, dans de trop nombreux cas. Contribuer au traitement, à la sociabilisation et à la prévention d’agirs destructeurs, qui vont de l’escroquerie moorale aux diverses violences délabrantes, ne serait-ce pas digne d’un psychiatre (ou d’un thérapeute) ?.. Surtout lorsqu’on lui en donne les moyens...

- The authors review the pedophilia phenomenon which today has a high level of medial coverage. This phenomenon results in part from a qualitative and quantitative social protection that children have never before benefited from. Classifications and theorisations of differing schools are reviewed : from A. Moll’s outline in the final reworking of Krafft-Ebing to recent classifications and North American taxinomies -this with the aim of underlining what is most important for clinicians. Along with the presentation of an extreme case, a “monster” pervert and incestuous pedophile, we also remind the reader of the population of potential pedophiles that may correspond to various psychic economies and organisations. The field of perversion goes far beyond the psychiatric caricature and in fact includes various forms of more or less social behaviour including pedophilia and some rare polymmorphous perverse and sadistic pedophiles who are pederasts by ricochet. To reconsider the media penomenon, the scandal of pedophilia in the social sphere from which it originated so as to improve our understanding of the social and political fields seems essential so as to adapt answers to the many requests today encountered. Obviously we have no miracle solution for problems beyond mental psychiatric pathology. Nonetheless it is important to adopt an open position which allows psychiatrists to take their place in the social field and their modest contribution to the pedophilia question. Field workers (judges and “éducateurs de la justice”) have long been aware of the mental problems of long-term prisoners which must be dealt with during the sentence. The prisoner must also be prepared for his return into the community. It is too optimistic to say that psychiatry may be able to provide better protection of victims, a clearer understanding of pedophilia and better therapy for sex-offenders ? We must act both in the interest of the victims but also in the interest of sex-offenders... who, in too many cases do not get proper help and therefore commit the same kind of offence time and time again. To contribure to treatment, socialisation and prevention of destructive actions, actions whith hues that go from moral con tricks to incapacitating violence -would this not be worthy of an analyst or therapist ? Especially if he were given the means to work in proper conditions...

Pédophilie, pédophile, pédéraste, pédophilie érotique, abuseur sexuel, agresseur sexuel, prostitution infantile, pedophilia, pedophile, pederast, sex-offender, child prostitution.

L’Evolution psychiatrique, N° 63, janvier-juin, 1998, 35-67

BALIER C., BARON LAFORET S.

Traitemement des pédophiles en milieu carcéral.-Treatment of pedophilia in prison.

Il est évidemment artificiel de séparer une thérapeutique des pédophilies selon qu’elle a lieu en milieu carcéral ou non, si ce n’est que le cadre permet des inflexions de la pratique en fonction du lieu. C’est pourquoi nous avons voulu définir d’abord les principes généraux, qui ne peuvent se concevoir sans une approche clinique. Puis le SMPR de Fresnes a été pris comme exemple concret. Les principes thérapeutiques proposés aux pédophiles s’appuient sur les hypothèses cliniques de leur fonctionnement psychique : il ne s’agit pas de décrire une personnalité, mais de repérer ce qui est en jeu dans ce comportement sexuel. Il ne s’agit pas de sexe, mais de sexualité dans un mouvement défensif, en tant que moyen pour imposer sa violence. Le mouvement défensif contre l’inexistence, l’angoisse d’être envahi par l’autre, amène au recours au “plein” (les symptômes présentés sous formes de pulsions) pour assurer le déni du vide. L’enfant fétiche devient la preuve de l’existence du sujet. Le clivage est constant. Les abords thérapeutiques confrontent au clivage, à la fétichisation. L’accès au fantasme précédant l’acte est un élément important. Le traitement doit être suscité, et la rencontre thérapeutique aménagée : la rencontre des condamnés après le jugement est un moment propice. Il faut différencier le cadre légal du cadre pénitentiaire. Le cadre thérapeutique en milieu pénitentiaire doit être précisé et aménagé en tenant compte du contexte. Pour certaines personnalités, des lieux spécifiques définis par un but de soins et une limite de temps peuvent être utiles. Les thérapies de groupe avec médiation sont un support utile, notamment pour la reconnaissance des faits. La démarche de soin doit inclure une évaluation du fonctionnement familial et/ou de l’entourage. Le traitement débuté en milieu carcéral est conçu comme une première étape et doit être poursuivi en milieu libre.

- Obviously it is artificial to separate treatment of pedophiles in prison from treatment of pedophiles outside, although the prison setting modifies clinical practice. For this reason we have first defined general principles that cannot be understood without a clinical approach. The SMPR is quoted as an example. The therapeutic principles offered to pedophiles are based on hypotheses concerning their psychic functioning : the problem is not to describe a personality but to understand what’s at stake in this sexual attitude. It is not sex, but defensive sexuality, a way of imposing violence. The defensive motion against inexistence, the anguish of invasion by other causes recourse to “filling the void”, the drive comes into play so as to deny emptiness. The child as fetish becomes proof of the existence of the subject. The splitting is constant. Therapy supposes dealing with splitting and fetishisation. The phantasm that precedes the act is also important. The desire for treatment must be stimulated, the setting adjusted : meeting condemned persons after the trial is an important moment. The therapeutic setting must be adjusted to the prison context. In some cases specific meeting points and limits in time may be of use. Group therapies may be a useful support, particularly for recognition of facts. Treatment must include an evaluation of the functioning of family and/or entourage. Treatment started in prison is seen as a first phase which must be continued in the outside world.

Agresseur sexuel, cadre thérapeutique, clivage, fantasme, fétiche, inceste, thérapie de groupe, sex-offender, setting, splitting, phantasm, fetish.

L’Evolution psychiatrique, N° 63, janvier-juin, 1998, 69-81

BONNETAUD J.P.

Critique de l’argumentation pédophilique.-Critique of the pedophilic argument.

L’argumentation pédophile est fondée sur un prosélytisme déniant toute pathogénie à la sexualité mutuellement consentie entre adulte et enfant. Le discours-type n’hésite pas à présenter l’enfant comme un séducteur qui vient détourner l’adulte. La confusion entre l’affectif et le sexuel, entre le mature et l’immature est totale. L’argumentation pédophile vise avant tout la dépénalisation des relations mutuellement consenties entre adulte et enfant, arguant de leur totale innocuité. Tout un courant de pensée s’appuyant sur le “Corydon” d’André Gide soutient la légitimité des relations érotisant l’enfant. Ces thèses pro-pédophiles s’exprimèrent en France dans le courant des années 70-80. Nous avons étudié des écrits de Guy Hocquenghem, René Schérer, Gabriel Matzneff, Tony Duvert, Georges Lapassade, Michel Foucault, etc. afin de repérer le type d’arguments avancés pour légitimer la pédophilie et la pédérastie. Ces discours véhiculent un désir de destruction à l’encontre de la famille et de la société dont les normes sont rejetées. Sous couvert de défense des libertés, est réclamée l’abrogation des lois visant à protéger la jeunesse des abus sexuels. Les thèses pédophiles visent fondamentalement à remettre en cause la légitimité de l’interdit de l’inceste. Renverser la prohibition de l’inceste légitimerait la sexualité entre adulte et enfant. On retrouve parfois chez des cliniciens une argumentation similaire tendant à soutenir l’innocuité des relations sexuelles entre adultes et mineurs en mettant les deux protagonistes sur un pied d’égalité. Approche qui ne prend pas en compte les travaux portant sur les traumatismes résultant des abus sexuels. Restaurer la parole aux victimes est fondamental, afin d’une part qu’elle ne soit plus scotomisée et, d’autre part exposer les traumatismes en résultant, réfute l’argumentation pédophile d’innocuité. Analyser nos repères théoriques et pratiques se révèle donc indispensable afin de clarifier nos pratiques.

- The argument for pedophilia is based on the denial of the pathological nature of sexual contact between consentig adults and children. Often children are presented as seducers. In such cases the confusion between what is affective and what is sexual, between what is mature and immature is total. The pedophile argument aims at the legalisation of consented sexual relationships between child and adult - the argument being that such events are “innocuous”. A school of thought based on A. Gide’s “Corydon” favours erotic relationships that sexually stimulate children. These pro-pedophile ideas were expressed in France in the 1970s and 1980s. We review the work of Hocquenghem, Schérer, Mtzneff, Duvert, Lapassade, Foucault etc. so as to analyse the arguments advanced in favour of pedophilia and pederasty. Such arguments vehicle a desire to destroy the family and society whose norms are rejected. Under the cover of defence of freedom such groups demand the removal of laws designed to protect young persons from sexual abuse. The theses promoted by pedophiles aim at undermining the taboo of incest, the abolition of the taboo would legitimise sexual relationships between adults and children. Some clinicians use comparable arguments and claim that sexual relationships between adults and children are innocuous and that adults and children have comparable status. This approach is blind to the lasting traumas that result from sexual offences. victims must be helped to reclaim their own words, thus the trauma will not be buried or overlooked, the role of the trauma refutes the idea that sexual relationships between adults and children are somehow “innocuous”. A clear understanding of our theoretical position will help us in day-to-day clinical practice.

Pédophilie, pédérastie, abus sexuel, inceste, dépénalisation, pedophilia, pederasty, sexual abuse, incest, legalisation.

L’Evolution psychiatrique, N° 63, janvier-juin, 1998, 83-101

VRIGNAUD D.

Inceste et Justice.....Pour un autre jeu de lois.-Incest and the law....Let’s reshuffle the cards.

La mobilisation de la loi et de l’institution judiciaire en matière d’inceste illustre la dilution des moyens de régulation entre sphère privée et sphère publique, relations marquées par la modification profonde de nos représentations, du sens de la famille et de l’enfant. Plus sollicitée pour stigmatiser le délinquant sexuel que pour traiter l’abus commis dans la fonction parentale et sommée de répondre à un déficit de responsabilisation, la Justice risque d’être instrumentalisée. Pourtant la loi n’énonce pas l’inceste, et la problématique posée ne peut se réduire à l’énoncé d’une agression sexuelle, à l’élimination du “délinquant sexuel” ou à la protection de l’enfant. Plus symptôme d’un dysfonctionnement générationnel que d’une pathologie individuelle, la transgression et le traumatisme conséquent imposent un nouveau discours médico-légal et une nouvelle finalité portée par le Droit et le Juge : réintroduire, dans le lien social perverti, la loi comme outil de médiation et fondatrice d’un projet commun à la famille et à la Société. C’est par la mise en oeuvre d’un autre jeu de lois pénales et/ou civiles que pourront se redéfinir les statuts, les fonctions et compétences de chacun, et que pourra se restaurer le lien vital ou se fonder le pardon. La Justice n’est pas qu’un pas-sage, et s’il lui est impossible de réparer l’irréparable, il lui appartient cependant de faire, au présent, oeuvre de mémoire entre passé et avenir, entre parents et enfants.

- The mobilisation of the law and of the judiciary in matters of incest illustrates the dilution of the means of regulation between private and public domains; these relationships bear the mark of the deep modification of our representations, and of the meaning of family and child. Justice has being more solicited to stigmatise the sexual dilinquent than to deal with abuse committed within the parental function and being summoned to respond to a deficit in responsibilisation, runs the risk of turned into a legal instrument. Yet the law doesn’t declare the incestuous gesture and the problems raised cannot be reduced to the assertion of a sexual aggression, to the elimination of the “sexual delinquent” or to the protection of the child. More a symptom of a generational dysfunctionning than of an individual pathology, the transgression and consequent trauma impose a new forensic discourse and a new finality carried by the law and the judge i.e. to reintroduce the law into perverted social link, as an instrument of mediation and as a foundation for a project common to the family and to society. It is through the instrumentation of another system of penal and/or civil laws that the statutes, functions and competencies of everyone will be redefined, that the vital link will be restored and that forgiveness may arise. Justice is but a passing stage and if it is impossible what cannot be repaired it is however its duty, to in the present, to bridge the gap between past and future, between parents and children.

Inceste, loi, justice, délinquance sexuelle, victime, incest, law, justice, sexual dilinquent, victim.

L’Evolution psychiatrique, N° 63, Janvier-juin, 1998, 103-116

MARTORELL A., COUTANCEAU R.

Inceste pédophilique ? ou Abus sexuel incestueux sur enfant(s) ?-On pedophilic incest ? or Incestuous sexual abuse of children ?

Les auteurs s’interrogent sur le téléscopage, systématique ou fluctuant, qui est régulièrement fait entre l’inceste accompli et les abus sexuels incestueux sur des jeunes enfants. Toute une riche littérature a proliféré sur cette thématique et d’emblée les différences évidentes entre fantasme oedipien incestueux, abus sexuel caractérisé dans un milieu facilitant (à savoir, la famille) sur mineur(s), et inceste accompli entre adultes plus ou moins immatures, plus ou moins pervers. De longue date, au plan des textes de loi et du judiciaire en général, il est clair qu’uniquement les abus sexuels sur mineur(s) (consentants ou pas) ou personnes non consentantes ou particulièrement vulnérables, dont l’éventuel consentement serait sujet à caution, sont pris en considération du point de vue pénal. Ceci en sachant que les peines sont “aggravées” lorsqu’il s’agit “d’agresseurs sexuels” en position d’ascendant légitime ou de personne ayant autorité (sur la ou les victimes). De fait, les transgressions du “tabou” de l’inceste sont beaucoup plus fréquentes qu’on ne le supposait il y a seulement quelques décennies. En tout cas, bien plus fréquentes qu’une certaine lecture psychanalytique du psychisme humain ne le laissait supposer par sa théorisation de diverses dimensions de l’économie psychique de l’enfant et de l’adulte. De longue date, tout au moins depuis les travaux de S. Ferenczi, dans les années 30, on avait la claire notion que des confusions de langues entre adultes et enfants pouvaient survenir dans de multiples contextes, dont le milieu familial. Que cette méprise (pour le moins) conduisait à des agirs sexuels très souvent traumatogènes pour le psychisme de l’enfant et à l’origine de diverses névroses (l’hystérique notamment). Classiquement, la tendance a été de classer tout père incestueux -puisque c’est essentiellement de lui qu’il s’agit- dans la catégorie des pervers transgressant un tabou fondamental. A y regarder de plus près, nous nous apercevons qu’il peut s’agir d’individus aux aménagements psychiques fort divers : depuis l’immaturo-névrotique jusqu’au névrotico-perverso-pédophile, avec toutes sortes de gammes et de variations intermédiaires. Le classique inceste mère-fils de la littérature -Jocaste et Oedipe- demeurant bien loin des configurations habituellement rencontrées sur le terrain “psycho-médico-légal” essentiellement. Même si cela n’empêche pas de théoriser de façon unitaire, d’établir un lien conceptuel entre les diverses formes de l’agir incestueux, de l’incestuel à l’inceste accompli, entre adultes consentants. Pour notre part, nous insistons sur ce qui fait trauma dans le psychisme d’un enfant pré-pubère, à savoir : le passage du fantasme à l’acte accompli par le biais d’une relation asymétrique. Agir où un mineur subit l’emprise parfois consentie d’un adulte en position parentale dans une ambiance de secret, sous la menace parfois, “en douce” à d’autres moments. Nous soulignons combien ces passages à l’acte, éventuellement très répétitifs, correspondent à une volonté du parent indélicat incestueux, d’agir en cachette, dans un contexte de dissimulation, des actes qu’il sait inacceptables et interdits... sans aucune intention de régulariser un jour au plan social ce qui serait un “authentique” couple incestueux.

- The authors raise the problem of the systematic or variable confusion which concerns incest between adults and incest with children. A wealth of literature exists concerning pedophilia and incest but the diffrences between Oedipal phantasms, sexual abuse of children and incest between perverse and consenting adults is not always underlined. In legal terms only crimes concerning children or non-consenting persons are taken into account. On the other hand prison sentences are increased when the sex-offender is a parent or person with authority on the victim. In fact transgressions of the “taboo” of incest are far more frequent than was supposed some decades ago. Since the work of S. Ferenczi in the 1930s we have known that the “confusion of tongues between adults and the child” (i.e. confusing of request for affection and request for sexual contact) could arise in many family and social contexts and produce lasting trauma and various forms of severe neurosis, often hysteria. The father was often classified as a pervert. If we take a closer look however we find a mixed bag of pathologies, some immature neurotics, some perverts and a rainbow of other diorders. The mother-son relationship, Jocaste and Oedipus is rarely encoutered in forensic psychiatry, this is not of course an obstacle to theorising incest in its pathological unity. The authors insist on what causes trauma in a child before puberty -the fact that the phantasm encouters its “realisation” in the world. The act, often committed by person with parental authority, may take place in an atmosphere of secrecy, often we find threats of violence, sometimes incest is presented as a form of “cheating”. The acts of incest, soometimes very repetitive, correspond to a parental desire to act in seceret... without the intention of bringing a social facet to what would then become an “authentic” social couple.

Inceste, inceste pédophilique, abus sexuels incestueux sur enfant(s), père incestueux pédophilique, pervers, incest, pedophilic incest, incestuous sexual abuse of children, perverts.

L’Evolution psychiatrique, N° 63, janvier-juin, 1998, 117-132

TEBOUL R.

Abus sexuel : “Vous avez dit victime ?”-Sexual abuse. Did you say “victim” ?

L’abus sexuel d’un adulte envers un enfant est classiquement décrit, du côté de l’enfant, en termes de “traumatisme” et de “victime”. Hors des idéologies en vogue à l’heure actuelle, qui imposent la figure de la victime innocente, l’auteur présente trois cas cliniques qui abordent la question de l’abus sexuel d’une manière différente. Fort du constat que la pédophilie ne procède pas toujours du viol, la participation de l’enfant ou de l’adolescent dans la relation avec un adulte est interrogée. De même une différence est faite entre culpabilité et honte, car la honte semble plus appropriée pour décrire ce que peuvent éprouver ces enfant. Dans la mesure où ce sentiment est inscrit comme un lien à autrui il renvoie au traitement social de ce type de phénomène, traitement qui n’est pas sans conséquence puisque, d’une part il propose un statut de “victime” à l’enfant, et d’autre part enjoint le thérapeute à “réparer” le traumatisme subi. La honte a également son corollaire, le secret. Si aucun travail n’est fait pour que l’enfant s’approprie son histoire, autrement dit si jamais n’est posée par le thérapeute la question de la participation de l’enfant, hors des cas où le viol est une évidence, le risque de voir traiter cet événement sous le mode du “secret honteux” est grand. D’autant plus grand que le traitement actuel de ce phénomène impose le silence sur le plaisir possiblement éprouvé par l’enfant. L’auteur pose ainsi la question de la transmission transgénérationnelle de ce secret honteux. En effet, l’idée que les pédophiles sont d’anciennes victimes est communément répandue. Que fait-on de ce constat ? Par ailleurs, si l’on s’intéresse à la descendance de ces enfants ou adolescents “victimes”, on repère des phénomènes de répétition des traumatismes d’une génération à l’autre. Si l’on veut bien prendre ces faits en considération, une réflexion sur une possible prévention transgénérationnelle devrait s’imposer au thérapeute. C’est dire que le travail de réparation n’est pas le seul à devoir être mené.

- Sexual abuse of child by an adult is often described in terms of “trauma” and “victim”. Beyond current ideologies the author presents three case studies which consider sexual abuse in a different light. Pedophilia is not always rape, the participation of the child or adult is questioned. Also we distinguish shame from guilt -shame being more appropriate to what children feel. To the extent that shame is recognised as link to other it refers to the social treatment of this type of phenomenon : this treatment is not without consequences as, on one hand, it offers “victim” status to the child and on the other hand, pushes the therapist to “repair” the trauma suffered. Sham also has its corollary, the secret. If nothing is done to allow the child to re-claim his own story, if the therapist never asks the question of the child’s participation (outside of rape cases) then the risk of treating the event as a “shameful secret” if great. Also today’s treatment avoids the problem of the pleasure a child may derive. The author then raises the question of the transgenerational transmission of the shameful secret. The idea that pedophiles are former victims is widespread. But what does this idea become ? If we observe the children of “victims” we find that the trauma is repeated from generation to generation. If we bear these elements in mind we are obliged to think of transgenerational prevention. The reparation of the trauma is not our only duty.

Abus sexuel, honte, prévention transgénérationnelle, relation thérapeutique, réparation, traitement social, traumatisme, victime, sexual abuse, shame, transgenerational prevention, therapeutic relationship, victim.

L’Evolution psychiatrique, N° 63, Janvier-juin, 1998, 133-147

du MESNISL du BUISSON G.

Le Condamné en détention : liberté, incitation, obligation de soins ?-The condemned person in prison : liberty, incetement, obligatory treatment ?

Parmi les condamnés dépendant de substances (alcool, toxiques), psychopathes ou auteurs de crimes ou délits sexuels, rares sont ceux qui manifestent une demande spontanée de soins. Le juge de l’application des peines qui découvre des années plus tard le temps perdu au cours de l’emprisonnement ne peut que déplorer la rupture du dialogue judiciaire après la condamnation, comme si la justice n’était plus concernée par la compréhension et la mise en oeuvre de ses décisions. Comme si, oubliant la cause initiale de la détention, la seule question qui puisse se poser désormais au condamné voire à l’administration soit : comment gérer sa peine le mieux possible ? L’obligation de soins en droit français, qui concerne le condamné au sursis avec mise à l’épreuve (alternative à l’emprisonnement) ou en liberté conditionnelle (après avoir été détenu) n’est pas le soin sans consentement. C’est une obligation juridique qui requiert du condamné qu’il accepte d’être remis en question et de contribuer par sa participation active à la résolution des causes du crime ou du délit qu’il a commis. Il ne s’agit pas de surcroît d’une obligation de résultat (une “obligation de guérison”), mais d’une obligation de moyens, par laquelle la personne condamnée démontre qu’elle est volontaire pour les soins prescrits afin que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets. En ce qui concerne le condamné détenu, par-delà les notions d’incitation ou d’obligation, il apparaît indispensable que celui-ci soit avisé dès la condamnation que le juge de la mise en oeuvre de la peine tirera les conséquences juridiques de son comportement et que l’amélioration de sa situation pénale est subordonnée à son évolution personnelle. A cet effet, le juge de jugement apparaît être le mieux placé, ayant connu des faits et des personnes concernées, pour expliquer au condamné, une fois que la condamnation est devenue définitive, ce que la justice attend de lui, afin que la sanction pénale prenne sens pour celui qu’elle concerne. C’est à cette condition que pourra être mise en oeuvre de manière cohérente l’amorce d’une pédagogie de la peine.

- Among guilty persons in prison addicted to substances, alcohol or drugs, psychopaths, criminals or those guilty of sex offences, those that spontaneously request help are rare. The judge in charge of applying sentences who discovers years later the time lost through imprisonment can but deplore the breakdown of the judiciary dialogue after condemnation, as if justice was no longer concerned by the understanding and application of its decisions. As if, forgetting the initial cause of the detention, the only question the guilty party could ask himself now or ask the administration were : how to do time as comfortable as possible ? In French law the necessity of treatment which concerns those on parole who are tested as an alternative to prison or on conditional parole (after doing time of emprisonment) is not treatment without consent. It is a judicial obligation which requires the guilty party to accept his being questioned and his contribution to the active participation in the resolution of the crime he committed. Besides the problem is not a necessary result (a necessary “recovery”), but necessary means by which the condemned person demonstrates his willingness to accept the prescribed treatment so that the same causes should not produce the same effects. Concerning the detained party, beyond the notions of incitement or obligation, it seems indispensable that he should be advised as soon as he is convicted that the judge in charge of sentencing will draw the judicial consequences of his behaviour and that the improvement of his penal situation will be subordinated to his evolution. Within this context the court judge seems to be best placed, having known the facts and the persons concerned, to explain to the guilty party, once the condemnation is pronounced what justice expects of him so that the penal sanction makes sense to the person concerned. This is the condition necessary for the pedagogy of the sentence to be coherently put into place.

Condamné, emprisonnement, peine (sanction pénale), soins (obligation de), sens de la sanction, juge de l’application des peines, juge de jugement, condemned person, imprisonment, punishment, medical treatment (obligation of), meaning of the punishment, judge in charge of applying sentences (judge of probation), sentencing judge.

L’Evolution psychiatrique, N° 63, janvier-juin, 1998, 149-156

DUBRET G., COUSIN F.R.

La Peine et le soin. Nécessaire coordination de deux logiques pour une prise en charge des délinquants sexuels.-Punishment and treatment. The necessary collaboration of two types of logic for the care of sexual delinquents.

Les soins spécialisés pour les délinquants sexuels sont à l’ordre du jour. Un projet émanant du Ministère de la Justice prévoit d’intégrer ces soins au sein d’une mesure de suivi socio-judiciaire prononcéé par les magistrats. Pour les psychiatres, il s’agit d’une mission à laquelle ils sont peu préparés et qu’ils ne pourront mener à bien avec les seuls moyens dont ils disposent aujourd’hui. Une telle mission nécessite un partenariat à trois avec la justice et le pouvoir politique : -avec la Justice et singulièrement avec les Juges d’Application des Peines, un travail en réseau doit s’établir, qui permette d’articuler les interventions des magistrats et des médecins, tout en respectant l’éthique et la déontologie de chacun - avec le pouvoir politique (Santé et Justice), il est indispensable d’évaluer les moyens qui seront nécessaires à cette nouvelle mission, qu’ils s’agisse de temps médicaux, d’enseignement ou de recherches. Faute de quoi, les projets en cours risquent de rester lettre morte. Dans ce débat, le mode d’accès aux soins des délinquants sexuels n’est jamais indifférent : injonction théraeutique, obligation de soins, chacun de ces termes souligne que la demande de soins de ces sujets est rarement spontanée. Se pose alors le problème du consentement aux soins : quelles sont les limites des mesures coercitives ? Quelles sont les possibilités d’établir une relation thérapeutique sur un mode contractuel, pour que l’obligation de soins ne se transforme pas en illusion de soins ? Vouloir articuler la peine et le soin, c’est en même temps s’interroger sur le sens de la peine. Peut-elle uniquement se définir par sa durée ? Ne doit-on pas s’interroger sur son contenu ?

- Specialised treatment for sex-offenders is on the agenda. A project organised by the Ministry of justice aims at sentencing people to treatment as part of a socio-legal follow-up requested by magistrates. The public is waiting for results. For psychiatrists such a mission is impossible, the means are lacking. Such a mission supposes collaboration with the judiciary, particularly the judges in charge of applying sentences, a network must be established, so as to connect the work of doctor and magistrate whilst respecting the ethics of each group, -with the political powers that be (Health and Justice), the means necessary for this new mission must be evaluated (medical activity, teaching and research), this is indispensable. If this is not done ongoing projects risk certain death. In this debate the access to treatment for sexual delinquents is a central question : therapeutic injunction, obligatory treatment, such concepts underline the fact that the request for help is very rarely spontaneous. The problem of agreement to treatment is thus raised : what is the limit to coercitive measures ? What are the possibilities of establishing a therapeutic relationship of a contractual nature so that the obligation of treatment is not transformed into the illusion of treatment ? The desire to link punishment and treatment implies a question pertaining to the meaning of the punishment, can punishment be defined only in terms of duration ? Must we not also question the nature of its content ?

Délinquants sexuels, obligation de soins, seceret médical, expertise psychiatrique, psychiatrie pénitentiaire, sex-offenders, obligatory treatment, medical secret, forensic psychiatry, prison psychiatry.

L’Evolution psychiatrique, N° 63, janvier-juin, 1998, 157-174

CORDIER B.

Ethique et obligation de soins en matière de déviance sexuelle.-Ethics and obligatory treatment in matters of sexual deviations.

Les aspects éthiques des obligations de soins en matière de déviances sexuelles justifient une réflexion sur certains principes énoncés par le Code de Déontologie : l’indépendance professionnelle du médecin traitant, le libre choix du patient, son consentement libre et éclairé, et le respect du secret médical. Cette réflexion doit aussi aborder les critères pathologiques d’un comportement sexuel : celui qui est généralement retenu est le caractère impératif et exclusif d’une pratique déviante. Il faut aussi s’interroger sur la finalité réelle des soins. L’objectif du médecin n’est pas de normaliser. Il ne peut pas non plus ignorer le risque potentiel pour autrui. Auparavant, sont passées en revue les circonstances dans lesquelles sont déjà exercées les obligations de soins en application du Code de la Santé Publique et/ou du Code de Procédure Pénale, en relation ou non avec une indraction commise : médecine préventive (devoir de santé individuel dans l’intérêt collectif), maladies mentales (loi du 27/06/90 avec la proposition d’une obligation de soins ambulatoire), alcoolisme (loi du 15/04/54), toxicomanie (loi du 31/12/70), sursis ou ajournement avec mise à l’épreuve, sursis avec travail d’intérêt général, libération conditionnelle, etc. l’injonction de soins de la “loi Guigou” fait l’objet d’une attention particulière, car elle est innovante sur le plan médico-légal : elle crée une peine privative de liberté en cas d’inobservation d’une injonction de soins prononcée par un tribunal, et cette peine est complémentaire de celle qui est en relation avec l’infraction en cause. Elle crée aussi un nouvel échelon médical entre le médecin traitant et le médecin expert, le médecin coordonnateur qui sert théoriquement d’intermédiaire avec le juge de l’application des peines, dans le but de respecter (ou de contourner) le secret médical. La relation médecin-malade s’en trouve modifiée, mais beaucoup de spécialistes pensent qu’une obligation de soins peut être utile pour amorcer une prise en charge qui s’émancipe ultérieurement.

- The ethical aspects of obligatory treatment in matters of sexual deviation justify thinking about certain principles found in the “Code of deontology” : the independence of the therapist, free choice of the patient and respect of medical secret. This study considers the pathological nature of given sexual behaviour. We must also ask what goals are aimed at in therapy with deviants -the therapists’ aim is not to normalize. We cannot however ignore the risk factor. Also in this study we review the circumstances which give rise to obligatory treatment : this situation results from the “Code la Santé Pubilique” and/or the “Code de Procédure Pénale” and may or may not be connected to a given crime : preventive medicine, mental illness, alcoholism, drug addiction and of course various forms of probation. Obligatory treatment as defined by the “Guigou” law is thus considered in depth, it is original for medical and legal reasons : it means that persons may be jailed if they do not follow the treatment that the judge orders them to follow. Il also created a new medical role, between the forensic psychiatrist and their therapist we now have the coordinator who in theory is the “go-between” between judge and patient. The relationship between therapist and patient is obviously modified but many specialists feel that obligatory treatment may be of use in starting a process that a person may later claim for hismself.

Obligation de soins, injonction thérapeutique, éthique, déontologie, agressions sexuelles, obligatory treatment, therapeutic injunction, ethics, deontology, sexual violence.

L’Evolution psychiatrique, N° 63, janvier-juin, 1998, 175-184