LE TEMPS DU DIAGNOSTIC

 

 

 

 

 

Considérations générales

 

 

L'expérience clinique semble démontrer qu'il n'y a pas un, mais plusieurs itinéraires possibles qui amènent les patients à consulter un praticien, que ce soit pour des troubles dépressifs ou pour d’autres plaintes.

Sans vouloir jouer à outrance la carte de l'exhaustivité, il faut rendre compte de cette multiplicité de démarches, donnant lieu à des scénarios différents.

 

Deux cas de figure bien connus illustrent les deux “ extrêmes ” de cet éventail de situations auxquelles vont être confrontés autant les patients que leurs médecins.

 

1.        Un patient consulte son généraliste pour des plaintes somatiques. Le praticien diagnostique une “ dépression masquée ”, et apprend à son patient qu'en fait, il souffre d'un trouble psychique. En conséquence, il propose une prise en charge (qui ne devrait pas se résumer à la prescription d'un psychotrope).

2.        Un patient consulte son médecin traitant ou un psychiatre, pensant qu’il souffre de dépression. Il a cru se reconnaître dans un article de presse, une émission de télévision, dans le témoignage d'un proche… Après entretien, le praticien ne constate pas l'existence d'un trouble thymique.

 

Sans tomber dans la caricature, force est de constater que, dans le premier cas de figure, c'est le praticien qui “ négocie ” le diagnostic tandis que, dans le deuxième, c'est le patient.

 

Pour mieux rendre compte de la diversité et de la complexité des situations dans lesquelles peut être construit le diagnostic de dépression, il convient de mettre les dépressions, les consultations et les patients “ en situation ”.


 

On pourrait identifier quatre types de situations :

 

1.        Les circonstances et le lieu de consultation : le plus souvent, le sujet va s’adresser à son médecin généraliste ou à un psychiatre ; cependant il peut aussi décider de voir un autre spécialiste (cardiologue, gastro-entérologue…), car les symptômes dont il souffre orientent ainsi son choix. Ce premier entretien se fait le plus souvent en ambulatoire ; mais, à la suite d’une tentative de suicide ou parce qu’il existe une pathologie somatique, la première consultation pourra avoir lieu à l’hôpital.

2.        Les circonstances liées à l’âge ou à une comorbidité psychiatrique créent elles aussi des situations particulières de consultation : par exemple, s’il s’agit d’un enfant ou d’un adolescent, d’une femme au cours du post-partum ou d’une personne âgée. La situation de consultation ne sera pas non plus la même s’il existe une comorbidité alcoolique ou à une autre conduite addictive, ou si les symptômes dépressifs apparaissent chez un patient psychotique.

3.        Le moment évolutif – aigu (au cours d’un premier épisode ou d’une rechute), rechute, récidive – doit aussi être pris en compte.

4.        Enfin, les formes cliniques : dépression majeure (mélancolie), dépression exprimée uniquement par des plaintes somatiques, parfois appelée “ masquée ”, dysthymie, formes mineures ou subsyndromiques

 

Et tout cela sans oublier le sujet… Il faut tenir compte de ses caractéristiques personnelles, autant que de son attitude face à la maladie, son itinéraire, etc.

 

Le patient ne peut pas être réduit à la maladie dont il est porteur. Comme aimait à le rappeler Y. Pelicier : “ Si toutes les dépressions se ressemblent, il n'y a pas deux déprimés pareils. ”

Les quatre situations répertoriées plus haut vont s'entrecroiser, donnant lieu à autant de scénarios de début d'itinéraires de patients déprimés. Ces départs seront souvent déterminants pour la suite du parcours et de la prise en charge de ces malades. La description exhaustive de chacune des combinaisons étant impossible, nous analyserons les plus fréquentes et les plus significatives d'entre elles.


 

Le Médecin Généraliste face au diagnostic de dépression

 

Si l'on en croit les études épidémiologiques, la plupart des itinéraires de patients déprimés débutent auprès d’un médecin généraliste.

L'estimation de la prévalence ponctuelle de la dépression en France montre qu'il existe 5 % ou 6 % de déprimés dans la population générale. Si l’on regarde les consultations de médecine générale, on monte à des chiffres de 9 % à 14 %. (29)

70 % à 75 % des prescriptions d'antidépresseurs (46) sont faites par des généralistes. Cette “ surreprésentation ” peut s’expliquer en partie par le fait que les généralistes diagnostiquent 73 % des dépressions et les psychiatres libéraux 16 %. Les dépressions représentent près d'un quart des troubles mentaux et psychosociaux vus en médecine générale, et près d'un tiers en psychiatrie (17).

 

Cette situation, connue des professionnels, est aussi largement commentée et analysée par la presse, et fait l'objet d'un vrai débat public que vont s’approprier certains patients.

 

Ainsi, le médecin généraliste se trouve confronté à une double contrainte :

·    Puisqu'il est en première ligne, on exige de lui un diagnostic et une prise en charge précoces des troubles dépressifs. En outre, pour l'aider à y parvenir, on lui propose de plus en plus de formes cliniques dites “ mineures ”, monosymptomatiques, subsyndromiques, masquées, etc. (8), qu'il est censé identifier.

·    D'un autre côté, il lui est fortement enjoint de ne pas psychiatriser des problèmes somatiques existentiels ou sociaux qui aboutiraient à une prescription abusive de psychotropes.

A ce propos, on est en droit de se demander si l'indicateur “ prescription d'antidépresseurs ” est un repère fiable lorsqu'il s'agit d'évaluer le nombre de diagnostics de dépression portés par les médecins généralistes. Il semblerait que la prescription d'antidépresseurs (sérotoninergiques en particulier) se ferait de plus en plus en dehors du cadre strict de la dépression.

Dans un article récent (26) au titre évocateur, “ Where are we going with SSRIs ? ”, Issac affirme qu'à l'heure actuelle, ces produits sont utilisés de plus en plus en dehors de la dépression. On les prescrit ainsi pour des troubles de l'adaptation sociale. La paroxetine, par exemple, vient d'obtenir des AMM pour ces indications dans différents pays. D'autres auteurs affirment que certaines molécules auraient un effet stimulant indépendant de leur action sur l'humeur dépressive et qu'elles pourraient également modifier des traits de personnalité. De ce fait, ils pensent même qu'il serait judicieux de changer leur appellation. (24)

On est effectivement en droit de se demander si le terme “ antidépresseur ” est le plus approprié pour désigner certaines de ces substances.


 

Par ailleurs, on aurait tort d'imaginer que cette forte proportion des troubles dépressifs chez les médecins généralistes date d'aujourd'hui. Certains affirmeraient qu’il en est ainsi depuis qu'ils disposent d'antidépresseurs dénués d'effets secondaires gênants.

Mais déjà en 1965, dans Le livre blanc de la psychiatrie française, on estimait que 80 % des malades vus par les médecins généralistes présentaient des “ maladies fonctionnelles ”. (17)

En 1974-1975, l'INSERM publie la première enquête sur la prise en charge des troubles psychiques en médecine générale. Les troubles mentaux et psychosociaux se situent au second rang après les maladies cardio-vasculaires. A l’époque, les médecins généralistes voient 74 % de ces troubles et les psychiatres 12 %. Ainsi, on voit bien que les médecins généralistes prenaient en charge les troubles dépressifs bien avant l'arrivée des premiers antidépresseurs dépourvus des effets secondaires des tricycliques et des IMAO (les “ ni-ni ”), qui ont été mis sur le marché à partir de 1975.

 

Des études ultérieures montrent que cette situation est restée stable. On estime à l'heure actuelle qu'environ 30 % de la clientèle d'un médecin généraliste en pratique de ville ressent des difficultés psychologiques ou présente des troubles psychiques isolés ou liés à des problèmes somatiques (46).

Indépendamment du débat public et de l'analyse sociologique de cette situation, le fait que la large utilisation des antidépresseurs ait pu provoquer la psychiatrisation éventuelle de problèmes existentiels n'exclut pas le constat suivant : grâce à la banalisation de leur usage et à la “ dépsychiatrisation ” de la dépression, un nombre considérable de personnes authentiquement déprimées ont enfin pu accéder aux soins, souvent à partir d'une consultation chez leur médecin traitant.

Les deux phénomènes ont coexisté depuis le début et ce de façon autonome.

Voici le “ décor psychosocial ” dans lequel va se produire la rencontre du patient avec son médecin traitant.

 

Mais que se passe-t-il dans l'intimité de la consultation qui conduit, éventuellement, au diagnostic de dépression ?

Quel est l’espace de parole qui se crée entre le malade et son médecin traitant ?

Que se passe-t-il entre le patient, venu avec une certaine idée de son problème, et le médecin, qui a ses propres critères ?

Le patient vient pour trouver une aide et un réconfort. Sa demande ou ses plaintes sont soit concrètes (douleurs, insomnies), soit imprécises : “ Docteur, ça ne va pas... ” Le mal-être…


 

Le patient s’adresse plus fréquemment à son médecin généraliste, car c’est une démarche simple et rapide :

·    Simple, car le patient peut voir son médecin de famille pour mille raisons différentes. La plupart des raisons, on le sait, ne sont pas médicales au sens où elles entreraient dans une réelle classification. Elles sont souvent polymorphes, indéfinissables, sinon ouvertement sociales. Le motif choisi par le patient peut être volontairement banal et poser indirectement l'existence d'une souffrance morale. Vers la fin de la consultation, c'est : “ A propos, Docteur, j'ai besoin de quelque chose, en ce moment, pour dormir. ”

·    Rapide, car c’est un médecin de proximité. C’est-à-dire proche de son patient géographiquement, mais aussi proche de sa vie : “ Il me connaît déjà, il a mon dossier, il connaît une partie de mon histoire, ma famille, etc., je n’ai pas besoin de tout lui raconter comme à un étranger. ” L’” étranger ” étant le spécialiste sinon le psychiatre.

 

En médecine générale, le domaine de la souffrance psychique est plus large que celui de la dépression. Les raisons qui conduisent à consulter sont très diverses. Derrière la souffrance somatique se cache peut-être la souffrance psychique et dernière celle-ci se cache peut-être une vraie dépression.

Nous partons ici du principe que le diagnostic de dépression est strictement médical et qu’il amène le médecin à proposer des soins, donc un traitement.

 

Le patient vient avec un symptôme et une demande :

1.        Est-ce grave ou non ?

Face à une douleur abdominale, on se demande immédiatement s’il ne s’agit pas d’une appendicite. Face à une insomnie, on se demande de façon moins urgente et plus rare si c’est une dépression.

La réponse peut être que c’est grave : c’est une dépression, donc cela engage à un traitement long et à un suivi.

2.        Quelles réponses ?

Du fait de son statut particulier, le médecin généraliste pourrait répondre autrement que d’une manière strictement médicale. Mais il ne le fait pas toujours. Si le patient vient pour une consultation en disant : “ Je suis mal, j’ai mal ”, le médecin sait de son côté qu’il y a mille raisons de venir le voir et que tout son art doit se concentrer d’abord sur ceci : de quoi s’agit-il ? est-ce grave ou non ?

·    Derrière cette douleur, y a-t-il une pathologie qui met en jeu le pronostic vital ?

·    Derrière cette souffrance psychique, y a-t-il une vraie dépression avec un suicide possible ?


 

Après une évaluation des symptômes, le médecin va s’attacher à la personne elle-même. Souvent, il la connaît déjà : il suit ses enfants, l'a déjà vue pour un suivi gynécologique ou pour un long accident de travail. Il connaît sa famille, le lieu où elle vit. Dès qu’elle est entrée dans son cabinet, il a vu à son visage, à son expression corporelle, que quelque chose n'allait pas. Parfois, il connaît déjà son histoire : séparation récente, deuil, période de chômage, difficultés avec un enfant, etc.

Se concentrer sur la personne elle-même, c’est, au-delà de l’examen clinique traditionnel, une procédure d’investigation dans la vie psychique afin d’entrer en intime relation avec la personne dans le moment présent de crise.

Cette mise en relation – “ mise en phase ”, pourrait-on dire – entre le médecin traitant et son patient peut être extrêmement rapide, car ils ont déjà partagé une partie de l’histoire et de la perception de l’environnement de la crise actuelle.

Elle permet au médecin d’affiner le diagnostic le plus probable. Elle vise surtout à identifier les ruptures du lien social, les conflits profondément déstructurants, les événements et traumatismes sociaux, les sentiments de culpabilité anxiogènes.

Cette identification sera le premier pas de la “ procédure de retissage du lien social ”, qui est le complément du traitement médicamenteux et du soutien psychothérapeutique. Pour le médecin, ne parler que du traitement ou de la psychothérapie, c’est se réduire à un rôle où il détiendrait toutes les ficelles.

Le patient, comme sujet et acteur dans son environnement naturel, doit, au-delà de l’observance ou de sa participation motivée au suivi, rester maître du jeu de sa vie, qu’il sent basculer. C’est à travers lui que le médecin va s’appuyer sur son entourage, qui, au quotidien, aura une influence négative ou positive sur la “ guérison ”.

 


 

les modalités de construction du diagnostic de dépression

 

Se pose ici particulièrement la question des “ mises en situation ” évoquées plus haut. Le diagnostic va être relativement aisé pour le psychiatre hospitalier qui recevra un patient manifestement mélancolique, venant d'un service de réanimation où il a séjourné après une tentative de suicide grave. Il va l'être beaucoup moins pour le médecin généraliste, qui se demande si les plaintes somatiques de son patient ne seraient pas d'origine dépressive. Ces deux cas de figure illustrent bien le fait que, dans chaque situation, le praticien, que ce soit le psychiatre ou le généraliste, va se référer à un “ modèle ” pour établir le diagnostic.

 

Or, une des caractéristiques actuelles de la sémiologie psychiatrique est justement le manque de repères suffisamment stables et faciles à utiliser permettant de proposer des modèles catégoriels facilement reconnaissables et partageables par l'ensemble des acteurs de la filière de soins. Et cela pour l'ensemble des troubles psychiques.

Il est donc indispensable de contextualiser les difficultés de diagnostic des troubles thymiques si on veut en connaître les raisons. On peut en identifier quatre principales :

1.        Le démembrement (l'éclatement) des tableaux cliniques classiques. Du côté des psychoses, on en vient à mettre en cause l'unicité de la schizophrénie. On parle de symptômes positifs et négatifs, avec une correspondance anatomo-clinique qui démontrerait qu'il ne s'agit pas de la même maladie. Du côté des troubles thymiques, même la psychose maniaco-dépressive (PMD) vole en éclats : trouble bipolaire I, II, cycles rapides... Tout comme la mélancolie avec les formes mineures, subsyndromiques, infracliniques, monosymptomatiques... (3) (41)

2.        La disparition de certains concepts comme celui de névrose depuis le DSM-III. Certains se demandent où est passée l'hystérie “ à la Charcot ”.

3.        L'apparition de “ nouveaux troubles ” comme les attaques de panique, les TOC, le PTSD, les personnalités multiples…

4.        La mode de l'approche “ dimensionnelle ”, avec les symptômes et syndromes transnosologiques, qui échappent à toute spécificité nosographique.


 

Le résultat, disons-le, c'est un manque de repères, et une impression de flou autour des tableaux cliniques. Cela peut engendrer un sentiment de “ tout est dans tout ” chez certains praticiens, qui réagissent en radicalisant, voire en simplifiant (réduisant) leur éventail diagnostique.

 

Voyons comment se traduit cette situation dans le cas précis du diagnostic de dépression.

 

Au-delà du modèle classique de la mélancolie, appelée de nos jours dépression majeure ou caractérisée, où les symptômes sont apparents et intenses, on trouve, d'un côté, des formes cliniques où la symptomatologie thymique n'est pas apparente, car camouflée par des plaintes somatiques. C'est le modèle des dépressions à expression somatique (“ dépression masquée ”), et, par extension conceptuelle, celui des équivalents dépressifs comportementaux.

De l'autre côté, on trouve les formes où la symptomatologie est apparente mais moins intense. C'est le modèle de la “ dysthymie ” et du large éventail des dépressions “ subsyndromiques ” ou “ monosymptomatiques ”. (L'étude DEPRES (32) (43) trouve une prévalence de 17 % de troubles dépressifs, car elle inclut les symptômes dépressifs isolés.)

 

1 – La dépression majeure

 

Le terme “ épisode dépressif majeur ”, qui figure dans le DSM-IV (cf. tableau), regroupe aujourd'hui les anciennes appellations telles que dépression “ endogène ”, dépression “ névrotique ”, dépression “ réactionnelle ”, et bien d'autres. Le terme “ mélancolie ”, maintenant utilisé surtout comme adjectif (dépression “ mélancolique ”), se réfère autant à l'étiologie endogène qu'à l'intensité (gravité) de la symptomatologie. Dans la classification des troubles mentaux de l'OMS (CIM 10), le terme équivalent est “ épisode dépressif ”.

 

            Sémiologie

 

Bien qu'il soit habituel de décrire l'épisode dépressif à partir de l'humeur dépressive, la présence et l'intensité d'autres troubles, tels que le ralentissement, les troubles cognitifs ou les signes végétatifs, montrent que la souffrance dépressive ne peut pas être réduite à la tristesse, si intense soit-elle (22).

 

         L'humeur dépressive

 

Le terme de “ douleur morale ” est souvent utilisé pour qualifier cette tristesse foncière, irraisonnable, incontrôlable et inconsolable, qui est à l'origine d'idées d'autodévalorisation, d'autoaccusation et souvent d'incurabilité. Les sentiments de lassitude et de désintérêt sont constants. L'attrait de l'idée de mort, presque toujours sous-jacent, peut être diversement exprimé ou marqué. (15)


 

         Le ralentissement

Au niveau moteur, il se manifeste par une mimique pauvre et monotone. Cette lenteur, sorte d'inhibition, est autant observable que vécue péniblement par le patient. Le malade a l'impression que le moindre geste lui demande un effort disproportionné. Sur le plan mental, le déprimé se plaint d’un sentiment de “ tête vide ”, il a l’impression d'avoir du mal à organiser ses idées. Il existe une réelle “ bradypsychie ” avec réponses décalées, retardées, rendant le dialogue pénible pour le malade. L'asthénie complète souvent le tableau. Elle est inexpliquée et caractérisée par sa nette aggravation à l'effort, pouvant aller jusqu'à l'épuisement.

 

         Les troubles cognitifs

Tout comme le flux idéique, la concentration, l'attention et la mémoire sont diminuées, ce qui donne lieu à d’abondantes plaintes. A l'examen clinique, on constate que l'attention aux questions est faible et décroît avec l'effort intellectuel.

 

         Les troubles du sommeil

Le sommeil est régulièrement perturbé, le plus souvent sous forme d'insomnie, mais aussi d'hypersomnie. L'insomnie peut se manifester lors de l'endormissement, au milieu de la nuit ou en fin de nuit. Cette dernière forme, appelée “ insomnie du petit matin ”, est à l'origine de réveils matinaux précoces (particulièrement évocateurs d'un trouble dépressif) vécus toujours péniblement par le patient.

 

         L'anorexie

La perte de l'appétit est presque constante et s'accompagne souvent d'une perte de poids significative.

 

         Les troubles somatiques

Dans les épisodes dépressifs, les troubles somatiques sont assez caractéristiques. La cénesthésie du malade déprimé est toujours pénible : tête vide, malaise diffus, lassitude extrême, sensations d'oppression, spasmes viscéraux, etc.

Parmi les symptômes les plus fréquents, on trouve ceux de la sphère digestive : saburralité, constipation et nausées. Viennent ensuite les palpitations cardiaques, des sensations d'étouffement, une aménorrhée, des algies diverses : céphalées, douleurs vertébrales et articulaires, anorexie et amaigrissement. Des troubles neurovégétatifs, principalement des crises sudorales, une frilosité, des sensations vertigineuses, peuvent aussi se manifester.

 

Dans un souci de systématisation et de consensus scientifique, le DSM-IV (4) propose le repérage de cet ensemble symptomatologique à partir de neuf critères.

 


 

 

CRITERES D’EPISODE DEPRESSIF CARACTERISE (d’après le DSM-IV)

 

Parmi les neuf symptômes suivants, au moins cinq doivent exister depuis deux semaines, et l’un des deux premiers doit obligatoirement être présent :

1 – Le patient se plaint d’humeur dépressive continuelle.

2 – Le patient dit qu’il n’a plus d’intérêt ou de plaisir pour aucune activité.

3 – Le patient présente un trouble de l’appétit (Ø ou Ö) net et continuel

      ou un changement de poids (en plus ou en moins) de 5 % au moins

      durant le dernier mois.

4 – Le patient se plaint de troubles du sommeil (insomnie ou

      hypersomnie).

5 – Le patient présente une agitation ou un ralentissement

      psychomoteur net et objectif.

6 – Le patient se plaint de fatigue.

7 – Le patient se sent coupable de manière inappropriée ou excessive.

8 – Le patient a des difficultés de concentration.

9 – Le patient a des “ idées noires ”. Il pense à la mort, au suicide.

 

Les symptômes présents nuisent à son fonctionnement social.

 

Les symptômes ne s’expliquent pas par un événement récent (un deuil

par exemple).

 

 

 

 

 

2 – Les dépressions à expression somatique

 

Avant d'analyser la sémiologie des dépressions à expression somatique, il convient de rappeler que, dans toute dépression, et ce indépendamment de la forme clinique et de l’intensité, il existe une atteinte somatique.

Il se peut que ces troubles prennent une telle importance que l'état dépressif soit camouflé par la plainte somatique. C'est alors qu'on parlera de dépression “ à expression somatique ” (ou dépression “ masquée ”), mais, comme nous allons le voir, dans ces formes de dépression, on observe une association bien particulière de certains de ces symptômes somatiques.


 

Bien que les troubles et les plaintes somatiques dans la dépression soient connus depuis toujours, c'est P. Kielholz (28) qui, en 1973, a décrit la dépression masquée. Il s'agissait, selon l'auteur, d'une nouvelle entité nosologique, identifiée à partir de l'efficacité des antidépresseurs dans des symptômes somatiques divers, observés chez des patients dont les troubles thymiques étaient soit absents, soit au deuxième plan du tableau clinique.

 

Selon cet auteur, le substratum organique (dérèglement biochimique) serait le même que dans les autres formes cliniques de dépression. Ce qui changerait, ce serait l'expression symptomatique. Ce “ modèle ” trouverait sa démonstration dans l'efficacité même des antidépresseurs sur ces symptômes somatiques, appelés de ce fait “ équivalents dépressifs ”. (2) (34)

Cette différence d'expression symptomatique explique que ces patients n’aillent pas consulter les psychiatres, mais plutôt les somaticiens, qui sont alors confrontés au diagnostic différentiel : hystérie, trouble psychosomatique, fixation hypocondriaque, anxiété, dépression ?

Loin d'emporter un large consensus, ce concept a provoqué, dès le début, de nombreuses réactions dénonçant le flou sémiologique, l'errance du concept ou les dérives possibles. Le débat sur la dénomination même de cette forme clinique (dépression “ sans dépression ”, “ larvée ”, “ masquée ”, “ latente ”, “ occulte ” [36]), laisse rapidement émerger d'autres questionnements.

P. Droz et J. Richard (16), dans l'article “ Us et abus de la notion de dépression masquée ”, mettent en garde contre une dérive diagnostique inflationniste basée sur les seuls effets thérapeutiques. Ils rappellent que la dépression masquée reste une forme atypique de dépression (qui possède sa symptomatologie dépressive, masquée mais présente). Ils resituent ainsi le symptôme somatique dans un réseau de modifications relationnelles qu'il faut prendre en compte lors des choix thérapeutiques. (Voir également, plus bas, “ Les obstacles au diagnostic ”)

Quoi qu'il en soit, il convient de connaître ce “ modèle ” puisque de nombreuses publications internationales (2) (10) (21) (25) (32) (34) (43) s'y réfèrent, sous des appellations bien distinctes, mais avec un dénominateur commun : la difficulté diagnostique devant les plaintes somatiques.


 

Sémiologie de la dépression à expression somatique

·    Le plus souvent, il s'agit d'un patient, sans antécédents psychiatriques, qui consulte son généraliste pour une fatigue inexpliquée, à laquelle s'associent une insomnie et des algies diffuses, dont la localisation peut varier d'un patient à l'autre. Les plus fréquentes sont les dorsalgies (lombalgies, en particulier) et les céphalées. Viennent ensuite les douleurs à localisation digestive.

·    L'examen somatique, ainsi que les différents bilans et examens complémentaires, vont s'avérer strictement normaux. Les traitements symptomatiques ne seront pas d'une grande efficacité.

·    Il peut s'écouler plusieurs mois entre le début du tableau clinique décrit ci-dessus et l'apparition des symptômes dépressifs. Chez certains patients, les symptômes somatiques seront les seuls signes du dérèglement thymique.

·    L'anamnèse révélera une répartition circadienne particulière des troubles avec une aggravation matinale : c'est au réveil et pendant une bonne partie de la matinée que l'asthénie et les douleurs seront le plus prégnantes.

·    On constate également une évolution périodique et/ou saisonnière du tableau clinique.

·    Il est fréquent de trouver chez ces patients des antécédents familiaux de dépression et de psychose maniaco-dépressive (PMD).

 

3 – La dysthymie

 

La dysthymie est au centre d'une vieille querelle nosologique : s'agit-il d'une maladie ou bien de la manière d'être d'une “ personnalité ” dépressive ?

Les tableaux cliniques observés peuvent en effet trouver leur origine au niveau des traits de caractère (personnalité), ou bien se situer du côté des symptômes (maladie). Cette discussion s’appuie sur l’observation suivante : à côté des malades présentant à certains moments de leur existence des épisodes dépressifs plus au moins durables (réactionnels, mélancoliques ou névrotiques), certains malades paraissent constamment déprimés. (Cf. le chapitre “ Les trajectoires évolutives ”)

Ces états, non évolutifs et généralement résistants aux thérapeutiques, constituent de véritables modes d’existence dépressive où toutes les expériences vitales prennent une tonalité affective sombre, sans qu’il soit guère possible de repérer un autre mode d’existence antérieure.

Ces troubles ont été différemment qualifiés et répertoriés selon les auteurs et les époques. Le plus souvent, ils ont été considérés comme des “ dépressions chroniques ”, notamment par H. Ey dans son manuel (18), ce qui implique la primauté du symptôme.


 

D’autres auteurs privilégient les traits de caractère et parlent de “ personnalités dépressives ”. L’idée d’un “ tempérament ” particulier exposant à la mélancolie remonte à l’Antiquité (Hippocrate, Théophraste, Aristote). Kraepelin, en 1886, parle lui aussi de “ tempérament dépressif ”. En 1938, en France, Montassut (36) évoque la dépression “ constitutionnelle ”, reprenant, dans une perspective dépressive, des tableaux classiques d’asthénie chronique : neurasthénie de Béard (1869), psychasthénie de Janet (1903). Pendant toute une période, on a décrit les relations entre ces modes d’existence dépressive et les névroses.

 

Dès 1980, les auteurs du renouveau sémiologique américain tranchent la question via le DSM-III : dans ce Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, on ne parle plus de personnalité dépressive dans le chapitre consacré aux personnalités pathologiques. En revanche, on voit apparaître, dans le chapitre consacré aux troubles thymiques (troubles de l’humeur), la “ dysthymie ” (ou “ névrose dépressive ”). On notera le caractère équivoque du terme “ névrose ”, qui, par ailleurs, peut prêter à confusion avec les dépressions appelées “ névrotiques ” par opposition aux dépressions “ psychotiques ” de la psychose maniaco-dépressive (ces deux entités relevant théoriquement d’une tout autre situation pathologique).

Selon Akiskal (1), la dysthymie correspond à une forme “ mineure ” ou atténuée d’un état dépressif, moins intense que l’état dépressif “ majeur ”, mais durant plus longtemps : elle tient une place à part dans les dépressions chroniques.

 

Conception clinique actuelle

Dans le DSM-IV (4), la dysthymie (ou névrose dépressive) change de nom ; le terme “ névrose ” disparaît au profit de l'appellation “ trouble dysthymique ”. Il s'agit d'un trouble chronique de l'humeur, qui peut être diagnostiqué à partir d'un certain nombre de critères qui ne font pas l'objet d'un consensus. Cette nouvelle description n'empêche pourtant pas qu'apparaisse immédiatement la difficulté du diagnostic différentiel. Le même DSM-IV reconnaît que “ le diagnostic différentiel entre le trouble dysthymique et le trouble dépressif majeur est particulièrement difficile, car les deux troubles comportent des symptômes similaires et se différencient seulement par leur durée et leur sévérité. ”

 

 

4 – Autres formes d'expression symptomatique de la dépression

Comme nous l'avons indiqué plus haut, à côté du modèle de la dépression majeure, certains auteurs évoquent l'existence de formes dans lesquelles la symptomatologie thymique serait moins apparente (même camouflée) ou de moindre intensité. Ces modèles, loin d'emporter un consensus international, illustrent bien la problématique de la sémiologie psychiatrique actuelle : la déconstruction des théories, avec une remise en cause des modèles opératoires classiques et consensuels (cf. “ Introduction ”).

 


 

         Les formes mineures

On peut se demander si les médecins généralistes et les psychiatres sont bien confrontés aux mêmes tableaux cliniques, aux mêmes types de patients. Leurs difficultés diagnostiques devant ces troubles qui ne répondent pas aux critères diagnostiques classiques ne semblent pas comparables. Dans l'enquête épidémiologique WHO (41) dirigée par Sartorius en 1993, les 8 % de troubles dépressifs identifiés correspondent au Sub-Threshold Depressive Disorder (dépression “ infraclinique ”). Il s'agit de patients habituellement diagnostiqués et traités en médecine générale. (3)

L'étude DEPRES (32) (43) montre à son tour que la prévalence des symptômes dépressifs isolés en médecine générale varie entre 9 % et 20 %. De là à parler de “ dépression monosymptomatique ”, il n'y a qu'un pas, qui semble avoir été franchi par cette étude, puisque, en comptabilisant les symptômes dépressifs isolés dans l'ensemble des troubles dépressifs, nous arrivons à une prévalence de 17 % de dépression dans la population générale. Comme pour le modèle de la dépression masquée, le consensus autour de l'existence même de ces formes cliniques atténuées est loin d'être établi. Certains auteurs voient là une des origines de l’inflation diagnostique des troubles dépressifs.

 

         Les équivalents dépressifs

En 1972, le psychiatre espagnol Lopez Ibor (34) publie un travail sur ce qu'il appelle les “ équivalents dépressifs ”, faisant référence à une série de symptômes non thymiques, essentiellement plaintes somatiques et comportements alcooliques, qui, selon lui, font partie d'une forme clinique de dépression “ sans tristesse ”.

 

En 1974, Lesse (2) s'inscrit dans cette même démarche et procède à une extension du concept de dépression masquée en introduisant le terme de “ masque comportemental de la dépression ”. Il affirme qu'un certain nombre de troubles du comportement peuvent également masquer une dépression sous-jacente et doivent être considérés, au même titre que les troubles somatiques, comme des équivalents dépressifs. Les voici :

·    conduites suicidaires, comportements à risque, tendance aux accidents ;

·    troubles du contrôle des impulsions : fugues, kleptomanie, criminalité ;

·    comportements masochistes ;

·    troubles alimentaires : anorexie-boulimie ;

·    alcoolisme et autres addictions ;

·    phobies scolaires et difficultés d'apprentissage chez les enfants.

 

Récemment, ces études sont à nouveau d'actualité avec les travaux de Fava (19), selon lequel, à l'origine de certains comportements violents ou agressifs (“ dépression hostile ”), de troubles alimentaires, de certaines formes d'alcoolisme et autres addictions, on trouverait une baisse de la sérotonine.

 


 

INTERETS ET LIMITES DU TRAITEMENT D'EPREUVE

 

Comme nous l'avons signalé plus haut, l'existence même de la dépression masquée serait démontrée par le fait que les antidépresseurs amélioreraient l’état de certains patients présentant des plaintes somatiques sine materia. On parle ainsi de “ dissection chimique ” à propos de l'utilisation des psychotropes comme outil diagnostique.

 

De même que, dans la dysthymie, l'efficacité des antidépresseurs permettait de “ trancher ” entre les symptômes (sensibles à l'effet thérapeutique des antidépresseurs) et les traits de caractère (non modifiables biochimiquement), dans la dépression masquée, le tri se ferait entre dépression, hypocondrie, hystérie, etc.

On pourrait évoquer, à juste titre, l'effet “ placebo ”, qui existerait avec les antidépresseurs comme avec tout autre médicament. La différence étant que les effets positifs des antidépresseurs vont se manifester bien plus tard que ceux d'un éventuel effet placebo. Le délai d'action des antidépresseurs (indépendamment de leur famille chimique) est de deux ou trois semaines, et parfois bien plus tard pour certains patients.

 

Quoi qu'il en soit, ce traitement probabiliste, cette validation diagnostique a posteriori, qualifié abusivement de “ test thérapeutique ”, ne trouve sa légitimité que s'il s'inscrit dans une démarche soignante, permettant au prescripteur d'analyser au préalable les facteurs étiopathogéniques, les antécédents personnels et familiaux, les éléments de personnalité, la situation socioprofessionnelle de son patient, ainsi que la réponse éventuelle à tout traitement antérieur, psychotrope ou autre.

De fait, on assiste à un appauvrissement de la clinique de la dépression depuis quelques années, appauvrissement lié, entre autres, à l'usage abusif du traitement d'épreuve. Véritable “ raccourci ” pour le médecin pressé, il accroît le risque de rechute ou de chronicité, car le travail sur l'étiopathogénie est écarté.

Le symptôme prend le dessus face à la réalité complexe du patient.

 


 

LES outils PROPOSES pour reconnaître une dépression SONT-ILS bien adaptés àU PRATICIEN ?

 

On vient de voir que le test thérapeutique suppose souvent soit un dernier recours lorsque les autres “ outils ” diagnostiques se montrent inopérants, soit un recours “ rapide ” et de facilité.

En ce qui concerne les outils diagnostiques les plus communément utilisés en psychiatrie, on peut se demander s'ils sont fiables (assez sensibles) en dehors des pathologies franches, rencontrées le plus souvent en psychiatrie. Une étude très intéressante, pilotée par R. Führer et F. Rouillon (22), et comparant l'évaluation d'un “ état dépressif majeur ” réalisée par des médecins généralistes et par des psychiatres, a démontré que l'utilisation d'une classification (DSM dans cette étude) permet des diagnostics fiables, mais que cette fiabilité disparaît lorsque les troubles sont moins sévères. Il faudrait développer de nouveaux outils adaptés aux “ nouvelles ” pathologies (mineures, subsyndromiques, etc.) et/ou aux utilisateurs non spécialistes. (Voir également plus bas “ Les obstacles au diagnostic ”)

 

LES DIFFICULTES AU COURS DE LA CONSULTATION

 

Les principales difficultés du diagnostic sont :

 

La sous-estimation des manifestations affectives et la valorisation du somatique (comme le font les patients)

En effet, au cours de la consultation, on constate deux phénomènes interactifs : le patient exprime des plaintes somatiques et le MG a tendance à sous-estimer, du fait de sa formation, la valeur de signe d’appel dépressif de ces symptômes. Par surcroît, le médecin généraliste ne dispose pas toujours des quelques techniques simples d’entretien pour explorer la sémiologie de la dépression.

Le MG, à cause de sa proximité avec le patient, aura tendance à n'écouter que les plaintes, à amplifier la souffrance existentielle telle qu'elle est dite par le patient. Cela constituera un obstacle à l’identification de la dépression.

Il faut former le MG et lui transmettre quelques outils simples qui lui permettent d’avoir le recul nécessaire pour le diagnostic.

Lors de la consultation, il apparaît également que la dépression est moins bien repérée chez l’homme. En effet, certains types de patients (29) favorisent la méconnaissance du trouble psychiatrique en général et du trouble dépressif en particulier. Il s’agit des hommes, des célibataires et des étudiants ; alors que, chez les femmes, les divorcés et les chômeurs, les troubles psychiques sont plus facilement exprimés, donc reconnus.

 

Les représentations des professionnels de la santé

Le concept de dépression varie d’un médecin à l’autre. Comme dans la population générale, ce concept peut être trop extensif, devenant alors synonyme de maladie mentale, ou trop restrictif.


 

Pour le généraliste, les représentations de la sémiologie dépressive restent souvent, et malgré une formation satisfaisante, assez vagues. Lorsqu’on interroge des généralistes sur les principaux symptômes évocateurs d’une dépression, les réponses les plus souvent données concernent la fatigabilité, l’anxiété et les troubles du sommeil (symptômes aspécifiques).

La description que le MG donne de la dépression correspond aux dépressions dites “ névrotico-réactionnelles ”. Comme dans la population générale, les facteurs environnementaux sont très investis par le MG dans leur rôle étiologique. Le MG aurait une tendance spontanée à penser la dépression dans une trop grande linéarité de cause-effet.

Docherty (5) distingue du côté du médecin généraliste deux sortes d’obstacles pour le diagnostic et le traitement de la dépression : les croyances personnelles du médecin et les attitudes qui en découlent d’une part, le niveau de connaissance et les compétences pour la reconnaissance de la maladie d’autre part.

 

L’orientation par l’anxiété vers les anxiolytiques

La présentation de la dépression, dans ces facettes de comorbidité, est aussi un facteur important. La présence de symptômes anxieux aidera à repérer la dépression, notamment chez la femme, mais elle constituera un élément de confusion lors de la prescription du traitement, les anxiolytiques étant dans ce cas-là plus prescrits que les antidépresseurs.

 

La durée de la consultation

Si le patient arrive à consulter, on constate que la durée de la consultation apparaît comme insuffisante pour établir le diagnostic de dépression et déclencher une prise en charge, notamment chez les médecins généralistes.

La connaissance de dépressions antérieures ou de prise d’antidépresseurs facilite le diagnostic.

La durée trop courte de la consultation liée à son mode de rémunération à l'acte est pondérée par le suivi possible de ce type de patient, que le médecin pourra voir à une bonne fréquence sur le long terme.

 


 

Causes de ces phénomènes

 

1 – “ Négatives ”

On ne s’étonne pas que les professionnels de la santé donnent plus de crédit aux antidépresseurs que les néophytes. Il en va de même pour les psychothérapies et les autres moyens thérapeutiques (hospitalisation, ECT, etc.). Cependant, ces techniques de soins ne font pas l’unanimité non plus parmi les professionnels : l’hospitalisation a une image plutôt négative pour les psychologues (qui rejoignent en cela le grand public) et pas tout à fait positive pour les MG ; le recours à l’ECT est clairement prôné par les psychiatres alors que généralistes et psychologues restent réticents (quoique bien moins encore que la population générale).

La formation théorique sur la dépression n’apparaît pas comme insuffisante chez les MG ; en revanche, le manque d’entraînement pour sa reconnaissance paraît mieux expliquer les imprécisions diagnostiques constatées.

Toujours du côté du médecin, le deuxième type d’obstacle au diagnostic et à la prise en charge de la dépression a trait plus directement aux compétences théoriques. Bien évidemment, une plus grande connaissance de la maladie va contribuer à son identification. Mais cela ne suffit pas : le taux de repérage le plus élevé se trouve chez les médecins qui ont l’habitude d’interroger le patient afin de dévoiler les signes qui caractérisent le trouble dépressif. L’attention portée aux expressions non verbales du patient est également un facteur important. Il est intéressant de remarquer que les praticiens qui affirment se confier à leur capacité à percevoir les émotions cachées de leurs patients pour identifier la pathologie affective ont un taux plus faible d’identification de la dépression que ceux qui affirment ne pas pouvoir se passer de poser quelques questions systématiques pour préciser le diagnostic.

 

2 – “ Positives ”

En ce qui concerne les croyances, la probabilité d’établir un diagnostic correct de dépression est d’autant plus grande que le praticien est convaincu personnellement de l’intérêt des traitements antidépresseurs et de sa capacité à prendre en charge cette maladie. Quant aux attitudes, il ressort clairement de cette étude que l’exactitude du diagnostic de dépression est fortement corrélée à l’aisance que le praticien éprouve à faire face aux “ problèmes psychologiques ” des patients, au temps qu’il consacre à la consultation et, enfin, au fait qu’il se sente professionnellement concerné par ce type de pathologie.

On a vu plus haut que l’utilisation de quelques questions systématiques facilitait le diagnostic.

En résumé, il faudrait que la FMC développe chez les généralistes :

·    la notion de la réalité et de la fréquence de la dépression,

·    la connaissance des signes affectifs,

·    l’utilisation de quelques questions systématiques,

·    la critique des explications somatiques et environnementales,

·    la croyance dans l’efficacité de la thérapeutique.

 

 

 

Quelles difficultés diagnostiques

suivant les types de dépressions et de patients

 

 

1 – Les femmes

Dans les ouvrages médicaux, qu’ils soient destinés aux professionnels ou au grand public, il existe un consensus selon lequel les femmes seraient plus souvent atteintes de troubles psychiatriques et psychologiques que les hommes. Cette idée repose en partie sur le fait que, dans de nombreux pays, les femmes font appel aux services psychiatriques, et médicaux en général, plus souvent que les hommes (35).

Pour ce qui est des troubles thymiques, cela pourrait s'expliquer, du moins en partie (cf. le chapitre “ Les trajectoires évolutives ”) par le fait que, lorsqu'elles sont déprimées, les femmes admettent assez facilement le diagnostic, puis le traitement (aussi bien les psychotropes que les abords psychothérapiques). Les hommes, en revanche, ont beaucoup de mal à admettre le diagnostic et, de ce fait, sont moins “ comptabilisés ”, car ils ont une accession moindre à la filière de soins.

Quoi qu'il en soit, il existe un certain consensus concernant une prévalence du trouble dépressif deux fois plus importante chez la femme que chez l'homme. Les différentes hypothèses – causes hormonales, différences de stress psychosocial, etc. – sont loin d'apporter une explication indiscutable à ce phénomène.

 

Quant à ce qui est d’une éventuelle expression symptomatologique particulière de la dépression chez la femme, aucune étude ne semble avoir démontré l'existence de caractéristiques nosologiques distinctives.

 

2 – Les conduites des adolescents

Le diagnostic de la dépression de l'adolescent se heurte à une double difficulté. D'une part, le travail psychique à l'adolescence présente des points communs avec la psychopathologie de la dépression. D'autre part, l'expression symptomatique diffère de celle rencontrée chez l'adulte (27).

Sur ce point, l'équipe de Ph. Jeammet (13) constate que 95 % des adolescents hospitalisés dans un contexte dépressif ne présentent aucun signe de la série dépressive rencontrée chez l'adulte.

Même si la question est controversée, il existe un certain consensus pour souligner que, chez l'adolescent, la dépression s'exprime le plus souvent soit sous la forme d'une dépression masquée, soit par des équivalents dépressifs comportementaux.

·    Dépression à expression somatique. Elle a les mêmes caractéristiques que celles décrites plus haut, mais, lorsque les préoccupations corporelles remplacent les douleurs, se pose la question du diagnostic différentiel avec de véritables dysmorphophobies évocatrices d'un processus dissociatif naissant.


 

·    Equivalents dépressifs. Des psychopathologues prétendent que, comme chez l'adulte (voir plus haut), certains troubles des conduites chez l'adolescent ont pour fonction de lui épargner de se confronter à l'affect dépressif. Ainsi, les délits, fugues, crises clastiques, comportement addictifs, troubles des conduites alimentaires, etc. constituent autant d'équivalents dépressifs. Cette particularité d'expression symptomatique ne doit pas nous faire oublier qu'il s'agit bel et bien de dépressions authentiques et qu'environ un tiers des troubles bipolaires débutent avant 20 ans. (23)

 

 

3 – Les personnes âgées

Les plaintes somatiques sont très souvent au premier plan du tableau clinique dépressif chez le vieillard. Elles peuvent ainsi reléguer au deuxième plan l'humeur dépressive qui, même après anamnèse, peut passer inaperçue aux yeux du clinicien. De ce fait, on peut considérer que les dépressions à expression somatique sont très fréquentes à cette période de la vie.

Le diagnostic clinique est loin d'être aisé, compte tenu de la comorbidité entre les troubles thymiques et démentiels. D'où l'intérêt, dans ce cas particulier, du test thérapeutique aux antidépresseurs. A noter la fréquence d'états dépressifs associés à des pathologies organiques lourdes et invalidantes. (Cf. le chapitre “ Les trajectoires évolutives ”)

 

 

 


 

les obstacles au diagnostic

 

La question des comorbidités

 

 

Dépression et comorbidités somatiques

 

En ce qui concerne la nature des liens entre dépression et problèmes somatiques, on distingue classiquement (11) trois situations :

 

1.        On parle de coïncidence lorsqu'il n'y a pas de lien causal entre les deux affections, ce qui ne doit pas nous faire oublier que la dépression peut compliquer l'évolution et la prise en charge d'un problème somatique et vice versa.

2.        La dépression peut être à l'origine de problèmes somatiques : soit en tant que facteur de risque de pathologies incontestablement somatiques (coronaropathies), soit lorsque l'expression symptomatique de la dépression se fait à travers des plaintes somatiques (dépression masquée).

3.        La dépression apparaît comme la conséquence d'un trouble somatique. Avec deux cas de figure : la dépression est provoquée par un problème médical (pathologie cérébrale, endocrinienne…), ou la dépression est le résultat du retentissement affectif d'une pathologie somatique.

 

Un très intéressant travail mené par l'équipe de Cathebras et Rousset (9) illustre certaines de ces situations. Il porte sur le dépistage de la dépression chez les patients hospitalisés en médecine et pose la question de la sous-reconnaissance de la dépression par les médecins et également par les psychiatres. Les auteurs rappellent que le principal enjeu de la comorbidité réside dans le fait que la dépression contribue, chez des patients atteints de maladies organiques, à la chronicisation des symptômes, à l'augmentation du coût des soins et à une détérioration de la qualité de vie. Concernant les obstacles au diagnostic, ils soulignent que les médecins qui reconnaissent le moins bien les troubles psychiques chez leurs patients sont ceux qui gênent l'expression (verbale ou non verbale) des symptômes, et ceux qui ont une confiance très grande dans leur capacité à détecter les troubles psychologiques sans poser des questions explicites.

De ce fait, l’équipe de Cathebras et Rousset préconise l'utilisation d’échelles et de questionnaires de dépression. Selon eux, ces outils ont le mérite de souligner que la dépression en médecine est moins “ masquée ” qu'il n’est classique de le dire (cf. plus haut), et que certaines questions posées en permettent assez facilement le diagnostic.

 


 

Toutefois ces échelles ne sont pas la seule méthode de dépistage d'un état dépressif chez un patient atteint de maladie organique. Cathebras (11) propose d'autres moyens :

 

1.        encourager (ou au moins ne pas décourager) l'expression de symptômes émotionnels par le patient ;

2.        savoir d'autant plus évoquer la dépression que la maladie organique est grave, invalidante ou chronique ;

3.        rechercher systématiquement la présence de l'un ou l'autre des deux symptômes majeurs de dépression du DSM-IV : humeur dépressive, diminution de l'intérêt ou du plaisir ;

4.        s'aider éventuellement d'échelles courtes, simples et validées, telles que le BDI-13 (échelle dite “ de Beck ”) ou la HAD (Hospital Anxiety and Depression Scale).

 

 

Ces moyens pourraient trouver également leur utilité chez des patients présentant des plaintes somatiques pour lesquelles aucune organicité n'a été mise en évidence. Dans une récente mise au point à propos des “ symptômes médicalement inexpliqués ”, ces mêmes auteurs, Cathebras et Rousset (10), signalent que, tous les jours, des consultations médicales se soldent par le diagnostic de “ symptôme fonctionnel ”, c’est-à-dire que les plaintes du patient ne relèvent pas d'une pathologie lésionnelle. L'exclusion de l'organicité écarte logiquement le diagnostic de maladie somatique, mais confronte le praticien au problème de conceptualisation de ces états. Effectivement, le consensus terminologique est loin d'être acquis en ce qui concerne l'utilisation des mots “ fonctionnel ”, “ somatisation ”, “ conversion ”, “ psychosomatique ”, etc.

A propos, précisément, de ces difficultés diagnostiques et de l'intrication entre les troubles somatiques et dépressifs, l'étude de Gregory E. Simon et al. (25) (45) visant à repérer les relations entre dépression et symptômes somatiques démontre que les patients somatisent moins s'ils ont leur médecin attitré.

Les auteurs ont travaillé à partir d'une évaluation de l'OMS sur les problèmes psychologiques dans des centres de soins généraux, conduite en 1991 et en 1992, et consistant en un dépistage de 25 916 patients qui venaient consulter pour des troubles somatiques : céphalées, constipation, fatigue, dorsalgies... Pour 5 447 d'entre eux, on a pu établir un diagnostic précis :

·    10 % de ces patients présentaient les critères d'une dépression majeure.

·    50 % rapportaient une symptomatologie somatique polymorphe inexpliquée.

·    11 % déniaient l'existence d'une dépression dans leurs réponses spontanées au questionnaire.

·    69 % des sujets avec un diagnostic de dépression, posé seulement grâce à l'évaluation ciblée, n'alléguaient que des symptômes physiques.

Ces proportions varient peu suivant les différents centres.


 

Les somatisations de la dépression semblent également varier peu d'un pays à un autre, ce qui est concordant avec des résultats d'études antérieures. En revanche, les interactions entre les médecins et les patients dépressifs varient considérablement, modifiant l'appréhension que le malade a de ses symptômes et de leur fréquence. Une analyse approfondie montre que l'expression somatique de la dépression est plus fréquente dans les centres où, pour des raisons structurelles, les patients n'ont pas de relation privilégiée avec un praticien, comparativement aux centres où chaque patient a son médecin attitré.

En conclusion, estiment les auteurs, les présentations somatiques de la dépression, tout comme le mode d'expression de n'importe quel autre trouble psychique, ne devraient pas être attribuées aux seules particularités du patient, puisque le contexte de prise en charge joue un rôle considérable.

 

Dépression et comorbidités psychiatriques

 

La comorbidité en psychiatrie doit être étudiée en tenant particulièrement compte du fait que les troubles peuvent s'associer aussi bien de façon simultanée que longitudinale. Ce deuxième cas de figure ouvre la voie aux perspectives de prévention. Comme le rappelle Th. Lemperière (30), en pratique, il faut retenir que, par rapport aux troubles isolés, les troubles comorbides ont tendance à être plus chroniques et moins réactifs aux traitements. Ils donnent lieu à une demande de soins plus fréquente. Dans une perspective de prévention, on peut penser, par exemple, que le traitement précoce des troubles anxieux pourrait réduire les risques de survenue de troubles dépressifs ultérieurs.

De nombreux travaux montrent que les troubles dépressifs sont comorbides avec d'autres troubles psychiatriques : troubles de la personnalité (cf. plus haut la section 3 – “ La dysthymie ”), alcoolisme et autres addictions, psychoses. Mais l'association qui pose le plus de problèmes diagnostiques est sans doute la comorbidité dépression et troubles anxieux. Il s'agit d'ailleurs d'un phénomène fréquent puisque, comme le montre l'ensemble des études épidémiologiques, 50 % des déprimés présentent un trouble anxieux comorbide, et 25 % des anxieux présentent un état dépressif comorbide (6) (12)

.

Le repérage de cette comorbidité n'est guère aisé, les deux entités ayant en commun de nombreux symptômes non spécifiques parfois difficiles à différencier. Dans la pratique quotidienne, certains symptômes sont cependant plus particulièrement évocateurs d'un état dépressif (12) :

 

·    le ralentissement psychomoteur,

·    l'anhédonie,

·    l'asthénie plus importante en début de journée,

·    l'insomnie matinale,

·    la perte d'appétit,

·    les idées de culpabilité,

·    les troubles cognitifs fonctionnels,

·    l'idéation suicidaire.

 

Sachant que l'association dépression-troubles anxieux accroît considérablement le risque de chronicisation et le risque suicidaire, son repérage doit constituer un des objectifs de toute prise en charge.