AU SOMMAIRE

  • Editorial
  • La santé mentale aux Etats-Unis
  • Un système de santé mentale de facto
  • L'opinion de Viviane Kovess sur le système de santé mentale aux Etas-Unis
  • De la santé mentale à la maladie mentale : un continuum
  • Des traitements efficaces
  • L'opinion d'Edouard Zarifian sur l'ensemble du rapport
  • Un problème majeur : la stigmatisation
  • Le système de santé américain : quelques données.
  • Santé mentale : état des lieux
  • L'opinion de Gérard Massé sur la stigmatisation
  • Perspectives d'avenir
  • L'opinion d'Eric Piel sur les actions à entreprendre dans l'avenir

    LA SANTÉ MENTALE AUX ETATS-UNIS

    UN RAPPORT IMPORTANT, SÉVERE ET DISCUTABLE

    Jamais comme aujourd'hui, grâce aux progrès de la recherche fondamentale sur le cerveau, les thérapeutiques n'ont été aussi efficaces sur les troubles psychiques, et cependant la moitié des 20% de la population américaine qui ressortit à ces traitements n'en bénéficie toujours pas. C'est autour de ce paradoxe et pour le comprendre que se construit le rapport de 500 pages (1), le premier depuis quarante ans, le Kennedy Act de 1963, remis en décembre 1999 par le Surgeon général des Etats-Unis (l'équivalent d'un directeur général de la santé qui serait indépendant du pouvoir politique), au Department of Health and Human Service (équivalent d'un secrétariat d'Etat à la Santé).
    A la recherche des causes qu'ils dénoncent comme un scandale, les rapporteurs désignent du doigt deux coupables principaux : l'invraisemblable désordre d'un système de soins sans cohérence ni coordination ; et l'indifférence avec laquelle ce système considère la stigmatisation dont souffre la maladie mentale dans l'ensemble de la population.
    Différent dans chacun des Etats de l'Union, le système, ou plutôt le non-système de la santé mentale, reste, au sein de chacun de ces Etats, fragmenté et désorganisé, ne permettant pas une prise en charge efficace de la population qui ne bénéficie pas, comme chez nous, d'une sécurité sociale généralisée. Rien qui ressemble à notre secteur qui, malgré ses insuffisances, tente depuis une quarantaine d'années de répondre à de besoins multiples et grandissants. Par contre, le tabou de la santé mentale, qui domine le rapport américain, est chez nous tout aussi massif, et notre système de santé mentale néglige, comme celui des Etats-Unis, un problème dont on sait que l'amélioration est la condition sine qua non de tout progrès de la prise en charge.
    De l'analyse que fait le rapport des deux raisons majeures du dysfonctionnement du système, et malgré les différences structurelles et culturelles qui nous séparent des Etats-Unis, nous avons à tirer profit :
    1/ Même si nous somme clairement moins organicistes qu'ils ne le sont, et que nous accordons une importante nettement moins décisive aux progrès des neurosciences, notre position doit pouvoir tirer bénéfice d'une confrontation avec une démarche dont la naïveté apparente est aussi un défi. Le soupçon que nous pouvons avoir d'une influence sournoise des grands groupes pharmaceutiques sur la mise en œuvre publicitaire des thérapeutiques médicamenteuses, a tout à gagner d'une confrontation qui, pourtant, ne sera sérieuse que si nous nous montrons capables de lui opposer une recherche clinique aujourd'hui dangeureusement en panne.
    2/ Les désordres et les dysfonctionnements des démarches de la prise en charge américaine doivent nous conduire à ne pas laisser le secteur en rester là où il en est aujourd'hui, quand la diversité des besoins et l'expression des demandes tendent à le déborder.
    3/L'urgente nécessité d'ouvrir la boîte noire de la maladie mentale que nous ressentons comme la ressentent les rapporteurs américains, doit trouver des outils dans ce rapport,ou dans les rapports établis chez nous depuis quelques années déjà, mais dont la mise en œuvre tarde encore. La stigmatisation ne sera levée qu'au prix d'une information et d'une communication auprès du public par des professionnels de la santé mentale qui se seront d'abord accordés sur un minimum d'opinions communes.
    C'est dans cette triple perspective que la mission nationale d'appui en santé mentale a décidé de consacrer ce numéro 22 de « Pluriels » à ce Rapport.
    Nous soumettons ici à nos lecteurs quelques traductions synthétiques des chapitres principaux, que nous faisons accompagner des opinions et commentaires de Viviane Kovess, Gérard Massé, Eric Piel et Edouard Zarifian.

    R. Lepoutre

    (1) Le rapport est disponible sur internet : http : //www.nimh.nih.gov/events/prsurgeon.cfm


  • Editorial

    RESSEMBLANCES ET DISSEMBLANCES

    Le rapport - et c'est là son aspect
    le plus frappant - s'adresse explicitement au grand public éclairé et aux décideurs. Les professionnels, au-delà d'une bibliographie exceptionnellement riche, pourront trouver que ce rapport n'a pas inventé la poudre,
    ou qu'il enfonce des portes ouvertes. Il n'empêche. Le ton et les motivations sont très clairs : il s'agit de contribuer
    à modifier l'attitude du public
    (le chapitre sur la stigmatisation est assez édifiant) et des décideurs, pour peser sur la mise en œuvre financée d'une politique à la fois exhaustive, spécifique et coordonnée. C'est ainsi qu'est battu en brèche, de façon quasi rabâchée, le complexe d'infériorité que peut vivre notre discipline, à la fois dans son
    niveau scientifique et ses succès thérapeutiques, et revendiquée avec force la parité entre la santé mentale et les autres branches de la santé. Les études épidémiologiques ne sont pas moins remarquables, même si certaines étaient déjà connues.
    Elles confirment l'ampleur de notre domaine (28% de la population générale adulte, 21% de la population infanto-juvénile) en prévalence annuelle, ainsi que le décalage important avec la population utilisant les services durant la même période (ce qui montre à quel point une planification fine est très difficile). Dans tous les domaines traités, les ressemblances, comme les dissemblances, avec la France (inégalités, financement, couverture sociale, etc.) offrent un vaste espace de réflexion très utile. Comme en témoignent les commentaires d'origine française de ce rapport, la Mission n'épouse pas, loin s'en faut, la philosophie d'un texte qui reste remarquable par la manière franche de prendre les problèmes à bras-le-corps.

    Serge Kannas


    Un système de santé mentale de facto

    Une très large gamme de traitements et de services existe pour aider les patients présentant des troubles mentaux, ou ceux susceptibles d'en développer afin qu'ils souffrent moins et qu'ils vivent des existences plus épanouies, plus longues et de meilleur potentiel. Les troubles mentaux et les problèmes de santé mentale sont pris en charge par une grande diversité de soignants, qui travaillent dans des services ou au sein d'équipe différenciées, à la fois publics et privés, relativement indépendants les uns des autres et insuffisamment coordonnés.
    Cet ensemble est dénommé système de santé mentale de facto.
    Environ 15% de tous les adultes et 21% des enfants et adolescents américains utilisent chaque année ce système. Généralement, il est décrit comme constitué de quatre composantes majeures :
     
    1 - Le secteur de santé mentale spécialisé
    Il comporte des professionnels de santé mentale : psychiatres, psychologues, infirmières et assistants sociaux spécialisés, qui sont formés spécifiquement pour traiter les troubles mentaux.
    La plus grande partie des traitements est, aujourd'hui, pratiquée dans le cadre ambulatoire : cabinet privé, clinique publique ou privée. L'ensemble du soin hospitalier est délivré dans les unités spécialisés de psychiatrie des hôpitaux généraux, ou dans des lits répartis au sein des mêmes hôpitaux. Les hôpitaux psychiatriques privés et des services d'hébergement thérapeutique pour les enfants complètent le dispositif de soins intensifs dans le secteur privé.
    Les équipements publics comprennent les hôpitaux psychiatriques de l'Etat ou du Comté, ainsi que des structures multiservices pour la santé mentale. Celles-ci, très souvent, coordonnent une large gamme de prises en charge ambulatoires, l'organisation de soins intensifs, l'hospitalisations à temps partiel ainsi que des unités d'hospitalisation. Un peu moins de 6% de la population adulte et environ 8% de celle des enfants et adolescents (de 9 à 17 ans) utilisent tous les ans les services spécialisés.
     
    2 - Le secteur médical genéraliste/réseau de soins primaire
    Ce sont les professionnels de santé, tels que les médecins généralistes ou internes, les pédiatres, les infirmières privées, les cliniques, les hôpitaux médico-chirurgicaux, ainsi que les foyers médicalisés. Plus de 6% de la population adulte américaine utilise ce secteur pour des soins de santé mentale, avec un nombre moyen de 4 visites par an, bien moindre que pour le secteur spécialisé (14 par an). Ce secteur de soins a été longtemps identifié comme la porte d'entrée de nombreux adultes pour des soins de santé mentale. Pour certains, ce sont les seules prestations de soins en santé mentale. Toutefois, seulement 3% des enfants et adolescents consultent les généralistes, pour des soins. Le secteur social/(voir infra) joue là un rôle beaucoup plus important.
     
    3 - Les services à vocation socio-relationnelle
    Ce secteur comporte des services sociaux, des services de consultation scolaire, des services d'hébergement social, des services de réhabilitation professionnelle, des services installés auprès des tribunaux ou des prisons, et des conseillers religieux. Début 1980, environ 3% des adultes utilisaient ce secteur pour des soins de santé mentale. Dans les années 1990, une enquête révélait que le taux s'élevait à 5%. Pour les enfants, ce secteur représente la majeure partie des soins en santé mentale (16%) de même que les services d'Aide sociale à l'Enfance ou les tribunaux pour enfants (3%).
     
    4 - Le réseau de soutien par bénévoles
    Ce secteur comporte des groupes de soutiens mutuels tels que les programmes en douze étapes ou les conseils de soutien mutuel. C'est un secteur en croissance rapide pour les malades mentaux ou les toxicomanes... En 1980, le taux d'utilisation était de 1% et de 3% environ au début 1990.
    UN SYSTEME TROP COMPLEXE
    ... Un fonctionnement efficace du système des services de santé mentale exige des liens et une coordination au sein des nombreux secteurs (public-privé spécialisé, soins généraux, social, aide sociale, hébergement, justice, éducation). Sans eux, l'organisation peut être très largement fragmentée et constituer une barrière à l'accessibilité. S'ajoute à la complexité de ce système, sa dépendance vis-à-vis des nombreuses sources de financement, comportant des incitations qui se concurrencent mutuellement.
    Les parties publiques et privées du système de santé mentale de facto traitent des populations distinctes, mais qui se recoupent en partie... 11% de la population américaine utilise, chaque année, le dispositif spécialisé ou généraliste pour les soins de santé mentale. 10%, soit la quasi-totalité des utilisateurs, ont consulté dans le privé, et 2% dans le public.
    Environ 1% de la population utilise l'hôpital, dont un tiers dans le public, ce qui suggère que ceux qui ont besoin des soins les plus intensifs se reposent plus largement sur le filet de sécurité du dispositif public. Cependant, de nombreux malades présentant des troubles graves et persistants, consultent dans le privé pour au moins une partie de leurs soins. Ceci rend très important de s'assurer que le privé remplit les besoins de cette population pour des traitements complets.
     
    MODELES D'UTILISATION DES SERVICES
    * Adultes
    Un peu plus de la moitié des 15% de la population américaine qui utilise des services pour des soins de santé mentale (dans le système de santé mentale de facto) présente un trouble mental spécifique ou une toxicomanie (8%), tandis que l'autre moitié présente un problème de santé mentale ou un trouble non inclus dans le diagnostic des études épidémiologiques (7%). Sur un an, la prévalence concerne un américain sur cinq (soit 44 millions d'adultes) qui présente des trouble mentaux diagnosticables, selon des critères établis et fiables.
    Pour être plus précis, la prévalence est de 19% s'il s'agit d'un trouble unique, tandis que 3% représentent des troubles associés à une toxicomanie, et 6% présentent ces derniers troubles isolément. Autrement dit, environ 28% de
    la population présente un trouble mental ou
    addictif.
    Etant donné que 28% de la population présente un trouble mental ou addictif, et que 8% de la population présentant ces troubles, utilise des services pour des soins de santé mentale, on peut en déduire que moins d'un tiers des adultes présentant un trouble avéré reçoit un traitement dans le cours d'une année. Pour résumer, c'est une majorité substantielle de cette population qui ne reçoit pas de traitement...
    Parmi les usagers des services présentant des troubles, entre 30 et 40% ont ressenti le besoin d'être traités. Néanmoins, la majorité de ceux qui n'ont pas recherché des soins ont pensé que leurs problèmes disparaîtraient spontanément ou qu'ils pourraient s'en occuper eux-mêmes... D'après une enquête, 11% de la population percevait un besoin des soins en santé mentale, et un quart faisait part des difficultés pour l'obtenir.
    La préoccupation financière était la raison principale pour ne pas consulter. C'était le cas pour 83% des personnes non assurées et pour 55% des assurés du privé... 59% des personnes relevant de Medicaid faisait part de difficultés pour obtenir un rendez-vous, en raison d'une mise à disposition insuffisante des services.
    * Enfants et adolescents
    ... Environ 9% des enfants/adolescents reçoivent des soins de santé mentale dans le secteur sanitaire (spécialisé et généraliste). Le principal pourvoyeur de soins pour cette population est l'école... 11% de l'échantillon reçoit ses soins en santé mentale en dehors des systèmes scolaires ou des services à vocation relationnelle, sans en recevoir des services de santé, tandis que 5% en reçoivent des deux. De nombreux enfants pris en charge par l'école ne présentent pas de troubles diagnosticables dans les enquêtes disponibles. Certains présentent d'autres diagnostics tels que réaction aiguë d'adaptation, ou réaction aigüe au stress. De plus, 1% de ces enfants et adolescents reçoivent leurs soins dans le cadre de services sociaux, comme ceux de l'Aide sociale à l'enfance, ou le système judiciaire...
    Presque 21% des enfants ou adolescents (de 9 à 17 ans) présentent une angoisse et des déficits associés à un diagnostic spécifique, et au moins un niveau minimum de déficience sur une échelle d'évaluation globale. Presque la moitié de ce groupe (10%) reçoit des soins dans un ou plusieurs services quelconques du système de services de santé mentale de facto, tandis que le reste (plus de 11% de la population) ne reçoit pas de soins dans le système de soins.
    Ceci suggère qu'une majorité d'enfants et d'adolescents présentant des troubles mentaux ne reçoit aucun soin. Parmi les 21% des jeunes recevant des soins, à peine moins de la moitié (10%) remplissent les critères complets pour un diagnostic de trouble mental. Le reste (plus de 11%) reçoivent des soins pour des troubles qui ne remplissent pas complètement les conditions diagnostiques.
    En résumé, le système de traitement pour les troubles mentaux présente une large panoplie de services auxquels s'adressent des patients dont les niveaux de trouble et de gravité des symptômes sont très différents, et dont les besoins diffèrent également sur le plan des services médicaux ou sociaux, ou du type de financement de ces services... Il existe des disparités supplémentaires liées aux facteurs socioculturels...
    Dans un système dans lequel un nombre élevé de ceux qui présentent les troubles les plus graves ne reçoivent pas de soins, durant la période d'une année, en santé mentale, l'adéquation entre le service utilisé et celui qui est nécessaire, est très imparfaite... Mais il est évident que ceux qui présentent un trouble diagnosticable ne ressentent pas toujours le besoin d'un traitement, de même que tous ceux qui le demandent ne présentent pas nécessairement un trouble avéré au moment où ils consultent.
    Prévoir un accès à des services de santé mentale appropriés constitue une préoccupation majeure pour les décideurs en matière de santé mentale, aussi bien dans le public que dans le privé.


    PERSPECTIVES D'AVENIR

    LES ACTIONS À ENTREPREPRENDRE POUR LA SANTÉ MENTALE DANS LE NOUVEAU MILLÉNAIRE

    1) Continuer à construire un corpus scientifique
    Aujourd'hui, les neurosciences et la génétique moléculaire représentent, dans la science médicale, un des potentiels de développement de la recherche fondamentale parmi les plus prometteurs.
    Un grand nombre d'agents pharmacologiques ainsi que les approches psychothérapiques pour les troubles mentaux, fournissent la base de nouveaux traitements. Mais ils confrontent aussi la communauté scientifique à la nécessité de développer de nouvelles pistes de recherche clinique et d'organisation des services de soins. Comme le dynamisme et la faisabilité de la recherche clinique dépendent de la participation active de volontaires, il est important que la société s'assure que les besoins de protection de ces sujets vulnérables sont remplis. Le fait de répondre aux demandes des différents dispositifs de santé mentale pour des pratiques davantage centrées sur des résultats scientifiquement établis, aura sur celles-ci des conséquences dont l'impact sera perceptible. Un effort particulier sera attendu pour combler les manques prononcés dans certains domaines de la connaissance de base. Parmi ceux-ci, le besoin d'évaluation pour soutenir des stratégies de promotion de la santé mentale et la prévention des maladies mentales représentent des éléments-clé. En outre la recherche qui explore les approches susceptibles de réduire les facteurs de risque et de renforcer les facteurs de protection par la prévention, devraient être encouragée. Comme il est énoncé tout au long de ce rapport, une recherche de qualité élevée et des dispositifs efficaces constituent une arme puissante contre la stigmatisation.
     
    2) Vaincre la stigmatisation
    Elle exerce un effet important et omniprésent qui empêche nos concitoyens de reconnaître leurs propres problèmes de santé mentale, et d'en parler aux autres. S'il s'agit de réduire le fardeau de la maladie mentale, d'améliorer l'accès aux soins, et d'obtenir la connaissance dont nous avons un urgent besoin dans le domaine du cerveau, de l'activité psychique et des comportements, la stigmatisation ne peut plus être tolérée. La recherche sur le cerveau et les comporte-
    ments, qui contribue à découvrir des traitements plus efficaces, représente un antidote puissant à la stigmatisation. La parution de ce rapport du Ministre de la Santé concernant la santé mentale représente une tentative pour participer à la réduction de la stigmatisation, en chassant les mythes qui entourent cette maladie, en proposant une base de connaissances, plus approfondie, de nature à sécuriser davantage des consommateurs mieux informés, et en encourageant la demande d'aide par des sujets qui font l'expérience de troubles mentaux.
     
    3) Améliorer la prise de conscience par le public qu'il existe des traitements efficaces
    Les Américains sont souvent ignorants des choix qui existent en matière de traitements efficaces sur des troubles mentaux. De fait, il en existe une gamme très étendue.
    Ils se répartissent entre quelques grandes catégories : conseiIs, psychothérapies, chimiothérapies, réhabilitation. De plus, il existe de nombreux choix spécifiques à l'intérieur de ces catégories. Tous les professionnels des services sociaux, non seulement ceux des services de santé, ont l'obligation d'être mieux informés des traitements, des ressources de santé mentale dans leur communauté, afin d'encourager les personnes concernées à rechercher de l'aide chez ceux en qui ils peuvent avoir confiance.
     
    4) Garantir la mise à disposition de services de santé mentale et de prestataires de soins
    On s'accorde largement sur les constituants élémentaires des prestations de soins et des traitements (les services de soutien familial comportant une approche psycho-éducative) ainsi que des services spécialisés dans des contextes culturels particuliers. Toutefois, certains de ces services, et d'autres encore, manquent régulièrement dans certaines régions, parfois même au plan national. Comme c'est l'ensemble du dispositif considéré comme un tout - à l'opposé de services de traitements considérés comme isolés les uns des autres - qui commande le résultat des soins de santé mentale ayant pour objectif la guérison, il est impératif d'accroître la mise à disposition de services efficaces, fondés sur l'évaluation, dans tout le pays. Les personnels qui manquent le plus concernent les professionnels de santé mentale s'occupant d'enfants et d'adolescents, des personnes âgées présentant des troubles graves, ainsi que des spécialistes des psychothérapies cognitivo- comportementales et des psychothérapies socio-familiales, deux formes de psychothérapies à propos desquelles la recherche a démontré l'efficacité sur les troubles mentaux graves. Pour les adultes et les enfants présentant des troubles moins importants, les services de soins primaire, les écoles, et l'ensemble des services à caractère social, doivent être préparés à évaluer et à traiter les personnes qui viennent demander de l'aide.
     
    5) Garantir la mise à disposition des traitements les plus actuels en matière de techniques ou de connaissances
    Une grande variété de services communautaires efficaces, améliorés par des années de recherche, existe pour la plupart des maladies mentales, même les plus graves. Pourtant ils n'ont pas été transposés dans un cadre d'action commune. Les explications sont nombreuses du fossé qui existe entre ce qui est prouvé par la recherche et ce qui est effectivement mis en pratique. Cela plaide en faveur de stratégies innovantes pour associer recherche et pratique.
     
    6) Façonner les traitements pour les adapter à l'âge, au sexe, à l'ethnicité, à la culture
    La maladie mentale, aussi bien que la santé mentale, est influencée par l'âge, le sexe, le caractère ethnique, la culture, aussi bien que par les particularités qui peuvent être reconnues au sein de ces groupes de populations, par exemple un handicap physique, ou encore le choix d'orientation sexuelle. Afin d'être efficaces, le diagnostic et le traitement de la maladie mentale doivent être adaptés aux caractéristiques qui façonnent l'image d'une personne ainsi que son identité.
    Les conséquences d'une méconnaissance de ces aspects peuvent être profondément nocives.
    Les services à « compétence culturelle », intègrent la compréhension de la dimension socioculturelle de certains groupes, leur histoire, leurs traditions, leurs croyances et leurs systèmes de valeurs. Grâce à une information appropriée et à un respect fondamental pour le client, tout professionnel de santé mentale peut fournir un cadre de soins, culturellement compétent, qui reflète les sensibilités, à la différence entre individus, et, en même temps, reconnaît un sens fort à l'identité de groupe d'une personne. La préférénce de nombreux membres de minorités raciales ou ethniques pour se faire traiter par des professionnels de santé mentale de même culture qu'eux, souligne le besoin de corriger l'insuffisance quantitative actuelle de tels professionnels issus des minorités.
     
    7) Faciliter l'accès au traitement
    Les organisations publiques et privées ont l'obligation de faciliter l'accès aux soins et aux traitements au travers des multiples portes d'entrée qui existent : soins de santé primaire, écoles, aide sociale à l'enfance. Pour accroître l'adhésion au traitement, ces organisations devraient offrir des services qui répondent aux besoins et aux préférences des utilisateurs et de leurs familles. Dans le même temps, certaines organisations reçoivent les demandes qui ne sont pas appropriées. Par exemple, un nombre alarmant d'adultes et d'enfants sont présents dans le système judiciaire de façon non pertinente.
    Il est important d'assurer la prise en charge du petit nombre de personnes qui présentent un risque pour eux-mêmes ou pour autrui, par un accès rapide à des services appropriés. Cela est de nature à encourager la réduction significative du besoin d'exercer une contrainte sous la forme d'un internement dans un hôpital, celle de la nécessité de traitements ambulatoires sous contrainte, tels qu'ils ont été mis en place dans la plupart des Etats. La contrainte ne devrait pas être un substitut pour un soin efficace qui est recherché de manière volontaire ; l'accord sur ce point témoigne de la nécessité d'une recherche centrée sur les moyens d'augmenter l'adhésion au traitement.
     
    8) Réduire les obstacles financiers au traitement
    La question du coût des soins, question aggravée par la disparité en matière de couverture d'assurance entre les troubles mentaux et les autres maladies, représente la raison principale pour laquelle les gens ne recherchent pas les soins de santé mentale dont ils ont besoin. Tandis qu'à la fois l'accès et l'utilisation des services de santé mentale augmentent lorsque le financement est amélioré, les premiers résultats montrent que l'efficacité, et donc l'efficacité des soins de santé mentale, s'est accrue ces dernières années, alors que les dépenses au profit de ces services, sous l'égide du soin contrôlé, ont chuté.
    L'égalité entre la couverture pour des besoins de santé mentale et celle des autres besoins de santé -c'est le concept de la parité - représente un
    objectif financièrement accessible et indispensable.


    L'OPINION DE GÉRARD MASSÉ SUR LA STIGMATISATION

    CHANGER L'IMAGE

    Le constat est clair et demeure consternant, aux Etats-Unis comme dans les autres pays développés, la souffrance psychique fait peur et, qui plus est, de façon croissante la violence et la dangérosité sont au premier plan des craintes. Le temps passant, la distinction entre les grands et petits malades mentaux, au sens qu'Edouard Toulouse lui avait donné en France dans les années 1920, permet de distinguer des perceptions de seuils de dangérosité dans un pays où la vente des armes à feu est, rappelons le, libre et fait l'objet, pour la première fois, d'un débat. Au-delà des facteurs incriminés, qu'il s'agisse des médias ne parlant que des drames et entretenant une image effrayante, ou d'une désinstitutionnalisation non ou mal accompagnée, l'espoir concerne, dans le rapport américain, la mise en évidence de facteurs étiologiques et donc de traitements les supprimant. On notera, au passage, l'idée que toute maladie curable sort aussitôt du champ de la psychiatrie condamnée à accueillir celles qui ne le sont pas. Un tel modèle médical, naïf au sens de celui que véhicule le public (car la médecine fait bien mieux, d'une certaine façon, que guérir quand elle n'y parvient pas) est dans ce texte, présenté comme seul capable de réhabiliter une psychiatrie mise au ban de la médecine, et donc incapable d'induire les financements nécessaires.
    Quoiqu'il en soit, ce qu'il importe avant tout de relever dans ce texte, c'est la conviction qu'un changement d'image de la souffrance mentale et de ceux chargés de la soigner est un impératif, presqu'un préalable indispensable sans lequel rien de positif ne peut être raisonnablement envisagé. Il est clairement affirmé que cette donnée n'est pas un gadget, une démarche adjuvante mais un axe majeur, que seule une évolution des mentalités dans le public permettra, à l'évidence, de restreindre le temps passé entre l'affirmation de la souffrance et une réponse adaptée. On trouve actuellement en France dans plusieurs rapports, à commencer par celui finalisé il y a quelques années par Edouard Zarifian à la demande de la Direction générale de la Santé, les pistes de réflexion nécessaires. Ces pistes évoquent des techniques de communications efficaces, dans la durée, en direction du grand public concernant aussi bien les malades, les techniques de soins que les acquis de la recherche. *


    L'OPINION DE VIVIANE KOVESS SUR LE SYSTEME DE SANTÉ MENTALE AUX ETATS-UNIS

    IL Y A UNE COUVERTURE SANITAIRE AUX ETAT-UNIS

    Ce texte s'appuie essentiellement sur un article de D. Regier et col (1993) qui s'appelle lui-même : « the de facto US mental and addictive disorders service system » et qui analyse les résultats d'une enquête américaine (ECA) sur cinq sites (20 000 personnes) en population générale quant au problème spécifique de l'utilisation des soins. L'enquête a suivi ces personnes pendant une année, et l'interrogation portant sur l'utilisation des soins s'est faite dans la période de six mois qui a suivi la première enquête. Un échantillon « institutionnel » complétait ces enquêtes. Les renseignements sur les traitements pour la population infantile proviennent d'une enquête de Schaffer.
    Je ne sais pas si la méthode de productions des résultats est explicitée, mais elle est importante à connaître pour bien en saisir la portée.
    Tout d'abord il est important de préciser que l'enquête adulte utilisait un instrument dit diagnostic, le DIS : diagnostic interview schedule qui permet de recueillir des informations assez précises sur les symptômes des maladies mentales qui avaient été choisies, généralement en fonction de leur fréquence, et de poser un diagnostic à partir de leur organisation.
    Il importe donc de savoir que tous les diagnostics n'étaient pas évalués dans cette enquête et que, pour un groupe donné, par exemple troubles dépressifs, on évaluait un épisode dépressif majeur (à l'époque en critères DSM III), mais que les troubles dits dépressifs en réaction à un traumatisme (adjustement disorder), n'étaient pas évalués, pas plus que les troubles de personnalité autre que la personnalité antisociale. Il faut aussi savoir que les résultats concernant les phobies ont varié suivant les sites à un point tel que leur validité a été sujette à caution.
    Il est aussi nécessaire d'ajouter que les résultats des deux enquêtes faites à un an d'intervalle ont montré une mauvaise concordance entre ce qui était déclaré la première et la seconde fois, dans un sens ou dans un autre, sachant que les questions dites d'ouverture interrogeaient dans tous les cas sur « toute la vie».
    La description du système de services n'amène, quant à elle pas de commentaires particuliers, si ce n'est qu'il serait intéressant pour le lecteur français de connaître un peu les systèmes de couverture sanitaire (medicaid, medicare, assurances d'entreprise et assurances privées) et le rôle du fédéral versus celui des « états » au sens américain du terme dans les prises en charge, puisque ce rôle est en fait assumé très diversement suivant les états ; le gouvernement fédéral proposant en quelque sorte les grandes lignes.
    Ceci pour sortir des idées reçues sur l'absence de couverture sanitaire aux USA.
    La coordination des services étant, bien entendu, un problème, puisque les ressources sont relativement diversifiées, quoique le lecteur français y retrouvera des similitudes avec notre propre découpage. L'importance du secteur dit « volontaire », qui recoupe en partie notre secteur associatif, mérite d'être soulignée dans un pays où l'appartenance religieuse active est très importante et où le système religieux peut avoir ses propres conseillers professionnels de santé mentale au même titre que la clinique externe d'un hôpital (cf. p.5).
    Connaissant ces informations, on peut mieux apprécier l'absence de recouvrement entre ceux qui présentent un diagnostic et ceux qui sont pris en charge. En fait une analyse plus raffinée des résultats montrait que la majorité de ceux qui étaient en soin et ne présentaient pas de troubles dits diagnosticables, étaient en fait des personnes présentant une intensité de troubles à la limite du diagnostic, soit parce qu'elles étaient en traitement et allaient mieux tout en continuant à être suivies, soit parce que le trouble était légèrement en dessous du seuil des diagnostics retenus, par exemple un trouble de personnalité ou une réaction, dépressive ou anxieuse, à un traumatisme d'ajustement.
    Il ne semble donc pas qu'il y ait traitement en trop, d'autant que les sources de traitement sont suffisamment variées pour couvrir ce gradient de troubles. L'inverse est par contre plus préoccupant, mais il est vrai que les personnes souffrant de troubles de l'usage de substances (alcool et drogues) sont peu demandeuses ; ceci s'applique à certaines phases des troubles psychotiques et à nombre de troubles de la personnalité.
    Plusieurs problèmes peuvent alors être posés : celui de l'information et plus généralement de l'éducation à la santé mentale et à la reconnaissance des problèmes de ce type, et celui de l'accès aux soins, sachant que diagnostic ne veut pas dire besoin de soins, et que la plupart des problèmes détectés dans ce genre d'enquête évolueront spontanément vers la guérison, le problème étant de mieux connaître les facteurs de pronostic par des enquêtes longitudinales mettant en présence divers traitements, ou leur absence, et divers facteurs de risque.
    Enfin, se pose la question de l'adéquation relative des prises en charge, c'est-à-dire de l'adéquation entre la gravité du problème et la spécialisation de la personne qui prend en charge ; l'organisation du système permettant d'optimiser les rôles de chacun dans la complémentarité. Les choses sont certainement plus complexes dans un pays à l'échelle de l'Europe que dans un état relativement centralisé, quoi que. *


    LE SYSTEME DE SANTÉ AMÉRICAIN : QUELQUES DONNÉES. COMPARAISONS
    USA - FRANCE
     
    Les dépenses de santé USA : 15% du PIB (660 milliards de francs)� - France : 9;8,9% du PIB (9,7% avec recherche et administration)
     
    Les médecins USA : 1/360 habitants. - France : 1/330 habitants
    USA :Généralistes : 25%. Psychiatres (actifs) : 6% - France : Généralistes : 45%. Psychiatres (actifs) : 5%
     
    Système de protection USA : Population couverte à 85% - France : Population couverte à 99%
    sociale USA : ;Budgets des Etats : 35%
    USA : Patients eux-mêmes : 20%
     
    Les dépenses USA : Hôpitaux : 39%. Salaires médicaux : 19% - France : Hôpitaux : 48%. Salaires médicaux : 13%
     
    Dans les hôpitaux USA :Les lits accueillent 15% de la population par an - France : 23% avec un nombre de lits deux fois plus élevé
    USA : Durée de séjour : 9 jours (aigüs : 6 jours) - France : Durée de séjour : 12 jours (aigüs : 9 jours)
    USA : Personnels : 3,6 par lit - France : Personnels : 1,1 par lit


    L'OPINION D'ÉDOUARD ZARIFIAN SUR L'ENSEMBLE DU RAPPORT

    IL Y EN AURA POUR TOUT LE MONDE

    Le rapport diffusé aux Etats-Unis par les services du « Surgeon General's », c'est-à-dire la plus haute autorité nationale en matière de santé publique, est tout-à-fait édifiant.
    C'est un rapport « à l'américaine » sans état d'âme et dont on peut tirer les bases sur lesquelles s'appuient les décisions concernant la psychiatrie aux Etats-Unis. Le mot « psychiatrie » n'est pas écrit une seule fois. Il n'existe que la santé mentale qui inclut la pathologie mentale et les troubles psychiques. Ceux-ci, non soignés, peuvent évoluer vers une pathologie mentale.
    Dans ce texte, chaque mot a son importance lorsque l'on parle de pathologies. C'est le point de vue de la société (illness) qui compte. Le rapport reconnaît qu'il n'existe pas encore de maladies mentales (disease) et que, lorsqu'on en individualisera une, en identifiant sa cause et ses lésions, elle deviendra une maladie du cerveau.
    Ce rapport élimine tout ce qui est qualitatif, individuel ou subjectif dans la souffrance psychique. Seule compte la recherche pour l'individu d'une productivité et d'une adaptation au groupe social. Il n'existe aucune nuance, aucun doute et seulement des certitudes. Descartes est cité deux fois comme le grand responsable d'une conception dualiste d'un cerveau et d'un psychisme.
    On peut retenir comme leitmotiv les points suivants :
    * Le tout biologique résume l'approche de la pathologie mentale.
    * Il n'existe aucune cause ou lésion connue mais cela ne doit en aucun cas amener à différencier la pathologie mentale de la pathologie du corps.
    * Les critères diagnostiques en pathologie mentale sont aussi fiables qu'en pathologie somatique.
    * On reconnaît que la pathologie mentale ou les « problèmes de santé mentale » sont à inscrire dans un contexte social ou culturel tenant compte des minorités ethniques.
    * Le rôle des consommateurs est souligné en ce qui concerne leurs droits et la nécessaire évaluation de leur degré de satisfaction.
    Dans ce rapport, il est considéré que tout Américain aura un jour des troubles mentaux car ceux-ci accompagnent l'individu au cours de son existence et peuvent devenir une pathologie quand la stigmatisation sociale empêche un recours à des traitements dont l'efficacité est bien démontrée.
    « Demandez de l'aide quels que soient votre âge, votre sexe, votre race et votre culture. Un traitement sur mesure vous attend ». Ce texte est littéralement celui du rapport. Il est montré que la stigmatisation de la pathologie mentale est due à une vision non scientifique et que le plus grand danger que courent les intéressés, c'est la peur des traitements.
    Trois mots peuvent caractériser l'ambition de ce texte accablant : mondialisation, standardisation, uniformisation.
    Cela me fait penser de manière irrépressible à la devise de l'Etat Mondial décrit dans « Le meilleur des mondes » de Huxley : « Identité, Communauté, Stabilité ». Au mieux, nous restons là, passifs et muets, pendant que d'autres, inconscients au cyniques, participent activement à ce beau projet de société. *


    UN PROBLEME MAJEUR : LA STIGMATISATION

    1 - Les attitudes du public américain vis-à-vis de la maladie mentale : des années 50 aux années 90
    Des enquêtes nationales ont été conduites sur ce sujet dans les années 50. Reprises dès les années 70, puis 90 selon la même méthodologie, elles permettent des comparaisons évolutives.
    * Dans les années 50, le public américain attribuait à la maladie mentale une dimension
    honteuse et en manifestait une compréhension non scientifique. Le public questionné n'était pas capable en général d'identifier les malades mentaux à partir des vignettes présentées à cet effet, selon les standards des professionnels. Il ne montrait pas une réelle capacité à distinguer les troubles mentaux avérés d'un stress ordinaire ou de l'anxiété, et tendait à reconnaître seulement les formes extrêmes de comportement, en fait les troubles psychotiques. La maladie mentale était associée à une grande stigmatisation sociale, particulièrement associée à la crainte de comportements imprévisibles et violents.
    * En 1996, une enquête du même type révélait que les américains avaient progressé vers une bien meilleure connaissance de la maladie mentale. Mais ce progrès n'avait en rien désamorcé le climat de honte et de rejet dans la société. Le public avait appris à définir la maladie mentale et à la différencier du reste des pathologies. Il avait élargi sa définition en y englobant l'anxiété, la dépression et les autres troubles mentaux. La maladie mentale était attribuée à un mélange d'anomalies biologiques et de susceptibilités au stress social et psychologique. Cependant, la comparaison avec les années 50 montrait que le public attribuait à la maladie une fréquence beaucoup plus grande de conduites violentes. Ceci concernait particulièrement les troubles psychotiques (point de vue partagé par un tiers de l'échantillon). Une proportion du même ordre, dans le groupe enquêté, mentionnait la violence dans la description de la maladie, à comparer avec 13% dans les années 50. En d'autres termes, la perception générale selon laquelle les malades mentaux sont susceptibles d'être dangereux est plus affirmée aujourd'hui que dans le passé.
    L'enquête de 1996 a démontré également comment la perception des pathologies mentales pouvait être différente suivant le diagnostic. Le public avait tendance à prendre en compte davantage le schizophrène que le déprimé, et à assez bien les différencier des personnes en difficulté ou anxieuses qui ne remplissaient pas de critères diagnostiques. L'exigence de prise de distance sociale était assez cohérente avec cette hiérarchie.
    Pourquoi la stigmatisation continue-t-elle d'être si forte alors que la compréhension s'améliore ?
    La réponse réside dans la peur de la violence... Cette-question en soulève une autre : les malades mentaux sont-ils vraiment plus dangereux ? L'élargissement du champ des connaissances n'a pu réduire complètement les craintes. Toutefois, la probabilité, en général, de violence, reste assez faible ; elle l'est surtout pour les patients présentant une comorbidité (trouble mental + addiction, par exemple). Il existe une très légère augmentation du risque pour des sujets présentant des troubles graves, particulièrement s'ils ne prennent pas leur traitement. Cependant, le risque est bien moindre pour une personne non connue que pour une personne connue du malade.
    En fait, il existe peu de risques de violence ou de coups et blessures vis-à-vis d'une personne non connue par un malade lors d'un contact occasionnel. Mais comme personne, le plus souvent, n'a la capacité de discriminer les facteurs de risque de quelqu'un qui se comporte de façon atypique, la tendance naturelle est de se montrer prudent. Finalement, la contribution des troubles mentaux au niveau de violence dans la société est exceptionnelle et faible. ...Mais si, en réalité, les risques sont très faibles, qu'est-ce qui explique cette inébranlable conviction ? La plupart des hypothèses s'appuient sur l'influence des médias et la désinstitutionnalisation... La couverture médiatique insiste sur le risque et invite à prendre des distances avec les malades. Or, la désinstitutionnalisation rend cette attitude impossible (... on est passé de 560 000 malades hospitalisés en 1950 à moins de 100 000 en 1990). Les avocats de la désinstitutionnalisation espéraient que la stigmatisation se réduirait avec le travail dans la communauté... C'est probablement l'inverse qui s'est produit, alors que la connaissance s'est améliorée...
     
    Il - Stigmatisation et demande d'aide
    Près de deux tiers des personnes ayant besoin d'un traitement pour des troubles mentaux reconnus ne le recherchent pas... Le stigma entourant le fait de recevoir des soins dans ce domaine représente la barrière la plus importante, et décourage le recours à une aide, ceci étant plus marqué pour certains groupes (enfants, personnes âgées).
    Les enquêtes indiquent comment le public se comporterait pour chercher un traitement, au cas où se présenterait un symptôme caractéristique... Ainsi, celle de 1996 montre que le public est plus enclin que par le passé à approcher cette question en s'y confrontant plutôt qu'en l'évitant. Il a davantage tendance à rechercher un soutien informel (par exemple, des groupes de soutien mutuel). Ceux qui attendent une aide formelle, de façon croissante, la recherchent préférentiellement auprès de conseillers, psychologues et travailleurs sociaux.
     
    III - Stigmatisation et financement des soins
    Une autre manifestation de la stigmatisation se reflète dans la réticence du public à financer les services de santé mentale... Dans l'index des recherches à ce sujet, l'intention de financer de telles actions est considérée comme « faible ». Le public, en général, classe la couverture d'assurance pour les troubles mentaux au dessous de celles pour des pathologies somatiques.
    IV - Comment réduire la stigmatisation ?
    Il n'existe pas de méthode simple pour éliminer une stigmatisation étroitement attachée à la pathologie mentale. On s'était attendu à ce que la connaissance diminue la stigmatisation, c'est le contraire qui s'est produit, et la stigmatisation a augmenté ces quarante dernières années. La connaissance ne paraît donc pas suffisante pour corriger le phénomène. Une information d'un ordre plus étendu pourrait garantir de meilleurs résultats. La recherche commence à fournir la démonstration que les perceptions péjoratives de la pathologie mentale peuvent être atténuées par l'information. Des approches globales pour réduire la stigmatisation impliquent des programmes comportant des représentants d'usagers, l'éducation du public, et le contact avec des personnes présentant des troubles mentaux.
    Une autre façon d'écarter toute stigmatisation consiste à trouver l'étiologie des troubles et des traitements efficaces. L'expérience montre qu'il en est ainsi... Ce fut le cas pour la neurosyphilis et la pellagre. Bien que personne n'ait effectué de recherche sur l'évolution de la stigmatisation dans ces maladies, leur disparition, à travers une acceptation généralisée du traitement et de son coût, en est une démonstration indirecte.
    Paradoxalement, ces exemples illustrent une conséquence encore plus déconcertante : le champ de la santé mentale a été affecté péjorativement par les progrès lorsque l'étiologie et les traitements ont été établis. Au fur et à mesure des progrès réalisés, des pans de la pathologie ont été transférés à d'autres domaines de la médecine : dermatologie, neurologie, endocrinologie... La conséquence de ces transferts successifs est que le champ de la santé mentale est devenu au fil des années un refuge pour les troubles d'origine inconnue. Ceci a laissé le domaine de la santé mentale « vulnérable à l'accusation, par leurs collègues médecins, selon laquelle la psychiatrie ne faisait pas partie de la médecine, et que la pratique psychiatrique reposait sur la superstition et le mythe ». Ces exemples, tirés de l'histoire, signifient que la stigmatisation disparaît pour des troubles spécifiques dès lors qu'on progresse pour les rendre moins handicapants, moins contagieux, moins difficiles à appréhender. La stigmatisation entourant les troubles mentaux, non seulement persiste, mais peut être occasionnellement renforcée si on les abandonne uniquement au champ de la santé mentale, en tant que troubles du comportement sans étiologie, ni traitement. Relever ce point ne signifie pas que les progrès devraient être interrompus. Au contraire, ils devraient être amplifiés et faire l'objet d'une diffusion.
    La stigmatisation doit être vaincue. La recherche croissante de traitements efficaces des troubles mentaux promet d'en être un moyen efficace. Lorsque le public comprendra que les troubles mentaux ne proviennent pas d'une défaillance morale ou d'une carence de la volonté, mais que ce sont des maladies à prendre au sérieux, qui répondent à des traitements spécifiques, beaucoup de stéréotypes négatifs s'estomperont... Lorsque ceci advient, des transformations dans l'attitude du public se produisent : il s'empresse davantage de rechercher des soins lorsqu'ils en a besoin. Il se montre plus désireux d'en financer les dépenses. Et, plus que tout, il devient sensible au message qui court tout au long de ce rapport. Santé et maladies mentales font partie du courant principal de la santé, et devraient devenir une préoccupation pour tous.


    DE LA SANTÉ MENTALE À LA MALADIE MENTALE : UN CONTINUUM

    «Santé Mentale » et « Maladie Mentale » ne sont pas opposées, mais doivent être considérées comme les éléments d'un continuum. La SANTE MENTALE est un état satisfaisant de l'activité mentale, qui a pour conséquences des activités productives, des relations accomplies avec d'autres personnes, ainsi que la capacité à s'adapter au changement et à se confronter à l'adversité. La santé mentale apparaît comme indispensable au bien-être familial, aux relations interpersonnelles, et à toute contribution de l'individu à la société. Il est facile de négliger son importance jusqu'à ce que les problèmes émergent ! Cependant, de la naissance jusqu'à la mort, la santé mentale est le tremplin des capacités de penser et de communiquer, une base pour l'apprentissage, la maturation émotionnelle, l'aptitude à l'autoguérison, et l'estime de soi.
    Mais la signification de la santé mentale est sujette à de nombreuses interprétations différentes, enracinées dans des jugements de valeur, qui peuvent varier selon les cultures. C'est la difficulté de définition de la santé mentale qui a freiné le développement de programmes de santé mentale, alors que de grands pas étaient accomplis pour d'autres programmes de santé, en faveur, par exemple, des personnes âgées.
     
    Problèmes, troubles et maladies mentales
    LA MALADIE MENTALE est un terme qui renvoie globalement à tous les troubles mentaux diagnosticables. Ces derniers sont des états caractérisés par des perturbations de la pensée, de l'humeur, ou du comportement associés à une souffrance et à un fonctionnement altéré. La maladie d'Alzheimer est un exemple de trouble mental marqué par des altérations du fonctionnement mental (particulièrement l'amnésie) et la dépression par de graves altérations de l'humeur. Le déficit attention/hyperactivité représente un trouble mental fortement marqué par des altérations du comportement (hyperactivité) et/ou de l'action mentale (incapacité à se concentrer). Ces perturbations de l'activité mentale, de l'humeur et du comportement constituent une multitude de problèmes, souffrance du patient, fonctionnement altéré, un risque plus élevé de mort, de douleur, de handicap, ou perte de liberté.
    Le rapport utilise les termes de « problèmes de santé mentale » pour des signes ou symptômes dont l'intensité et la durée ne sont pas suffisants pour remplir les critères de trouble mental. Les problèmes de santé mentale peuvent justifier des efforts actifs de promotion de la santé, de prévention et de traitement. Les symptômes du deuil chez les personnes âgées en offrent une illustration. Quand ces derniers durent moins de deux mois, ils ne peuvent être qualifiés de trouble mental, selon les manuels de diagnostic. Cependant, les symptômes de deuil peuvent être handicapants s'ils sont laissés sans surveillance. Ils menacent les personnes âgées d'une dépression qui, à son tour, peut conduire à la mort par suicide ou accident cardiaque. Beaucoup peut être entrepris, traitement, participation à des groupes de soutien, pour améliorer la symptomatologie et éviter les conséquences du deuil. Dans ce type de situation, une intervention précoce est nécessaire pour prendre en charge le problème avant qu'il ne devienne un trouble à risque vital.
     
    Corps et esprit ne peuvent être séparés
    Si l'on accepte l'idée que santé et maladie se situent au sein d'un continuum, on peut considérer qu'aucun de ces états n'existe de façon complètement isolée de l'autre. De même, bien que le langage de tous les jours tende à encourager une erreur de conception selon laquelle la « santé mentale » ou la « maladie mentale » ne sont pas reliées à la « santé physique » ou à la « maladie physique », en fait, physique et mental ne peuvent être séparés.
    Au 17e siècle, René Descartes a conceptualisé la séparation entre « l'esprit » et le « corps ». L'esprit et la pensée étaient du domaine de la religion, tandis que le corps était celui des médecins. Cette séparation introduisit et maintient encore une rupture entre santé « mentale » et santé « physique », en dépit des progrès récents qui ont montré abondamment les interrelations entre santé physique et mentale. Bien que « l'esprit » soit un terme générique qui a pu prendre différentes significations au fil des siècles, aujourd'hui ce terme renvoie à la totalité des fonctions mentales reliées à la pensée, à l'humeur et au comportement intentionnel. L'esprit est considéré, en général, comme ayant sa source dans des activités du cerveau, mais manifestant aussi des propriétés émergentes, telle que la conscience.
    Le public continue à percevoir physique et mental comme des fonctions séparées alors que, de fait, des fonctions mentales (la mémoire, par exemple), sont aussi bien physiques. De même que les fonctions mentales sont exécutées par le cerveau, les troubles mentaux se manifestent par des changements physiques dans le cerveau, qui déclenchent, souvent, des modifications dans d'autres parties du corps. Le cœur qui bat, la bouche sèche, les paumes en sueur qui accompagnent un cauchemar, traduisent un état mental associé à des modifications chimiques cérébrales qui, en retour, provoquent d'indubitables changements ailleurs dans le corps.
     
    Le mental et le somatique
    La santé mentale se réfère à l'exécution réussie d'activités mentales, en termes de pensée, d'humeur et de comportement. Les troubles mentaux sont des états de santé dans lesquels les altérations des fonctions mentales sont au premier plan. Les états somatiques sont ceux dans lesquels les altérations des fonctions non mentales prédominent. Tandis que le cerveau accomplit toutes les fonctions mentales, il exécute aussi certaines fonctions somatiques, telles que la motricité, la sensibilité et le sens de l'équilibre. C'est pourquoi toutes les atteintes du cerveau ne sont pas des maladies mentales. Un ictus cérébral peut provoquer des perturbations motrices, telle qu'une paralysie des membres. Lorsque de telles conditions prédominent chez un patient, l'ictus est considéré comme un état somatique. Mais si l'ictus provoque principalement des altérations de l'activité mentale, de l'humeur et du comportement, il est considéré comme un état mental (une démence, par exemple). L'idée principale est qu'une atteinte du cerveau peut être vue comme un trouble mental ou somatique, selon les fonctions qui sont perturbées.



    LE SYSTEME DE SANTÉ AMÉRICAIN : QUELQUES DONNÉES.
    DEUX GRANDS SECTEURS D'ASSURANCES PUBLIQUES

    * MEDICARE
    - Couvre 12 à 13% de la population (les plus de 65 ans) : 35 millions
    - Ressources : « Obligatoires » : 1,45% des salariés, vers les hôpitaux,
    (moitié salaires, moitié employeurs)
    « Volontaires » (98% des patients) : 2 000 F par an,
    vers la médecine ambulatoire
     
    * MEDICAID : les exclus
    Seul moyen de prise en charge : 2 500 F par mois pour trois personnes
    (juste au-dessus de ce seuil : 15% de la population, soit 35 millions d'américains sans prise en charge)
     
    * LES ASSURANCES PRIVÉES : 200 millions d'américains (280 milliards sur 660)
    Prime employeur : 190 milliards. Prime employés : 90 milliards.
     
    * PRISE EN CHARGE PAR LES PATIENTS : 140 milliards sur 660


    DES TRAITEMENTS EFFICACES

    Au fur et à mesure que l'information s'accumule sur le fonctionnement du cerveau, c'est la tâche de la recherche appliquée de transférer les connaissances nouvelles vers les questions cliniques correspondantes et les cibles de recherche opératoire, afin de découvrir, par exemple, quelles propriétés spécifiques d'un circuit neuronal pourraient le rendre réceptif à des médications plus sûres et plus efficaces. Pour commenter cet exemple, les théories qui prennent leur source dans la connaissance du fonctionnement du cerveau se développent plus étroitement encore, en lien avec les outils d'imagerie cérébrale, tel que l'IRM, qui peut observer l'activité cérébrale in vivo. De telles collaborations permettent aux chercheurs de contrôler l'action de protéines spécifiques, « cibles » d'un nouveau médicament pour traiter une maladie mentale, ou pour estimer comment optimiser l'effet sur le cerveau de l'apprentissage obtenu grâce à la psychothérapie.
    Pris dans sa totalité, le nouveau champ des « neurosciences intégrées » de la santé mentale permet de dépasser l'antique séparation entre le corps et l'esprit, qui, historiquement, a entravé la recherche dans ce domaine. Il rend aussi possible l'examen scientifique de nombreuses théories psychologiques ou comportementales, produites ces dernières années, concernant le développement normal et la maladie mentale. Le but de la recherche en santé mentale consiste à développer et améliorer aussi bien les traitements que les interventions préventives, fondées sur la compréhension de mécanismes spécifiques qui peuvent contribuer ou conduire à la maladie, mais qui peuvent aussi protéger et améliorer la santé mentale.
    La recherche clinique comprend les études qui incluent des sujets et sont conduites pour tester l'efficacité d'un nouveau traitement. Une évolution remarquable de la recherche clinique contemporaine consiste dans l'importance nouvelle donnée à l'étude de l'efficacité d'interventions effectuées dans un cadre ordinaire d'exercice. Les informations obtenues à partir de telles études fortifient de plus en plus la base des recherches sur les dispositifs à mettre en œuvre : leur coût, leur rapport coût/efficacité, la transposabilité des interventions, l'incidence économique, les dispositifs de distribution des services.
     
    Les méthodes de recherche
    Les méthodes les plus habituelles utilisées dans le champ de la santé mentale sont la recherche expérimentale et la recherche corrélationnelle.
    * La première est la méthode de choix pour évaluer les causes, mais peut s'avérer trop difficile ou trop coûteuse à mettre en œuvre. Avec elle, on peut rechercher si une nouvelle molécule est efficace pour traiter une pathologie mentale... On peut aussi introduire un groupe contrôle pour vérifier si autre chose que ce qui est expérimenté (cas de la nouvelle molécule, par exemple) peut obtenir le résultat... De la même façon, en cas d'étude expérimentale d'un traitement psychologique, le groupe expérimental peut recevoir une nouvelle forme de psychothérapie, tandis que le groupe contrôle ne reçoit pas de traitement psychothérapique ou un traitement psychothérapique différent...
    * La recherche corrélationnelle est utilisée lorsque la recherche expérimentale est matériellement, éthiquement ou financièrement impossible... Au lieu d'introduire une intervention spécifique, les chercheurs observent les relations entre éléments pour découvrir si deux facteurs sont associés ou corrélés. La relation entre stress et dépression peut être une recherche de ce type. Mais il serait impensable d'exposer des sujets à des événements sévèrement stressants pour vérifier si cela entraîne un comportement dépressif...
    Les études contrôlées (c'est-à-dire comportant des groupes contrôles ou de comparaison) sont scientifiquement supérieures aux études non contrôlées. Mais toutes les questions ne peuvent être abordées de cette façon. Il vaut mieux une étude non contrôlée que pas d'information du tout : elle peut conduire à diverses hypothèses qui permettront, peut-être, dans un deuxième temps, une étude contrôlée.
     
    Les psychothérapies et les niveaux d'évidence
    Une étude unique ne suffit pas, quelle que soit l'excellence de sa configuration, pour définir avec certitude une relation de cause à effet. L'importance de la documentation établie pour un fait, ou n'importe quelle conclusion, se réfère au « niveau d'évidence »... Il en est ainsi de l'introduction d'un nouveau médicament qui doit être... approuvé par la FDA, et... peut nécessiter des années de développement.
    Avec la psychothérapie, de façon analogue, le niveau d'évidence doit être élevé. Bien qu'il n'existe pas de réglementation fédérale établissant quelles psychothérapies peuvent être introduites dans la pratique, des groupes de professionnels ou d'experts du champ s'efforcent d'évaluer le niveau d'évidence dans un domaine donné grâce à des commissions de travail, des revues d'articles, et d'autres méthodes, pour évaluer le corpus d'études publiées sur le sujet...
    Une des plus importantes séries d'évaluations a été introduite par un groupe de travail au sein de l'APA (Association Américaine des Psychologues) : son objectif était d'établir quelles psychothérapies étaient d'une efficacité prouvée... Un ensemble de critères fut défini, utilisé ou adapté dans les différents groupes. La commission a développé deux types d'ensemble de critères : le premier groupe, le plus rigoureux, concernait les traitements d'efficacité bien établie, le deuxième, les traitements probablement efficaces. Pour qu'une psychothérapie relève du premier groupe, elle devait nécessiter la publication d'au moins deux études contrôlées. Certaines formes de psychothérapies qui ne remplissent pas les critères peuvent être efficaces, mais ne comportent pas pour l'instant d'études suffisantes.
    Une autre façon d'aborder un ensemble d'études peut s'effectuer à travers une technique statistique formalisée intitulée méta-analyse...


    SANTÉ MENTALE : ÉTAT DES LIEUX

    1) La complexité, à de multiples niveaux, du cerveau répond du fait qu'il subvient à tous les comportements et à toute la vie mentale. De la reconnaissance que toutes les expériences psychologiques sont enregistrées dans le cerveau et que tous les phénomènes psychologiques reflètent des processus biologiques, les neurosciences modernes tirent une meilleure compréhension de l'inséparabilité dans l'expérience humaine du cerveau et de l'activité mentale.
    2) Dans le processus où il transforme l'expérience de l'être humain en événements physiques, le cerveau subit des changements dans sa structure cellulaire et dans son fonctionnement.
    3) Il existe peu de lésions ou d'anomalies physiologiques qui définissent les troubles mentaux dont la cause reste inconnue. A l'opposé, les troubles mentaux sont définis par des signes, des symptômes et des déficits fonctionnels.
    4) Les diagnostics de troubles mentaux effectués qui utilisent des critères spécifiques, sont aussi fiables que ceux de la pathologie médicale en général.
    5) Un américain sur cinq fait l'expérience d'un trouble mental tous les ans. Environ quinze pour cent de tous les adultes qui présentent un trouble mental dans le cours d'une année présentent également une pathologie associée (alcool ou drogue), ce qui complique le traitement.
    6) Une gamme de traitements dont l'efficacité est scientifiquement établie existe pour la plupart des troubles mentaux. Les deux grands types d'intervention comprennent les traitements psychosociaux et les traitements psycho-pharmacologiques. Souvent les résultats sont meilleurs lorsque ces deux types de traitement sont combinés.
    7) Dans le champ de la santé mentale, les progrès dans le développement de la prévention sont restés lents car, pour la plupart des troubles mentaux majeurs, il n'existe pas de compréhension suffisante de l'étiologie ou il n'existe pas de possibilité de modifier l'étiologie connue d'un trouble particulier.
    8) Environ dix pour cent de la population américaine adulte utilise tous les ans des services de santé mentale dans le secteur de la santé, auxquels s'ajoutent cinq pour cent qui cherchent un appui dans les groupes à caractère religieux, ou un soutien mutuel. Par ailleurs, il n'y a pas de commune mesure entre ceux qui ont besoin de ces services, et ceux qui les reçoivent.
    9) Il existe des écarts importants entre les traitements les mieux adaptés et ceux que certains sujets reçoivent dans les contextes de soins de pratique courante.
    10) La maladie mentale et les problèmes de santé mentale moins graves doivent être perçus dans leur contexte social et culturel, afin que soient prises en compte les valeurs et les besoins des minorités raciales et ethniques.
    11) Le mouvement consumériste a accru l'implication des individus présentant des troubles mentaux et de leur famille, au sein de services de soutien mutuel, gérés par des consommateurs ou des groupes de défense des malades. Il constitue un puissant facteur de changements dans la politique de santé.
    12) La notion de guérison reflète un nouvel optimisme concernant les résultats des traitements de la maladie mentale, ce qui inclut ceux obtenus grâce aux efforts individuels d'autothérapie, et les chances accordées aux personnes présentant des troubles mentaux d'être pleinement participants, en fonction de leurs intérêts, au sein de la communauté de leur choix.


    L'OPINION D'ERIC PIEL SUR LES ACTIONS À ENTREPRENDRE DANS L'AVENIR

    LEUR ORDRE D'IMPORTANCE N'EST PAS LE MIEN

    Si elles sont mises dans un ordre d'importance, cet ordre n'est pas le mien et ne me semble pas correspondre aux réalités du système de soins en Santé mentale en France et en Europe. Néanmoins, je vais « réagir » en suivant l'ordre proposé.
     
    1) « Continuer à construire un corpus scientifique »
    Neurosciences et génétique moléculaire sont mises en avant pour leur caractère riche en potentialités de découvertes fondamentales sur la connaissance du fonctionnement cérébral, et c'est une évidence, beaucoup d'espoir peut être mis sur ces deux orientations de recherche. Sur le même niveau d'importance on devrait trouver une volonté de développer les recherches fondamentales dans la direction des structures et fonctionnements psychiques (pour faire large, dans la psychologie et la psychanalyse).
    Quant aux recherches appliquées que représentent le développement des médicaments, les psychothérapies multiples et l'organisation des soins comme outil thérapeutique, elles ne devraient se mettre en œuvre que dans une complémentarité permanente et une liaison serrée avec la clinique. L'efficacité dont elles se réclament toutes impose leur évaluation par un organisme indépendant qui ne fonctionne pas obligatoirement sur le principe du consensus le plus large mais sur des critères moins dépendants des modes et des pouvoirs, donc plus stables... Il reste de nombreux domaines de recherche encore inexplorés (notre temps n'est pas le dernier à venir ; ayons la modestie de penser que nous ne savons que peu de choses et des découvertes fondamentales remettront en cause, plus tard, nos certitudes actuelles). Les domaines de la prévention des maladies et des troubles des comportements sociaux sont des chantiers à ouvrir dès maintenant.
     
    2) « Vaincre la stigmatisation »
    La stigmatisation est un mot à plusieurs facettes, aussi faut-il aller prudemment pour le travailler. La folie a toujours occupé une place « stigmatisée » dont la nécessité dans l'équilibre social ne s'est pas démentie au fil des époques. Il y aurait peut-être à reprendre le problème par un autre côté pour avoir une chance de dépasser la « stigmatisation » dont sont victimes les personnes ayant, du fait de souffrances mentales, des difficultés pour assimiler et se conformer aux règles sociales qui établissent en quelques sorte des « normes » de cohabitation.
    Cet objectif de clarification des « normes », associé à la volonté de faciliter l'accès pour tous à ces « normes sociales » est, à mon sens, l'affaire de tous, c'est-à-dire un problème et un programme politiques.
     
    3) « Améliorer la prise de conscience par le public qu'il existe des traitements efficaces »
    Si l'on veut bien admettre qu'aujourd'hui, aucun traitement d'aucune école scientifique ou de pensée, dans le champ de la psychiatrie, ne suffit à lui seul, alors la prise de conscience du public se fera. Mais en ce moment ce public perçoit confusément des luttes de clans, de factions soutenus par des intérêts particuliers (pouvoir, argent,...) et parfois une sorte d'intégrisme agressif dont les prises de positions ne portent pas les germes de l'efficacité souhaitée.
    Ceci devrait sans doute permettre aux professionnels d'utiliser de manière dialectique et dynamique, sans anathème ni exclusion, les outils thérapeutiques que proposent les quatre grandes catégories : conseil, psychothérapies, chimiothérapies, soins communautaires.
     
    4) « Garantir la mise à disposition de services de santé mentale et de prestataires de soins »
    Il n'y a rien à dire sur le fond de l'affirmation suivante : « Comme c'est l'ensemble du dispositif considéré comme un tout - à l'opposé de services, de traitements, considérés comme isolés les uns des autres - qui commande le résultat des soins de santé mentale ayant pour objectif la guérison, il est impératif d'accroître la mise à disposition de services efficaces, fondés sur l'évaluation établie, dans tout le pays ».
    Il s'agit d'une revendication républicaine partagée par toutes les démocraties : l'accès aux soins pour tous et la lutte contre la psychiatrie à deux ou trois vitesses tout en respectant le libre choix de chacun.
    Il s'agit cependant de mettre en place une modulation évolutive qui évite une distribution aveugle et uniforme des moyens pour des besoins forcément variables selon les populations, les histoires locales, les mouvements économiques et sociaux locaux, les acteurs politiques, économiques, sociaux, sanitaires...
    Cela signifie la collaboration étroite et non hiérarchisée entre les représentants des différents
    champs concernés et rappelés ci-dessus, et l'inverse de l'application de schémas prédéterminés et technocratiques.
     
    5) « Garantir la mise à disposition des traitements les plus actuels en matière de techniques ou de connaissances »
    Les pratiques sont-elles autant séparées les unes des autres que l'on pourrait le croire ? Je ne le pense pas. Dans la plupart des cas, les équipes utilisent avec pragmatisme les techniques les plus diverses à leur portée en les associant entre elles (dans des proportions adaptées à l'évolution des personnes en soin), sans toujours tenir compte de recommandations « séparatistes » qui auraient pu être associées à l'une ou l'autre.
    Des innovations doivent pouvoir être tentées, testées, évaluées et financées par un système de répartition souple des moyens en permettant, quand c'est nécessaire, la garantie sur plusieurs années.
     
    6) « Façonner les traitements pour les adapter à l'âge, au sexe, à l'ethnicité, à la culture »
    Autrement dit : la formation des divers professionnels du soin en santé mentale ne doit pas relever de la « pensée unique » comme c'est le cas actuellement dans notre pays. Autrement dit, il faut revoir l'ensemble du système d'enseignement initial et continu dans le sens de l'ouverture, de la diversité, du culturel au sens plein du terme.
    De manière urgente il faut séparer la recherche de la responsabilité clinique et enseignante dans notre système de soin. Ce doivent être des cliniciens qui dirigent les services de soin et non des chercheurs ou des enseignants ; ce doivent être des chercheurs qui font de la recherche et non des cliniciens ou des enseignants ; ce doivent être des enseignants qui prennent en charge l'enseignement et non des chercheurs ou des cliniciens.
    Dans les stratégies thérapeutiques il devrait être plus souvent possible d'associer ce que certains appellent les « savoirs initiés et les savoirs profanes ».
     
    7) « Faciliter l'accès au traitement »
    C'est d'une part l'accès aux soins pour tous, quelles que soient les origines sociales, familiales, ethniques, économiques, confessionnelles... objectif républicain avons nous dit plus haut.
    C'est également la diversité et la qualité des soins accessibles qui est en question. Que dire sinon constater que le résultat n'est pas acquis, loin de là. Dans les grands centres urbains, les circuits d'accès aux soins publics utilisent de plus en plus les circuits de l'urgence tendant ainsi à prouver l'inadéquation de quelques formules moins bien fléchées ou moins pertinentes face aux attentes du public auxquelles elles s'adressent. Si les organismes sanitaires publics sont relativement bien contrôlés et évalués ainsi que certains organismes privés assurant des missions de service public, la transparence et les exigences sont parfois moins grandes pour de nombreux organismes privés, souvent associatifs, et surtout pour une grande partie de la psychiatrie à but lucratif, du moins en ce qui concerne sa participation aux grandes orientations de santé publique.
     
    8) « Réduire les obstacles financiers au traitement »
    La récente mise en place de la CMU répondra-t-elle, pour ce qui concerne notre pays, au problème du financement de l'accès aux soins pour tous ? On peut l'espérer. Cependant, il s'agit peut-être, et même certainement, pour les professionnels du sanitaire comme du social, de mettre en place les passerelles qui permettront la réalisation effective des soins sur le terrain des besoins et non pas seulement sur le papier.
     
    MA HIÉRARCHIE DE RECOMMANDATIONS.
    Un classement rapide serait :
    1/ « Façonner les traitements pour les adapter à l'âge, au sexe, à l'ethnicité, à la culture »
    2/ « Vaincre la stigmatisation »
    3/ « Garantir la mise à disposition de services de santé mentale et de prestataires de soins »
    4/ « Faciliter l'accès au traitement »
    5/ « Continuer à construire un corpus scientifique »
    6/ « Garantir la mise à disposition des traitements les plus actuels en matière de techniques ou de connaissances »
    7/ « Améliorer la prise de conscience par le public qu'il existe des traitements efficaces »
    8/ « Réduire les obstacles financiers au traitement »



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