BIOLOGIE





DÉPRESSION À
LA NOUVELLE-ORLÉANS

(COMPTE RENDU DU CONGRÈS ANNUEL DE LA SOCIÉTÉ AMÉRICAINE DES NEUROSCIENCES,
20-25 OCTOBRE 1997)

Renaud de Beaurepaire

Le 27ème congrès américain de la Society for Neuroscience s'est tenu en octobre dernier à La Nouvelle Orléans avec une affluence encore plus importante cette année que les années précédentes (environ 14 300 communications, et près de 30 000 personnes présentes). Comme toujours, beaucoup de communications concernaient la psychiatrie et les psychotropes. Nous allons rendre compte ici de celles qui avaient trait à la dépression. Elles étaient trop nombreuses pour les rapporter toutes en une seule fois. Nous ne traiterons dans cette première partie que du mode d'action des antidépresseurs. Dans une deuxième partie, nous traiterons du mode d'action des thymostabilisateurs et des électrochocs, ainsi que des modèles animaux de dépression, des études d'imagerie cérébrale et des études en post-mortem.

PREMIÈRE PARTIE :
LE MODE D'ACTION DES ANTIDÉPRESSEURS

Le mode d'action des antidépresseurs reste une préoccupation majeure pour les chercheurs. Schématiquement, les recherches tournent autour des questions suivantes : quels sont les récepteurs mis en jeu (principalement les sous-types sérotoninergiques), doit-on agir sur plusieurs récepteurs pour améliorer les effets (selon le modèle d'Artigas), quels sont les autres effets des antidépresseurs (qui n'entrent pas, ou seulement indirectement, dans la théorie sérotoninergique/noradrénergique) ? Et quantité de questions subséquentes ou annexes.

ÉTUDES PORTANT SUR LES 5HT1A

Des expériences électrophysiologiques très intéressantes ont été rapportées par l'équipe canadienne de Blier et de Montigny. Dans une première série d'expériences, ils ont recherché un mode d'action commun à tous les antidépresseurs, en utilisant des enregistrements de l'activité de cellules pyramidales de l'hippocampe ; ils ont commencé par montrer qu'un antagoniste 5HT1A (le WAY100635) n'a aucun effet sur des cellules de rats contrôles (non traités) ; puis ils ont traité les animaux pendant 3 semaines avec des antidépresseurs ayant différents modes d'action (un IRS, un IMAO, un bloqueur alpha-2) ; il est alors apparu que le WAY100635 devient capable d'activer les cellules pyramidales, quelque soit l'antidépresseur, c'est-à-dire que les antidépresseurs rendent les neurones sensibles aux ligands 5HT1A, alors que ces neurones leur étaient auparavant insensibles ; pour les auteurs, tous les antidépresseurs, quelque soit leur mode d'action, ont en commun d'augmenter ce qu'ils appellent l'activation tonique des récepteurs 5HT1A post-synaptiques ; cette augmentation de l'activité tonique des 5HT1A se fait sans modification du nombre ni de l'affinité des récepteurs. Cette expérience est particulièrement importante parce que c'est la première fois que l'on peut, sur des bases vraiment solides, proposer, comme le font les auteurs, que les déprimés souffrent d'un défaut d'activation de leurs récepteurs 5HT1A limbiques. Dans un autre travail, ils utilisent un IRSNa (antagoniste mixte de la sérotonine et de la noradrénaline), la doluxétine, et retrouvent, après trois semaines de traitement, le même phénomène d'activation tonique des 5HT1A dans l'hippocampe, sans modification d'affinité ; au cours de cette expérience, ils ont aussi étudié d'autres récepteurs, les alpha-2 et 5HT1B postsynaptiques, qui ne changent pas, et les alpha-2 présynaptiques, qui sont désensibilisés par le traitement (ce qui est important quand on sait que l'une de leurs propriétés est de bloquer la libération de sérotonine) ; ils confirment aussi dans ce travail une notion que l'on avait déjà, qui est que les antidépresseurs diminuent l'activité des neurones du raphé en début de traitement, et qu'après quelques semaines ces neurones retrouvent une activité identique à ce qu'elle était avant traitement. Ils ont aussi étudié les effets d'un traitement par un IRS, la paroxétine, dans une autre région du cerveau, le cortex orbito-frontal ; à la différence de l'hippocampe, le traitement par la paroxétine désensibilise les 5HT1A dans le cortex orbito-frontal, où l'on ne retrouve pas le phénomène d'activation tonique ; dans cette région du cerveau, les antidépresseurs augmentent la sécrétion de sérotonine, mais les réponses à l'application de sérotonine ou d'agonistes sérotoninergiques (DOI, mCPP) après traitement ne sont pas différentes de celles des contrôles ; il a souvent été dit que le cortex orbito-frontal pourrait être plus impliqué que l'hippocampe dans les troubles obsessionnels que dans la dépression, et, pour les auteurs, les antidépresseurs agiraient donc par un mécanisme différent, et sur des régions cérébrales différentes, dans la dépression et les troubles obsessionnels (le mécanisme ne serait pas 5HT1A dans ces derniers troubles). Ils ont aussi rapporté une étude qui montre qu'il existe une corrélation très significative entre l'affinité d'un IRS, ou d'un IRSNa, pour son site de recaptage, et sa capacité à bloquer (en aigu) l'activité des neurones sérotoninergiques du raphé ; cette étude (électrophysiologique, donc in vivo) a aussi montré deux choses : la première est qu'une molécule comme la venlafaxine, qui n'a qu'une faible affinité in vitro pour les transporteurs sérotoninergique et noradrénergique, bloque très fortement les neurones du raphé (ce qui peut faire imaginer qu'elle agit sur un autre type, moins connu, de transporteur) ; la seconde est qu'une molécule qui a une forte affinité pour le site de recaptage de la noradrénaline, et pas pour celui de la sérotonine, la désipramine, a le même effet inhibiteur sur les neurones sérotoninergiques du raphé qu'un IRS.

D'autres auteurs ont aussi rapporté des études sur les effets des antidépresseurs sur les récepteurs sérotoninergiques 5HT1A, mais ces études avaient généralement une portée théorique moins importante que celles de l'équipe de Blier et de Montigny. Plusieurs communications ont confirmé l'effet inhibiteur transitoire des IRS sur l'activité neuronale du raphé. Par exemple Czachura et Rasmussen, utilisant différents protocoles expérimentaux de traitements chroniques par la fluoxétine chez le rat, ont observé que pendant les premiers jours de traitement la fluoxétine diminue l'activité des neurones du raphé, puis que, progressivement, pendant la deuxième semaine, l'activité des neurones se normalise. Concernant les événements postsynaptiques, Pugliese et coll ont rappelé que, théoriquement, l'activation des récepteurs 5HT1A produit un effet inhibiteur sur les neurones de l'hippocampe, alors que les antagonistes activent les neurones en supprimant cette inhibition (comme on l'a vu avec les travaux de Blier et de Montigny) ; ils ont confirmé ces données en étudiant les potentiels d'action des neurones de l'hippocampe en présence de sérotonine et d'un antagoniste 5HT1A, le WAY100635 ; la sérotonine diminue les potentiels d'action, le WAY100635 seul n'a aucun effet sur les neurones, mais en présence des deux (WAY100635 et sérotonine) le blocage sérotoninergique est complètement inhibé ; cela démontre bien que dans l'hippocampe, la sérotonine diminue l'excitation neuronale par un effet 5HT1A. Kasamo et coll ont confirmé que les IRS, donnés en aigu, inhibent l'activité des neurones de l'hippocampe en activant les récepteurs 5HT1A ; ils ont étudié la capacité de plusieurs antidépresseurs à provoquer cette inhibition, et ont observé de grandes différences d'un antidépresseur à un autre : ainsi la fluvoxamine et la sertraline ont cet effet inhibiteur, mais très peu la paroxétine, et pas du tout la désipramine ; les auteurs s'expliquent mal ces différences (dont on remarquera qu'elles sont en apparente contradiction avec les résultats de Blier et de Montigny rapportés précédemment). Sprouse et coll ont rapporté une étude des effets de la fluoxétine sur les récepteurs 5HT1A postsynaptiques ; ils ont commencé par rappeler le principe de l'action des IRS sur les 5HT1A présynaptiques (les IRS, en bloquant le transporteur, augmentent la teneur extracellulaire en sérotonine, cette sérotonine va aller se fixer sur les 5HT1A présynaptiques, ce qui produit un effet inhibiteur sur l'activité du neurone) ; ils montrent que, selon le même principe, et comme on l'a vu dans les études rapportées précédemment, la fluoxétine inhibe en postsynaptique l'activité des neurones de l'hippocampe en augmentant la teneur extracellulaire en sérotonine (mesurée par microdialyse) qui agit sur les récepteurs 5HT1A postsynaptiques ; ils montrent cependant qu'un agoniste 5HT1A tel que le
8-OHDPAT a une action beaucoup plus forte que la fluoxétine pour produire cet effet ; ce qui leur fait penser qu'en théorie des agonistes 5HT1A purs et puissants devrait avoir un effet antidépresseur (où l'on revient à la case départ, puisque le seul élément décisif qui manque à la théorie 5HT1A de la dépression - défendue par tous les auteurs que l'on vient de voir - est la confirmation clinique que les agonistes 5HT1A ont bien un effet antidépresseur).

De leur côté, certains auteurs ont cherché à mettre en évidence des concomitants comportementaux ou endocriniens témoignant de cette capacité des IRS à agir sur les récepteurs 5HT1A. Par exemple, Sokolowski et coll ont étudié, toujours chez le rat, les effets hypothermisants du 8-OHDPAT après trois semaines de traitement par la fluoxétine ; et ils ont observé que ces effets hypothermisants ont disparu, ce qui témoigne d'une désensibilisation des 5HT1A hypothalamiques ; par ailleurs, ils ont étudié, par autoradiographie, les effets du traitement sur le transporteur de la sérotonine (le SERT), et il est apparu que le SERT est diminué en nombre et en affinité dans l'hippocampe, le striatum et le cortex préfrontal. Li et coll ont aussi étudié les effets désensibilisants de la fluoxétine sur les récepteurs 5HT1A ; ils montrent que cette désensibilisation est dose-dépendante (leur modèle expérimental est l'effet du 8-OHDPAT sur les sécrétions endocriniennes) ; ils pensent qu'il faut un traitement par une assez forte dose de fluoxétine pour obtenir une désensibilisation 5HT1A.

En résumé de ces études, qui sont essentielles pour la compréhension du mode d'action des antidépresseurs, et donc de la biologie de la dépression, on retiendra que les antidépresseurs ne modifient pas le nombre ni l'affinité des récepteurs 5HT1A dans le cerveau, à l'exception d'une désensibilisation dans l'hypothalamus (démontré par des explorations fonctionnelles), mais que des modifications subtiles de l'activation de ces récepteurs par des ligands 5HT1A peuvent être mises en évidence dans l'hippocampe, et pas dans le cortex orbitaire. Enfin il existe des résultats discordants concernant la question de savoir si tous les antidépresseurs, ou certains seulement, ont cette capacité de faciliter l'activation des récepteurs 5HT1A dans l'hippocampe.

AUTRES EFFETS DES ANTIDÉPRESSEURS SUR LES RÉCEPTEURS
SÉROTONINERGIQUES

Il est certain qu'une des principales préoccupations des chercheurs est aujourd'hui de comprendre le rôle des 5HT1A dans le mode d'action des antidépresseurs, mais de nombreuses communications avaient trait au rôle d'autres récepteurs.

Plusieurs dizaines de communications concernaient les aspects moléculaires et structuraux des transporteurs de la sérotonine et de la noradrénaline (le SERT et le NET), mais assez peu leur intervention dans le mode d'action des antidépresseurs, dont ils sont pourtant les cibles principales. On a vu précédemment que des auteurs ont observé que la fluoxétine diminue le binding du SERT dans certaines régions du cerveau, et il semblerait que tous les antidépresseurs qui ont une affinité pour le SERT le désensibilisent. Néanmoins, Yau et coll ont présenté des résultats qui montrent que ce n'est pas le cas de l'amitriptyline, qui ne modifie pas le SERT chez le rat adulte, et, paradoxalement, l'augmente dans l'hippocampe chez les rats âgés (sans modifier aucun autre récepteur sérotoninergique) ; cela soulève d'intéressantes questions concernant la physiopathologie de la dépression du sujet âgé, chez lequel semble exister une perte neuronale associée à une diminution d'activité sérotoninergique (l'amitriptyline pourrait s'opposer à la perte neuronale et augmenter la transcription ou la translation du SERT). Une autre communication intéressante (de Knight et coll) concernait le mode d'action de la paroxétine, qui est connue pour être un des IRS les plus sélectifs du SERT ; il est apparu qu'in vivo, à des taux sanguins qui sont les taux thérapeutiques habituels, la paroxétine inhibe 21 à 34 % du NET dans le cortex frontal chez le rat ; toutefois, il n'est pas certain que cela ait une réelle incidence sur le plan thérapeutique.

En dehors des 5HT1A et des transporteurs, un certain nombre de communications concernaient les 5HT2, et une les 5HT7. Ce sont Laplante et Meaney qui ont présenté une étude concernant les 5HT7 ; ils se situent dans l'hypothèse d'un dysfonctionnement de l'axe hypothalamo-surrénalien dans la dépression, qui propose que la dépression est en partie liée à des anomalies de la sensibilité des récepteurs aux corticoïdes dans l'hippocampe ; ils montrent que l'amitriptyline augmente le nombre des récepteurs aux corticoïdes dans l'hippocampe par un mécanisme 5HT7 (les effets bloqués par un antagoniste 5HT7) ; les auteurs, qui ont montré précédemment que la sérotonine agit sur les récepteurs aux corticoïdes par un mécanisme 5HT7, pensent que c'est par une action directe sur les récepteurs 5HT7 que les antidépresseurs normalisent l'activité de l'axe corticotrope chez les déprimés (et donc guérissent la dépression si l'hypothèse corticoïde est bonne).

Plusieurs communications concernaient les 5HT2. On sait que l'on est aujourd'hui devant un paradoxe qui est que d'un côté la plupart des antidépresseurs down-régulent (diminuent le nombre) les récepteurs 5HT2 (une down-régulation étant en règle la conséquence d'une stimulation importante, comme si une des actions des antidépresseurs était de stimuler les 5HT2, même si ce n'est pas ce qui se passe avec les électrochocs, qui up-régulent les 5HT2) et d'un autre côté de plus en plus d'arguments font penser que le blocage des 5HT2 a un effet antidépresseur (la miansérine, par exemple, est un antagoniste 5HT2). La plupart des communications présentées sont à situer dans ce paradoxe. Les résultats des études portant sur les effets des agonistes et antagonistes sur les 5HT2 illustrent ces contradictions. Ainsi Chalecka-Franaszek et coll ont observé que la miansérine (antagoniste 5HT2) aussi bien que le DOI (agoniste 5HT2) augmentent le nombre de récepteurs 5HT2 ; selon les auteurs, l'up-régulation des 5HT2 par ces deux molécules qui devraient normalement avoir une action opposée, est liée à des mécanismes différents de mobilisation et d'expression des gènes : le DOI agirait par un mécanisme calmoduline-dépendant associé à une mobilisation du gène de l'AP-1 et une activation de CREB (produit de la transcription de l'AP-1) ; alors qu'il n'existe aucune modification de l'ADN de
l'AP-1 après un traitement par la miansérine, qui ne provoque qu'une activation transitoire du gène de cfos, comme la plupart des antidépresseurs ; donc une up-régulation homologue des 5HT2 est possible par des molécules qui ont une activité opposée sur le récepteur. Si la miansérine up-régule les 5HT2, ce n'est pas le cas de tous les antagonistes 5HT2 qui souvent ne les changent pas ou même les down-régulent. De la même façon paradoxale, les agonistes, on l'a vu pour le DOI, up-régulent souvent les 5HT2, et Mitchell et coll ont montré que c'est aussi le cas pour un autre agoniste, la mésulergine : le traitement, in vitro, par de la mésulergine, de cellules transfectées avec le gène du récepteur 5HT2A voient leur expression de ce récepteur augmenter de 144 % en 24 heures, un effet bloqué par la kétansérine (un antagoniste 5HT2). La kétansérine est un antagoniste 5HT2A et 5HT2C, et Chu et Benes ont étudié l'action de la kétansérine sur les récepteurs 5HT2A du cortex frontal du rat ; ils ont montré que la kétansérine down-régule sélectivement les neurones de la couche V du cortex préfrontal médian, ce qui est étonnant dans le sens où il existe des récepteurs 5HT2A dans la plupart des autres couches du cortex (avec surtout une très forte densité dans la couche III). Ces résultats témoignent donc d'une spécificité de structure dans l'action des ligands 5HT2, ce qui, ajouté aux spécificités de mobilisation de gènes que l'on a vues, éclaire d'un jour nouveau les contradictions que l'on a signalées précédemment. Plusieurs auteurs ont observé que les antagonistes 5HT2 ont un effet thérapeutique dans des modèles animaux d'anxiété, et Abi-Saab et coll ont montré que les agonistes 5HT2 comme le DOI augmentent l'activité gabaergique dans le cortex préfrontal du rat, cet effet agoniste pouvant être à l'origine de leur effet anxiolytique. Il y a donc peut-être là une contradiction de plus, d'autant que des auteurs (Pumula et Sirvio ; Koskinen et coll) ont bien montré qu'une activité agoniste 5HT2 dans le cortex préfrontal est à l'origine d'une impulsivité : plus la sérotonine augmente (et plus la dopamine diminue, on connaît l'équilibre dopamine/sérotonine dans le cortex préfrontal), moins les animaux sont capable d'avoir une réaction adaptée quand ils sont mis devant un choix (ils présentent des troubles de l'attention, et se mettent à avoir des réactions impulsives et inadaptées) ; ce seraient les récepteurs 5HT2 qui seraient mis en jeu parce que les mêmes troubles sont reproduits par des injections de DOI.

Des études très intéressantes sur les 5HT2A ont aussi été faites en utilisant des techniques nouvelles de biologie moléculaire, par exemple l'utilisation d'un antisens anti-5HT2A, autrement dit le blocage de l'ARN des récepteurs 5HT2A en utilisant un brin complémentaire qui se fixe sur lui et empêche sa traduction. Sibille et coll ont ainsi injecté des antisens dans les ventricules cérébraux de rats, ce qui a considérablement diminué les récepteurs 5HT2A dans le cerveau, et ils ont observé que cette diminution des 5HT2A a un effet antidépresseur (évalué sur le test de Porsolt) ; l'effet antidépresseur au test était contemporain d'une augmentation très sélective de l'expression de cfos dans le cortex piriforme, ce qui, selon les auteurs, témoignerait de la désinhibition d'une voie neuronale très spécifique ; cette expérience montre qu'une down-régulation des récepteurs 5HT2 est capable de produire un effet antidépresseur, ce qui va dans le sens de certaines observations cliniques d'un effet antidépresseur des bloqueurs 5HT2A (comme la miansérine, la mirtazapine et beaucoup des nouveaux neuroleptiques sérotoninergiques).

STRATÉGIES DE POTENTIALISATION

De nombreux travaux apportaient de nouvelles approches des stratégies de potentialisation de l'effet des IRS. On connaît le principe (c'est le modèle d'Artigas) : sur le plan biochimique, les IRS, avant d'exercer leurs effets thérapeutiques, commencent par produire une désensibilisation (c'est-à-dire une inhibition progressive) des récepteurs présynaptiques (principalement les 5HT1A), donc bloquons tout de suite les récepteurs présynaptiques (par exemple en donnant un antagoniste 5HT1A en même temps que l'IRS), et on accélérera l'effet antidépresseur de l'IRS. En expérimentation animale, il est assez difficile de montrer que c'est précisément l'effet antidépresseur des IRS que l'on potentialise, mais, en revanche, on n'en finit de trouver des méthodes ingénieuses pour potentialiser tel ou tel de leurs effets ponctuels (généralement la libération de sérotonine, mais aussi d'autres choses).

La façon peut-être la plus originale de montrer qu'un blocage présynaptique potentialise les effets des IRS a été proposée par Pons et coll qui ont utilisé des souris mutantes dépourvues du gène des récepteurs 5HT1B (qui, comme les 5HT1A et 5HT1D, sont présynaptiques) ; les auteurs observent que la fluoxétine produit une augmentation significativement plus importante de la libération de sérotonine dans l'hippocampe des animaux dépourvus de 5HT1B comparativement aux contrôles (et pas dans le cortex frontal qui contient normalement peu de 5HT1B) ; autrement dit, une mutation qui supprime un gène a le même effet pharmacologique que le traitement par un antagoniste de ce gène, ce qui est, c'est le moins que l'on puisse dire, assez fascinant. Classiquement, l'antagoniste 5HT1A utilisé pour mettre en évidence les potentialisations était le pindolol, mais c'est aujourd'hui le WAY 100635 qui est le plus utilisé (le WAY 100635 a une beaucoup plus forte affinité pour les 5HT1A que le pindolol). Dawson et coll ont testé plusieurs antagonistes 5HT1A sur la potentialisation de la libération de sérotonine dans le cortex frontal après un traitement par la fluoxétine, et ils ont observé que l'on peut maintenir un effet potentialisateur permanent et soutenu avec des doses très faibles de WAY 100635 (0,03 mg/kg), et que seules les molécules qui ont un activité intrinsèque très basse potentialisent les effets de la fluoxétine. Dreshfield et Wang ont étudié l'effet d'une adjonction du précurseur de la sérotonine, le 5-hydroxytryptophane (5-HTP), sur les sécrétions de sérotonine induites par la fluoxétine seule, ou en association avec le WAY 100635, dans l'hypothalamus ; il est apparu que le 5-HTP potentialise fortement l'effet de la fluoxétine seule ou associée au WAY 100635 ; le WAY 100635 donné seul augmente la sécrétion de sérotonine et une augmentation de la synthèse de sérotonine apparaît quand on ajoute du 5-HTP. Ces expériences font penser qu'un supplément en 5-HTP pourrait être intéressant chez les patients traités par un IRS. De la même façon, un supplément en tryptophane pourrait être utile, et Bengtsson et coll montrent que ni le tryptophane ni le WAY 100635 ne modifient la libération de sérotonine dans le cortex frontal ou l'hippocampe, mais qu'avec l'association des deux il y a une augmentation de la sérotonine ; cette augmentation apparaît seulement dans le cortex frontal (innervé par le raphé dorsal), et pas dans l'hippocampe (innervé par le raphé médian) ; pour les auteurs, le rôle des 5HT1A est peu important dans le raphé médian, alors qu'il serait important dans le raphé dorsal. Ces résultats, qui montrent des différences anatomiques dans la localisation des effets des potentialisations, pourraient expliquer quelques unes des contradictions retrouvées dans des études antérieures.

L'intérêt du pindolol, qui a été le ligand le plus utilisé dans les premières études (utilisé par Artigas) pour ses propriétés antagonistes 5HT1A, est aujourd'hui remis en cause, de plus en plus d'auteurs considérant qu'il ne s'agit pas d'un antagoniste, mais d'un agoniste 5HT1A (en plus d'être un bêtabloquant). Le principe des stratégies de potentialisation, comme on l'a rappelé plus haut, est que les antagonistes 5HT1A accélèrent l'activité thérapeutique des IRS en accélérant l'inactivation des 5HT1A présynaptiques. Ce mécanisme est observable électrophysiologiquement, c'est-à-dire qu'en enregistrant des neurones sérotoninergiques, on voit les IRS supprimer l'activité des neurones, et cette activité est rapidement restaurée par les antagonistes 5HT1A. Metzler et coll ont étudié la capacité de plusieurs antagonistes 5HT1A à restaurer l'activité des neurones après leur inhibition par une injection de fluoxétine, et ils ont observé que le WAY 100635 produit rapidement cet effet, alors que ce n'est pas le cas du pindolol, qui, au contraire, tend plutôt à renforcer l'inhibition produite par la fluoxétine ; les auteurs mettent donc en doute le fait que, si le pindolol accélère vraiment l'effet des IRS, cela se fasse par un mécanisme antagoniste 5HT1A. De même, Fornal et coll ont étudié les effets électrophysiologiques du pindolol sans traitement préliminaire par un IRS, et ils ont observé que le pindolol produit (comme les IRS) une inhibition des neurones sérotoninergiques, et que cette inhibition est supprimée par le WAY 100635 ; ils ont aussi comparé les effets du pindolol à celui d'un agoniste 5HT1A, le 8-OHDPAT, et il est apparu que pindolol et 8-OHDPAT ont le même effet sur les neurones ; les auteurs concluent que le pindolol n'est pas un antagoniste, mais un agoniste 5HT1A. Néanmoins, dans l'équipe de Blier et de Montigny, on continue à soutenir que le pindolol est un antagoniste 5HT1A, et ces auteurs ont présenté une étude (Beïque et coll) où le pindolol supprime l'inhibition neuronale produite par la venlafaxine (avec un protocole différent de celui des études précédentes : doses beaucoup plus élevées et traitement subchronique) ; ils ont aussi étudié les effets des mêmes traitements sur les neurones postsynaptiques dans l'hippocampe : la venlafaxine inhibe l'activité de ces neurones, et cet effet est potentialisé par le pindolol et bloqué par le WAY 100635 ; les auteurs interprètent ces résultats, pour le moins paradoxaux si on maintient que le pindolol est antagoniste 5HT1A, en disant que le pindolol n'agit qu'en présynaptique, et pas en postsynaptique (alors qu'ils acceptent l'idée que le WAY 100635 agit en postsynaptique pour bloquer l'inhibition de la venlafaxine sur les neurones de l'hippocampe). En réalité, les auteurs semblent très intéressés par la recherche de différences d'affinité pré- et postsynaptiques dans les effets des ligands 5HT1A, affinité qui semble varier selon la voie d'administration ; ainsi (Rueter et coll) ont montré qu'un agoniste 5HT1A, le BIMT 17, a une forte activité agoniste en présynaptique, et faible en postsynaptique, quand il est injecté par voie périphérique, alors que c'est l'inverse quand il est appliqué au contact des neurones (il faut noter que le BIMT 17 est aussi un agoniste 5HT2).

D'autre part, Blier et de Montigny ont aussi recherché si l'on pouvait potentialiser un IRS, la paroxétine, par la mirtazapine (un antagoniste alpha-2 et 5HT2) ; ils ont utilisé le modèle que l'on a présenté en début d'article : après traitement chronique par un IRS, activation tonique dans l'hippocampe des récepteurs 5HT1A révélée par l'application de WAY 100635 ; ils observent que l'association des deux antidépresseurs n'augmente pas quantitativement l'activation, mais diminue le délai d'apparition de cette activation tonique (Besson et coll) ; ce qui fait penser que l'association de ces deux antidépresseurs en clinique pourrait avancer l'effet thérapeutique (tout comme l'association
IRS-antagoniste 5HT1A du modèle d'Artigas).

Enfin, plusieurs auteurs ont cherché à mettre en évidence des effets des stratégies de potentialisation sur le comportement des animaux (agressivité, attitudes dans le groupe) et les résultats de ce nouveau type de recherche, sans être négatifs, manquant encore de cohérence et apparaissent très difficiles à interpréter, avec des effets variables selon les molécules utilisées, les doses, la durée des traitements, etc. (Mitchell et Redfern ; Sanchez et Hyttel).

AUTRES EFFETS DES ANTIDÉPRESSEURS

De nombreux autres effets des antidépresseurs ont été rapportés, effets divers dont on ne sait pas quelle importance ils ont dans l'effet proprement antidépresseur.

Les effets neurotrophiques ou neuroprotecteurs des antidépresseurs ont donné lieu à plusieurs communications, alors que d'autres auteurs évoquent la possibilité de propriétés neurotoxiques. Il existe plusieurs façons de mettre en évidence des effets neurotrophiques ou neuroprotecteurs, on peut par exemple montrer que les antidépresseurs stimulent la sécrétion de facteurs neurotrophiques, ou provoquent certains changements morphologiques des neurones, ou protègent contre la toxicité de certains agents, ou encore inhibent les effets de molécules toxiques. Le facteur neurotrophique le plus connu (le premier à avoir été mis en évidence), est le Nerve Growth Factor, ou NGF. Johansson et coll ont retrouvé que certains antidépresseurs (l'amitriptyline et le moclobémide) augmentent la libération de NGF dans l'hippocampe et le cortex ; cette libération de NGF est accompagnée par une augmentation du nombre des récepteurs aux corticoïdes dans l'hippocampe (et pas dans le cortex) ; sans que l'on puisse faire clairement un lien entre l'augmentation du NGF et celle des récepteurs aux corticoïdes, cette étude montre que les antidépresseurs ont une action sur la plasticité neuronale. Une autre molécule est connue pour être impliquée dans la plasticité synaptique, c'est la calcium-calmoduline protéine kinase II (CaMKII) ; Popoli et coll ont étudié les effets de traitements aigus et chroniques par de nombreux antidépresseurs sur la CaMKII dans l'hippocampe ; les antidépresseurs étaient des IRS (fluvoxamine et paroxétine), un IRSNa (venlafaxine), un IRNa (reboxétine) ; tous ces antidépresseurs, donnés en chronique (et pas en aigu), produisent une augmentation de la CaMKII, ainsi que de la phosphorylation de la synaptotagmine (dépendante de la CaMKII) ; un antidépresseur atypique, la S-adénosylméthionine, n'a pas produit d'augmentation, mais une diminution, de la synaptotagmine, ce qui montre que cet antidépresseur a un mode d'action différent des inhibiteurs du recaptage. D'autre part, plusieurs molécules sont connues pour avoir des effets toxiques sur le système nerveux. C'est le cas par exemple de la metamphétamine, qui produit une dégénérescence caractéristique des fibres sérotoninergiques. Bledsoe et Zhou ont montré que la fluoxétine protège contre la toxicité de la metamphétamine ; ils ont proposé plusieurs hypothèses pour expliquer cette neuroprotection ; il est possible que l'occupation des sites de recaptage par l'IRS prévienne l'entrée du toxique dans les fibres. Mais indépendamment de ce mécanisme, des auteurs ont montré que les IRS ont des effets neurotrophiques propres qui conduisent à des modifications morphologiques des neurones. Ainsi Kalia et coll ont traité des animaux avec plusieurs IRS (parmi lesquels la fluoxétine et la sertraline), et ils observent des modifications morphologiques très importantes au niveau de toutes les terminaisons sérotoninergiques, à type de ballonnement ou d'épaississement ; il est impossible de dire si ces modifications morphologiques ont une importance dans l'effet thérapeutique des IRS ; il faut noter que ces effets sont observés avec des doses très élevées, suprathérapeutiques, et en administration aiguë ou subchronique (les expériences n'ont pas été faites en chronique). Des auteurs ont aussi montré que certains antidépresseurs protègent les neurones contre l'apoptose (on rappelle que l'apoptose est une mort programmée d'une cellule, que l'on oppose aux morts lésionnelles qui surviennent par accident). La mort programmée de l'apoptose se fait pas différentes voies, parmi lesquelles celle qui fait intervenir une enzyme, la sphingomyélinase. Dans une étude in vitro explorant les voies de l'apoptose neuronale, Yeh et coll montrent que cette voie est inhibée par un antidépresseur, la désipramine (ainsi que par un neuroleptique, la chlorpromazine) ; la désipramine n'a pas inhibé d'autres voies de l'apoptose (induites par le NMDA ou l'hypoxie) ; certains antidépresseurs pourraient donc avoir un effet neuroprotecteur en agissant sur des voies spécifiques de l'apoptose. D'un autre côté, des travaux ont évoqué l'éventualité d'effets neurotoxiques pour les antidépresseurs. Post et coll ont étudié in vitro les effets de très nombreux antidépresseurs et neuroleptiques, et trouvent que tous (à l'exception des IMAO) sont toxiques pour les neurones en produisant des radicaux libres ; cette production de radicaux libres serait (pour les neuroleptiques, pas pour les antidépresseurs) liée à l'activation d'un facteur de transcription impliqué dans le stress oxydatif, le NF-kappaB ; les IMAO pourraient, au contraire, diminuer la production de NF-kappaB. Il faut néanmoins noter que plusieurs communications concernant les neuroleptiques montraient qu'ils ont plutôt des effets neuroprotecteurs (nous ne reviendrons pas sur ces travaux, puisque nous ne traitons ici que des antidépresseurs). Obata et Yamanaka ont étudié in vivo la production de radicaux oxygène dans le striatum de rats traités par des tricycliques et d'autres antidépresseurs ; ils ont observé que les tricycliques seuls augmentent la production de radicaux oxygène, et sont donc potentiellement neurotoxiques ; curieusement, ils rattachent cette production de radicaux OH à des propriétés inhibitrices de la MAO qu'ils attribuent à ces molécules.

Plusieurs effets encore inconnus, ou très atypiques, ont été décrits pour certains antidépresseurs, nous allons seulement en citer rapidement quelques exemples : la fluoxétine aurait des propriétés IMAO-A et -B (Mukherjee et Yang), la fluvoxamine aurait modifierait l'activité des neurones du locus coeruleus par un mécanisme noradrénergique (Freo et coll), l'imipramine et la phénelzine modifieraient l'expression de sous-unités du récepteur au gaba (Tanay et coll), la fluoxétine activerait sélectivement l'expression du gène du récepteur CRF-1 dans le noyau paraventriculaire de l'hypothalamus (Torres et coll), l'imipramine active sélectivement l'expression du gène du récepteur dopaminergique D2 dans l'aire tegmentale ventrale (Dziedzicka-Wasylewska et Rogoz), les IRS auraient des effets anticonvulsivants en inhibant un canal sodique (Frederiksen et Sanchez), les antidépresseurs augmentent l'expression du gène du cytochrome b dans le cortex frontal, et pas ailleurs (Strakhova et coll).

A part, il faut citer le rôle des neurostéroïdes qui, soit interagiraient avec les antidépresseurs, soit auraient des effets antidépresseurs potentiels, des sujets qui intéressent de plus en plus de chercheurs. Il avait été montré, en 1996, qu'un traitement par la fluoxétine augmente l'alloprégnanolone dans le cerveau chez le rat. Uzunova et coll ont étudié la teneur en neurostéroïdes dans le LCR de patients déprimés avant et après un traitement par la fluoxétine ou la fluvoxamine, et ils ont observé qu'après traitement, sont augmentés l'alloprégnanolone et surtout son stéréoisomère, le 3a,5ß-TH-progestérone, qui a la particularité d'avoir une grande affinité pour le récepteur aux benzodiazépines ; ils ont aussi montré que l'augmentation des stéroïdes dans le LCR est proportionnelle à l'amélioration des scores de dépression à l'échelle de Hamilton ; les auteurs proposent donc que l'augmentation de la teneur cérébrale en stéroïdes pourrait avoir un rôle dans l'effet thérapeutique de ces IRS. Plusieurs communications ont rapporté des résultats qui montrent que les neurostéroïdes interagissent avec les neurotransmetteurs. Trevino et coll ont montré qu'un traitement par l'estradiol modifie les réponses comportementales au 8-OHDPAT, ce qui implique que l'estradiol interagit avec les récepteurs sérotoninergiques, et les auteurs situent cette interaction dans une région de l'hypothalamus médio-basal. Summer et Fink montrent que, chez le rat, la testostérone et les œstrogènes augmentent les récepteurs 5HT2A dans les cortex frontal, cingulaire et piriforme, ainsi que dans le noyau accumbens ; les auteurs pensent que cela pourrait expliquer les changements d'humeur qui surviennent lors de la ménopause ou de l'andropause. Disshon et Dluzen ont montré que, in vitro, l'estradiol potentialise les effets de la nomifensine sur la teneur extracellulaire en dopamine, et proposent que l'estradiol a des propriétés inhibitrices du recaptage de la dopamine. Enfin, Cavus et Duman ont étudié l'effet de l'estradiol sur la sécrétion de BDNF induite par la stimulation des récepteurs 5TH2A (sachant que ces auteurs ont précédemment proposé que la stimulation de la sécrétion de BDNF, un facteur neurotrophique, était un mode commun d'action des antidépresseurs) ; ils montrent que l'estradiol augmente la sécrétion de BDNF dans l'hippocampe et le cortex, mais cet effet leur semble indépendant de l'effet de l'œstradiol sur les récepteurs 5HT2.

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