Une atteinte à la qualité de vie importante

La dépression est source d’une importante altération de la qualité de vie[1] des dépressifs. C’est une maladie de longue durée : quarante-cinq mois environ (45) à caractère récurrent dans 75 % à 80 % des cas, et chronique dans 15 % à 20 % des cas (5).

 

L'étude DEPRES II (45) met en évidence les problèmes quotidiens engendrés par la dépression[2], rencontrés très fréquemment, comme les baisses de l'humeur (pour 76 % des dépressifs), la fatigue (73 %), les problèmes de sommeil (63 %).

 

La dépression majeure entraîne une morbidité et comorbidité importantes. L’étude menée par le CREDES (27) révèle que les dépressifs[3] souffrent de 7 maladies contre 3 pour les non-dépressifs au cours des 3 derniers mois.

Des estimations menées aux Etats-Unis révèlent des informations encore plus inquiétantes : ainsi en 2020, la dépression sera la deuxième cause d’invalidité mondiale, derrière les maladies cardiaques (13).

 

Force est de constater que les dépressifs ont une incapacité fonctionnelle et sociale beaucoup plus élevée que celle des non-dépressifs. Des outils tels que le SF-36, le SF-20 (30), ou le QLDSC (Quality of Life in Depression Scale) (33) mesurent l’impact des symptômes de la dépression sur la vie des patients. Le SF-20, par exemple, est un questionnaire administré au patient composé de 20 questions sur l’état fonctionnel (physique, social, occupations habituelles) et sur le bien-être (perception de sa santé, et de 5 items mesurant l’humeur générale, l’anxiété). Il s’agit d’un score à 6 dimensions allant de 0 à 100, un score élevé indique une meilleure qualité de vie.

Dans un essai randomisé, Wells (47) a comparé la qualité de vie des dépressifs à celle de patients atteints d'autres maladies chroniques. Il a d’abord sélectionné les patients éligibles à partir de la base de données du MOS de 1986. Ces patients souffrent d’un épisode dépressif majeur, de dysthymie ou de double dépression (épisode dépressif majeur et dysthymie), selon les critères du DSM-III, et sont détectés à l’aide du DIS. Par la suite, il a utilisé le Patient Screener pour établir un score de qualité de vie (de 0 à 100, 100 étant le meilleur état de santé) sur six domaines, comprenant la capacité fonctionnelle, les occupations habituelles et le bien-être des patients. Il démontre que l’atteinte à la qualité de vie pour les dépressifs est plus importante que celle des personnes souffrant d’hypertension ou de diabète.


 

Mis à part les maladies cardiaques, les dépressifs ont une altération physique bien plus importante que dans les autres maladies chroniques. L’indicateur de “ santé perçue ” souligne l’altération à la qualité de vie rencontrée par les dépressifs, largement plus importante que pour l’hypertension.

 

 

Tableau 1 : Atteinte à la qualité de vie de la dépression et de différentes maladies chroniques (source : 47)

 

 

Capacités fonctionnelles

Occupations habituelles

Bien-être

 

Physique[4]

(+)[5]

Intégration sociale[6]

 (+)[7]

Activité[8]

(+)

Jours d’alitement[9]

 (-)

Santé perçue[10]

 (+)

Douleur[11]

(+)

Dépression

77,9

81,2

73,7

1,4

58,7

64,5

Hypertension

86,41

94,91

90,01

0,361

72,11

77,51

Diabète

81,52

89,61

80,71

1,02

64,21

76,31

Arthrite

80,6

92,11

83,62

0,531

69,91

60,4

Angine de poitrine

71,2

89,81

72,4

0,301

60,8

70,02

Maladies cardiaques

65,81

83,9

60,41

2,08

60,6

70,81

Problèmes gastriques

82,8

88,81

79,9

0,93

64,21

65,1

Absence de maladie chronique

88,11

94,61

90,61

0,411

75,71

76,21

1P<0.0001 ; 2P<0.005

 

Henry (19) et Bech (7) soulignent l'altération des capacités physiques et sociales des patients atteints de dépression, ainsi que l'augmentation du risque de suicide : 15 % des patients hospitalisés pour des formes sévères de dépression majeure ont effectué une tentative de suicide (1). On estime à 12 000 le nombre de morts par suicide chaque année en France. Il y aurait dix fois plus de tentatives, parmi lesquelles 30 % à 50 % sont liées à une maladie dépressive (3). Stoudemire (42) confirme ces chiffres. Pour lui, 60 % des suicides seraient liés à une dépression.


 

Une maladie coûteuse

Il est généralement admis que la dépression est associée à des coûts élevés. Il s'agit tout aussi bien de coûts directs (consultation chez les généralistes et spécialistes, médicaments, hospitalisation, analyses de laboratoire...), de coûts indirects (pertes de production liées à des arrêts de travail ou aux suicides...), ou de coûts intangibles (stress, souffrance...), ces derniers étant plus difficiles à estimer.

Des études spécifiques, évaluant le coût de la dépression essentiellement par des méthodes de prévalence, ont été menées aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.

Force est de constater que toutes ces études démontrent l'importance économique de la dépression : 43,7 milliards de dollars en 1990 aux Etats-Unis (16). L’impact est d’autant plus important pour les coûts indirects, représentant, selon les études, entre 72 % et 88 % du coût total de la dépression. Ils traduisent principalement les pertes de productivité, considérables pour la société.

Ces études ont toutes pour but d’estimer le coût de la dépression. Toutefois, il convient de signaler que les résultats ne sont pas forcément comparables. Effectivement, ils varient selon les études. Ce phénomène s’explique principalement par la définition retenue de la dépression au sein de l’étude. Par exemple, Greenberg actualise les données de Stoudemire. Cependant, il n’estime pas seulement le coût de la dépression majeure, mais aussi celui de la dysthymie[12] et des troubles bipolaires[13]. Kind utilise la ICD tout entière, à la différence de Jönsson qui exclut le code 300.4, et il émet des hypothèses à partir de l’étude d'Angst (77bis) quant à la fréquence des épisodes dépressifs.

 

Cela étant, il n’en demeure pas moins que le coût de la dépression[14] est comparable à celui d'autres pathologies considérées comme graves. En effet, la dépression fait partie des 10 premières maladies les plus coûteuses des Etats-Unis (17). Une estimation menée en Belgique indique que la dépression est la maladie la plus coûteuse après les affections cardio-vasculaires (6).


 



[1] Définition de la qualité de vie : perception qu’un individu a de sa vie dans le contexte de culture et de système de valeurs dans lequel il vit, en relation avec ses attentes et ses objectifs. Conception complexe entre la santé physique, l’état psychologique, les croyances et les relations sociales (OMS).

[2] Il s’agit ici d’épisode dépressif majeur, de dépression mineure et de symptômes dépressifs caractérisés par le test du MINI.

[3] Il s’agit de dépression majeure autodéclarée selon les critères du DSM-IV.

[4] Difficultés à faire du sport, à monter des escaliers, à marcher, à s’habiller, à se laver.

[5] + : un score élevé indique des capacités ou un bien-être meilleurs.

[6] Rendre visite à des proches.

[7] + : un score élevé indique de moins bons résultats.

[8] Activités telles que le travail ménager, le travail scolaire, l’activité professionnelle.

[9] Nombre de jours passés au lit au cours des trente derniers jours, du fait de la maladie.

[10] Perception de la santé : sentiment de bien-être, de maladie...

[11] Douleur physique au cours du dernier mois.

[12] Dysthymie : états dépressifs chroniques (plus de deux ans d’évolution) d’intensité mineure mais suffisante pour être invalidante (ANAES, 1996).

[13] Troubles bipolaires : accès dépressifs alternant avec des phases d’excitation euphorique hypomaniaque ou maniaque (ANAES, 1996).

[14] Episode dépressif majeur, dysthymie, troubles bipolaires.

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Dernière mise à jour : lundi 23 avril 2001 14:08:01
Dr Jean-Michel Thurin