DU PROJET THERAPEUTIQUE AU PROJET DE VIE



1. La décision de soins



Quels sont les besoins et les attentes des patients en matière de prise en charge ?


Il ne sera pas question d’identifier le besoin comme le besoin exprimé, c’est-à-dire la demande de soins.
La demande de soins implique de la part du patient la prise de conscience qu’il éprouve une souffrance exagérée de type maladie et que ce problème est accessible aux soins.
Le besoin de soins, exprimé ou non, sous-entend l’existence d’interventions sociales ou thérapeutiques pour y répondre.
Les besoins des patients en matière de prise en charge renvoient donc aux données de l’épidémiologie.
Les données recueillies dans les enquêtes de population permettent de connaître les taux de prévalence des problèmes, que la personne ait ou non fait une demande de soins.
L’épidémiologie a pu mettre en évidence que, à un jour donné, environ 6 % de la population générale (ce qui est une moyenne admise) souffrent de trouble dépressif avéré.
Par ailleurs, les études montrent bien que, quand on prend en charge la dépression de ces 6 %, 60 % à 70 % de ceux qui reçoivent un antidépresseur présentent une rémission partielle ou complète et que 30 % à 40 % répondent au simple fait de la prise en charge (effet placebo). Ces études montrent aussi que, dans le domaine des soins psychologiques, les thérapies cognitivo-comportementales ont une efficacité. Il est admis, enfin, qu’il faut traiter pendant une durée de l’ordre de six mois.


Les besoins des patients consistent d’abord à savoir identifier ces 6 % qui ont un véritable trouble dépressif. Il faut ensuite gérer le fait que la moitié d’entre eux environ peut, au moins transitoirement, répondre soit à un effet psychologique, qui peut être l’effet placebo, soit à des psychothérapies et à des prises en charge. Dans tous les cas, il faut les suivre, les traiter un certain nombre de mois. Lorsqu’on met en route un traitement médicamenteux, il faut que ce soit pour un temps efficace.


Les attentes des patients sont déterminées premièrement par les besoins. Si leur niveau d’éducation sanitaire est parfait, il y a corrélation exacte avec les besoins ; mais, comme l’éducation sanitaire n’est pas parfaite, leurs attentes vont être aussi déterminées par autre chose que les besoins, à savoir par une certaine image individuelle et collective de la dépression.
Dans l'image de la dépression, on retrouve la grande confusion entre la dépression “ maladie ” et la dépression “ réaction ” (maladie réactionnelle ou réaction physiologique à une situation difficile).[1]

Les attentes des patients, c'est non seulement qu'on satisfasse à leurs besoins, mais aussi qu'on sache dénoncer les situations pathogènes éventuellement inductrices de maladies dépressives vraies, ou, en tout cas, des situations de souffrance.
Cet écart entre attentes et besoins, on le retrouve largement dans la façon dont les médias traitent de la dépression. Ils en traitent presque toujours avec une très grande ambiguïté ; ils n'arrivent pas bien à distinguer entre la notion de maladie, la réaction, etc. Les articles des journalistes décrivent beaucoup plus les attentes qu'ils n'expriment les besoins.

Les attentes des patients, c'est qu'on les aide à rayer les “ parce que ”, car même le patient le plus déprimé dit : “ Je suis déprimé parce que... ”

Les conceptions sociales ou personnelles de la maladie ont une grande influence – on l’a déjà vu dans le premier chapitre de ce même rapport – sur l’accès aux soins.
Le système de croyances autour des causes et de la nature des troubles est un aspect fondamental de la prise en charge.

Le public non médical manifeste souvent un besoin de causalité, une tendance spontanée à établir des liens d’une manière linéaire. Les notions d’interaction, de multicausalité et de circularité ne correspondent pas à une vision psychologique “ naturelle ”.
Que l’origine de la maladie soit située par le patient au-dehors (“ c’est mon travail, ou mon chômage, ou mon mari, ou ma solitude, qui m’a rendu comme ça ; donc ni vos bonnes paroles, ni vos médicaments ne pourront changer cela ”) ou à l’intérieur de son Moi (“ tout est de ma faute... vous n’y pouvez rien ”), l’attribution d’une cause à la maladie sera souvent une gêne au traitement et un argument d’inobservance. (36)

Une étude menée en Angleterre sur l'image de la maladie dépressive a mesuré l’évolution de cette image au cours du déroulement d’une campagne d’éducation sanitaire (Defeat Depression Campaign) qui a duré cinq ans (de janvier 1992 à la fin de 1996). L’article de E. S. Paykel (39) rapporte les changements positifs observés après la campagne dans les attitudes populaires à l’égard de la dépression .


Peut-on distinguer au niveau des attentes une “ dépression du généraliste ” et une “ dépression du psychiatre ”?


Il a été signalé dans le premier chapitre de ce rapport (“ La démarche qui amène ou non à consulter ”) que, lorsque le déprimé consulte, il présente d’une manière différente les manifestations de sa dépression selon qu’il s’adresse à un médecin généraliste ou à un psychiatre.
Les plaintes du patient déprimé sont essentiellement somatiques dans le cabinet du généraliste et les trois symptômes prédominants sont la fatigabilité, l’anxiété et l’insomnie. Chez le psychiatre, les symptômes prédominants sont l’humeur dépressive, les signes de douleur morale, les signes d’autodévalorisation et le ralentissement psychomoteur.
L’” écoute ” et l’exploration des symptômes par ces praticiens varieraient également en fonction des formations et des “ vocations ”, ce qui peut être un facteur inducteur des présentations par les patients, hormis le fait que les rôles professionnels du médecin généraliste ou du psychiatre sont déjà des “ conditionnants ” non négligeables pour les patients.
En revanche, les études cherchant à démontrer que les dépressions prises en charge par le généraliste étaient de nature et d’intensité différentes de celles prises en charge par le psychiatre n’ont pas donné de résultats concordants.

Il est plutôt admis aujourd’hui que le pourcentage de dépressions majeures (caractérisées) de plus ou moins grande intensité est équivalent pour les deux spécialistes. (6)

Michael Kerr et Anthony Mann ont fait une étude, à Londres, sur la dépression en population de spécialistes et la dépression en soins primaires. (21) Ils ont montré qu'avec les outils scientifiques du moment, on ne mettait en évidence aucune différence. La dépression est bien la même.
En revanche, cette première étude comparative a servi à démontrer que les attitudes des médecins généralistes et des psychiatres à l’égard de la dépression et de son traitement étaient, elles, différentes, indépendamment des caractéristiques des tableaux présentés par les patients.
Ce questionnaire a permis de reconnaître quatre dimensions : l’attitude envers le traitement, l’aisance professionnelle à faire face à ce type de patients, la croyance sur la malléabilité des syndromes dépressifs, et l’identification de la dépression.
Les médecins généralistes ont un peu plus de mal à gérer les situations présentées par le patient déprimé et trouvent la tâche moins gratifiante. Dans cette étude, les généralistes présentent également plus de difficultés à établir le diagnostic, ayant tendance à considérer le tableau dépressif comme un avatar lié aux événements de vie et relevant finalement peu de la consultation de médecine. Le pourcentage des praticiens prescrivant des antidépresseurs à des doses inférieures à celles préconisées ou pendant des durées plus courtes était plus élevé chez les généralistes et coïncidait avec un “ score ” faible pour la notion d’un dysfonctionnement biochimique dans la dépression et avec une moindre conviction sur la pertinence d’un tel traitement.


Très souvent, le déprimé ne veut pas reconnaître qu’il est malade. L’en convaincre est une étape non négligeable. Face à un déprimé, le médecin doit d'abord se convaincre lui-même qu'il a bien affaire à un déprimé, puis convaincre le malade. Cela peut nécessiter plusieurs jours et n'est pas facile.

Quels sont les préalables scientifiques qui fondent la prise en charge selon le praticien ?

1. Premièrement la connaissance de la symptomatologie et de l'évolution des maladies dépressives.
C’est ce qui fonde la prise en charge : la possibilité, à un moment, de poser le diagnostic de dépression et la possibilité aussi de reconnaître que ce diagnostic n’est plus fondé. En effet, la dépression est une maladie, dans la majorité des cas, totalement réversible et curable. C’est ce qu’ont bien observé les Anciens qui parlaient de “ folie intermittente ” ; cette réversibilité existait naturellement avant les antidépresseurs.
2. Deuxièmement les résultats des essais thérapeutiques, qui montrent la pertinence des prises en charge médicamenteuses et psychologiques, pouvant écourter la phase aiguë de la maladie, éviter des complications (notamment le suicide) et traiter le risque d’aggravation ou d’un passage à la chronicité.
3. Le troisième préalable scientifique se fonde sur la connaissance du pronostic de l’épisode dépressif (que l’on sait de plus en plus complexe et péjoratif), et la place des traitements efficaces dans la prophylaxie des formes majeures de dépressions. La prévention d’une nouvelle récurrence est une préoccupation dès le premier épisode, après sa rémission.

Il convient de préciser que, malgré la somme impressionnante de travaux concernant les antidépresseurs et leur action au niveau du système nerveux central, et les progrès dans la connaissance des modifications biochimiques ainsi induites, le mécanisme d'action précis de ces médicaments reste ignoré.
Aujourd’hui encore, on ne connaît pas la physiopathologie précise de la dépression, ou des maladies dépressives.
L’hypothèse d’une “ voie finale commune ” à l’action des tous les antidépresseurs et de l’électroconvulsivothérapie (modification par désensibilisation des récepteurs postsynaptiques) a longtemps été explorée.
Les interactions des systèmes de neurotransmission, noradrénergique, sérotoninergique, dopaminergique et peut-être également GABAergique et peptidergique sont un élément de complexité et, sans doute, d’entrave à une modélisation de la physiopathologie des troubles dépressifs.
Une meilleure connaissance des mécanismes intracellulaires (“ postrécepteurs ”) permettrait de comprendre les interactions existantes. (25) (26)

Un élément majeur est la notion d’antécédents familiaux, qui soulève la question de l’existence d’une charge héréditaire. La notion de troubles dépressifs ou de gestes suicidaires dans la famille est un argument fort pour retenir le diagnostic de trouble dépressif et décider la mise en œuvre d’un traitement.

Quelle négociation pour aboutir à un objet commun “ dépression ” ?


Le patient arrive chez le médecin avec une théorie, le “ parce que ” (attribution de son état à une cause ou à une série de situations causales, ce qui suppose une justification de l’état) ; de son côté, le praticien a des préalables scientifiques, un modèle de la dépression reposant sur un certain nombre d’arguments : cliniques, physiopathologiques, psychopathologiques, pharmacologiques. Toute la tâche consiste à “ négocier ” ce changement de théorie avec le patient. Maintenant, il faut convaincre le patient qu'il doit être traité pour maladie, et prendre en compte la place de cette rupture dans sa trajectoire.

La “ négociation ” consiste premièrement pour le médecin à aborder l'écoute des symptômes dépressifs sans a priori physiopathologique ou psychopathologique. C'est la première étape de la négociation. La bonne démarche serait donc de pouvoir écouter, et éventuellement recenser et identifier ce qui peut être indicateur d'une maladie dépressive.
Donc, la première négociation consiste à dire au patient : “ Moi, je mets à l'écart toute théorie... vous aussi, mettez à l'écart toute théorie et essayons de voir en quoi vous souffrez, en quoi vous êtes handicapé, etc. ”

Ensuite, le médecin doit rechercher activement des symptômes à partir desquels puisse se discuter le diagnostic de dépression. A ce moment-là peuvent être confrontées les théories du patient (“ parce que... ”) aux théories du médecin. Cela leur permet de parvenir ensemble à identifier le halo de la maladie dépressive, son contour : l'évolution de cette maladie dépressive, les facteurs éventuellement dépressogènes et les facteurs qui peuvent être thérapeutiques.

Cette “ décentration ” de ses “ parce que...” proposée au patient ne veut pas dire que l’on doit ignorer les différents événements qui ont pu être des facteurs déclenchants de l’épisode dépressif et qui risquent de façonner son évolution. Cela ne veut pas dire non plus que ces facteurs déclenchants ne devront pas être pris en compte lors de l’organisation des soins et tout au long du suivi.
En effet, le rôle des événements de vie dans l’apparition des tableaux dépressifs est largement admis, même pour les formes d’aspect le plus endogène. (33)

Ce rapport entre les facteurs stressants de vie et la dépression ne serait pas établi uniquement par l’intermédiaire des réactions psychologiques déjà fort connues.

Certains chercheurs, dont Post (7), étudient l’impact de ces événements sur les mécanismes neurobiologiques sous-tendant la pathologie dépressive, par le biais d’une transcription au niveau génique.


Mais il est admis également (les différents auteurs le dénoncent d’une manière concordante) que l’attribution d’une cause à la maladie par le patient gênera le traitement et constituera pour le médecin une entrave à l’établissement du diagnostic.
Cela est exemplaire avec le sujet âgé. Si le médecin plonge dans le propos du sujet âgé qui dit : “ Je n'ai pas le moral parce que j'ai quatre-vingt-cinq ans ”, il ne va pas être capable d'identifier si le patient est ou non véritablement déprimé et ce qui justifie de traiter ou de ne pas traiter.
D’ailleurs, à propos de la dépression chez le sujet âgé, il est étonnant de constater la force avec laquelle les gens (y compris les médecins, bien sûr !) croient à l’idée que la vieillesse est synonyme d’humeur dépressive et de désespoir de vivre.
Une étude récente multicentrique au niveau européen (11) a pu démontrer, malgré les quelques limitations méthodologiques signalées par les auteurs, que la proportion de personnes âgées et très âgées contentes de vivre était bien plus élevée qu’on ne pouvait l’imaginer, variant de 60 % à 80 % selon les centres. Avec le vieillissement, et malgré l’augmentation inévitable de situations invalidantes, ce taux ne se modifie pas. Il n’est donc pas normal d’être déprimé quand on est vieux !
Dans cette même étude, il est remarqué que la présentation symptomatique de ceux qui souffraient d’une certaine détresse morale montrait quelques différences de type culturel d’un pays à l’autre, mais sans altérer la prévalence des troubles dépressifs, qui restait plutôt stable. Enfin, le groupe de patients, réduit, réunissant les critères de dépression caractérisée ne recevait malheureusement pas de traitement approprié.

Définir un objet commun de dépression appartient à la situation clinique. Il y a naturellement une forte incompréhension et une ambiguïté à propos du mot “ dépression ” quand on sort de la situation clinique.

Un des problèmes liés à cette identification est dû au fait qu'il n'y a pas d'examen paraclinique qui viendrait confirmer le diagnostic de dépression.

L'objet commun “ dépression ” n'est pas un objet a priori : c'est un objet clinique, que le médecin et le malade doivent identifier à partir de leur expérience. Ils doivent tracer les contours de cet objet et, ensuite, confronter leurs théories : les croyances éventuelles pour l’un, et, pour le médecin, un fois qu'il sait qu'il a affaire à cet objet, ses connaissances ainsi que son expérience sur l'évolution, le traitement, les risques, etc.

Dans les articles psychiatriques concernant la prise en charge, il est fait mention de la nécessité d’informer les patients de la nature des troubles. Cette tendance est encore accrue de nos jours du fait des modifications dans la conception des obligations des médecins et des droits des patients. Le modèle généralement invoqué pour informer sur la dépression est un modèle psychophysiologique dans lequel l’état du patient est une résultante biologique commune de processus divers quant à leur causalité. (16) C’est un modèle généralement acceptable par les patients, mais certainement pas par tous.


Ce dégagement de l’état par rapport à la cause peut encourager le patient à considérer sa maladie comme n’importe quelle autre, à ne pas s’en sentir excessivement coupable sans pour autant en attribuer la faute à l’entourage, et à ne pas se considérer non plus comme psychiquement anormal. Cet abord présente sans doute des avantages réels pour le suivi, mais aussi des inconvénients. (38)


Quelles questions se posent les patients à propos des médicaments de la dépression ?


Les auteurs qui ont étudié la question de l’observance du traitement antidépresseur (compliance) sont d’accord pour signaler que l’une des raisons de refus du médicament est la croyance que la dépression est la conséquence d’un stress ou d’un événement de vie et que, s’agissant d’un phénomène psychologique, on doit lui opposer un traitement également psychologique et non un médicament.[2]
Cette attitude de refus de base à l’égard des antidépresseurs, estimée toucher 20 % des patients (38), n’est pas très éloignée des positions personnelles de méfiance, plus générales, sur “ tout ce qui est médicament ”.

Plus particulièrement, dans les questions que les patients se posent à propos des antidépresseurs, il revient souvent la peur d’en dépendre.
Il y a là sûrement une confusion avec les benzodiazépines, devenues dans la population générale le prototype même de tout psychotrope.
Mais il y a aussi, sans doute, des raisons psychopathologiques à cette crainte. On peut ainsi penser que le vécu “ d’impuissance apprise ”, isolé par les thérapeutes cognitivistes, ou les habitudes autopunitives contribuent à ce que le sujet déprimé garde l’illusion qu’il n’ira jamais bien sans l’aide du médicament. (19)

Une étude australienne (20) menée en population générale (plus de mille participants) a cherché à évaluer les croyances sur les moyens thérapeutiques en psychiatrie :

- 83 % des sujets considèrent qu’une prise en charge par le médecin généraliste suffirait.

- 74 % pensent en termes positifs à une prise en charge par un conseiller (counsellor) – services d’écoute téléphonique, associatifs ou autres.

- Seulement 51 % croient à l’intérêt d’impliquer un psychiatre, ou un psychologue (49 %) dans les soins.


Dans cette enquête, la plupart des traitements psychiatriques classiques (antidépresseurs, électroconvulsivothérapie, hospitalisation) sont surtout jugés comme pouvant causer plus de préjudices que de bénéfices.


Il ressort de cette étude que les “ soins alternatifs ” (augmenter l’activité sociale et sportive, la relaxation, les techniques de gestion du stress, la lecture individuelle d’ouvrages traitant de la question, les vitamines et les régimes alimentaires) sont souvent préférés.

R. Priest (42) a aussi étudié les attitudes spontanées de la population (sur un échantillon de 2 003 sujets) à l’égard de la dépression peu avant le lancement de la campagne d’éducation menée en Angleterre (Defeat Depression Campaign) :

- A propos des traitements de la dépression, une grande majorité (78 %) considère que les antidépresseurs entraînent une dépendance pharmacologique et qu’ils atténuent les symptômes sans résoudre le problème.

- Seulement 16 % des participants considèrent les antidépresseurs comme une thérapeutique de choix pour la dépression.

- 91 % pensent que l’action d’un conseiller (counsellor), particulièrement à travers un travail groupal (de partage d’expériences), est un traitement idoine et efficace.

- Par ailleurs, les patients craignent l’accoutumance et la dépendance physique aux antidépresseurs, jugés comme étant des “ produits forts ”.


Sont toxicomanogènes les substances qui induisent une accoutumance (nécessité au fil du temps d’augmenter la posologie pour obtenir le même effet) : les antidépresseurs ne sont pas toxicomanogènes. Cependant, ils produisent un nouvel équilibre biologique et psychologique : à l’arrêt brutal du traitement peuvent surgir des symptômes très transitoires, traduisant une rupture d’équilibre acquis, révélée par des symptômes physiques (nervosité, troubles du sommeil, irritabilité...) ou psychiques (anxiété). Cela a abouti à la description d’un syndrome de sevrage dès l’introduction des premiers antidépresseurs. Ce syndrome de sevrage aux antidépresseurs serait hautement corrélé aux propriétés anticholinergiques de certains produits et pourrait se manifester par de l’anxiété avec agitation et troubles digestifs, myalgies et céphalées, des troubles du sommeil, un syndrome extrapyramidal ou akathisie, des attaques de panique, de l’arythmie, voire des idées délirantes ou des réactions maniaques brèves. (24)
La survenue de ces manifestations est habituellement prévenue par la diminution progressive de la posologie (environ 25 % par mois) au moment d’envisager l’arrêt du traitement.

Les effets secondaires liés aux antidépresseurs sont divers : cliniques, biologiques et électrophysiopathologiques. (24) La liste de ces effets indésirables est exagérément exhaustive et il n’y a pas lieu de la détailler ici. Pour certains d’entre eux, l’imputabilité à la molécule reste discutable : ils seraient dépendants du trouble dépressif ou liés à un effet nocebo de la prescription.


“ Est-ce que cela ne va pas me faire dormir ? ” est une des questions que les patients posent fréquemment à propos des antidépresseurs en particulier, et des psychotropes en général.
En ce qui concerne la somnolence diurne et les troubles de la vigilance, ceux-ci peuvent s’observer avec les produits sédatifs ou médians. Les gestes professionnels précis, la conduite automobile, ainsi que la concentration intellectuelle peuvent être de ce fait entravés. Ces effets régressent habituellement au bout de quelques jours. Les patients risquent d’avoir l’impression que leur état dépressif s’est aggravé depuis l’instauration du traitement.

Quelles questions posent les antidépresseurs d'un point de vue scientifique ?


Il ne s’agit pas de la question de l'efficacité, ni de celle des effets indésirables.
En effet, il est aujourd’hui bien établi que les antidépresseurs demeurent au rang de traitements biologiques capables de lever les symptômes de maladie dépressive sans en corriger la physiopathologie. Ils ont un effet suspensif et non curatif de la maladie dépressive (laquelle peut récidiver). (25)

Malgré leur efficacité prouvée, les antidépresseurs posent encore beaucoup de questions, non seulement au niveau de leur mécanisme d’action, mais aussi de leurs effets comportementaux et cognitifs, à court et à long terme. (1) (29)

Les antidépresseurs posent surtout deux questions importantes : la question du lien entre antidépresseurs et vieillissement cérébral, et la question concernant leurs effets sur l’humeur des sujets non déprimés.

1 – “ Est-ce que la maladie dépressive est une maladie qui va précipiter le vieillissement cérébral ? ”


Peut-être par des phénomènes de stress via l’axe corticotrope... entraînant alors des effets délétères ? On se pose de plus en plus de questions sur le vieillissement du malade déprimé récurrent.

D'autre part, on connaît depuis longtemps les liens entre les maladies dégénératives, telles que la maladie d'Alzheimer, et la dépression. Le fait qu'on découvre un Parkinson ou une maladie d'Alzheimer chez un patient après des années de dépression et de traitement nous amène à nous poser des questions. Quand on prescrit des médicaments antidépresseurs, influence-t-on le vieillissement ? Est-ce qu'on l'accélère ? Est-ce qu'on le retarde ? Doit-on continuer les antidépresseurs pour protéger du vieillissement ou faire le contraire ?


Il existe à l’heure actuelle des travaux très intéressants mais amenant à des interprétations contradictoires. D’une part, on peut citer les recherches portant sur les facteurs neurotrophiques et les maladies dégénératives. Ces protéines, présentes en grande quantité dans le cerveau humain, jouent un rôle important dans le développement neuronal et, potentiellement, un rôle protecteur des détériorations précoces (troubles dégénératifs, incluant la maladie de Parkinson, la maladie d’Alzheimer, la sclérose latérale amyotrophique et les neuropathies périphériques). Or, le stress augmente la vulnérabilité des neurones de l’hippocampe et diminue ses facteurs neurotrophiques. A l’opposé, les antidépresseurs de toutes les familles chimiques, pris au long cours, ainsi que l’électroconvulsivothérapie, pourraient augmenter les niveaux de ces protéines protectrices. (31)

On peut également citer les travaux de McEwen concernant l’action d’une molécule antidépressive sur l’atrophie de l’hippocampe et le stress chronique, suggérant un effet préventif de cette molécule sur le vieillissement. (4)

Des similitudes biologiques existent chez le sujet âgé entre le vieillissement normal (et surtout pathologique), les conséquences du stress et la dépression. La tentation est forte de chercher l’impact des antidépresseurs (surtout à long terme) sur ces affections apparemment liées.
Cependant, il existe déjà des travaux cliniques cherchant à observer, chez le sujet âgé, l’impact sur la détérioration cognitive de la prescription des antidépresseurs à long terme. Les résultats n’ont pas mis en évidence l’intérêt préventif de ces molécules sur le vieillissement.
Ainsi, la question est posée, mais on ne dispose pas encore de la méthodologie pour y répondre.

2 – “ Est-ce que les antidépresseurs sont capables d'agir sur une humeur normale ? ”


L’action des antidépresseurs est susceptible de s’exercer dans toutes les catégories de troubles dépressifs.
Il est établi que les antidépresseurs déploient toute leur efficacité dans les dépressions bien caractérisées d’intensité modérée à sévère. Les travaux de Prien (40) sur l’efficacité préventive de l’imipramine comparée à celle du lithium dans les traitements à long terme sont souvent cités. Il ressort latéralement de ces recherches que les dépressions de faible intensité ne répondent pas aux antidépresseurs, ou répondent moins bien que les dépressions d’intensité sévère. Cette constatation illustre l’importance du terrain dans les productions des effets psychocomportementaux des psychotropes. (27)

L'humeur normale répond-elle aux antidépresseurs ?
La propriété de stimulation de l’humeur ne se manifesterait pas chez le sujet non déprimé, bien qu’une certaine euphorie ait pu être mise en évidence chez des sujets normaux avec l’imipramine et les IMAO (23). Les cliniciens remarquent que la prescription d’antidépresseurs chez le sujet sain n’entraîne pas d’euphorie à proprement parler.


Chez les sujets sains, l’antidépresseur peut produire, selon les cas, un effet stimulant, un effet anxiolytique, un effet amaigrissant, un effet hypnotique, ou encore un effet sédatif... Il s’agit bien des effets latéraux et souvent immédiats. De ce fait, le médecin peut être amené à prescrire, pertinemment, un antidépresseur à des personnes qui ne sont pas (ou plus) véritablement déprimées afin de faire bénéficier ces patients des effets latéraux. Mais y a-t-il une action du médicament sur l'humeur normale ? Cela, on ne le sait pas.

Si l’on pouvait démontrer que les antidépresseurs n'agissent pas sur l'humeur normale, comme il a pu être démontré que l'aspirine ne fait pas baisser la température normale mais fait baisser l'hyperpyrexie, ce serait un immense progrès.

Comment “ négocier ” le traitement médicamenteux ?


Le traitement médicamenteux devrait être plus facile à “ négocier ” que le diagnostic de dépression.
On dispose en effet de règles de bonne pratique qui consistent à présenter au malade les bénéfices et les inconvénients à prendre ce traitement.

On peut citer le texte des RMO (3). Dans l’introduction de ce texte, il est dit que le traitement médicamenteux d'une dépression ne saurait se réduire à l’acte unique de prescription de l’ordonnance.
La règle est de mettre en place les conditions psychothérapiques nécessaires pour qu’il existe un vrai échange d’informations sur les effets de la molécule. Ensuite, il faudra évaluer son efficacité, explorer la tolérance, ce qui offrira de nouvelles occasions pour accueillir les interrogations du patient et communiquer avec lui. Enfin, il est important d’informer sur l'évolution de la maladie et de rassurer sur la durée du traitement.

L’information favorise un meilleur suivi et une meilleure tolérance du traitement. C’est une manière de responsabiliser le patient en l’aidant à bien “ gérer ” son traitement. Pour certains médicaments, l’information peut être sommaire ; pour d’autres, elle doit être nécessairement exhaustive (IMAO, par exemple).

Le patient qui commence un traitement doit pouvoir le prendre sans la moindre inquiétude.

Quand la situation clinique le permet, il peut être intéressant de s’attarder avec le patient sur le contenu des notices qui accompagnent le médicament, car, si elles sont très insuffisantes pour ce qui est des conseils pratiques, l’énumération des effets secondaires, sans références aux fréquences d’apparition, est extrêmement détaillée. (16)

Dans certaines circonstances, il peut être nécessaire d’informer également l’entourage du patient, tout en veillant au respect de la confidentialité.


Dans tous les cas, cette information doit être adaptée, claire et accessible et ne doit pas alarmer le patient. Elle ne doit pas devenir une information pseudo-scientifique, réductionniste et simplificatrice (il n’est pas possible de réduire la dépression à une simple anomalie de la sérotonine...). (16)

Quelles sont les questions des patients à propos des psychothérapies ?


“ Faut-il vraiment que je prenne des médicaments ? Est-ce que cela ne relève pas d'une psychothérapie ? ”

Certains patients font une demande claire de psychothérapie, parfois d'emblée, souvent après une expérience négative avec des traitements antidépresseurs.

D’autres sont réticents à une telle démarche : “ Cela va prendre des années et des années. Je vais être encore plus perturbé à la fin. Les psys sont plus malades que leurs patients. Je ne saurai que dire au bout de quelques séances. Je ne supporterai pas quelqu'un qui ne parlera pas en face de moi. On devient complètement dépendant de son thérapeute. ”
Les thérapies cognitives et comportementales ne durent pas des années et des années. Mais les patients le savent-ils ? Par psychothérapie, ils entendent encore une démarche psychologique d’exploration subjective de soi face à un psychologue.

Le résumé de ces interrogations serait : “ Qu'est-ce que c'est ? Est-ce que cela va marcher ? ”

Ces questions, souvent posées sur les traitements biologiques, n’épargnent pas les psychothérapies, à un moment où, dans l’opinion publique, les soins “ alternatifs ” (la relaxation, les techniques de gestion du stress, la lecture individuelle d’ouvrages traitant de la question, les vitamines et les régimes alimentaires) sont nettement préférés.[3]

Il existe deux grandes familles en psychothérapie : les thérapies psychodynamiques (cures psychanalytiques et psychothérapies d’inspiration analytique) d’une part, les thérapies cognitives et comportementales d’autre part. (15)
Depuis ces dernières années, surtout dans les pays anglo-saxons, il est question également de psychothérapies interpersonnelles, qui sont des psychothérapies alliant des aspects psychodynamiques et psychoéducatifs dans une approche codifiée et limitée dans le temps (psychothérapies dites “ brèves ”).


Psychothérapies psychodynamiques

Ces psychothérapies sont structurées essentiellement au niveau du cadre technique : thérapeute non directif, plusieurs séances par semaine, une durée conséquente sur plusieurs années. Leurs objectifs sont larges et ne ciblent pas forcément la levée des symptômes. L’indication d’une telle psychothérapie ne peut nullement se poser en termes de soins en urgence et nécessite une motivation toute particulière de la part du patient.
Il est donc exceptionnel de commencer ce type de traitement pendant la phase aiguë de la dépression. D’ailleurs, ce n’est pas recommandé.

Nous n’allons pas décrire ici la cure type freudienne. Nous dirons seulement qu’elle s’attache à la notion d’inconscient, à la répétition dans la vie adulte des conflits infantiles non résolus et qu’elle appuie son travail et son efficacité sur la relation imaginaire et fantasmatique qui s’instaure entre le patient et son analyste. L’analyse de ce “ transfert ” est le propre de la méthode freudienne.

Les psychothérapies d’inspiration psychanalytique (PIP) proposent un cadre un peu moins contraignant, du fait qu’elles utilisent moins directement l’analyse du transfert et des résistances. La lecture théorique des aspects conflictuels reste “ inspirée ” de la psychopathologie freudienne, ce qui exige de la part du thérapeute une formation psychanalytique solide. Il s’agit d’une thérapie qui se déroule en face à face avec le patient et inclut, de ce fait, des éléments empathiques et relationnels plus significatifs que dans la cure type.

Psychothérapies comportementales

Dans le cas de la dépression, leur base théorique est celle des apprentissages inadéquats ou insuffisants des renforcements sociaux. La psychothérapie comportementale vise à modifier ce déficit à travers une stratégie progressive bien codifiée consistant à réapprendre à “ gérer ” ses expériences relationnelles et à restaurer l’estime de soi.
Ces programmes appuyés sur des techniques d’affirmation de soi se déroulent suivant un calendrier préalablement fixé.
L’indication est plus facile à poser et le traitement peut débuter en phase aiguë de la dépression, à moins que l’intensité de celle-ci ne soit trop importante. Cette thérapie peut également avoir une valeur préventive certaine chez des sujets qui présentent une vulnérabilité dépressive.


Psychothérapies cognitives

Pour les cognitivistes, la dépression peut être expliquée par la présence de distorsions dans les manières de penser, typiques de l’humeur dépressive : vision négative de soi, du monde et de l’avenir. A. T. Beck a décrit cette triade cognitive de la dépression.
Dans les thérapies cognitives, il est question tout d’abord de repérer ce fonctionnement mental stéréotypé, pour chercher ensuite à “ remplacer ” ces cognitions par des pensées positives alternatives. La méthode pour atteindre ces objectifs est directive et comprend des techniques de relaxation et une démarche psychoéducative. Elle suit progressivement une stratégie d’actions qui se déroule sur un nombre limité de séances pendant une durée de trois à six mois.

Thérapies cognitivo-comportementales (TCC)

Les thérapies comportementales ont précédé les thérapies cognitives, qui se sont développées durant les années 70. L’intégration de ces deux techniques a conduit à la forme actuelle des thérapies cognitivo-comportementales (TCC) de la dépression.
Ces TCC portent l’attention sur les aspects actuels et accessibles à l’observation de la pathologie dépressive, et ciblent des modifications concrètes de la symptomatologie. Elles se prêtent bien à l’évaluation systématisée.
C’est la raison pour laquelle elles apparaissent actuellement comme étant plus indiquées que d’autres pour soigner la dépression. (9)
Les études d’efficacité ont porté sur des dépressions caractérisées d’intensité mineure ou modérée, unipolaires, et sans symptômes psychotiques. L’efficacité sur les PMD n’a pas encore été étudiée, mais l’expérience plaide en faveur d’une association des techniques cognitives à la chimiothérapie. (22)

Autres approches psychothérapiques

En dehors des thérapies structurées, brièvement décrites ci-dessus, il existe une psychothérapie non codifiée dans sa technique, que l’on appelle volontiers psychothérapie de soutien. Elle représente une forme de thérapie médicale relationnelle, habituelle de tout acte médical, basée sur l’empathie qui permet au patient de s’exprimer librement et en confiance, sur le soutien et l’appui narcissique, et qui comprend une dimension directive de conseil, d’information et d’explication.

La prise en charge psychothérapique comporte plusieurs avantages : absence d’effets secondaires physiologiques, efficacité possible chez certains patients non répondeurs aux thérapeutiques biologiques, possibilité théorique de favoriser la prévention des récurrences par une meilleure compréhension et/ou l’évitement des situations favorisant une rechute. (36)


– “ Qu’est-ce qui est plus efficace, la psychothérapie ou le traitement par médicaments ? ”

Ces vingt dernières années, une nouvelle méthodologie a été développée pour pouvoir évaluer les effets des psychothérapies dans la dépression, en tant que traitement unique ou en association aux médicaments antidépresseurs. (41)

Cette méthodologie inclut les conditions auxquelles sont soumises les études pharmacologiques, à savoir : protocole thérapeutique standardisé, groupe de contrôle, distribution aléatoire des patients (randomisation), évaluation en double aveugle.
La plupart de ces études ont été menées avec des patients pris en charge en ambulatoire et n’ont pas inclus des patients déprimés mélancoliques ou bipolaires. (41)

Plusieurs difficultés subsistent qui rendent ces études comparatives encore bien imparfaites. Cependant, il a pu être établi que les psychothérapies (TCC, thérapies interpersonnelles et de soutien) possèdent une efficacité comparable aux antidépresseurs, bien que leur action soit moins rapide (au-delà de 4-6 semaines) et donc moins patente en début de traitement. Leur efficacité se rapproche davantage de celle des antidépresseurs dans le long terme et elles auraient un impact préventif supérieur au niveau des rechutes et des récidives (cela a été démontré tout particulièrement pour les TCC). (14)

Lors d’un épisode dépressif aigu d’intensité légère ou modérée, une prise en charge psychothérapeutique isolée peut être envisagée lorsque le patient choisit ou préfère cette approche thérapeutique. Cette stratégie n’est pas recommandée chez les patients présentant une intensité sévère des troubles et/ou la présence de symptômes psychotiques ou mélancoliques. (36)

La psychothérapie en phase initiale comme traitement unique de la dépression peut être également indiquée en présence de facteurs psychosociaux stressants, d’une conflictualité interpersonnelle ou interne importante, ou en cas de comorbidité avec des troubles de la personnalité. Par ailleurs, la psychothérapie peut être le traitement initial quand il existe des contre-indications à l’instauration d’un traitement par antidépresseurs, par exemple en cas de grossesse ou d’allaitement. (2)

–“ Peut-on associer les deux traitements ?”

L’idée – simpliste – que le médicament traite la phase aiguë et que la psychothérapie ne vient qu’en consolidation doit être remise en question.
Cette notion repose sur l’idée que la démarche psychothérapique exige du patient une capacité à penser et à disposer librement de son raisonnement et de ses associations d’idées et d’affects, capacité qui est fortement entravée au début de la dépression. Elle repose aussi sur l’idée que la psychothérapie n’a une efficacité que reconstructive sur les séquelles et les conséquences existentielles de la maladie. Dans les meilleurs des cas, donc, la psychothérapie aurait une efficacité préventive.


Cependant, l’abord psychothérapique en phase aiguë, s’il est particulier et adapté techniquement à cette situation, n’est pas à exclure, d’autant plus que, parfois, la qualité et les résultats du traitement psychologique qui suivra cette phase aiguë en dépendront.

Une étude récente (12) menée sur 2 678 patients paraît confirmer la notion déjà soulignée par d’autres auteurs que l’adjonction d’une psychothérapie assurée par un spécialiste à la prise en charge médicamenteuse permet de garantir de meilleurs résultats à moyen terme, lors des traitements de consolidation et de prévention. Malgré les limitations méthodologiques, cette étude vient appuyer une notion clinique facilement acceptable et démontrer que cette “ double ” prise en charge (menée dans cette étude par un médecin généraliste et un psychothérapeute du secteur public), qui ne s’avère pas nécessaire pour tous les patients, n’est pas plus onéreuse au vu de l’analyse finale coût/bénéfices.

Lors de la phase aiguë, l’association chimiothérapie-psychothérapie doit être envisagée dans certains cas : symptômes dépressifs chroniques ou rémission de mauvaise qualité antérieure à l’épisode actuel, efficacité partielle de chacun des deux traitements administrés isolément, antécédents de difficultés psychosociales, mauvaise observance antérieure au traitement.
Lors de la phase de maintenance, l’association chimiothérapie-psychothérapie a surtout été vérifiée chez les patients unipolaires.

Les troubles dysthymiques chroniques et un taux élevé de rechutes parmi les antécédents personnels confèrent toute sa valeur à cette association thérapeutique. (36)

Par ailleurs, il a déjà été dit qu’en dehors des psychothérapies structurées, le soutien psychothérapique propre à la relation médecin-malade est une composante fondamentale du traitement médicamenteux de la dépression (3) et que cet accompagnement améliore également l’observance.

Quelles interrogations posent les psychothérapies du point de vue médical ?


Pour le médecin, les interrogations concernant les psychothérapies ne diffèrent pas beaucoup de celles que l’on vient de considérer : d'abord les indications, les contre-indications, l'efficacité, l'évaluation. Ensuite, l'opportunité.
Pour ce qui est de l’opportunité, il est généralement admis avec un accord professionnel fort qu’un patient atteint de dépression d’intensité sévère (dépression avec symptômes psychotiques ou mélancoliques) n’est pas en mesure de réaliser le travail associatif nécessaire à la “ remise à niveau du fossé énergétique ” – pour reprendre une terminologie neurobiologique – dont il souffre. (44)
Dans ces cas, le recours à des techniques de soins biologiques s’impose dans un premier temps (sismothérapie, antidépresseurs).


Du point de vue médical, les psychothérapies posent les questions de leur mécanisme et du support de leur action à propos de ce que nous identifions comme une maladie.
On peut comprendre les effets d’une psychothérapie en termes de psychologie ; en revanche, il est moins simple de comprendre comment une psychothérapie peut agir sur un domaine psychopathologique. Soit elle agit par des mécanismes psychologiques et c'est donc une influence d'un facteur psychologique sur le processus psychopathologique. Soit cela pose une autre question, celle des supports fonctionnels objectivables.
Qu'est-ce qui fait par exemple que, lors d’un processus pathologique dépressif, l’abord psychothérapique amène un certain changement ? S’agit-il simplement d’une action psychologique facilitant d’autres actions, également psychologiques, qui peuvent faire relativiser le vécu subjectif de la douleur morale et de la souffrance dépressive ? Y a-t-il une action psychique et/ou neurobiologique entraînant un véritable changement psychopathologique ?

Médicalement, cette question nous amène donc à étudier la manière de résoudre les multiples difficultés méthodologiques. Au fond, nous ne pouvons, à l’heure actuelle, qu’émettre le vœu de la mise en place d’études valides d'un point de vue scientifique, qui permettraient non seulement une évaluation sur le plan clinique, mais aussi des progrès dans la connaissance des mécanismes qui peuvent sous-tendre la finalité d'une psychothérapie.

Quelle négociation pour engager une psychothérapie ?


Faut-il transmettre le message d'une indication et, si oui, comment ? Que dit-on sur les modalités, qu'indique-t-on sur les résultats possibles, sur les conditions de faisabilité ? Qu'est-ce qu'on dit attendre du sujet. Est-ce qu'on lui promet un échange ?

Une fois l'indication posée et le thérapeute persuadé de l'intérêt de la psychothérapie, reste à négocier avec le patient sa faisabilité.
Tout d'abord, il y a la psychothérapie non désignée en tant que telle. Dans ce cas, la négociation va consister pour le médecin à convaincre, à partager une conviction avec le patient sur la pertinence et le caractère rassurant de ce qui est proposé. C'est-à-dire la pertinence en termes d'efficacité, de sécurité, de pronostic ; c’est le propre de la relation médecin-malade.

La deuxième situation est celle où l’on propose au patient une psychothérapie qui va agir sur les symptômes de dépression proprement dits, et pour laquelle on va :
désigner des objectifs, c'est-à-dire la levée des symptômes ;
indiquer un calendrier, donc donner le nombre approximatif de séances ;
par conséquent, énoncer implicitement les critères d'évaluation, puisque ce sera la levée des symptômes.
C'est ce que proposent les thérapies cognitives et comportementales.


Le troisième cas est celui d’une psychothérapie qui ne se donne pas comme objectif immédiat la levée des symptômes mais l'amélioration d'un fonctionnement psychique global, c’est-à-dire des traits de personnalité qui peuvent être identifiés comme dépressogènes ou comme facteurs de pérennisation de la dépression
A ce moment-là, les objectifs sont beaucoup moins bien définis, beaucoup moins précis, parce que beaucoup plus larges. Il n'y a pas de calendrier. Ce qui est proposé peut correspondre à la nature des troubles et des difficultés du patient. Ce type de psychothérapie psychanalytique s’accorde aussi aux références théoriques du sujet.

On n'engage pas une psychothérapie de la même manière selon qu'il s'agit d'une psychothérapie de soutien ou d'une psychothérapie codifiée : cognitive, comportementale ou psychanalytique, sans parler des thérapies conjugales, familiales, etc. qui sont, elles, du fait de leur appellation, un peu plus ciblée.

La négociation de la psychothérapie de soutien n'est pas explicitement énoncée, alors que, dans les thérapies codifiées, il y a une explicitation et une définition de ce que peuvent être les objectifs.
Dans la thérapie cognitive, ce sera surtout la levée des symptômes.
Dans la psychanalyse, ce sera le remaniement d’un fonctionnement plus global qui sera visé ; l’objectif sera bien évidemment de laisser un peu de côté les symptômes dans leur aspect manifeste et d’inviter le patient à vaincre ses résistances pour travailler dans la recherche des sens possibles donnés à un tel comportement.

Selon la personne, pour une même pathologie, on pourra éventuellement changer les propositions. Il peut être intéressant, partant de là, de se dire qu'effectivement il n'y a pas de psychothérapie sans négociation et donc sans contrat, qu’il s’agisse d’un contrat très bien défini quant aux objectifs ou très bien défini quant au cadre.
Dès lors qu'il n'y a pas une telle négociation, la part psychothérapique plus implicite a simplement une fonction de soutien inhérente à toute situation médicale.

Quelles sont les questions spécifiques posées par un traitement thymorégulateur du point de vue du patient et du point de vue de soignant ?


Un traitement thymorégulateur constitue la thérapeutique de choix au moment d’envisager la prévention des troubles thymiques. Cette prévention s’applique tout particulièrement aux troubles cycliques, c’est-à-dire aux troubles maniaco-dépressifs, bipolaires ou unipolaires.

L’efficacité d’une molécule thymorégulatrice (lithium, carbamazépine, valproate, pour ne citer que les principales) se définit de différentes manières : réduction de la fréquence, ou de la durée, ou de l’intensité des épisodes thymiques pathologiques. (34)


La première question sera donc de savoir quels vont être les critères d'efficacité du thymorégulateur :

- Prophylaxie des accès maniaques ?

- Prophylaxie des accès dépressifs ?

- Prophylaxie des variations de l'humeur ?

- Prophylaxie du comportement suicidaire ?

- Prophylaxie de quoi ?

- Comment peut-on définir le risque ?

- Comment le patient peut-il le comprendre ?

- Comment le soignant peut-il le supposer ?


En principe, il est facile pour le médecin de dire à quelqu'un qui a déjà fait quatre épisodes maniaques, ou dépressifs : “ Maintenant, vous allez prendre du lithium pour ne pas recommencer. ” Le patient comprend, il sait de quelle prophylaxie on lui parle. Il y a d’autres situations qui sont moins évidentes.

Si le médecin propose au patient le lithium quand celui-ci n’a pas nécessairement été convaincu de l’existence ou de la gravité des épisodes dépressifs, il est fort probable que le patient s’interrogera sur la nécessité d’une prévention.

Ce que, souvent, le médecin ne dit pas assez au patient, c'est que, dans la prophylaxie, il y a aussi une prophylaxie contre le suicide. Cela est implicitement ou explicitement dit entre médecins, mais les médecins ne parviennent pas à dire au patient :“ Vous n'avez pas plus de chances que moi de vous suicider et, sans ce médicament, vous avez beaucoup plus de chances que moi de vous suicider ; donc je vous donne ce médicament pour cela. ” On peut déplorer qu’encore aujourd’hui, cette information soit du non-dit.

Les études montrent clairement, bien que leurs chiffres soient variables, que le risque suicidaire (ainsi que le risque de mourir prématurément d’une maladie organique, en particulier cardio-vasculaire) est nettement plus élevé chez les patients souffrant de troubles bipolaires. Certaines formes sont à risque encore plus élevé. C’est le cas des états mixtes et des manies dysphoriques par exemple : l’énergie et l’impulsivité (maniaques) ainsi que l’anxiété font courir aux malades, par ailleurs déprimés, un risque suicidaire accru. Les patients qui présentent des cycles rapides de variation de l’humeur ne semblent pas avoir un risque supérieur.(8)


Une action spécifique “ antisuicide ” du lithium, indépendante de l’action régulatrice de l’humeur, a été proposée par plusieurs auteurs. (5) (10) (32) (46) Ces études montrent clairement la diminution du taux de suicides chez les sujets traités au long cours par lithiothérapie par rapport à ceux non traités, ou inobservants, et cela quelle que soit l’amélioration obtenue en ce qui concerne les troubles de l’humeur. Lorsque l’on analyse la mortalité des cohortes année par année, il apparaît que ce n’est que pour la deuxième année sous lithium que le risque de suicide s’aligne sur celui de la population générale. (43) L’arrêt du traitement, notamment de manière brutale, peut entraîner une augmentation des rechutes et des conduites suicidaires. (5)
Malheureusement, les “ autopsies psychologiques ” semblent montrer que seule une faible proportion de patients chez qui un trouble de l’humeur avait été diagnostiqué recevait un traitement adéquat au moment du suicide. Le retard au diagnostic peut être également incriminé. (17)

L’effet antisuicide des sels de lithium serait dû à l’action sérotoninergique (action au niveau du second messager – phosphate d’inositol) et à leurs propriétés antiagressives et anti-impulsives. (45)
Certains auteurs ont donc évoqué la possibilité d’une indication spécifique dans la prévention des conduites suicidaires chez des personnes ne présentant pas de troubles bipolaires avérés, mais des pathologies impliquant des réactions impulsives : l’alcoolisme, les troubles de la personnalité en général et les personnalités borderline en particulier, les troubles du spectre obsessionnel, le stress post-traumatique. La réserve porte sur la marge étroite du profil de sécurité, étant donné la potentialité toxique du lithium ; mais ces intoxications par le lithium surviennent exceptionnellement, par surdosage à but suicidaire. (30)

Il est admis, au-delà du suicide, que les troubles du comportement, le mauvais contrôle pulsionnel, l'agressivité physique et verbale, qui peuvent être des symptômes clés de certains tableaux cliniques (retard mental, comportement antisocial délinquant) ou des symptômes accompagnant certains moments de variation thymique, fort invalidants sur le plan social et professionnel, peuvent être directement corrigés par la lithiothérapie, probablement grâce à ses propriétés stimulantes de l’axe sérotoninergique. (45)

Pour les autres thymorégulateurs, la carbamazépine et l’acide valproïque, l’effet antisuicide n’est pas encore bien établi. (18)

Ainsi, nous avons vu que le patient n’était pas suffisamment informé sur les possibilités thérapeutiques et sur les objectifs prophylactiques.
La grande question reste donc : “ Prophylaxie de quoi ? ” Il est effectivement essentiel de donner une réponse plus explicite au patient.


Quelles sont les autres modalités thérapeutiques proposées, utilisées ou demandées ?

Il existe une grande ambiguïté, une grande difficulté pour bon nombre de gens à se reconnaître déprimé la première fois ou les premières fois. Ensuite, cela change, mais, la première fois, les patients vont consulter et disent : “ Je suis déprimé parce que ma belle-mère... mais je ne veux pas de médicament, je ne veux pas de psychothérapie. ” Ils viennent à la consultation de façon un peu irrationnelle, ils ne savent pas ce qu'ils viennent demander. Effectivement, il y a là quelque chose qui est une simple demande de réassurance et de soutien.
Mais la réassurance proposée par le médecin ne suffit que transitoirement. Il suffit de prendre l’exemple d’un malade hospitalisé qui va mieux pendant la première semaine, du fait même de l’hospitalisation ; la deuxième semaine, il va moins bien. De même, le fait d'être adressé en consultation permet au malade d’aller mieux ; cela reste transitoire.

La phytothérapie (traitement par les plantes) a un grand succès dans le public, c'est un peu comme l'“ imposition des mains ”.
Cette approche n’a pas prouvé son efficacité. Elle a sans doute donné quelques résultats favorables, mais s’agissait-il de “ vrais ” déprimés ?
Ces “ alternatives ”, sans aucune base scientifiquement prouvée, non seulement font courir des risques immédiats sérieux au patient, mais elles retardent aussi l’accès aux soins. Rappelons que plus cet intervalle avant traitement est grand, plus longue sera la résolution de l’épisode dépressif et plus grands seront les risques de chronicisation.

Il existe encore d’autres modalités thérapeutiques proposées, la luxothérapie (ou photothérapie), par exemple, qui est particulièrement indiquée dans les dépressions saisonnières[4], mais dont le coût est trop élevé.

La sismothérapie est indiquée pour des patients qui présentent un trouble dépressif d’intensité sévère avec des perturbations fonctionnelles, ou devant l’existence de symptômes psychotiques ou catatoniques qui mettent le patient en danger vital (risque suicidaire accru, refus de s’alimenter).
La sismothérapie est l’un des traitements les plus efficaces de la dépression. L’amélioration survient beaucoup plus rapidement qu’avec les autres traitements et la proportion de patients répondeurs est beaucoup plus grande. Malgré cela, cette méthode thérapeutique n’a pas bonne réputation parmi la population générale qui continue de penser, à tort, qu’elle est “ dangereuse pour le cerveau ”. Les quelques effets secondaires répertoriés au niveau cognitif (troubles de la mémoire antérograde et confusion), hormis ceux liés à l’anesthésie, sont transitoires et disparaissent à l’arrêt du traitement. (2)


Quelle est aujourd’hui l’offre de soins en France ?


L'offre de soins en France est abondante – on est à l'acmé du nombre de psychiatres – mais cela ne durera pas. L’accès au psychiatre sera moins aisé, tout comme l’accès à tous les spécialistes ou au moins à bon nombre d’entre eux. Donc, il y aura nécessairement un transfert de compétences.
Nous ne savons pas actuellement vers qui va se faire le transfert de compétences, psychologues ou médecins généralistes ?

Il faut attirer l'attention sur le fait qu'à force de dire que les Français ne sont pas déprimés, qu’” ils se bourrent de médicaments par confort ”, on pourrait se retrouver demain comme en Italie, où certaines catégories d'antidépresseurs ne sont pas remboursées, ou comme en Angleterre, où les tricycliques sont les premiers prescrits en première intention en ambulatoire.

L'offre de soins en France se compose de plus de 60 000 omnipraticiens (CNAMTS, 1996), 11 000 ou 12 000 psychiatres (SESI, 1997), un nombre très important de psychothérapeutes... Le dispositif de soins hospitaliers est constitué de 96 établissements publics de santé, de 181 services de psychiatrie dans les hôpitaux universitaires et généraux, de 19 établissements privés faisant fonction de public, et de 322 établissements à but non lucratif participant ou non au service public (Annuaire des statistiques sanitaires et sociales, 1997 ; DGS-SESI, 1993 ; CRAM IDF, 1997 ; SAE, 1995). (9)
Par ailleurs, on peut trouver une possibilité d'accès avec un libre choix, un remboursement éventuel à 100 %, une prise en charge des médicaments, une prise en charge des consultations, et, dans certains cas, une prise en charge de psychothérapie. Pourtant, l’on signale des inégalités profondes entre les différentes régions du pays.
L’offre est très différente dans les pays voisins :

- En Angleterre, l'accès direct aux psychiatres n'est pas possible, on dépense deux fois moins, il y a deux ou trois fois moins de psychiatres, mais ce sont les antidépresseurs tricycliques qui sont prescrits en première intention.

- En Italie, le remboursement n'est pas simple, en particulier pour les antidépresseurs ; les médicaments sérotoninergiques ne sont pas remboursés ou ne sont pas tous remboursés.

- En Allemagne, la comparaison est beaucoup plus difficile, car on utilise des plantes qui ont des effets psychotropes. On classe dans les antidépresseurs des molécules que nous ne plaçons pas dans cette classe thérapeutique ; c'est le cas, par exemple, du sulpiride. Il y a également un grand nombre de psychothérapeutes.


Mais en France, nous avons à la fois des psychiatres, des psychothérapeutes, des psychanalystes et des psychothérapeutes comportementaux. Nous avons plus de psychiatres, nous avons des médicaments remboursés que d'autres pays n'ont pas encore.
Si le malade déprimé nécessite d'être hospitalisé, il est pris à 100 % aujourd'hui en France : c'est un privilège peu reconnu.

Quel choix d'une filière de soins ou d'une autre, et pourquoi ?


Le psychiatre est perçu comme le spécialiste prenant en charge les cas graves, ce qui est censé expliquer le peu de recours spontané à sa consultation ; il ressort nettement que le mot psychiatre est marqué de connotations, fortement stigmatisé, et qu’il réveille beaucoup d’appréhensions. (42)

Les catégories socioéconomiques favorisées vont davantage chez le spécialiste, les catégories moins favorisées vont chez le généraliste. Cela dépend aussi de l'offre. Il est bien évident que, dans un milieu rural, l'accès au spécialiste et les filières ne sont pas les mêmes qu'à Paris ; cependant, ce sont essentiellement les niveaux socioéconomiques qui restent déterminants.

La problématique posée n’est pas spécifique à la psychiatrie : elle est banale pour toutes les disciplines médicales (endocrinologie, pédiatrie).
Pour ce qui est du choix d’une filière de soins plutôt que d’une autre, on pourrait dire de façon globale qu’il y a ceux qui préfèrent se soigner avec la psychothérapie et ceux qui préfèrent les médicaments.
On voyait autrefois des personnes qui avaient suivi une psychanalyse pendant des années, puis qui arrivaient chez le psychiatre... On ne voit plus cela : maintenant elles viennent bien avant. L’idée que le médicament pouvait, d'une certaine manière, gêner la psychanalyse n’est plus de mise.
A propos des critères de choix d’une filière, la référence théorique n’a plus sa place.

Quels sont les critères d'hospitalisation ?


L’hospitalisation ne concerne qu’une minorité de patients déprimés.
Le nombre de séjours hospitaliers pour dépression sur une année est estimé à moins de 5 % des déprimés, sur la base d’une prévalence annuelle de dépression de 5 % dans la population générale adulte et d’une moyenne d’une hospitalisation par patient et par année. (9)
Pour poser l’indication d’hospitalisation, il existe des critères cliniques, des critères concernant la personne malade et des critères sociofamiliaux.


Les critères cliniques concernent notamment la sévérité du tableau dépressif, marquée par le caractère mélancolique de l’accès, laprésence d’idées délirantes et le risque vital encouru.
Dans ce contexte d’urgence, les raisons médicales qui conduisent à poser cette indication seront la nécessité d’une surveillance constante et la possibilité que l’hôpital offre de commencer un traitement antidépresseur rapidement (antidépresseur par perfusion, sismothérapie de première intention, par exemple). Cela permettra de protéger le patient de son potentiel suicidaire.
Une hospitalisation à la demande d’un tiers peut s’avérer nécessaire si le patient refuse les soins, ce qui est souvent le cas dans les mélancolies délirantes. (15) En effet, le mélancolique délirant s’estime souvent incurable ou indigne de toute sollicitude.
Il existe aussi des critères cliniques d’hospitalisation en dehors de toute situation d’urgence. Certains cas de dépression peuvent nécessiter des investigations qu’il est difficile de réaliser en ambulatoire en un bref laps de temps. (47) C’est le cas, notamment, des dépressions survenant dans le contexte de maladies intercurrentes. Le plateau technique de l’hôpital rend ces diverses explorations plus faciles et fournit les conditions de sécurité au bon déroulement du traitement.

Les critères concernant l’individu malade comprennent, hormis une éventuelle demande explicite, les éléments personnels qui modifient le risque suicidaire dans une situation d’urgence. Une forte croyance religieuse, par exemple, est classiquement considérée comme étant un facteur “ protecteur ” face aux impulsions suicidaires. A l’inverse, les antécédents de passage à l’acte autoagressif sont un facteur aggravant. Dans une situation de non-urgence, les antécédents personnels de non-observance ou de “ résistance ” thérapeutique constituent des critères individuels d’hospitalisation.
Les critères sociofamiliaux concernent l’existence ou non d’un entourage compréhensif de la maladie et prêt à collaborer avec les soins médicaux. Ainsi, par exemple, un patient isolé présentant un épisode dépressif grave imposera volontiers la nécessité d’une hospitalisation. De même qu’un milieu intolérant à la dépression peut amener à préconiser l’hospitalisation du patient.
Dans certains cas, l’entourage peut être directement ou indirectement intriqué à la situation “ précipitante ” de la dépression ; l’éloignement du malade du milieu familial peut alors favoriser son rétablissement. L’isolement et l’absence de visites doivent être présentés comme des mesures thérapeutiques décidées par le médecin bien que souhaitées le plus souvent par le patient.
L’hospitalisation constitue également un temps de “ rupture ” avec le quotidien (temps de suspension, de maternage et de régression), lequel peut avoir des effets thérapeutiques en soi.


Quelles questions pose à un patient (et/ou à sa famille) l’éventualité d’une hospitalisation ?


L’indication d’une hospitalisation pose, au patient comme à sa famille, des questions qui sont directement liées à l'image de la psychiatrie, à sa stigmatisation.
“ Est-ce aussi grave que vous le dites, Docteur ? Est-ce que je suis fou ? Est-ce que je vais être avec des fous ? ” Voici donc la question de fond : la stigmatisation du malade, la stigmatisation d'être déprimé au point d'être hospitalisé en milieu psychiatrique. Et, dans ce contexte, une fausse question semble naître : est-ce que l'hospitalisation ne va pas stigmatiser un peu plus fortement que le traitement en ambulatoire ?
R. Priest (42) a mis en évidence que la plupart des traitements psychiatriques (antidépresseurs, sismothérapie, hospitalisation) sont jugés d’une manière péjorative par la population générale.

Dans une enquête australienne menée auprès de la population générale concernant les soins psychiatriques, l'image la plus négative revenait à l'hospitalisation à temps plein dans un établissement spécialisé. (20)

D’où l’importance des campagnes d’information et d’éducation sanitaire au niveau de la population générale. Elles ont fait la preuve d’une efficacité certaine pour modifier ce type de croyances et les fausses représentations. (39)

Bien expliquée, l’hospitalisation finit par être acceptée par le patient et par son entourage.
“ Où ? ” est souvent une des questions qui amènent médecin, patient et entourage à une “ négociation ” difficile. En effet, il existe en France plusieurs possibilités d’hospitalisation : établissements publics – universitaires, associatifs ou sectorisés – et privés. Cependant, les disparités régionales en nombre de lits sont importantes et l’accès en urgence à certains de ces lieux d’hospitalisation est très souvent restreint. Si bien que, dans un contexte d’urgence, le seul hôpital dont le médecin dispose est, en général, l’établissement spécialisé correspondant au secteur psychiatrique du patient.
“ Combien de temps ? ” est la question qui suit, avec l’interrogation sur les soins qui seront prodigués en milieu hospitalier.

Une autre question devrait être : “ Combien ça coûte ? ” Il paraît étonnant que cela ne vienne à l’esprit de personne.


Comment négocier une hospitalisation ?


La “ négociation ” n’est sans doute pas la même selon que la consultation a lieu en ville ou à l’hôpital.
Il s’agit d’un moment important. Le médecin doit être lui-même convaincu de la nécessité d’une hospitalisation avant d’entamer cette discussion avec le patient et/ou avec ses proches.
Les lieux d’accueil sont les services de psychiatrie des établissements publics de santé et des hôpitaux généraux, ainsi que les cliniques spécialisées. Les services de médecine des hôpitaux généraux prennent en charge quelques patients déprimés en fonction des potentiels locaux, mais au-delà des problèmes d’effectifs, le médecin est confronté à la question de la formation et de la motivation du personnel infirmier à s’occuper de ce type de patients. Par ailleurs, le risque suicidaire que présente le déprimé hospitalisé fait que ces services ne sont pas toujours adaptés à cette prise en charge.
Ce sont des arguments à tirer en faveur de la spécialisation du lieu d’accueil pour dépasser la réticence du patient et de son entourage à une hospitalisation en milieu psychiatrique.

Le non-consentement du malade à l’hospitalisation après une explication claire et concise de cette indication est une éventualité peu fréquente, que l’on observe en particulier dans les cas de mélancolie et de dépressions en apparence “ moins sévères ”, mais dont le risque suicidaire est très élevé du fait d’éléments cliniques surajoutés (troubles de la personnalité, troubles addictifs, etc.). La loi du 27 juin 1990 a prévu, pour ces cas-là, des mesures d’assistance psychiatrique, et l’hospitalisation peut se faire sur la demande d’un tiers (HDT). Il apparaît fondamental d’expliquer à l’entourage le péril imminent que la situation fait courir au patient. (47) L’HDT met un terme au choix d’hospitalisation car celle-ci ne pourra se faire que dans des établissements régis par la loi.

Le temps d’hospitalisation (en général, un mois) doit être annoncé d’emblée. Prévoir moins de temps en se réservant de prolonger ultérieurement est à éviter, car cette “ négociation ” après le début de l’hospitalisation s’avère difficile. (13)


Conclusion


La décision de soins est un projet thérapeutique que le médecin établit avec son patient et l’entourage proche de celui-ci.

Les possibilités thérapeutiques validées pour la dépression sont actuellement nombreuses et permettent de tenir compte des préférences du patient, à condition qu’il ait été suffisamment informé des bénéfices et des risques de chaque intervention.

La “ négociation ” des soins est donc un temps fondamental et riche de la relation médecin-malade-entourage et elle constitue un maillon indispensable dans le devenir de la dépression.


2. le suivi du patient






Comment se passe le suivi de la prise en charge ?


Dans le chapitre consacré à “ Le temps du diagnostic ” nous avons mis en évidence l'existence d'éléments environnementaux très divers qui constituaient une sorte de “ décor psychosocial ” à l'intérieur duquel allait avoir lieu la consultation.
C'est effectivement dans ce décor que va se produire la rencontre entre une souffrance psychique et un soignant censé la reconnaître, l'identifier comme pathologique et, par voie de conséquence, la prendre en charge. Ces trois temps sont indispensables à la mise en place d'une relation thérapeutique de qualité.
En effet, reconnaître une détresse psychique ne suppose pas forcément la reconnaître comme pathologique, pas plus que le fait de l'identifier comme pathologique n'implique automatiquement le diagnostic de dépression.

Cette première rencontre débouchera sur la mise en place d'un projet thérapeutique qui ne doit pas se résumer à la prescription d'un traitement psychotrope. L'acceptation de la démarche de soins, de la part du malade, est bien sûr indispensable, mais non suffisante au bon déroulement du suivi à long terme.
Une fois obtenue l'adhésion initiale aux soins, on doit accompagner le patient tout au long de sa trajectoire.
Lorsque le malade accepte la démarche de soins qui lui est proposée, son but est de retrouver sa santé perdue, c'est-à-dire son bien-être affectif, psychique, relationnel et peut-être spirituel (bien le définir avec lui).

La trajectoire des patients déprimés implique la prise en compte de :

- leurs événements de vie pénibles et douloureux (solitude, divorce, deuil, maladie, crise existentielle) ;

- leurs plaintes (souffrances) ;

- leurs demandes et attentes ;

- leurs besoins, ainsi que leurs satisfactions.


Cet accompagnement aura comme objectif essentiel la réduction du handicap social, professionnel, affectif ou physique. Pour ce faire, il faut une réelle confrontation du projet médical thérapeutique avec le patient, pour évaluer différents éléments :

- diagnostics, choix des médications avec les critères d'observance ;

- propositions de prise en charge psychothérapeutique ;

- évolutivité de l'épisode : rémission, guérison, amélioration, rechute, récidive (1) ;

- prévention des risques : conduites suicidaires, suicide, chronicisation, inobservance, effets secondaires ;

- évaluation des symptômes résiduels.


Pour parvenir à cet objectif il faut réussir à faire accepter le suivi médical au patient, de sorte qu'il en soit partie prenante. (9) (10)
Pour ce faire, la mise en place de certaines bases est nécessaire :

- surveillance et proposition de durée et de dose des médicaments ;

- entretiens réguliers (thérapies de soutien, pédagogique, accompagnement) ;

- initiation à des thérapies plus structurées favorisant la connaissance de soi, la gestion des émotions (agressivité, culpabilité), les changements de mode de pensée et de comportement ;

- la prise en charge corporelle (relaxation, remise en forme...) ;

- utilisation du soutien social, culturel et associatif quand ils existent.


L'usage des antidépresseurs au cours de l'évolution de la dépression. Comment le praticien évalue-t-il les effets du traitement (positifs et négatifs) ?

Le bon usage des antidépresseurs nécessite comme préalable une verbalisation approfondie autour du médicament, établie comme un “ contrat de confiance ”, avec :

- expression des pensées magiques autour des prises (par le patient et son entourage) (9) ;

- accord sur les prises, les doses, la régularité, la durée corrélée à l'évolution des troubles. (1) (4) ;

- description des effets secondaires et des bénéfices positifs (explorer la sexualité, l'appétit, le sommeil, l'anxiété) ;

- plaintes ou dépendances par rapport aux produits ;

- le sens du médicament, vécu vers la guérison ou comme preuve de la maladie encore présente.


Comme nous le verrons plus bas, les obstacles à l'observance ne sont pas les mêmes selon la phase évolutive de la maladie dépressive. Un des moments les plus délicats se situe lorsque le patient se considère “ guéri ”, ayant du mal à comprendre l'intérêt de la poursuite du traitement.
Effectivement, la frontière entre les domaines thérapeutique et prophylactique devient presque invisible depuis qu'on utilise les antidépresseurs au long cours, au-delà de l'amélioration du tableau clinique qui a été à l'origine de la prescription initiale.
Bien qu'il existe un certain consensus autour de cette stratégie thérapeutique (4) (11), les moyens de la mettre en place ne peuvent pas être identiques dans toutes les prises en charge. L'acceptation, de la part du patient, de poursuivre un traitement antidépresseur au long cours met en jeu des aspects psychopathologiques individuels qui doivent faire l'objet d'une attention particulière (cf. plus bas “ Observance ”).
En ce qui concerne les aspects les plus “ techniques ” de la mise en place et de la conduite du traitement, l'Agence nationale pour le développement de l'évaluation médicale (ANDEM) a publié, en 1995, les Recommandations et références médicales sur les médicaments antidépresseurs. Voici les principales indications.


Choix de la molécule
Il n'a pas été identifié d'étude contrôlée montrant une molécule comme globalement plus efficace qu'une autre pour le traitement d'un épisode dépressif majeur. Cela est valable également pour les formes les plus graves de dépression. Effectivement, contrairement à une notion retenue par certains prescripteurs, l'efficacité supérieure de certaines molécules (imipramine en particulier) n'a pas été prouvée de manière significative dans cette indication.

Posologie et durée de traitement

Traitement aigu (ou phase d'attaque). Deux mois en moyenne sont nécessaires pour obtenir une disparition des symptômes.

Traitement de consolidation. Quatre mois de traitement en moyenne se justifient après disparition des symptômes dépressifs. La posologie conseillée est la même que celle de la phase d'attaque.

Traitement de maintenance ou traitement prophylactique. Il s'agit ici de prévenir la survenue de nouveaux épisodes chez des patients à risque. La posologie est la même que celle utilisée durant la phase de traitement d'attaque. La durée du traitement varie en fonction du nombre d'épisodes dépressifs antérieurs (en moyenne quatre à cinq ans).


Evaluation de l'effet antidépresseur

Evaluation précoce de l'efficacité. Un minimum de deux à trois semaines de traitement à posologie active est nécessaire avant de conclure à une inefficacité et d'envisager un changement thérapeutique.

Evaluation de l'effet prophylactique. Cette évaluation doit tenir compte de plusieurs critères :

- fréquence des épisodes,

- durée des épisodes,

- intensité des épisodes,

- qualité des intervalles libres,

durée des intervalles libres.
Un antidépresseur sera considéré comme efficace s'il modifie un ou plusieurs de ces cinq paramètres.

Plusieurs commentaires s'imposent à propos de ces recommandations. Tout d'abord concernant le choix de la molécule, on constate la remise en cause de certains concepts classiques tels que la supériorité d'une molécule (pourtant produit de référence dans les essais cliniques), même dans les cas de dépression sévère. Ce qui revient à dire qu'il n’existe pas des médicaments pour des dépressions graves (mélancoliques, endogènes...) et d'autres pour des dépressions “ névrotico-réactionnelles ”.

Nous pouvons alors nous demander quels vont être les critères de choix du prescripteur lorsque, dans ces mêmes recommandations, on lui signale que “ la nature des effets biochimiques (sérotoninergiques, cathécholaminergiques, mixtes) d'un antidépresseur ne constitue pas un critère de choix de la molécule ”.

En fait, il ne lui reste que deux critères objectifs :

- Un critère d'inclusion : la prise en compte des propriétés sédatives, psychostimulantes ou neutres de la molécule qui ont l'avantage, par rapport à l'effet antidépresseur, de se manifester plus précocement.

- Un critère d'exclusion : la prise en compte des contre-indications, effets secondaires et associations médicamenteuses par rapport à un patient donné.


Au chapitre “ Posologie et durée de traitement ”, en préconisant le maintien d'une posologie identique à celle de la phase d'attaque même en traitement prophylactique, les recommandations remettent à nouveau en cause une vieille habitude de prise en charge. Celle qui consistait à prescrire une dose d'entretien (plus faible) en phase de maintenance ou même de consolidation.


Dans le chapitre sur l'évaluation de l'effet antidépresseur, on peut être surpris non seulement de voir qu'on évalue l'effet prophylactique des antidépresseurs, mais aussi de constater que ces produits reçoivent, du coup, le qualificatif de thymorégulateurs. Catégorie de psychotropes dans laquelle l'immense majorité des prescripteurs ne répertorient que les sels de lithium, la carbamazépine et le valpromide.
Encore une vieille notion à reconsidérer, si l'on en croit cette affirmation qu'on peut lire à la page 9 des recommandations : “ Un médicament est considéré comme un thymorégulateur efficace dès lors qu'il modifie un de ces paramètres (fréquence des épisodes, durée des intervalles libres, etc.) ”
Il serait réducteur de n'y voir qu'une confusion terminologique ou un glissement sémantique. Il s'agit bel et bien d'un profond changement conceptuel concernant la composante biologique dans l'étiologie de la dépression. Ainsi un traitement antidépresseur efficace doit améliorer non seulement les symptômes en phase aiguë, mais également prévenir la survenue d'autres épisodes dépressifs. De là à la prescription à vie, selon ce que certains appellent le “ modèle diabétique appliqué à la dépression ”, il n'y a qu'un pas. (Voir à ce sujet le chapitre “ Peut-on prévenir les états dépressifs ? ”)

Toutes ces considérations conceptuelles ne doivent pas faire perdre de vue que ces recommandations engagent la responsabilité juridique du médecin en cas de prescription hors RMO. Cette restriction à la liberté de prescription peut constituer une entrave à la prise en charge de certains patients présentant des caractéristiques particulières qui sortent du cadre habituel prévu par le texte.

Comment le médecin repère-t-il l'inobservance médicamenteuse ?
Quelles sont les motivations du patient à suivre (ou à ne pas suivre) son traitement ?


Après le diagnostic et l'instauration du traitement, l'évaluation de l'observance est le troisième moment fort de la prise en charge des malades déprimés. Elle constitue une des préoccupations essentielles du praticien, tant elle va être à la fois un des éléments déterminants pour l'amélioration du patient, qu'un témoin de la qualité de la relation médecin-malade. (9) (10)

Il serait tout à fait réducteur de considérer l'inobservance comme un problème rencontré plus particulièrement en psychiatrie et/ou lors de la prescription d'antidépresseurs.
Des enquêtes récentes (2) montrent qu'une prescription sur deux n'est pas suivie. Et ce, toutes spécialités et médicaments confondus. Ainsi, pour ne citer que deux exemples hautement significatifs, près de 70 % d'hypertendus et 50 % d'asthmatiques sont non observants. Le côté facilement “ objectivable ” et l'aspect invalidant de ces deux affections montrent bien que l'inobservance ne peut pas s'expliquer uniquement par une non-reconnaissance de la maladie de la part du patient. Même si de réelles attitudes de dénégation existent en psychiatrie comme en médecine somatique, il convient de répertorier ce phénomène parmi l'ensemble des causes d'inobservance.


Voici celles que sont les plus souvent citées dans les différentes études :

- oubli,
- lassitude,
- mauvaise compréhension de l'ordonnance,
- intolérance,
- négligence,
- négation de la maladie,
- méfiance vis-à-vis du traitement,
- abandon pour amélioration de l'état clinique.

Vu le nombre et l'importance de facteurs qui entrent en ligne de compte, nous aurions tort également de focaliser le problème de l'inobservance autour des effets secondaires du traitement. Dans le domaine des antidépresseurs, divers auteurs (2) signalent qu'on obtenait de bien meilleures adhésions au traitement avec les tricycliques qu'avec les antidépresseurs “ modernes ”, pourtant beaucoup mieux tolérés. Depuis longtemps les études menées, tant en psychiatrie qu'en médecine somatique, ont montré que le fait de répertorier les divers effets secondaires, en informant clairement le patient même des risques majeurs encourus, était un des éléments qui contribuait le plus à améliorer l'observance (9) (10).
Après ces considérations générales il convient d'identifier quelles sont les motivations spécifiques du patient déprimé à suivre (ou ne pas suivre) son traitement. Elles sont multiples et n'interviennent pas toutes au même moment de la prise en charge.

- Le premier obstacle à l'observance des patients dépressifs vient de la maladie elle-même, surtout en début de traitement. Les troubles de l'attention et l'atteinte mnésique peuvent être à l'origine d'oublis ou de prises irrégulières, voire chaotiques, et ce de façon tout à fait involontaire. Le malade peut également avoir du mal à comprendre les indications figurant sur l'ordonnance à cause de ces mêmes troubles. Les sentiments de découragement et d'incurabilité peuvent provoquer un refus immédiat (souvent non avoué) ou un abandon précoce (souvent dissimulé également).

- Viennent ensuite les inobservances liées à la sous-estimation, voire la négation de la maladie. C'est un obstacle fréquent chez des déprimés présentant des formes cliniques dites mineures ou à forte expression somatique. (Cf. “Le temps du diagnostic”)

- Le patient peut aussi douter de l'efficacité d'un traitement médicamenteux pour résoudre des problèmes psychologiques. Cette résistance au traitement est particulièrement signalée chez des patients ayant clairement identifié l'élément déclenchant ou la situation ayant provoqué leur état dépressif.

- La méfiance vis-à-vis du traitement peut être due à différents facteurs, qui peuvent se potentialiser chez un même patient. Les voici :

- La peur de la dépendance peut trouver son origine dans la mauvaise presse des tranquillisants (benzodiazépines en particulier, y compris certains hypnotiques) desquels “ on ne peut plus se passer ”. Cet amalgame entre tranquillisants, hypnotiques et antidépresseurs a été favorisé par la médiatisation de la difficulté de certains patients à arrêter la prise de certains produits sérotoninergiques.

- La peur du traitement à vie trouve sa source dans l'idée que la dépression serait une maladie chronique, l'équivalent du “ modèle diabétique ” en psychiatrie.

- La peur du médicament “ assommant ” participe à la fois du modèle benzodiazépinique (calmant abrutissant) et de l'effet “ camisole chimique ” des médicaments utilisés en psychiatrie.

- La position de défi existe chez des patients ayant pourtant admis, dès le début de leur prise en charge, autant la nature dépressive de leurs troubles que la nécessité d'un traitement psychotrope. Les propos du pneumologue Yves Magar (2), à propos de l'inobservance de certains asthmatiques, illustrent parfaitement l'“ universalité ” de ce mécanisme psychopathologique mis en œuvre par certains malades : “ La non-adhésion au traitement peut représenter une manifestation d'indépendance, un moyen de se réapproprier le contrôle de la maladie et de son destin. ”

- Non loin de la position de défi on peut trouver l'abandon pour amélioration de l'état clinique. C’est peut-être, proportionnellement, une des raisons d'inobservance la plus fréquemment retrouvée dans le suivi des patients déprimés. Cet obstacle à la prise en charge peut difficilement être résolu au moment où il se présente. Pour l'éviter il faut, dès le début de la prise en charge, informer le patient. (Voir plus bas)



Nous venons d'analyser les motivations spécifiques du patient déprimé à suivre (ou ne pas suivre) son traitement.
Voyons à présent quel est le rôle de l'entourage du malade sur l'observance.

La psychiatrie n'échappe pas à une certaine attitude “ consumériste ” qui se développe dans tous les secteurs, que ce soit à l'hôpital ou dans les cabinets des médecins. Le malade n'est plus en position de “ patient ” mais d'“ usager ” d'un dispositif de santé à l'intérieur duquel il a son mot à dire. Cela ne se limite pas à ce “ droit du malade de savoir ce qui est bon pour lui ”. C'est aussi son entourage qui souvent prend fait et cause, intervenant, et conseillant le patient.


Ce ne sont pas seulement les choix thérapeutiques ou la qualité des soins qui peuvent être mis en cause, mais aussi l'orientation diagnostique, donnée par le médecin, aux troubles pour lesquels le patient a consulté.

A ce sujet, certains parlent des “ experts profanes ” qui, tout particulièrement en psychiatrie, n'hésitent pas à proposer tant des “ explications au problème ” que des “ solutions ” alternatives en dehors du cadre médical.
Le phénomène a pris une telle ampleur qu'on a vu fleurir, depuis quelque temps, des petits prospectus destinés tant aux patients et à leur entourage qu'aux praticiens, qui sont autant de mises en garde contre de tels agissements. On peut y lire (12) des “ conseils à l'entourage ” tels que :

- Ne faites pas la morale. Inutile de multiplier les “ tu devrais ” et les “ il faut que ”. La personne déprimée est suffisamment culpabilisée comme ça.

- Soyez tolérant, la personne déprimée agace parfois son entourage quand elle se plaint...

- Faites confiance au médecin, et laissez-le soigner ! Le médecin sait ce qui est nécessaire au patient déprimé. Il ne lui est pas facile de trouver le meilleur traitement d'emblée, mais il y arrivera.

- Encouragez la prise régulière du traitement. L'antidépresseur est le plus souvent indispensable à la guérison.


Même si l'évaluation de l'observance constitue, telle que nous l'avons signalée, un élément indispensable de la prise en charge, l'accompagnement du patient déprimé ne doit pas se réduire à ce “ contrôle ”. D'autres paramètres doivent faire l'objet d'une attention particulière. Tout spécialement les voies d'amélioration empruntées par chaque patient. C'est là que la relation thérapeutique, le soutien psychologique et la psychothérapie prendront toute leur place.

La place de la psychothérapie au cours du traitement


En dehors des cas de dépression mélancolique où l'inhibition et le ralentissement sont à leur comble, il convient de proposer très tôt, de façon concomitante à la prescription du traitement chimiothérapique, un travail psychothérapique.[5]
Cette prise en charge doit être adaptée à chaque dépressif et à chaque phase évolutive de sa maladie. (Cf. “ Du projet thérapeutique au projet de vie ”)


Tout comme la prescription d'un antidépresseur, la prise en charge psychothérapique aura le double objectif d'aider le patient à sortir de son état dépressif tout en lui évitant les rechutes.

A ce sujet, on trouve plus d'éléments communs entre les malades en ce qui concerne leur façon de “ rentrer ” dans un état dépressif que dans leur façon d'en sortir.
L'expérience dépressive constitue, pour certaines personnes, l'occasion d'un réel remaniement psychologique et relationnel qui n'est pas toujours bien compris par l'entourage. Celui-ci peut considérer le nouvel état du sujet non comme un changement positif, mais comme une amélioration partielle, ou des séquelles de son état dépressif. Il revient au thérapeute d'aider les proches de son malade à comprendre que la restitutio ad integrum n'implique pas forcément un “ retour à l'identique ”.
Certains “ nouveaux départs ”, à l'issue d'un épisode dépressif, peuvent entraîner des réorganisations existentielles du sujet, qui impliquent souvent un entourage qui n'en demandait pas tant...




3. Arrêts de prise en charge






Introduction


Etant donné l’hétérogénéité du spectre des troubles dépressifs et compte tenu de la pluralité des facteurs intervenants, il apparaît aléatoire, particulièrement au niveau individuel, de pouvoir prédire avec précision la durée d’un traitement par antidépresseurs. Et la relation thérapeutique médecin-malade constitue une variable très importante dans la réponse au traitement et, par conséquent, joue sur sa durée. (38)

Nous envisagerons ici les modalités d’arrêt d’un traitement antidépresseur dans les cas des épisodes dépressifs majeurs (caractérisés), sensibles à une telle thérapeutique.
Nous n’envisagerons donc pas les diverses et spécifiques modalités de traitement des dépressions résistantes ou chroniques.

Le vrai problème de l’arrêt de la prise en charge se situe au moment du premier épisode. Là où la question de combien de temps traiter devient cruciale : Que fait-on après guérison clinique ? Convient-il de maintenir ou d’arrêter le traitement ? Et s’il convient de le poursuivre, pendant combien de temps ?

Durée recommandée d’un traitement antidépresseur


Si l’on a bien mené les choses, on peut avoir la chance qu’au bout de deux mois le patient soit guéri ; il faut alors baisser progressivement les doses et rester attentif à l’évolution ; pour s’orienter vers six mois de traitement.

La littérature professionnelle s’accorde généralement pour préconiser une durée de traitement de l’épisode dépressif caractérisé de six mois + ou – deux mois.

La phase initiale (traitement d’attaque) fait l’objet d’un consensus : deux mois en moyenne sont nécessaires pour obtenir une disparition des symptômes.

Vient ensuite ce que l’on s’accorde à appeler traitement de consolidation, ayant pour but de réduire le risque de rechute, c’est-à-dire la réapparition des manifestations de l’épisode dépressif en cours de traitement. Là, quatre mois de poursuite du même traitement d’attaque se justifient avec un fort accord professionnel.


Le traitement de maintenance ou prophylactique est en principe réservé à des patients présentant des risques de récidive ; il peut durer deux ou trois ans (2) et jusqu’à quatre ou cinq ans. (1) (3)

Différentes molécules antidépressives ont été testées dans des protocoles en double aveugle contre placebo, pendant une durée variant entre six mois et cinq ans. Toutes ces études démontrent la supériorité d’un traitement antidépresseur par rapport au placebo, en ce qui concerne la diminution de la fréquence des rechutes et des récidives qui constituent un risque avéré dans la dépression. (9)

Il n’existe pas d’études permettant d’objectiver une durée optimale du traitement après résolution de l’épisode aigu. En pratique, le médecin tient compte à la fois de l’évolution clinique, du contexte sociofamilial et de la capacité du sujet à poursuivre son traitement.

Dans le traitement à visée préventive des dépressions unipolaires ou bipolaires avérées, l’arrêt du traitement peut être envisagé après une période de stabilité thymique équivalente ou supérieure à la durée cumulée de trois ou quatre cycles antérieurs au traitement. Le risque sera d’autant moins grand que le patient est bien entouré et que sa famille possède un bon niveau d’éducation par rapport à la maladie dépressive, lui permettant de repérer les signes avant-coureurs de récidive. (12)

Mais ce sont des cas bien particuliers et, pour ce qui est de l’épisode dépressif caractérisé, l’intérêt du maintien de la prescription au-delà de six +/- deux mois n’est pas entièrement établi.

De même, la littérature diverge quant à la posologie des antidépresseurs au long cours. On accepte aujourd’hui volontiers que la dose efficace soit maintenue pendant la période de consolidation, voire pendant la phase du traitement de maintenance, mais rien n’a été établi au-delà de ces termes. (9)

Bien évidemment, cette “ règle des six mois ” n’est applicable que pour le premier épisode dépressif, la question de la durée se posant différemment pour les tableaux dépressifs de la psychose maniaco-dépressive et des formes cycliques (dépression unipolaire récurrente ; dépression récurrente brève).
Premier épisode ou non, mais à condition que le deuxième survienne à distance du premier ; si le tableau dépressif survient cinq ans après, il sera considéré comme un premier épisode ; le traitement sera le même, bien qu’il existe cet antécédent dans l’esprit du clinicien et du patient.


Mais les itinéraires des patients déprimés sous traitement sont plus complexes

Cette règle de prescription était particulièrement vraie quand on n’avait à disposition que des antidépresseurs “ lourds ” à manier etmal supportés (effets secondaires). Maintenant que l’on dispose de produits bien mieux tolérés et faciles à prendre, le problème se pose différemment.

Si bien que la question de la possibilité de dépendance vis-à-vis de certains antidépresseurs de la famille des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRSS) est loin d’être simple. Nous reviendrons sur ce point.

Dans la durée du traitement de l’épisode dépressif majeur se pose aussi la question de ce que l’on entend par guérison.


Quels sont ces critères de guérison ?

Les publications sur l’efficacité des antidépresseurs amalgament volontiers “ bons ” et “ assez bons ” résultats. C’est-à-dire guérison totale et rémission partielle. Par ailleurs, leur critère de guérison est la diminution conséquente d’un “ score ” dans une échelle prévue à cette intention, ce qui est un critère flou et loin de signifier un état asymptomatique chez le patient. (5)

En pratique, on observe, outre les 10 % de dépressions dites résistantes, un fort pourcentage de malades présentant plaintes et symptômes durables issus de la dépression.

Il y existe, d’autre part, des critères concernant la qualité de la réinsertion familiale et socioprofessionnelle et l’opinion de l’entourage, qui définissent aussi la guérison. (6)

Il y a, enfin, le vécu subjectif du patient. Auparavant, quand le sujet était au fond de la mélancolie et qu’il prenait un antidépresseur tricyclique avec tous ses effets indésirables (bouche sèche, constipation, troubles de l’accommodation visuelle, pour n’en citer que quelques-uns), il se considérait comme presque guéri dès qu’il se sentait mieux. Maintenant le sujet, avec le confort des nouvelles molécules, en demande plus. Cela peut amener le clinicien à prolonger le traitement. Et c’est un vrai problème : on ne peut en effet, en aucun cas, banaliser ces prescriptions. Ce serait une vraie dérive, en cela que les inconvénients seraient supérieurs aux bénéfices non seulement dans ce qui pourrait être une prolongation inutile avec des conséquences en termes de santé publique, mais surtout au niveau des conséquences physiques et psychiques individuelles.


En effet, les antidépresseurs sont loin d’être des molécules banales ; au long cours, elles peuvent entraîner des modifications tant sur le plan physiologique (altérations des différents rythmes biologiques, des modifications du sommeil, etc.), cognitif (altération de la mémoire), que sur le plan psychique (altération de l’évolution spontanée de la maladie, virages maniaques, rapprochements des cycles... et dépendance par sensibilisation des neurotransmetteurs). (7)

C’est une des raisons pour lesquelles la période de six +/- deux mois apparaît, en pratique, comme un bon choix, et il est satisfaisant de constater que le consensus n’est pas à l’écart de la pratique.

Surtout, ce qui se révèle intéressant dans la fixation de cette durée, hormis le fait qu’elle apparaît comme une durée nécessaire pour la guérison de l’épisode, c’est qu’elle évite les effets “ pervers ” des prescriptions maintenues au-delà de ce laps de temps, sans critique de la part du clinicien.

Grâce à cette recommandation consensuelle dont nous voyons aussi les limites, le médecin trouve un repère et une proposition qui seraient “ essayons de ne pas dépasser ”, c’est-à-dire de rester critique de cette prescription au-delà de cette durée, sans être dogmatique.

Des traitements antidépresseurs bien plus longs

Toutefois, d’après les enquêtes SOFRES (1) (31) (34), on observe une majorité de traitements plus longs que les durées préconisées dans le traitement d’un épisode dépressif (six mois +/- deux mois) : 60 % des patients sont sous le même antidépresseur depuis plus de huit mois, et 50 % le sont depuis plus d’un an.

De la communication faite par M. Legrain et Th. Lecomte (17) sur la consommation des psychotropes en France, il ressort que la prescription initiale, le plus souvent validée, est fréquemment renouvelée de façon routinière.

Qu’est-ce qui fait au fond que l’on traite plus longtemps ?
Est-ce que nous n’avons pas des craintes excessives ?
Est-ce qu’à force de banaliser les antidépresseurs par rapport aux benzodiazépines, on n’est pas en train de faire la même chose qu’avec ces dernières ? (17)
De nombreuses questions se posent... et, en particulier, celle des dépendances.

Bien des patients gardent un antidépresseur à doses filées après guérison, et quand cet antidépresseur est arrêté ils ne vont pas bien. C’est une vraie question. (7) (18)


Du point de vue neurobiologique, une “ sensibilisation ” des neurones a été évoquée pour expliquer ce phénomène. J.-P. Tassin le dit en ces termes : “ Quant à la répétition ou le maintien des traitements antidépresseurs, elle ne peut être qu’une solution extrême dans la mesure où, vraisemblablement, l’économie apportée aux neurones monoaminergiques les conduira à fonctionner a minima de façon chronique, et rendra le système nerveux central sensible à des événements qui, en l'absence d’antidépresseur, auraient pu être traités sans difficulté. Qui plus est, pour ces mêmes raisons, l’arrêt d’un traitement antidépresseur paraît d’autant plus délicat qu’il aura été suivi trop longtemps. ” (36)

Le travail de Suppes et coll. (35), qui comporte une méta-analyse, démontre bien qu’il existe un risque accru de récidive à l’arrêt d’un traitement prolongé par imipramine (trois ans), en particulier quand ce traitement a été conduit à doses élevées. Cela coïncide avec les taux observés dans des évolutions spontanées, et l’on peut penser qu’il s’agit d’une récidive qui survient de manière indépendante du traitement de maintien, ou encore qu’il s’agit d’une rechute d’un épisode non complètement guéri.

Mais les auteurs suggèrent, au vu de la littérature consultée, que l’” exposition ” prolongée aux tricycliques induit un état neurocomportemental altéré. Probablement, le stress pharmacologique lié au retrait du médicament augmente ce risque chez des patients présentant une vulnérabilité clinique (antécédents d’autres épisodes). Les bases psychobiologiques d’un tel phénomène restent obscures. Il pourrait être dû à la diminution de la quantité et de la sensibilité des récepteurs adrénergiques et sérotoninergiques. Ces réactions diffèrent des symptômes autonomes ou subjectifs qui apparaissent dans les jours qui suivent l’arrêt (brutal) de tout psychotrope, et elles diffèrent aussi des manifestations de sevrage aux opiacés.
Il existe moins d’études concernant les IRSS.

Par ailleurs, on le disait plus haut, il existe souvent une demande de “ meilleures performances ” ou d’un plus grand confort, qui hausse la barre de la guérison. (7) (8)

Un autre commentaire, par rapport à ce chiffre important de “ traitements longs ”, est la distinction entre vrais déprimés et les autres patients, jugés “ déprimés ” par des interprétations diagnostiques trop laxistes, à qui des antidépresseurs sont prescrits parfois de manière plus prolongée.

Deux événements ont eu une influence considérable dans l’évolution de l’usage des antidépresseurs :

- l’utilisation de l’imipramine dans le traitement des attaques de panique, remplaçant les benzodiazépines que les anxieux supportaient mal, à cause de leur impact sur la vigilance ;

- parallèlement, le “ désamour ” pour les benzodiazépines.

De plus, beaucoup de symptômes sont longtemps non spécifiques avant de devenir caractéristiques de la dépression, et la tendance est de les traiter avec des antidépresseurs avant qu’ils ne s’aggravent.

De l’étude de la prescription et de la consommation des antidépresseurs en ambulatoire (1), on note que plus d’un tiers des prescriptions de ces produits (toutes sous-classes confondues) se font en dehors des indications de l’AMM. 20 % ne présentent aucun diagnostic psychiatrique caractérisé (selon le CIDI), et 10 % présentent un diagnostic hors AMM : anxiété généralisée, épisode maniaque, psychose, trouble phobique, trouble de la conduite alimentaire. Ce phénomène serait en augmentation.

Dans l’étude de F. Rouillon (31), résultats des diagnostics rétrospectifs avec l’outil MINI obtenus auprès de 343 personnes, il apparaît que 74 d’entre elles (22 %) ne présentent aucun diagnostic complet. Ces personnes utilisaient toutes un antidépresseur depuis au moins un an, et certaines n’avaient qu’un ou plusieurs symptômes mais en nombre insuffisant pour pouvoir parler de trouble caractérisé.

Parfois un antidépresseur est prescrit depuis plusieurs mois comme hypnotique, et pas forcément à mauvais escient ; en effet, si on ne règle pas le problème de sommeil cela peut entraîner des rechutes ou récidives dépressives.
Mais, autour de cette question, on peut se demander si le prescripteur n’aurait pas dû se poser la question d’arrêter cet antidépresseur au bout de deux mois.

Mais il s’agit là du traitement de troubles du sommeil. Et cela ne peut pas être chiffré.
On rejoint la nécessité d’être critique de sa prescription précédente.
Si l’on prescrit un antidépresseur pour des troubles du sommeil, la prescription sera hors AMM... et pourtant !
Cela concerne aussi les durées des prescriptions des antidépresseurs.
D’après les statistiques, seul un tiers des patients aurait une durée de traitement conforme à l’AMM, et il s’agit généralement de ceux qui ont également une indication conforme à l’AMM.

Tout clinicien a des “ tics ” de prescription qui sont sans doute critiquables mais pas pour autant négligeables. La notion de séquelles postdépressives pourrait venir expliquer la fréquence des “ rechutes ” dépressives. On peut avoir l’idée erronée que la prescription d’antidépresseur, dans ce cas, n’est plus justifiée, alors que l’on vise des symptômes qui restent “ chimiosensibles ” soit par les effets latéraux de l’antidépresseur, soit par son effet spécifique sur l’humeur. (5)
C’est dans les cabinets que l’on voit les mille visages de la dépression et des stratégies de soins.


La question de la durée du traitement devrait se poser d’emblée lors de son instauration, et cette question se doit d’être abordée, par souci d’information, avec le patient. L’observance ne peut qu’y gagner. (26) (37)

Pourtant, le plus souvent, la durée du traitement n’est pas précisée au patient, en grande partie du fait de l’incertitude quant à cette durée : certains praticiens attendent, avant d’arrêter, qu’un travail psychothérapique soit engagé de manière satisfaisante, ou qu’une stratégie de réappropriation d’ordre “ cognitivo-comportementale ” ou psychodynamique s’avère possible ; d’autres craignent les problèmes de sevrage avec les antidépresseurs ; parfois, il y a à régler des problèmes de coprescriptions qui peuvent présenter d’autres difficultés. (30)

Les raisons qui amènent un praticien à prolonger un traitement antidépresseur sont donc diverses, et l’on peut les résumer ainsi :

- Dans la phase curative : une rémission incomplète, avec des symptômes résiduels ou une expression subsyndromique de la maladie ; la persistance de signes isolés capables par eux-mêmes de déclencher une rechute (troubles du sommeil, par exemple). Mais aussi des objectifs curatifs trop importants ; un retour à l’état antérieur avec réinsertion familiale et socioprofessionnelle pleine.

- Dans la phase préventive : le maintien prophylactique de l’antidépresseur pour éviter les récidives.




Quelles raisons amènent le patient à ne pas vouloir arrêter son traitement antidépresseur ?

Les molécules actuelles sont très efficaces et de plus en plus dépourvues d’effets secondaires. Les patients ont développé des pratiques qui les ont conduits soit à l’automédication, soit à des ajustements de leur consommation loin des prescriptions thérapeutiques initiales. Cela amène à des manipulations des prescriptions médicamenteuses, dont la prolongation de la prise au-delà du nécessaire. Il existe donc des facteurs biopsychosociaux qui sous-tendent ces pratiques de consommation. De même, il faut tenir compte de la personnalité du patient et de l’association à d’autres troubles : troubles anxieux, hyperactivité avec trouble déficitaire de l’attention. (26)

Le patient, faute d’indication précise sur la date d’arrêt souhaitée, reconduit ainsi “ ses médicaments ” qu’il fait renouveler souvent par un autre prescripteur, lequel ne s’interroge pas sur le bien-fondé de la continuation du traitement.


Le sociologue A. Ehrenberg, dans son ouvrage La fatigue d’être soi (10), souligne le fait que, de nos jours, la fatigue, l’inhibition, l’insomnie, l’anxiété et l’indécision, ainsi que la plupart des difficultés rencontrées dans la vie quotidienne, sont assimilées à une dépression. L’auteur suggère que, pour beaucoup de ses aspects, cette “ maladie ” est en étroite relation avec une société où la norme n’est plus fondée sur la culpabilité et la discipline qui assignaient, aux classes sociales comme aux deux sexes, un destin, mais sur la responsabilité et l’initiative en enjoignant l’individu à devenir lui-même. “ La responsabilité entière de nos vies se loge non seulement en chacun de nous, mais également dans l’entre-nous collectif. ” La dépression serait donc la contrepartie de l’énergie que chacun doit mobiliser pour devenir soi-même.
Dans ce contexte, les psychotropes, en particulier ceux qui stimulent l’humeur et multiplient les capacités individuelles, sont vécus sur le mode du dopage en sport. Les antidépresseurs, en particulier ceux de la dernière génération, susciteraient l’espoir de surmonter toute souffrance psychique, même chez les personnes qui ne sont pas “ véritablement ” déprimées.
La dépression se verrait ainsi dans les représentations sociales (qui n’excluent pas les médecins) étroitement liée à la notion d’” insuffisance ”.

Les médias participent aussi à ce processus social de culte pour la performance, de dénonciation des insuffisances (le mal-être psychologique) et, en déculpabilisant le sujet, l’invitent à formuler une demande en lui fournissant les mots. La fatigue, l’insomnie et l’anxiété constituent la triade de cette dépression, faisant reculer la tristesse et la douleur morale. Les personnes qui consultent demandent à être soulagées et stimulées... et à le rester ! (10)

Jusqu’à l’avènement des nouveaux antidépresseurs, bien plus dépourvus d’effets secondaires que les précédents, on pouvait affirmer que les antidépresseurs n’étaient pas une médication de confort, leur effet psychostimulant étant très spécifique, et leurs effets secondaires, s’ajoutant à ce dernier, n’apportant rien d’agréable chez les personnes non déprimées.


L’ouvrage de P. Kramer, Serotonin solution, paru en 1996 (10), explique au public quelques moyens simples de lutter contre les déséquilibres neurochimiques qui sont la “ cause ” de tous les troubles de l’humeur.
Herman Van Praag (10) le dit ainsi : “ Les ISRS sont la première génération de médicaments qui affectent vraiment les traits de la personnalité. ” D’où la question posée par beaucoup : l’usage des psychotropes doit-il être restreint au traitement des maladies ou étendu à la modification des comportements, voire à rendre la vie plus agréable ?


Cuche et Gérard (7), dans une perspective différente, soulignent également que les effets parallèles des antidépresseurs sont censés améliorer la qualité de vie de certains patients, en restituant leur narcissisme et en diminuant de ce fait les risques dépressifs. Cela semble justifier un type de prescription ou de renouvellement, mais paraît être également à la base d’une banalisation de la prescription.

Certains patients ont ressenti, après arrêt provisoire de l’antidépresseur, des symptômes de sevrage[6] qu’ils ont attribués à une rechute dépressive. Ces manifestations (symptômes digestifs, quelques troubles moteurs, troubles du sommeil, de l’anxiété, des symptômes généraux de type pseudo-grippaux), décrites à l’arrêt de tout antidépresseur indépendamment de sa classe thérapeutique (22), peuvent être à l’origine d’une volonté de maintien du traitement.
La fréquence de survenue est élevée (87,5 %) (d’autres auteurs signalent une fréquence de plus de 20 %) et leur caractère bénin. (22)

Il est souvent ignoré, rappelle M. Linden (18), que les patients ont un rôle important dans les décisions de soins et notamment lors de l’arrêt de traitement, surtout après des périodes prolongées de thérapie. Il appelle cette forme particulière de non-observance : “ traitement par insistance ” (insistency treatment). Il s’agit de patients qui ne sont jamais prêts à arrêter. Ils n’arrêtent que par accident ou situation fortuite. Ils craignent une récidive d’une manière phobique et ne veulent prendre aucun risque. Par ailleurs, ces patients ont une attente très modeste vis-à-vis du traitement, et restent convaincus qu’il est encore utile et qu’ils ne pourront pas s’en passer. Ces patients exercent une forte pression psychologique sur leur médecin et sont capables d’aller voir un autre praticien pour poursuivre le traitement.
Cette “ insistance ”, du point de vue théorique, doit être traitée comme un trouble anxieux. Des interventions psychothérapiques (notamment de type cognitivo-comportementales) peuvent être nécessaires pour surmonter les anticipations anxieuses et les pensées “ catastrophiques ”. (18)


Des traitements antidépresseurs plus courts que la durée préconisée

Il y existe également une prédominance de traitements “ courts ” avec un taux d’arrêts prématurés (moins de quatre mois) de 61 %. (34)
Ce sont des patients qui arrêtent leur traitement après un mois ou deux, et que le médecin ne revoit plus dans sa consultation, à la différence de ceux qui perdurent dans la demande de renouvellement.

En fait, la durée de la prescription dépend beaucoup de ce qui entoure l’acte de prescrire.
L’arrêt prématuré, même quand le patient le décide, est extrêmement dépendant du prescripteur, s’il sait informer le malade et dialoguer avec lui de certains effets secondaires par rapport à ses attentes. Il y a dix ans, la question ne se posait sans doute pas de la même manière.

On peut distinguer deux autres modalités d’arrêts “ prématurés ”. Toute interruption de traitement de quelques jours (deux semaines) est appelée “ interruption momentanée ”. Les interruptions plus longues et suivies d’une reprise du même traitement sont, elles, considérées comme des arrêts provisoires. (34)

Interruptions momentanées (ne dépassant pas deux semaines). Elles sont peu fréquentes : 3 %. Dans 68 % des cas, le patient en est à l’origine.

Arrêts provisoires (plus de deux semaines, dépassant rarement les quatre mois).
Ces arrêts trouvent leur origine aussi bien dans les décisions des médecins que dans l’initiative des patients (environ 45 % pour chaque).

Qu’est-ce qui amène un patient à arrêter prématurément son traitement ?

Dans une étude “ naturaliste ”, Linden et coll. (18) trouvent 37,6 % de 3 366 patients ayant terminé prématurément (moins de trois mois) leur traitement avec l’accord de leur médecin. Les raisons principales étaient : la gêne occasionnée par des effets secondaires (parfois subjectifs), une réponse insuffisante par rapport aux attentes, et une réponse satisfaisante ou jugée complète (après un mois de traitement bien conduit).

Avec Haynal (14) nous pouvons distinguer cinq catégories de facteurs qui modifient l’adhésion au traitement :
1. facteurs liés à la maladie,
2. facteurs liés au vécu de la maladie et à sa compréhension intellectuelle par le malade,
3. facteurs liés au traitement,
4. facteurs liés à la relation médecin-malade,
5. facteurs liés à l’entourage du malade.


1. Facteurs liés à la maladie

La maladie dépressive comporte des dysfonctionnements cognitifs dont le dénominateur commun est une production excessive d’interprétations pessimistes. Parmi les altérations du jugement, on retient : la pensée dichotomique du “ tout ou rien ” qui empêche le déprimé sous antidépresseur d’apprécier les changements partiels de son état ou les passages par des états intermédiaires ; les inférences arbitraires ; l’abstraction sélective ; l’attribution “ internale et globale ” par laquelle le sujet met constamment en cause sa propre responsabilité dans le déroulement des événements (“ c’est à cause de moi... ”). (13)
La maladie dépressive joue ainsi un rôle important. L’attribution d’un lieu et d’une cause à la maladie gêne souvent le traitement : que la cause soit introjective (“ tout est ma faute ”) ou projective (“ c’est la faute des autres ”).
Le sentiment d’incurabilité lié aux dépressions sévères et l’idée du déprimé “ névrosé ” que sa souffrance morale n’a que peu à voir avec la solution médicamenteuse proposée sont aussi des facteurs d’arrêt du traitement. (4)

En fait, le facteur maladie prend son importance à deux niveaux différents : cognitif et psychodynamique. (33)

Les cognitions perturbées du déprimé :

- la pensée dichotomique qui réduit les nuances de la pensée à une vision manichéenne : soulagement immédiat ou incurabilité, causalité dépressive attribuée à l’extérieur ou bien conviction d’une faute personnelle ;

- la perception sélective des aspects négatifs ;

- les inférences arbitraires vers des conclusions pessimistes.


Au niveau fantasmatique :

- un surinvestissement masochiste de la douleur dépressive,

- la crainte d’une reddition en se confiant à autrui,

- le statut de malade mental défini par le traitement,

- un sentiment d’hostilité à l’égard d’une aide thérapeutique.


Les troubles de la personnalité, quand ils accompagnent la dépression, peuvent modifier également l’observance au traitement.
Les aspects omnipotents et omniscients des structures narcissiques, citant H. Rosenfeld, amènent souvent à une rupture du contrat thérapeutique.
La présence de traits pathologiques (hystériques, obsessionnels, borderline, phobiques ou d’évitement...) agit de toute évidence à plusieurs niveaux de l’inobservance. (13)


Par ailleurs, il a été constaté que lorsque la maladie s’exprime peu, quand elle est paucisymptomatique (et on peut penser que c’est le cas dans certaines phases de la prise en charge) l’observance tend à être mauvaise. (14)
C’est aussi vrai, d’une manière paradoxale, quand il y a aggravation des symptômes dépressifs. (15)

2. Facteurs liés au vécu de la maladie et à sa compréhension intellectuelle par le malade

La moitié des arrêts sont motivés par une amélioration apparente de l’état de santé du patient, que celle-ci soit ressentie par le patient lui-même ou confirmée par le médecin. (34)
Katon, dans son étude menée auprès des patients déprimés suivis au niveau des soins primaires, trouve aussi que l’une des raisons principales de l’arrêt prématuré du traitement est cette rémission jugée suffisante par le patient. (15)

Hantouche, (13) tout en soulignant aussi cet aspect si important, remarque que, dans des cas contraires, devant un retard de survenue d’un effet thérapeutique, l’impatience du sujet peut précipiter cet arrêt.

Ces arrêts liés au vécu de la maladie par le patient renvoient à nouveau à la question des critères de guérison et à l’importance de l’information permanente dans le suivi médical de ces patients.

Les bénéfices primaires et secondaires au fait d’être déprimé, malade ou souffrant, le surinvestissement de ces bénéfices, les interactions entre les événements dépressifs et la problématique névrotique, le surinvestissement masochiste de la douleur dépressive peuvent être à la base d’une certaine “ opposition ” ou “ négligence ” face au traitement antidépresseur. (13)

Dans une perspective toute différente, il a été signalé que le modèle médical de la dépression soulage beaucoup de patients, mais qu’il en est d’autres qu’une telle conception révolte et dont elle renforce l’opposition au traitement. Olivier-Martin l’exprime ainsi (24) : “ Certains ne supportent pas l’idée que leur vie psychique puisse échapper à leur volonté et à leur responsabilité, pour dépendre d’un mécanisme biochimique dont ils n’ont pas le contrôle ; d’autres interprètent cela comme une tare, une insuffisance, une défaillance de leur personne, et répugnent à prendre un traitement qui en est le signe le plus apparent et le plus quotidien ; d’autres, enfin, craindront de devenir dépendants d’un médicament, de la même manière qu’ils luttent en général contre la culpabilité plus ou moins inconsciente que leur procure leurs désirs de dépendance. Cette assimilation à "la drogue" est renforcée par les rechutes déclenchées à l’arrêt du traitement. Ce type de résistance apparaît souvent dans les traitements au long cours. ”


3. Facteurs liés au traitement

Le pourcentage de patients qui arrêtent leur traitement antidépresseur au bout de trois semaines est important. Il varie entre 20 % et 60 % (15). Les raisons évoquées sont diverses, mais elles concernent souvent le traitement lui-même.

Les effets secondaires légitiment ou sont le prétexte à une mauvaise observance, d’autant plus que, pour les antidépresseurs, ces effets indésirables peuvent apparaître avant que les premiers effets positifs du traitement ne deviennent manifestes. (4) (15)

Un autre facteur lié au traitement, moins souvent spontanément signalé, est la peur de devenir dépendant du produit. Une campagne éducative menée en Angleterre au niveau des soins primaires a mis aisément en évidence que la plupart des patients traités avec des antidépresseurs abandonnent leurs traitements prématurément de peur d’en devenir dépendants. (28)

Une notion souvent omise est la temporalité.
La qualité de l’adhésion aux recommandations du médecin diminue mais surtout fluctue avec le temps. (4) (32)
La durée de l’affection peut entraîner une perte de confiance après un traitement prolongé, sans efficacité perçue par le patient. (13)

La durée du traitement a un rôle sur l’observance : désinvestissement des consultations, déplacements devenus compliqués ou coûteux, perte de l’efficacité initiale du médicament. L’amélioration des symptômes les plus bruyants provoque un désinvestissement du traitement.
L’étude de Prien et coll., citée par Hantouche (13), confirme que la période la plus critique correspond aux huit premières semaines après rémission de l’épisode aigu (rappelons que l’arrêt de l’antidépresseur durant cette période entraîne 70 % des rechutes). (13)

Pour Myers (23), quel que soit le régime d’administration des doses, les patients deviennent peu observants au bout du troisième mois de traitement.

4. Facteurs liés à la relation médecin-malade

Il est difficile d’identifier lors de la consultation les malades qui ne suivront pas leurs prescriptions. (14)
D’autant plus qu’il apparaît évident que l’observance au traitement est étroitement liée à la qualité de la relation médecin-malade.
Le médecin résisterait-il à la prescription ? – s’interroge Olivier-Martin (24) dans son étude sur l’observance. Et les psychiatres, de surcroît. Il faudrait réfléchir, nous fait remarquer cet auteur, sur le rapport des médecins aux médicaments, non seulement ceux qu’ils prescrivent mais ceux qu’ils sont censés prendre.


Ainsi, le médecin peut aussi se montrer “ non adhérent ”. Arriver en retard, garder peu de temps les patients lors de la consultation, prescrire sans conviction ou de manière “ automatique ”, changer sans cesse de prescription sans plus d’information, constituent autant d’attitudes qui n’encouragent pas une bonne adhésion de la part du patient. (4)

S’engager dans un traitement de consolidation et prophylactique au long cours, c’est s’engager dans une relation prolongée avec un patient qui, idéalement, devrait bien mieux se porter. Cette situation n’est pas si facile à gérer. De fait, la non-observance tend à augmenter avec la durée de la prise en charge.
La relation s’émousse-t-elle de part et d’autre ? Quoi qu’il en soit, dans bon nombre de cas, la rupture du traitement de maintenance se présente comme la rupture d’une relation thérapeutique. (24).


5. Facteurs liés à l’entourage du malade

L’entourage, nous l’avons vu[7], joue un rôle primordial dans le suivi du patient déprimé.
En ce qui concerne l’adhésion au traitement, une attitude infantilisante et surprotectrice de surveillance de la prise des médicaments, aussi bien qu’une non-reconnaissance du besoin de cette thérapeutique exprimée à travers des commentaires malencontreux et dévalorisants, peuvent entraîner une rupture dans le suivi.
La prévention au long cours dépendra donc de la qualité de la relation psychothérapique qui s’instaure entre le patient, son entourage et le médecin.

Les “ cothérapies ” qui peuvent surgir par initiative propre du patient ou par influence de l’entourage proche méritent une attention particulière.
Schmitt (32) signale que 50 % des patients psychiatriques, dont les déprimés, ont consulté au moins une fois un autre thérapeute qui peut être un guérisseur une fois sur trois. Il peut s’agir aussi d’un homéopathe ou d’un acupuncteur. Les patients parlent rarement à leur médecin de cette démarche parallèle. Ces “ cothérapies ” réduisent l’observance et pourraient illustrer l’échec d’une médecine scientifique. (32)


La non-observance d’un traitement antidépresseur ne signifie pas nécessairement un comportement inadapté du patient (13)

Dans certaines situations, l’arrêt volontaire peut être plus ou moins bénéfique :

- indication inappropriée de l’antidépresseur (diagnostic insuffisamment posé),

- “ exposition ” inutile à un antidépresseur qui serait maintenu sans aucune justification,

- lors d’effets secondaires gênants non pris en compte par le prescripteur.



Par rapport à l’arrêt provisoire, il faudrait donc bien considérer ce qui a amené le patient à arrêter. Si la raison en est qu’il se sentait bien mieux, il faut peut-être que le médecin tienne compte de cet acte. On sait que parfois on traite de manière abusive ! D’autant plus qu’il n’y a pas de critères objectifs. On peut penser qu’il est conseillé de traiter pendant six mois, alors que, pour certains patients, deux mois suffiront.

Mais pour ce qui est des arrêts momentanés ou provisoires avec reprise par le patient lui-même quelques semaines après parce qu’il ne se sentait pas bien, il s’agit bien d’automédication, de mésusage et de détournement des molécules.

En cas d’arrêt prématuré décidé par le patient sans signes de récidive, il est préférable, en l’absence de critères objectifs, de s’en tenir à ce “ passage à l’acte ” du patient (en ce que ce n’est pas concerté avec le médecin), et ne pas renouveler la prescription sous prétexte d’une durée préconisée par consensus.
Il faut que le praticien écoute son malade !
Certains patients, influencés par une certaine “ mauvaise presse ” qui pèse sur les psychotropes, s’empressent d’arrêter. Là, il faut expliquer et informer pour être exigeant sur la qualité du résultat.




Y a-t-il lieu de distinguer cela par classe d’âge ?

La durée des traitements ne se pose pas du tout de la même manière selon la classe d’âge.

Avec l’adolescent, il faudra nécessairement “ faire court ”. Si on ne pratique pas ainsi il se chargera tout seul d’écourter. La prescription de psychotropes chez des adolescents, souvent nécessaire, doit être brève, contrôlée et associée à une relation psychothérapique.


Chez le sujet âgé les traitements tendent à être plus longs. Les résistances “ naturelles ” augmentent avec l’âge, et l’arrêt du traitement entraîne un retour de l’anxiété, de l’insomnie et d’une certaine dysphorie, faisant craindre la reprise d’un état dépressif franc. (7)

Avec l’âge, les rechutes et récidives augmentent, ainsi que la tendance à rapprocher les cycles.
5,8 % des sujets de 65 ans et plus reçoivent un antidépresseur en France métropolitaine, et 1,9 % des sujets seront utilisateurs chroniques (plusieurs années). (Fourrier.)
Greden (37) propose un traitement à vie en prenant uniquement en compte l’âge et le nombre d’épisodes : si le sujet a plus de 50 ans, un seul épisode pourrait justifier que le traitement soit maintenu.


Y a-t-il un rapport de la durée du traitement avec le suicide ?

Il existe deux logiques pour aborder cette importante question du rapport entre traitement antidépresseur et suicide.
La première logique thérapeutique consiste en un raisonnement de type syndromique et préventif : la prise en charge du suicide vise à en atténuer le poids des facteurs de risque. La maladie dépressive est un des principaux facteurs de risque du suicide, sinon le plus important. Soigner de manière appropriée la dépression c’est, pour beaucoup, prévenir le suicide.
L’arrêt prématuré du traitement, médicamenteux et psychothérapique, comporterait donc un risque d’autolyse.
Cette perspective détermine que, vis-à-vis du suicide, c’est la pertinence du traitement de la dépression qui impose les règles de la prescription médicamenteuse et l’adéquation du suivi médical.

Cependant, force est de constater qu’en pratique ce n’est pas encore une habitude thérapeutique tout à fait acquise.
En effet, la dépression majeure est le diagnostic post mortem le plus fréquemment posé chez les suicidés (20), et ce malgré le développement de la prescription des antidépresseurs ces trente dernières années.

50 % des patients déprimés ne reçoivent pas de traitement, et 15 % des patients déprimés traités conservent un risque de suicide sur la vie.
Les autopsies psychologiques ont montré que seulement 9 % à 33 % des suicidés recevaient un traitement antidépresseur au moment du décès, et que le pourcentage de ceux traités avec des doses adéquates était encore bien moindre (25). En effet, les études cliniques montrent bien que la dépression majeure est insuffisamment diagnostiquée et traitée, et ce indépendamment de la présence du risque suicidaire. Ce risque, quand il est repéré – surtout par l’existence d’antécédents d’actes autodestructeurs –, ne modifie malheureusement pas non plus ces (mauvaises) habitudes de prescription.


La deuxième logique consiste en une approche de type symptomatique et spécule sur la spécificité de l’action thérapeutique : les antidépresseurs pourraient avoir un effet particulier sur l’acte suicidaire, que ce soit au niveau de l’idéation suicidaire elle-même ou au niveau du comportement autolytique.
Dans cette perspective, une question s’impose : quelle est l’adéquation de la prescription des antidépresseurs quand on vise cette action thérapeutique ?. En d’autres termes, et plus particulièrement par rapport à la durée du traitement, faut-il maintenir cette prescription au nom d’un effet curatif ou préventif des actes suicidaires ? Et pendant combien de temps ?

K. Malone (20) défend l’hypothèse d’une spécificité d’action des antidépresseurs sur la conduite suicidaire, en distinguant l’idée suicidaire de l’acte : autant les idées suicidaires apparaissent extrêmement liées à la dépression, autant le passage à l’acte suicidaire se révèle plus complexe. Les antidépresseurs sérotoninergiques cibleraient le seuil au-dessous duquel se concrétise la conduite autodestructrice. Cet effet protecteur est d’apparition précoce (vers la deuxième semaine) et précède l’effet sur l’humeur dépressive. En revanche, les tricycliques semblent augmenter, pendant cette même période, le risque d’action suicidaire. Mais, au bout des quatrième et sixième semaines, ces deux classes d’antidépresseurs se retrouvent avec les mêmes résultats favorables. Cela nécessite confirmation par d’autres études. Les autres classes d’antidépresseurs n’ont pas été considérées.
Appuyant l’hypothèse de l’autonomie du mécanisme de la conduite suicidaire (par rapport aux idées dépressives de suicide), l’auteur note que la sismothérapie (ou électroconvulsivothérapie) en est un traitement très efficace (plus que les antidépresseurs), et que les médicaments anticonvulsivants se montrent très prometteurs.

Montgomery (21) distingue, lui aussi, l’idéation suicidaire de la conduite suicidaire en tant que cibles d’un traitement antidépresseur. Il déplore qu’il y ait si peu d’études qui explorent la spécificité “ antisuicidaire ” de chaque antidépresseur. En dépit de la faiblesse des travaux spécialisés dans ce domaine, les sérotoninergiques semblent être plus efficaces que les tricycliques à l’égard des conduites suicidaires. Ces derniers ont d’ailleurs un risque létal en cas de surdosage, que les sérotoninergiques ne présentent pas. De surcroît, un certain “ effet inducteur ” a été attribué aux tricycliques, au vu du taux élevé de suicidants parmi ceux qui recevaient ce traitement.

Les sérotoninergiques, pour leur part, n’ont pas montré d’effet protecteur prophylactique dans un groupe de patients portant le diagnostic de dépression double (dépression majeure + dépression récurrente brève), c’est-à-dire le groupe présentant le plus haut risque de conduite suicidaire. Le flupentixol (neuroleptique avec une AMM d’antidépresseur dans certains pays européens) apparaît comme étant le produit qui réduirait le plus le risque d’acte suicidaire, selon une étude menée auprès de patients récidivistes.


Ce sont donc des voies de recherche très intéressantes, mais qui n’autorisent pas encore à faire des extrapolations pratiques pour la thérapeutique.

Radat (29) souligne qu’il n’existe aucune étude disponible permettant d’affirmer ou d’infirmer que les suicides sous antidépresseurs seraient dus à la levée de l’inhibition psychomotrice. Les données disponibles vont plutôt dans le sens de suicides dus à la combinaison d’une non-réponse au traitement et d’un dyscontrôle impulsif prémorbide.

Il semble clair que dans la majorité des cas de suicide c’est l’absence de prise en charge adéquate d’une affection psychiatrique potentiellement suicidogène (notamment la maladie dépressive) qui est retrouvée, et cela malgré une demande de soins de la part des futurs suicidants.

L’attention peut ici être attirée sur les arrêts intempestifs des antidépresseurs et le risque accru, à ce moment, de passage à l’acte suicidaire dans un contexte de sevrage abrupt accidentel. L’arrêt intempestif survient, souvent, par intervention intercurrente d’un praticien somaticien, lors d’une consultation pour pathologique concomitante.

A l’heure actuelle, on ne peut pas affirmer que les antidépresseurs aient un effet antisuicidaire spécifique. En revanche, un consensus semble se dégager pour affirmer que le lithium, à la condition que ce traitement soit bien conduit, possède une action spécifiquement antisuicide[8].
Il semble tout de même difficile de se fier uniquement à un psychotrope pour évacuer le risque suicidaire.


Place et rôle des instances régulatrices (RMO, médecin conseil) dans l’arrêt des prises en charge

Les RMO (références médicales opposables) sont un souci louable. Quand le médecin conseil demande des explications, il paraît bien normal que le praticien ait à lui répondre.
L’idéal serait que tous les médecins adhèrent aux mêmes standards scientifiques, et qu’ainsi chaque patient puisse être traité de la même manière, indépendamment de l’endroit et de la personne qui doit le traiter. Mais ce n’est pas le reflet de la réalité.


Il existe un écart entre les pratiques recommandées à partir des données scientifiques et les pratiques quotidiennes. L’étude de Langwieler et Linden (16), pour ne citer que celle-là, a mis en évidence les différences thérapeutiques qui existent entre les praticiens alors qu’il y a coïncidence en ce qui concerne le diagnostic, l’intensité du tableau dépressif et le besoin de traiter. Ces diverses stratégies de soins sont directement corrélées aux différences étiopathogéniques évoquées pour la dépression. Mais, pour ce qui est des abords chimiothérapiques, ils sont, eux aussi, différents (choix de la molécule, posologie, durée), et cela s’explique moins bien par les différences d’approche théorique.

Par ailleurs, nous venons d’examiner quelques aspects de la complexité du suivi des patients déprimés, ce qui amène le praticien à assumer, à bon escient, les nuances des décisions thérapeutiques prises pour un malade.

Les instances régulatrices, porte-parole des références scientifiques, permettent, au sein de la relation du médecin avec son malade, d’accommoder ces contradictions dans un art de soigner qui consiste essentiellement à faire que, d’une manière critique, les avantages escomptés d’une option thérapeutique l’emportent largement sur les inconvénients.


Arrêt du traitement médicamenteux ou arrêt de la prise en charge ?

Il a souvent été dit dans les pages de ce rapport que toute prise en charge médicale comporte une dimension psychothérapique.

Il s’agit d’une prise en charge relationnelle non structurée, s’adressant aussi bien aux symptômes qu’à la personne malade, sans utilisation technique particulière.

Cette relation et ses impacts psychologiques sont indissociables de l’acte de prescrire.

Dans le suivi des épisodes dépressifs francs on reconnaît en général trois grandes phases (12) :

- Dans la phase initiale de traitement, le médecin “ remplace ” en quelque sorte le patient déprimé, tellement le sujet, sous l’emprise de la dépression, est devenu transitoirement incapable de se prendre en charge.

- Dans un deuxième temps, le clinicien fonctionne sur le mode d’un moi auxiliaire, le patient ayant récupéré partiellement ses capacités de décision et d’entente.

- A la fin, le médecin s’efface de plus en plus, et laisse le patient se prendre en charge, en l’invigorant même, parfois, pour qu’il reprenne toutes ses activités antérieures.


Cette relation, comme l’arrêt est programmé, s’arrêterait à peu près en même temps que le médicament. Lorsqu’il y a risque de sevrage, certains préconisent d’intensifier les consultations après l’arrêt des médicaments afin d’augmenter la surveillance du sevrage et des signes de rechute. Mais cela n’est pas sans risque.


On peut arrêter en même temps, étant entendu qu’une relation ne s’interrompt jamais véritablement : le sujet peut appeler son médecin quinze jours ou quinze ans plus tard !. Là aussi il s’agit d’une dynamique ; et il est très important pour le patient de savoir que son médecin est accessible et disponible.

Bien évidemment, il en est tout à fait autrement pour ce qui est des psychothérapies formelles, psychodynamiques ou cognitivo-comportementales, lesquelles possèdent dans leur corpus théorique des consignes spécifiques concernant la fin d’un traitement.


CONCLUSION


La prescription doit toujours se faire pour un temps limité, en fonction d’objectifs thérapeutiques définis à l’avance en référence à la pathologie dépressive et aux maladies concomitantes.
Cette prescription doit être accompagnée d’informations et de recommandations au patient sur les effets désirables et indésirables des molécules, sur les règles d’utilisation.

Mais une prescription se fait à deux, dans une relation unique établie entre le médecin et le malade.
De plus, la prescription médicamenteuse demeure avant tout syndromique, alors que dans la pratique le clinicien se trouve dans une équation bénéfices/inconvénients avec son patient. Cela échappe à toutes les études statistiques.

Comment élaborer à deux ce que l’on appellera la guérison ? Que va-t-on accepter comme séquelles ?

Il s’agit d’expliquer beaucoup au malade et de décider ensemble. C’est avec lui que l’on pourra situer les différents niveaux de sa souffrance et ce qu’il faut mobiliser pour la soulager.
C’est pour cela aussi qu’il faut que le praticien soit bien informé pour informer les malades eux-mêmes.
Son rôle dans l’observance ou non du traitement est primordial : une mauvaise communication avec peu d’informations, des explications insuffisantes, un manque de compréhension, le manque de maîtrise technique d’une juste prescription, un rapport ambigu avec le médicament, une approche biologique exclusive de la maladie dépressive sans considérations des facteurs psychologiques et socioenvironnementaux, sont tous des facteurs qui vont influencer d’une manière ou d’une autre les modalités de la prise en charge.

Les décisions thérapeutiques, notamment autour de la réflexion cruciale d’arrêter ou de maintenir un traitement, constituent un engagement réciproque, car les deux parties travaillent ensemble afin de trouver la meilleure issue à la maladie.

C’est dans ce sens que la notion de psychothérapie accolée à cette chimiothérapie est forcément impliquée.

Il importe aussi d’informer l’entourage du malade pour qu’il contribue à améliorer le niveau d’adhésion aux soins.

Sur un autre plan, apparaît plus nettement le besoin de mener des campagnes éducatives pour améliorer le niveau sanitaire de la population générale et la participation des patients au traitement de la maladie dépressive.


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[1] Ces questions ont été abordées dans le premier chapitre de ce rapport, “ La démarche qui amène ou non à consulter ”.

[2] Ces aspects sont développés dans le chapitre “ Arrêts des prises en charge ” de ce même rapport.

[3] Voir chapitre premier de ce même rapport.

[4] Voir “ Les trajectoires évolutives ” dans ce même rapport.

[5] Cf. aussi le chapitre “ Arrêts des prises en charge ”

[6] Cf. la section “ La décision de soins ” du chapitre “ Du projet thérapeutique au projet de vie ” de ce même rapport.

[7] Voir le chapitre “ Les trajectoires évolutives ” et la section “ La décision de soins ” du chapitre “ Du projet thérapeutique au projet de vie ”.

[8] Cette question est particulièrement développée dans la section “ La décision de soins ” du chapitre “ Du projet thérapeutique au projet de vie ” de ce même rapport.


Dernière mise à jour : jeudi 16 mai 2002 17:56:13

Dr Jean-Michel Thurin