Le 15 janvier 2004
La question de la compétence des psychothérapeutes, en particulier du savoir psychopathologique et clinique qui est légitimement exigé d’eux, concerne au premier chef ceux qui sont chargés, par la République, de cet enseignement, les enseignants-chercheurs de psychopathologie clinique, dans les Universités.
Indéniablement, c’est aujourd’hui le SIUERPP qui représente en France la grande majorité de ces enseignants, et, en conséquence, des laboratoires et des enseignements (DESS, DEA et futurs masters) de cette discipline.
Or le SIUERPP, en tant que tel, n’a pas encore été entendu par les instances législatives ou exécutives, comme un des interlocuteurs principaux, dans le champ de ses responsabilités au même titre que, dans d’autres champs, les syndicats de psychologues, de psychiatres ou les associations professionnelles de psychanalystes ou de psychothérapeutes.
Au même moment, sont auditionnées des associations qui prétendent représenter tous les psychologues, en particulier universitaires.
Ainsi, d’un côté le groupe appelé “ fédération française des psychologues et des psychologies ” ne peut que déléguer un de nos collègues, sans doute éminent, mais qui ne représente que l’un des très rares établissements d’enseignement supérieur privé de psychologie en France, de l’autre, la SFP (Société Française de Psychologie), aujourd’hui désertée par la grande majorité des enseignants de psychologie clinique et de psychopathologie, notamment. La SFP ne peut se prévaloir que de son âge pour continuer à soutenir une conception unique de la psychologie, conception dépassée par les développements contemporains des sciences psychologiques. Sa seule véritable vocation, autour de laquelle elle parvient à une unité minoritaire et isolée autant qu’imaginaire, semble devoir se fonder sur le seul projet d’une éradication de la psychopathologie psychanalytique, comme fondement de l’enseignement et de la formation en psychologie clinique.
Sauf pour les politiciens minoritaires et nostalgiques de l’unité de la psychologie, et les défenseurs étroits du territoire politique du corps médical, sous le couvert avantageux mais leurrant de l’intérêt du public, quelle que soit la formule proposée pour succéder à l’amendement Accoyer, un seul point semble faire consensus, la nécessité d’une authentique formation psychopathologique pour l’ensemble des praticiens du soin psychique.
Il est évident qu‘une part significative de cette formation exigible - un état des lieux devrait aisément le montrer – ne peut être véritablement assurée, aujourd’hui en France, que dans les cursus de psychopathologie clinique, proposés dans les départements de psychologie.
De fait, premièrement, ni les médecins durant leur formation initiale, ni les psychologues non cliniciens, ne reçoivent d’autres enseignements que très rudimentaires en ce champ ; deuxièmement, si les psychiatres anciens ont reçu cette formation, la domination pharmaco-épidémiologique de la psychiatrie universitaire actuelle, a, sauf de rares exceptions, fortement réduit la part de l’enseignement de psychopathologie clinique en psychiatrie ; troisièmement, les associations de psychothérapeutes, comme les associations psychanalytiques, ont choisi, sans doute à juste titre, de privilégier, dans leur accompagnement de la formation des praticiens, l’accent porté sur le transfert et la juste position éthique, en ce que, justement, il s’oppose, dialectiquement, à un savoir psychopathologique, supposé déjà acquis, et qui doit être contesté par la pratique d’un lien singulier.
Si les enseignants de psychopathologie ne sauraient s’isoler des autres universitaires, c’est sans doute dans l’implication plus grande dans ces formations, d’une part des enseignants des autres sous-disciplines de la psychologie qui ne se rangent pas sous la bannière de cet éclectisme, hérité du XIXème siècle et modernisé, que serait la dite “ psychologie intégrative ” (un peu de tout, psychanalyse incluse, avec, pour seul critère, celui d’une évaluation technocratique), mais tiennent fermement sur leur paradigme, qu’il soit cognitif, comportemental ou développemental, d’autre part de ceux qui, en psychiatrie, bien sûr, mais aussi dans les sciences humaines en général, contribuent à la recherche et à l’enseignement de la psychopathologie et de la psychanalyse.
Il faut sortir d’une position trop simpliste concernant la participation de l’Université à la formation de praticiens de la psychothérapie:
Contrairement aux propositions d’autoriser, sans condition autre, les diplômés (que ce soit en psychiatrie, en médecine ou en psychologie) à effectuer des psychothérapies, il est évident que l’Université, en tant que telle ne saurait assurer l’ensemble de cette formation, qui implique, de natura, une contestation du savoir universitaire, et encore moins suffire à habiliter un praticien ; un diplôme ne garantit qu’une acquisition de connaissances, fut-elle de savoir-faire, il ne peut nullement garantir sa nécessaire actualisation et la qualité éthique de la pratique (les sectes regorgent de diplômés divers, y compris en médecine et en psychologie). Le changement de position personnelle, qui donne son autre assise à la position professionnelle ne peut être que l’effet d’une démarche individuelle qui ne saurait être du ressort de l’université, ni de sa garantie, mais de celle des associations professionnelles.
Mais, d’autre part, exclure l’université de ce qui est déjà, dans les faits, sa participation spécifique à cette formation, c’est se priver du potentiel le plus grand d’enseignement – et de recherche - de la psychopathologie, récuser les praticiens de plus en plus nombreux qui viennent y inscrire leurs recherches ou y chercher une formation initiale ou complémentaire, et laisser d’un côté fonctionner une université soumise dès lors à l’idéologie scientiste et quantitative toujours plus menaçante des “ comptables ” de nos disciplines, qui, eux, ne se gêneront pas pour proposer des formations qualifiantes, par exemple aux (psycho)thérapies comportementales et cognitives, de l’autre favoriser l’éclosion d’officines de formation qui seront aisément confondues, sauf normalisation étatique risquée, avec les associations professionnelles qui aujourd’hui garantissent, de l’avis unanime, leur part de formation et l’habilitation de leurs élèves, comme la qualité technique et éthique de la pratique de leurs membres.
Alors que s’affrontent des points de vue qui tentent de répondre à l’urgence qui nous semble imposée, une juste position exige qu’on prenne le temps (pas dix ans, mais quelques mois) pour un véritable état des lieux, qui ne saurait être exclusivement comptable. Quelles sont réellement les pratiques psychothérapeutiques ? Peut-on confondre, sous le même intitulé, premièrement, des pratiques, certes thérapeutiques, mais peu cliniques, de réduction ou de transformation des symptômes, deuxièmement des soins psychiques de malades mentaux en situation de danger, associés à des prises en charge médicales, troisièmement des méthodes d’investigation et de traitement de souffrances psychiques, dont la gravité n’est évaluable que par le sujet lui-même, qui permettent par exemple de découvrir les “ bienfaits de la dépression ”? Qu’en pense ce fameux public qu’il s’agirait de protéger (contre lui-même apparemment) ? Quelle est la réalité des formations actuelles, non seulement des psychothérapeutes, mais aussi des psychiatres, des médecins et des psychologues, en psychopathologie ? Où sont, en vérité, les dangers de la situation actuelle, mais aussi les dangers, à moyen terme, d’une réglementation ?
Il ne s’agit pas de renoncer à toute décision, et notre point de vue n’est certes pas de récuser d’avance toute réglementation.
Ainsi, en limitant, dans l’immédiat, notre propos à nos compétences spécifiques d’enseignants-chercheurs de psychopathologie clinique, il serait possible de trouver des formules permettant d’apporter notre contribution à une part de la formation ou un complément de formation de ces praticiens du soin psychique: Par exemple, concevoir une procédure de validation des acquis de l’expérience pour permettre aux psychothérapeutes en exercice d’accéder directement à un master spécialisé en psychopathologie (avec les moyens financiers, y compris par la formation continue, d’adapter ou de créer ces enseignements); ou encore, au-delà des masters, constituer des cursus, associant les enseignants de psychopathologie, de psychiatrie, d’autres disciplines, éventuellement en convention avec des associations professionnelles.
Voilà autant de raisons pour que les enseignants de psychopathologie clinique à l’université soient entendus. Après diverses insistances et des contacts qui sont restés privés, avec divers interlocuteurs, certes attentifs, mais qui n’ont pu faire valoir cette représentativité, il est urgent de faire entendre aux pouvoirs publics que ces enseignants ne sauraient être exclus de toute décision qui, nécessairement, aura un effet sur leur pratique universitaire.
Il n’est plus temps de solliciter cette reconnaissance, mais de l’exiger. Nous appelons donc les enseignants-chercheurs de psychopathologie clinique à l’université à préparer, dès maintenant, par l’organisation de débats associant les étudiants, les autres enseignants de psychologie et des disciplines voisines et les praticiens, une semaine d’action qui devrait avoir lieu au début du second semestre, ponctuée d’une journée de grève.
Danièle Brun, Catherine Chabert, , Roland Gori,
Jean-Jacques Rassial, André Sirota et François Marty
Le bureau du SIUERPP
Séminaire Inter-Universitaire Européen de Recherche
en Psychopathologie et Psychanalyse
Association Loi 1901 - Président : Roland Gori
Président- fondateur : Pierre Fédida
Dernière mise à jour : lundi 19 janvier 2004
Dr Jean-Michel Thurin