Journal Tunisien de Psychiatrie

LA PRISE EN CHARGE DU DIABÈTE CHEZ LE MALADE MENTAL

J. EL MOHSNI *, M.N. TOUGOURTI** , Z.HASSEN** , M.F MRAD* , M.HAMZA**

 * Hôpital Razi Service de Psychiatrie G , ** Hôpital Razi ,  Service de Médecine Interne .

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RESUME
INTRODUCTION
MATÉRIEL ET METHODES
RÉSULTATS .
COMMENTAIRES
CONCLUSION
RÉFÉRENCES .



 

RESUME

Introduction  
Le diabète sucré chez le malade présentant des troubles mentaux  pose des problèmes assez difficiles de prise en charge et de traitement .   
Matériel et Méthodes  
Nous avons procédé à une étude rétrospective de 49 cas consécutifs de malades ayant des troubles mentaux sévères et un diabète sucré (sur un total de 135 diabètiques ) , hospitalisés dans le Service de Médecine Interne de l'Hôpital Razi de 1992-1997 .  
Résultats  
Notre étude a montré une fréquence significativement plus importante de diabète sucré chez les malades psychotiques (schizophrénie et psychose maniaco-dépressive ) que dans la population générale des malades hospitalisés durant la même période dans le même service . Mais ce résultat bien qu'il soit en accord avec les données de la littérature , est difficile à interpréter vu la nature rétrospective de notre étude .  
Les malades mentaux ont présenté plus de complications métaboliques que les malades sans troubles psychiques ; mais la différence entre les deux groupes n'est pas statistiquement significative .  
Conclusion  
Notre travail nous a permis de conclure à l'intérêt et à  l'efficacité de l'intervention psychosociale dans la prise en charge du diabète sucré chez le malade mental et d'insister sur l'importance d'une coopération étroite entre le médecin interniste et le psychiatre pour résourdre les nombreux problèmes thérapeutiques et diagnostiques rencontrés dans l'association diabète sucré et maladie mentale .

 

 

INTRODUCTION

L'association diabète , troubles psychiques est fréquente . Elle pose de nombreux problèmes diagnostiques et , surtout , dans le contrôle de l'équilibre diabètique .
Nous présentons dans  cette étude les résultats d'une prise en charge conjointe par le psychiatre et l'interniste , de telles situations pathologiques  .
 

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Nous avons procédé à une étude rétrospective sur dossiers , de tous les malades diabètiques  hospitalisés  dans l'unité de médecine interne au sein de l'hôpital Razi durant la période s'étalant de 1992 à 1997 .

Nous avons retenu 117 sur 135 dossiers

1/3 des patients sont transférés d'un service de psychiatrie de l'hôpital Razi .(table 1) .
Le type du diabète a été déterminé sur des critères cliniques :

Le diagnostic de troubles anxio-dépressifs ou psychotiques a été confirmé dans tous les cas par un psychiatre travaillant au sein de l'hôpital . L'anciennté du trouble psychiatrique est supérieure à un an chez tous les patients .
 

MODE

N

%

TABLE  1

Mode de 

recrutement .

CONSULTATION

70

60

TRANSFERT PSYCHIATRIE

41

34,7

URGENCES

3

2,7

AUTRES

3

2,6

TOTAL

117

100

 

 

RÉSULTATS

42% des patients présentaient des troubles psychiatriques (dont 50 % de nature psychotique . La psychose maniaco-dépressive a été diagnostiquée chez les 2/3 des cas  (table 2) ).
 

TROUBLES PSYCHIQUES

N

%

TABLE 2 
Répartition des Troubles psychiques des malades diabètiques

ABSENTS

68

58,12

ANXIO-DÉPRESSIFS

20

17,09

PSYCHOSE MANIACO-DÉPRESSIVE

17

14,53

SCHIZOPHRÉNIE

7

5,98

AUTRES

5

4,27

TOTAL

117

100,00

 

Il existe une légère prédominance masculine , non significative dans la population des malades psychiques  (table3.). Ces derniers sont également , significativement,  plus jeunes que les diabètiques non psychiques . La moyenne d'âge est de 50 ans chez les anxiodépressifs et de 35 ans chez les malades atteints d'une psychose maniaco-dépressive (table 4).
 

                    TROUBLES PSYCHIQUES 
                  ABSENTS        PRÉSENTS              TOTAL 

TABLE 3 
Répartition selon le sexe

SEXE

N

%

N

%

N

%

P

F

41

60,29

21

42,86

62

52,99

0,093

M

27

39,71

28

57,14

55

47,01

 

TOTAL

68

100,00

49

100,00

117

100,00

 

 

 
 

TROUBLES  PSYCHIQUES

MOYENNE AGE (ANS)

TABLE 4 
Moyenne d'âge des patients .

ABSENTS

59,25 +/- 12,39

ANXIO-DÉPRESSIFS

50,9 +/- 10,64

PSYCHOSE MANIACO-DÉPRESSIVE

49,37+/-11,86

SCHIZOPHRÉNIE

35,5 +/- 13,09

AUTRES

35,6 +/- 9,29

 

 
La maladie diabètique est plus précoce chez les malades psychiques (table 5). Il faut noter cependant qu'il n'existe pas une différence significative dans l'ancienneté de la maladie diabètique , qui est en moyenne de 10 ans (table 6).

 

TROUBLES PSYCHIQUES

N

MOYENNE AGE DÉBUT DU DIABETE

P

TABLE 5 
Moyenne d'âge de découverte du diabète sucré dans les deux populations , des patients psychiques et non psychiques

ABSENTS

68

47,78+/-13,82

0,008

PRESENTS

49

39,32+/-15,46

 

TOTAL

117

44,56 +/- 15,46

 

 

 
 

TROUBLES PSYCHIQUES

ANCIENNETÉ MOYENNE  DU DIABETE

TABLE 6 
Anciennté du diabète sucré .

ABSENTS

11,046 +/- 10,41

PRÉSENTS

8,33 +/- 9,876

TOTAL

10,03 +/- 10,25

 

 Le diabète est plus fréquemment de type 1 chez les patients ayant des troubles psychiatriques (table 7) .Les complications métaboliques sont également plus fréquentes dans ce groupe , mais d'une façon non significative (table 8) .
 

            TROUBLES PSYCHIQUES

                               ABSENTS     PRÉSENTS 

TABLE 7 
Type de diabète et troubles psychiques .

 DIABETE

N

%

N

%

P

TYPE 2

35

51,47

16

32,65

0,032

TYPE 1

33

48,53

33

67,35

 

TOTAL

68

100,00

49

100,00

 

 

 
 

                      COMPLICATIONS METABOLIQUES

                            ABSENTES       PRESENTES    TOTAL       

 TABLE 8 Troubles psychiques et 
Complications métaboliques. 

  TROUBLES 
PSYCHIQUES 

%

N

%

P

ABSENTS

12

17,65

56

82,35

68

100,00

0,16

PRÉSENTS

14

28,57

35

71,43

49

100,00

 

TOTAL

26

22,22

91

77,78

117

100,00

 

 

 
Nous avons observé 6 cas de diabète instable ou brittle diabète .

2 chez des patients ne souffrant pas de troubles psychiques  :

l'un étant en rapport avec une hépatite virale aigue ; le deuxième était provoquée par cholécystite aigue .

4 chez des malades mentaux :

un malade épileptique et sociopathe ,
deux patients atteints d'une psychose maniaco-dépressive : l'un de ces malades a présenté deux épisodes hyoglycémiques sévères d'origine factice .
et un cas de schizophrénie .
Nous avons noté une incidence élevée de PMD et de schizophrénie associées au diabète sucré  (table 9).
 

 

TABLE 9 
Une fréquence plus élevée de diabètiques ches les psychotiques que dans la population générale

 

 

DIABETIQUES

(117)

POPULATION GENERALE (563)

 

 

TROUBLES PSYCHIQUES

%

%

P

PSYCHOSE MANIACO- 
DEPRESSIVE

17

14,52

38

6,75

0,00002

SCHIZOPHRENIE

7

5,98

29

5,15

0,023

TOTAL

24

20,5

67

11,9

 

 

 

 

COMMENTAIRES

L'association diabète , troubles psychiques , suscite un grand intérêt du fait de la fréquence de la maladie diabètique , de sa chronicité et de sa gravité ,.d'une part , et de l'importance cruciale de la coopération du patient et de son éducation dans le traitement et la prévention des complications de la maladie, d'une autre part .
C'est dire la nécessité d'un dépistage actif des facteurs psychosociaux causes de déséquilibre du diabète et l'importance de l'intervention destinée à éliminer de tels facteurs . L'efficacité de cette intervention dans le diabète instable a été soulignée dans de nombreuses études et particulièrement chez l'enfant .

Une forte proportion de malades psychiques caractérise notre population . Ce groupe se distingue par un âge plus jeune et une prédominance masculine expliqués par une proportion élevée de patients psychotiques (50%) .

Les troubles psychiques sont fréquents et variés au cours du diabète sucré . Il peut s'agir de troubles du comportement alimentaire (1) (surtout observés dans le diabète de type 1) , compliquant singulièrement l'observance du régime alimentaire ; de troubles dépressifs (dont l'incidence  serait de 11% et la prévalence , durant toute la durée de la maladie diabètique , de 29 à 39 % [2] ) . Dans notre série 17,09% des patients présentaient un syndrome dépressif .

Nous avons noté une fréquence de 14,53% de psychose maniaco-dépressive et de 5,98% de schizophrénie .
La forte prévalence du diabète sucré au cours de la schizophrénie a été rapportée dans différentes séries (Etats Unis , Japon , Italie...) . Il s'agirait d'un phénomène universel . Dans l'étude de de Mukherjee & al ((3) , Italie ) , la prévalence globale du diabète sucré chez les malades schizophrènes était de 15,8% . Il s'agissait dans la majorité des cas de DNID . Le taux plus faible retrouvé dans notre travail (5,98%) peut être expliqué par des critères différents d'inclusion des patients .
La plus grande incidence de diabète sucré chez les malades psychotiques retrouvée  est difficile à interpréter dans le cadre de notre travail rétrospectif .
La fréquence du diabète sucré dans la psychose maniaco-dépressive a été en effet aussi signalée . L'étude prospective d'Eaton (4) a conclu que la  dépréssion majeur , ou psychose maniaco-dépressive constitue un facteur de risque de diabète sucré de type 2.
L'intervention de facteurs immunogénétiques est probable comme en atteste la fréquence des maladies auto-immunes chez les parents de premier degré des patients psychotiques (5).

Les troubles psychiques ont de graves conséquences sur la qualité de la vie du malade diabètique (6) et  le contrôle de la maladie diabètique .
Différentes études ont souligné le rôle majeur des facteurs psychologiques et psychosociaux dans la pathogénie du diabète instable type 1 ou "brittle" diabète .
Ce concept a été crée par Woodyatt en 1934 pour désigner des diabètes de type 1 caractérisés par des fluctuations importantes , inexpliquées et imprévisibles de la glycémie (7) .
Une fréquence trés élevée de troubles psychosociaux (74% des cas ) et de perturbations factices (40%) (8)(9) est unanimement rapportée au cours de cette forme . Les facteurs émotionnels (incriminés par plus de 93% des patients interrogés au cours d'une étude réalisée en Grande Bretagne [10]).) agissent en altérant la qualité de l'autosurveillance du patient et son observance du traitement . Un mécanisme d'action d'ordre psychosomatique n'est pas actuellement confirmée . Le brittle du diabète évolue vers l'amélioration avec la résolution du stress psychoaffectif(11) . Des épisodes récurrents d'origine psychiatrique ont par contre un mauvais pronostic (12)(13) .

CONCLUSION

L'intervention psychosociale a été déterminante dans tous les cas de déséquilibre diabètique d'origine non somatique . Il est important de souligner l'intérêt et la nécessité du recours au traitement psychotrope chez les malades psychotiques et les anxiodépressifs .
Cette étude nous permet d'affirmer qu'une prise en charge adéquate du diabète sucré chez le malade mental est possible et qu'un équilibre optimal de la maladie peut être obtenu si une coopération étroite entre l'interniste et le psychiatre est mise en oeuvre .
Il faut donc bannir toute attitude négative et fataliste .
D'autres études , prospectives , visant a mieux préciser la qualité du controle de la maladie diabètique chez le malade mental , ayant recours à un dosage de l'hémoglobine glycosylée par exemple , seront nécessaires .
Il est nécessaire aussi de procéder à des études sur de larges familles de patients psychotiques et diabétiques pour mieux préciser les mécanismes immunopathogéniques de cette association .


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 RÉFÉRENCES

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