Sur le problème de la réglementation des psychothérapies


Pr B Brusset
Psychiatre et psychanalyste, professeur émérite de psychopathologie de l'Institut de Psychologie de l'Université Paris V-René Descartes, membre titulaire de la SPP.

La Société Psychanalytique de Paris, dont la quasi-totalité des membres sont médecins ou psychologues, demande que soient préservées les conditions spécifiques de la pratique de la psychanalyse et des diverses formes de psychothérapies psychanalytiques.

Elle souhaite que les associations psychanalytiques existantes (celles qui ont une implantation nationale et internationale, une activité d'échanges et de colloques et des publications témoignant de l'existence de la théorie et de la recherche) conservent la responsabilité de la sélection, de la formation et de la qualification de leurs membres.

Elle demande le maintien de l'accès à ces traitements des personnes sans revenus ou ne disposant que de faibles revenus dans les centres spécialisés de consultations et de traitements et par le remboursement de l'Assurance Maladie.

En raison de leur expérience dans la pratique clinique, et, pour la plupart d'entre eux, dans les institutions de soins, d'enseignement et de recherche, les membres de la SPP s'inquiètent des carences croissantes de la psychiatrie publique qui ont suscité les Etats Généraux de la psychiatrie en Juin dernier.

Ces carences contribuent à la prolifération anarchique actuelle de multiples méthodes qui se disent thérapeutiques et dont sont parfois victimes des patients pour lesquels, à grands frais et à grands risques, un traitement correct a été retardé. Les publicités pour des enseignements privés onéreux pour devenir psychothérapeute sans formation clinique ni psychopathologique, et les listes de soi-disant psychothérapeutes aux méthodes multiples (dans les revues grand public et sur Internet par exemple) montrent bien l'essor de ce commerce que ne suffisent pas à contrôler les syndicats et les associations de psychothérapeutes. La distribution par celles-ci d'un "certificat européen de psychothérapie" usurpe la fonction des pouvoirs publics en matière de soins sans aucune garantie. Ces syndicats et ces associations de psychothérapeutes militent depuis plusieurs années pour la création d'une nouvelle profession qu'ils estiment pouvoir gérer, par exemple dans un collège autonome des psychothérapeutes. Ils ont promu en ce sens l'amendement proposé par le sénateur Gouteyron. Les institutions de la psychiatrie et de la psychologie clinique et les pouvoirs publiques seraient ainsi court-circuités.

La demande sociale vis-à-vis de ces méthodes à la mode ne saurait être réduite par un cadre juridique qui doit respecter la liberté d'entreprendre, mais il conviendrait de distinguer ce qui relève de l'autosuggestion, de l'hygiène et du développement personnel (D.P.) et ce qui relève d'un traitement : les termes de "traitement", "thérapie", "psychothérapie", devraient être réservés aux professionnels qualifiés par une formation clinique et psychopathologique (psychiatrie et psychologie clinique comme pré-requis) et par une formation personnelle spécifique à telle ou telle méthode. D'où, aussi, la nécessité d'améliorer la formation des cliniciens qui se destinent à la pratique de la psychothérapie étant entendu que celle-ci relève d'une qualification et non d'une profession autonome.

De plus, cette formation ne saurait être réduite à l'apprentissage de techniques de normalisation des comportements et des modes de raisonnement. Les thérapies comportementales et cognitives (TCC), peu coûteuses puisque brèves et pouvant être faites par des personnels paramédicaux, ont pour elles l'efficacité rapide de suppression des symptômes, mais les indications en sont limitées et ne peuvent être étendues sans risque d'aggravation ultérieure. Leur extension aux Etats-Unis ces dernières décennies ne saurait être un critère de valeur. De plus en plus de patients parviennent aux psychanalystes après échec de ces techniques, d'où un coût accru.

De ce point de vue, il y a lieu de s'inquiéter de la promotion directe ou indirecte de ces techniques de suppression des symptômes à court terme par divers rapports d'initiative gouvernementale. Certains préconisent l'accréditation des méthodes de psychothérapie sur une évaluation pseudo-quantitative par questionnaires et échelles de comportements calquée sur celle des chimiothérapies. Même sur le seul plan budgétaire, l'économie à court terme risque de se payer de charges accrues à plus long terme. L'évaluation scientifique de l'efficacité des méthodes devrait prendre en compte l'ensemble des enjeux et des paramètres du rapport qualité/coùt, par exemple l'ensemble des frais de santé avant et après psychanalyse ou psychothérapie sur une durée suffisamment longue. Il s'agirait d'objectiver ce qui correspond à l'expérience clinique courante et aux nombreux témoignages d'anciens patients des psychanalystes. Il n'est pas moins évident que de nombreuses prises en charge thérapeutiques par les psychanalystes empêchent la survenue de dépressions, de suicides (notamment chez des adolescents) et d'hospitalisations en psychiatrie.


Dernière mise à jour : mardi 9 mars 2004
Dr Jean-Michel Thurin