Philippe GROSBOIS
Une proposition de loi relative à l'usage du titre de psychothérapeute a été enregistrée à la Présidence de l'Assemblée Nationale le 13 octobre 1999. Cette proposition est co-signée par 82 députés de l'opposition et a pour objectif annoncé de lutter contre les pratiques psychothérapiques de personnes insuffisamment voire non qualifiées .
Voici le texte intégral de cette proposition de loi:
EXPOSE DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Deux professions de la santé mentale sont formées par les universités françaises: les psychologues et les médecins psychiatres. Les conditions d'accès et d'utilisation de ces titres sont étroitement encadrées par la loi.
Pourtant, il existe un grave vide juridique concernant l'exercice de la psychothérapie. La profession de psychothérapeute n'est en effet à ce jour toujours pas définie par le code de la santé publique.
Ainsi, de trop nombreuses personnes insuffisamment qualifiées, voire non qualifiées, se déclarent et s'instituent psychothérapeutes en toute impunité, faisant courir les plus grands dangers à des personnes qui par définition sont vulnérables et risquent de voir leur détresse et leur pathologie aggravées.
A l'heure où nos concitoyens exigent, à juste titre, une sécurité sanitaire accrue, il importe dans ce domaine que le législateur prenne ses responsabilités.
C'est pourquoi il vous est proposé de combler cette lacune en réservant strictement l'appellation "psychothérapeute" d'une part aux titulaires du diplôme de docteur en médecine qualifié en psychiatrie et d'autre part aux titulaires d'un diplôme de troisième cycle en psychologie.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
Il est inséré, après l'article L. 360 du code de la santé publique, un article L. 360-1 ainsi rédigé:
« Art. L. 360-1. - L'usage du titre de psychothérapeute est strictement réservé d'une part aux titulaires du diplôme de docteur en médecine qualifié en psychiatrie et d'autre part aux titulaires d'un diplôme de troisième cycle en psychologie. »
Cette information nous a été communiquée le 24 novembre 1999 par Bernard ACCOYER, député de Haute-Savoie et maire d'Annecy-le-Vieux, information accompagnée d'un courrier précisant:
"Il s'avère en effet que seule l'utilisation des titres de "psychologue" et "psychiatre" est étroitement encadrée, de sorte qu'il arrive que des charlatans, dont des membres de sectes, n'hésitent pas à s'auto-proclamer "psychothérapeute", abusant ainsi de la vulnérabilité de leurs clients potentiels.
Préoccupé par cette lacune touchant à la sécurité des soins et à la santé publique, il m'est apparu opportun de déposer ce texte au moment même où le Québec propose une mesure similaire.
J'espère que cette initiative incitera le Gouvernement à intervenir enfin dans ce domaine."
Certains collègues se sont réjoui de cette initiative, un peu hâtivement sans doute car les choses ne sont pas si simples: environ 10% seulement des propositions de loi sont examinées en séance à l'Assemblée Nationale... Par ailleurs, si le Syndicat National des Psychologues avait été consulté préalablement à l'élaboration de cette proposition de loi, il n'y aurait pas été favorable! Pourquoi? Parce que l'activité psychothérapique du psychologue ne nécessite pas la protection légale d'un titre de "psychothérapeute" pour être reconnue. En effet, en ce qui concerne la fonction thérapeutique du psychologue, la circulaire de 1985 est claire: elle précise que le psychologue a de droit "une fonction directe clinique s'inscrivant dans un cadre thérapeutique et (ou) de soutien au développement de la personne; il peut également contribuer au diagnostic."
En outre, cette proposition de loi comporte quatre inexactitudes dans son exposé des motifs:
Les psychologues y sont définis comme une "profession de la santé mentale". Or, au sens légal du terme, les psychologues ne sont pas une profession de santé. Dans le code de la santé publique, les psychologues sont absents des professions médicales et auxiliaires médicaux. Ils ne figuraient pas non plus dans le décret qui fixait la liste des professions représentées au Conseil Supérieur des Professions Paramédicales.
Par ailleurs, lors des débats parlementaires relatifs à l'élaboration de la règlementation sur la protection du titre de psychologue, il avait été décidé, sous l'impulsion du député Sueur, rapporteur de la Commission des Affaires Sociales, Culturelles, Familiales et Sociales à l'Assemblée Nationale, de consacrer au psychologue un nouveau chapitre spécifique hors professions de santé et professions paramédicales. Lors des mêmes débats parlementaires en 1985 et afin de ne pas réduire les psychologues à une profession de santé - dans la mesure où ils exercent leur métier dans bien d'autres domaines que celui de la santé - l'Assemblée Nationale et le Sénat, à l'unanimité des partis politiques, avaient sorti l'article portant création du titre de psychologue du chapitre intitulé "Mesures relatives à la santé", contre l'avis du Ministère de la Santé et du Conseiller Technique de l'époque, Marcel ATLAN.
Tout ceci signifie clairement que le psychologue ne travaille pas sur prescription médicale et que ses interventions ne sont pas codifiées sous forme d'actes dans la nomenclature de la Sécurité Sociale.
L'erreur consiste à prétendre qu'aucun texte règlementaire ne fait référence à l'exercice de la psychothérapie (ce qui est inexact - cf. la circulaire de 1985 relative à la protection du titre de psychologue) parce que la profession de psychothérapeute n'est pas définie. Il y a un paradoxe dans cette proposition de loi à vouloir protéger le public en réservant le titre de psychothérapeute aux psychologues et aux psychiatres alors que ces deux catégories de professionnels seraient contraintes par cette loi à changer d'identité professionnelle pour se voir autoriser à exercer la psychothérapie. Il serait pourtant plus simple de proposer de reconnaître légalement une spécialisation en psychothérapie, spécialisation à laquelle pourraient accéder psychologues et psychiatres moyennant certains critères de formation, comme cela se fait dans d'autres pays européens et comme le recommande l'European Federation for Professional Psychologists Associations (EFPPA).
Ce constat renvoie évidemment à la difficulté d'inclure dans un texte de loi la référence à des critères de formation psychothérapique, dans la mesure où la majorité des méthodes psychothérapiques - à part les thérapies cognitivo-comportementales - nécessitent de faire l'expérience d'une psychothérapie personnelle, outre le fait de suivre des séminaires théoriques et cliniques ainsi que d'accepter le principe d'une supervision individuelle ou groupale de sa pratique clinique.
Par ailleurs, les orientations politiques du Syndicat National des Psychologues soulignent depuis plusieurs années la confusion fréquente entre une activité psychothérapique considérée comme une fonction possible du psychologue ou du psychiatre et la protection d'un titre de psychothérapeute qui conduirait inévitablement un jour à la création d'une nouvelle profession de psychothérapeute.
Nous réaffirmons ici le souci de ne pas morceler la profession de psychologue en spécialités labellisées légalement - psychothérapeutes, psychotechniciens, psychologues experts, psychologues du travail, psychologues de l'éducation, etc. Tous ces termes sont utilisés dans nos usages langagiers pour désigner certaines de nos activités par secteur et en fonction des formations spécifiques que nous acquérons au cours du troisième cycle de nos études universitaires mais ces mêmes termes ne font pas pour autant l'objet d'une protection légale qui déclinerait la psychologie en autant de spécialités dont nous n'avons pas besoin pour exister en tant que psychologues.
Il est d'ailleurs curieux de constater que c'est la psychothérapie qui, bien souvent dans notre profession, est l'objet de revendication d'une reconnaissance spécifique, davantage que les compétences post-universitaires acquises en matière d'examen psychologique, par exemple, sous prétexte qu'une formation psychothérapique à des méthodes spécifiques, formation complémentaire au cursus universitaire, coûte du temps et de l'argent, alors que de nombreux autres professionnels ne réclament pas pour autant d'être mieux rémunérés parce qu'ils ont acquis des compétences complémentaires au titre de la formation continue...
L'article L. 372 du code de la santé publique stipule pourtant toujours qu' "exerce illégalement la médecine toute personne qui, non titulaire du diplôme de "docteur en médecine", pose un diagnostic ou prescrit un traitement mais qui, dans un but thérapeutique, pratique le magnétisme, la radiesthésie, la chiropraxie, la vertébrothérapie, la psychanalyse (psychothérapie)"... Alors, que fait la police?... Ou plus précisément l'Ordre des Médecins face aux pratiques psychothérapiques illégales des non-médecins? Si ce nouvel article L. 360 - 1 du code de la santé proposé par ce texte était adopté par les parlementaires, il entrerait en contradiction avec l'Article L. 372 qui, s'il était encore appliqué de façon stricte, interdirait aux psychologues et aux psychanalystes l'exercice de la psychothérapie... Or, il y a déjà plusieurs années que l'Ordre des Médecins n'intente plus de procès à ces derniers pour exercice illégal de la médecine...
Philippe GROSBOIS
Responsable de la Commission Nationale Spécialisée "Psychothérapies" du Syndicat National des Psychologues
Président du "Standing Committee on Psychotherapy" de l'EFPPA (European Federation for Professional Psychologists Associations)
Institut de Psychologie et Sociologie Appliquées
Université Catholique de l'Ouest
B.P. 808 49008 ANGERS Cedex 01 e mail: pgrosbois@wanadoo.fr
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