Au départ, il y eut le constat de la ténuité des liens entre psychiatres et documentalistes. C'était un constat optimiste car il s'accompagnait de la double certitude que le renforcement de ces liens était une tâche nécessaire et un objectif assez proche.
Trois obstacles restaient à franchir:
En voici deux illustrations. La première se situe au début des années 60. J'avais obtenu, dans une institution, la création d'un poste de documentaliste. La première titulaire restait assise à attendre l'afflux des chalands. Ils furent rares, elle s'ennuya et partit. La seconde s'activa, noua des relations de travail; elle occupe toujours le poste, et elle a été rejointe par un collègue, qui est devenu l'un des principaux animateurs des réseaux d'échanges documentaires.
Une dizaine d'années plus tard, c'est dans une autre institution qu'on créait un poste de documentaliste. Il y avait dans la place une psychologue qui s'occupait de la bibliothèque à temps perdu, et considérait avoir fait oeuvre d'avant-garde en introduisant la classification décimale. La première documentaliste professionnelle se contenta d'abord de la seconder, puis s'ennuya et partit. Il fallut déployer beaucoup d'énergie pour convaincre le second titulaire qu'une revue de la presse quotidienne nationale n'était pas la première priorité. Après quoi il concevra, suscitera et présidera un réseau de documentation des centres de formation.
Du côté des psychiatres, le départ ne fut guère brillant non plus. Certains eurent du mal à discerner une différence entre une bibliotjèque médicale et une bibliothèque des malades (si ce n'est leur désir de ne pas avoir à s'asseoir à la même table que ceux-ci). D'autres (ils ne furent pas rares) considéraient les documentalistes comme une sorte de secrétaires médicales qui pouvaient être de bonnes exécutantes mais qui, sur leur propre métier, n'en sauraient jamais autant qu'eux. A moins qu'elles ne soient perçues surtout comme inutiles, voire comme gênantes dans le travail.
Le Comité de pilotage de Psydoc-France s'attendait bien à devoir donner le temps et l'énergie nécessaires à l'allègement d'un amas d'impedimenta. Mais le groupe de travail eut une surprise, une bonne surprise, la découverte d'un trésor ignoré.
Ce trésor, c'est une activité de recension. Les publications en langue française sont bel et bien enregistrées et exploitées. Il existe dans toute la France un maillage assez serré de bibliothécaires et de documentalistes qui recueillent, analysent, indexent ce qui paraît, et qui communiquent entre elles . Elles ont forgé de précieux outils de travail, en particulier un vocabulaire de notions, de mots-clés; elles ont mis au point une pratique systématique d'échange de documents.
Mais ce trésor est ignoré; mieux vaudrait dire d'ailleurs qu'il est trop peu connu, et qu'il est sous-exploité. Car ce n'est pas un réseau homogène, il est morcelé. On compte en effet trois réseaux séparés. On comprend que ce cloisonnement nuit aux richesses qui existent: il en rend trop coûteuse la gestion et trop complexe l'accès.
Sur la proposition de J.-M.Thurin, il fut alors décidé d'organiser une rencontre des principaux partenaires et de ceux qui voudraient se joindre à eux. La rencontre devait permettre à des gens de bonne volonté qui ne se connaissaient pas d'aller à la découverte du travail accompli par d'autres, de mieux repérer les besoins et les moyens, d'associer des visages à des fonctions. On sentait qu'il y avait là comme un seuil à franchir.
Le projet obtint rapidement le soutien
La rencontre a eu lieu le 6 mars dernier à l'INSERM (Le Vésinet).Les participants étaient principalement des chercheurs en psychiatrie, des rédacteurs en chef de revues de psychiatrie, des bibliothécaires et des documentalistes. Nous pensions que, s'il y avait une trentaine de participants effectifs, ce serait un succès. Il en vint environ le double.
Pour aider chacun à trouver sa place dans cette rencontre, une des premières interventions consista dans la présentation de trois schémas (voir ci-après en annexe) qui donnent à voir l'itinéraire d'un écrit scientifique entre le moment où le manuscrit est terminé et le moment où le texte arrive sous les yeux du lecteur. Le volume de l'information scientifique se multiplie à tel point qu'elle devient de plus en plus difficile à maîtriser; mais on dispose de plus en plus de moyens pour la recevoir, aller la chercher, la sélectionner - sans pour autant être privé des contacts directs, sans interposition de techniques sophistiquées, qu'il reste possible de choisir librement.
Nous nous sommes tous beaucoup instruits pendant cette journée. Mais surtout nous l'avons mise à profit pour exorciser bon nombre de démons qui barraient la voie de la coopération. Et, en conclusion, un programme de travail fut adopté, qui est publié par ailleurs. La brièveté de cette communication ne permet pas de donner un véritable compte rendu; en voici quelques points forts, sur l'état des lieux et sur les projets.
Dans l'ensemble, l'image est contrastée.
Au niveau national, il existe le réseau informatisé des bibliothèques universitaires , toutes disciplines confondues. Accessible par minitel ou sur RENATER, il donne accès aux catalogues collectifs des livres, des périodiques et des thèses. Sur le même modèle, il s'est constitué deux réseaux de bibliothèques des C.H.S.: un réseau de province, ASCODOC-Psy, qui rassemble 40 C.H.S., et un réseau de Paris-Ile de France de 17 C.H.S. L'existence de ces réseaux permet aux bibliothèques de travailler en virtuel, sur un vaste fonds dont chacune ne possède qu'une partie - et de pouvoir chacune identifier, localiser et obtenir au titre du prêt inter-bibliothèques le document original dont elle a besoin.
Mais il y a des limites. La coopération des bibliothèques de C.H.S. devrait s'accomplir dans le cadre d'un réseau national informatisé et dans l'optique d'un catalogage partagé, ce qui permettrait de rationaliser les tâches. Or, d'une part les contraintes techniques liées à l'informatique restent insatisfaites en raison de l'incompatibilité de choix locaux antérieurs, et d'autre part ces choix locaux sont conditionnés par des contraintes budgétaires et dépendent de tutelles distinctes.
D'ores et déjà pourtant, un type de service peut se développer sur le modèle adopté en Ile de France: en permettant de satisfaire les besoins spécifiques de chaque lecteur, la "veille documentaire" vient compléter les services que rend traditionnellement toute bibliothèque. Les psychiatres, psychologues et chercheurs définissent à l'avance leurs centres d'intérêt, et reçoivent ensuite individuellement les sommaires des articles parus récemment sur leur sujet. S'ils désirent lire l'article, il leur suffit de renvoyer le sommaire à la bibliothèque, qui par retour du courrier leur envoie le document.
Quant à la base de données initiée par la Fédération française de psychiatrie, voici ce qu'en pense une documentaliste: "Psydoc-France ne doit pas paraître aux bibliothèques de C.H.S. comme un remède miracle, mais comme un formidable outil de travail" .
Effectuée en 1994 à l'initiative de la Conférence des Présidents des CME (Commissions médicales d'établissement), une enquête a permis de "faire l'état des lieux" des sites de conservation et de consultation des fonds en province . Tous les établissements (122) ont été sollicités, 46% (56) ont répondu. Il en ressort un constat de misère, dont il y a de bonnes raisons de penser qu'il est presque inchangé en 1997. Pour 53 sur 56, les locaux sont insuffisants. Il n'y a de personnel spécifique - dont seulement 18 documentalistes (dont 15 à temps plein) - que dans 30 établissements. En CES on compte en tout 19 secrétaires et 13 aagents administratifs (5 à temps plein, 5 à mi-temps, 5 à quart de temps). Leur matériel est des plus sommaires, et leur informatisation pratiquement inexistante : 21 photocopieuses, 13 ordinateurs, 19 minitels, 2 télécopieuses. Sur 56 bibliothèques, le buget annuel est inférieur à 50 000 francs.
Néanmoins, le réseau Ascodoc-Psy , ébauché dès 1984, s'est structuré à partir de 1990. En 1997, Ascodoc-Psy réunit 41 bibliothèques et centres de documentation. En perspective, on voit se dessiner un mouvement fédérateur inter-établissements. C'est ensemble que l'ADESM (association des directeurs d'établissements hospitaliers spécialisés), la CPCME (les présidents des commissions médicales d'établissement) et ASCODOC les documentalistes de province) "ont décidé d'organiser et de structurer le réseau dans une formule d'avenir capable de mener à bien les coopérations inter-établissements, la création des outils de documentation nécessaires et le développement des sites....Ils souhaitent être en mesure de proposer en fin d'année l'organisation capable de rassembler les moyens nécessaires et de mettre en oeuvre par des moyens propres en personnel l'optimisation de chaque centre de documentation et du réseau français, celui de province uni au réseau parisien encore actuellement séparés mais en bonne voie de rapprochement" .
Les sites de conservation et de consultation des fonds à Paris et en Ile de France ont construit leur coopération à partir du Bulletin documentaire PSY créé par le service de documentation de l'Institut Paul Sivadon (l'Elan) et la bibliothèque Henry Ey (CH Sainte-Anne). Le bulletin paraît deux fois par mois et propose aux lecteurs plus de 400 sommaires de périodiques. Les développements les plus récents du réseau se sont manifestés dans la coopération avec la Fédération française de psychiatrie et avec la Bibliothèque Nationale de France.
"Cette journée est symbolique d'un besoin important de faire le point et de lancer les grandes lignes d'un travail interdisciplinaire dans le domaine de l'information psychiatrique, entre les professionnels de la santé et de la documentation" .
La journée de rencontre et d'étude a été marquée par de brillantes interventions de spécialistes; elle a aussi donné une large place aux discussions en séance plénière et au sein de quatre ateliers. On citera, à titre d'illustration des thèmes de débat: - pour beaucoup de psychiatres, l'embarras devant les mots-clés, qu'il s'agisse de les créer ou des les utiliser
On retiendra les sept principaux poinst du programme d'action à court et moyen terme tels qu'ils ont été énoncés en clôture par Jean-Michel Thurin:
Le 7 avril 1997, le Comité de pilotage de Psydoc-France a entamé la mise en oeuvre de ce programme, en commençant par les points "a" et "b". Il y a eu tout de suite des volontaires psychiatres et documentalistes pour constituer des équipes mixtes. La route est donc maintenant ouverte.
Dernière mise à jour : dimanche 28 novembre 1999 22:16:08 Dr Jean-Michel Thurin
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