IMPRESSIONS D’UKRAINE

Dr Patrick BANTMAN

Psychiatre des hôpitaux -La queue en Brie -94510 NOGENT
le 16 octobre 1997


  • C’est à la demande du docteur SEMION GLUZMAN et avec le concours de l’Ambassade de France à Kiev qu’a été organisée récemment une mission psychiatrique en Ukraine. Rappelons que le Dr SEMION GLUZMAN psychiatre a été arrêté en 1972 pour activités antisoviétiques, après avoir protesté contre les internements politiques pratiqués en URSS. Il a passé 7 ans de sa vie en camps sibérien. Depuis 1988, il mène un combat contre l’utilisation de la psychiatrie à des fins politiques. Il est Président de l’Union des Psychiatres Ukrainiens et du bureau Ukrainien pour la protection des droits de l’homme.

    Nous étions trois psychiatres, le docteur B. JOLIVET psychiatre, fondateur de la société psychiatrique d’aide à la santé mentale, le docteur D. SABATIER, praticien hospitalier travaillant en toxicomanie, et moi à avoir fait ce voyage.

    République indépendante depuis 5 ans, l’Ukraine est un pays de 52 millions d’habitants et de 600000 km2 qui connaît comme toutes les ex-républiques d’U.R.S.S., de nombreuses difficultés dans les multiples transformations du pays nécessaires pour ouvrir la voie à la démocratisation. Nous avons rencontré lors de notre séjour des responsables du Ministère de la Santé à Kiev. Le “ psychiatre en chef ” au Ministère , ainsi que le responsable de la santé mentale .Ceux-ci ont évoqués la mise en place des réformes dans le domaine de la Psychiatrie. En Ukraine .Les lois régissant la Psychiatrie sont héritières de l’ex-U.R.S.S. C’est actuellement le seul pays de la C.E.I. où les lois de l’ex-U.R.S.S. sont encore en vigueur.

    Les réformes engagées visent à réduire le nombre de lits, à mettre en place des aides à domicile. On trouve officiellement le même désir que dans le monde de l’Ouest de faire évoluer la psychiatrie vers le "système médical.". Les “ politiques ” qui nous reçoivent usent d’un langage très officiel pour évoquer le passage en psychiatrie d’une approche “ paternaliste ” à une approche démocratique. Une loi élaborée récemment n’a pu être adoptée à cause de la pression des associations de familles. Cette loi définissait les aspects essentiels de la protection des droits des malades mentaux, la procédure d’hospitalisation sous contrainte et la garantie sociale des malades mentaux.

    . Il y a en Ukraine 4 000 psychiatres et plusieurs dizaines d’hôpitaux psychiatriques dont la capacité moyenne est de 1000 lits. Ces institutions sont reliées à des dispensaires couvrant la prise en charge ambulatoire, ainsi que des institutions recevant des malades dits “ chroniques ”. Depuis l’indépendance, de nombreuses institutions connaissent des difficultés économiques considérables et sont contraintes souvent de solliciter des aides privées, d’associations religieuses entre autres, car l’Etat ne règle plus les budgets de certains hôpitaux. Le docteur SEMION GLUZMAN nous a fait visiter deux hôpitaux, un plutôt classique, représentatif de l’état sanitaire de l’hôpital psychiatrique moyen en Ukraine, l’autre dont les moyens sont plus importants grâce à une direction médicale plus dynamique pour recouvrir des fonds extérieurs (ainsi l’organisation d’une “ loterie ” a permis au directeur de recueillir 15000 dollars, par ailleurs le Consulat de Grande-Bretagne et la Hollande, ont aidé l’hôpital à s’équiper ou à humaniser les pavillons.

    Les locaux de l’hôpital de TCHERNIGUIV (à 150 km au Nord de KIEV) sont assez vétustes, les malades par chambres de 18 ne disposent pas d’effets personnels, les lits sont côte à côte dans des pièces réduites. Pas de meubles pour les objets personnels, peu de traitement (l’hôpital dispose de “ 50 Kopecs ” pour les médicaments (par patient et par jour soit le prix d'une baguette de pain ). Les moyens thérapeutiques sont réduits, physiothérapie par instillations de minidoses de médicaments, balnéothérapie avec "plantes aromatiques" . Ce qui nous frappe lors de cette visite, c’est que malgré le dénuement les gens ont l’air bien traités, le personnel soucieux de sa fonction. Lors de la discussion, le médecin chef, directeur de l’établissement, évoque sa révocation pour s’être plaint dans la presse de la situation de son hôpital. il a été depuis réinstallé à son poste. Alors que nous lui demandions ces attentes, il insistera beaucoup sur les obstacles politiques au niveau du ministère qui empêche la prise en compte de cette situation, son hôpital est quasi contraint à l’autofinancement. Dans la discussion avec les médecins et psychologues de l’hôpital alors que nous étions là plus pour écouter, ils étaient plus avides de savoir notre réalité professionnelle, signe d’une longue habitude de silence et d’une méfiance à l’égard d’occidentaux . La discussion sur la pratiques de soins et les présupposés théoriques fut brève. Les concepts en vigueur sont “kraepeliniens” et il sont de plus en plus en rapport avec la classification internationale comme la CIM 10 ou le DSM 4, mais aucun travail d’évaluation se fait faute de moyens.

    L’hôpital de JITOMIR à 120 km à l’Ouest est plus “ cossu ”. Plus habitué aussi à recevoir des visiteurs, anglais et hollandais pour la plupart. Notre conférence sur les pratiques en France souleva beaucoup d’intérêt de la part de nos collègues qui après un long moment où les questions étaient écrites et présentés au directeur, nous interpellèrent de vive voix cette fois plus sur les pratiques de soins à la fois hospitalières et ambulatoires, les règles d’hospitalisations, les conduites à tenir, le rôle des Associations de familles. Dans cet hôpital, nous retrouvions des réalités psychiatriques que nous partageons au sein de nos secteurs. Nous avons visité plusieurs services : enfants, adultes, ergothérapies, de malades placés sous contrainte. Les locaux sont assez attractifs, les chambres plus spacieuses. les traitements sont à la fois médicamenteux et psychothérapeutiques. En particulier de nombreuses techniques de groupes sont utilisés. les soins librement consentis par les malades sont variés. Un médecin nous déclare sur un ton “ convaincant ” que ses malades n’avaient pas de besoins sexuels dans l’unité mixte dont elle avait la responsabilité.

    Quand à la visite de l’unité sous contrainte nous eûmes même droit à l’interview de malades dont un qui nous déclare être soigné par un médicament français (en fait il s’agissait du LEPONEX qui lors de l’arrêt de sa commercialisation dans le monde occidental a été utilisé massivement dans tous les pays de l’Est). Là encore notre impression était d’avoir à faire à des soignants "soucieux" du respect dû aux malades et ce malgré des difficultés qui quoique moins criantes que dans le premier hôpital existait tout de même. Les collègues rencontrés à JITOMIR et avec qui nous avions discuté de toutes ces approches en psychiatrie de secteur ont été très attentifs à ce qui caractérise à la fois les aspects positifs - voire moins positif - de nos dispositifs : que ce soit en matière d’évaluation, de continuité de soins, d’effectifs. Ces questions ne sont pas déplacées dans le contexte ukrainien. Certes de graves difficultés sont rencontrées surtout dans le, domaine financier mais ce qu’il souhaite avant tout développer avec la France, c’est rencontrer des interlocuteurs dans le champs psychiatrique soucieux d’abord clinique, de soins psychiques et méfiants à l’égard des réponses types “fastpsychiatrie” que leur propose la psychiatrie Américaine.

    Il est difficile de faire un bilan de ce court voyage mais soulignons quand mêmes plusieurs choses.

    Le travail entrepris par le Dr SEMION GLUZMAN, Président de l’Association Ukrainienne de psychiatrie, vise à mettre en place une coopération avec différents courant de la psychiatrie Européenne dont la France.

    Les contacts établis avec des psychiatres français il y a quelques années se sont quelques peu ralenties. Actuellement beaucoup de littérature psychiatrique américaine est traduite et éditée en Ukraine. Le Dr SEMION GLUZMAN se dépense sans compter afin de soutenir ses collègues à travers le pays mais “ il s’amuse ” à dire qu’il a plus de soutien des ex-représentants du KGB que du ministère de la santé en Ukraine. Il nous demande de le soutenir à plus haut niveau afin qu'à la suite de l’emprise bureaucratique liée à l’exercice de la psychiatrie dans le contexte soviétique , les dirigeants politiques ne puissent continuer à défendre leurs propres intérêts privés ou personnels au dépend des intérêts de santé publique et ce malgré un discours officiel très “ ouvert ” qui nous évoque la fameuse langue de bois des années communistes.

    Le contenu humaniste de la psychiatrie française peut peut-être aider nos collègues à rompre l’isolement dans lequel ils sont. Nous envisageons de proposer plusieurs actions, la traduction du manuel de psychiatrie d’Henri EY est déjà engagée. On peut envisager des échanges de stagiaires et des partenariats inter-hospitaliers. Plusieurs responsables auprès de l’Ambassade de France rencontrés à Kiev et au ministère de la santé à Paris se disent prêts à aider à mettre en place cette collaboration.


  • e-mail Psydoc France
    Mise à jour mars 1999
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