Les deux premières observations sont issues d'un article de P. Sivadon paru en 1955 dans L'Evolution psychiatrique (1). La première concerne les conséquences psychosomatiques de la déportation, la seconde concerne les conséquences psychiques de maladies somatiques.
La troisième est issue d'un petit livre de J. Delay (2), les deux dernières sont extraites du livre "Une vie sans soi" (3).
1) "Lorsqu'en 1945, nous revinrent les rescapés des camps d'extermination, j'eus l'occasion de suivre, à titre prophylactique et pour tenter de faciliter leur réinsertion sociale, un certain nombre d'anciens déportés. Au cours des mois qui suivirent et sur une période d'environ trois années, les faits suivants s'imposèrent à mon observation. Après quelques semaines d'euphorie, la plupart d'entre eux présentèrent une lassitude intense s'accompagnant chez beaucoup de troubles du sommeil. Pour certains, c'était une appétence de sommeil toujours inassouvie ; ils dormaient douze heures et restaient las tout le jour, s'endormant à nouveau au cours de la journée. Pour d'autres, c'était une insomnie nocturne avec souvent , au cours de la journée, des crises de sommeil rappelant la narcolepsie. Presque tous, après quelques mois, commencèrent à manifester des phénomènes d'intolérance alimentaire : ils accusèrent leur foie surmené par les écarts de régime qui avaient suivi leur retour. Puis apparurent des phénomènes d'intolérance sociale : ils ne pouvaient plus supporter l'entourage familial et professionnel qui étaient le leur avant leur arrestation. A peu près tous changèrent de profession. Plus de la moitié rompirent, au moins transitoirement avec leur famille et leurs amis les plus chers. Beaucoup divorcèrent. Cette intolérance sociale de plus en plus diffuse se traduisit chez le plus grand nombre par une instabilité foncière et par des manifestations caractérielles gênantes pour leur entourage.
Beaucoup, particulièrement dans la deuxième année qui suivit le retour, se mirent à absorber des boissons alcoolisées à des doses qu'en d'autres temps ils n'auraient pu supporter.
Puis, vers 1947 et 1948, certains se stabilisèrent, ils se mirent à rêver des scènes dramatiques qui, peu à peu, ressemblaient davantage à leurs propres aventures et tout rentra dans l'ordre. certains restèrent simplement sensibilisés à certaines situations et à certains personnages (contraintes, attentes, policiers, etc ) sensibilisation qui persiste encore, après 10 ans, se manifestant par une véritable intolérance anaphylactique. Chez d'autres, vers la deuxième ou troisième année de leur retour apparurent des manifestations névropathiques variées (céphalées, subanxiété, algies diverses) suivies, à l'occasion d'un choc émotionnel minime ou parfois d'une grippe banale, d'une névrose caractérisée."
Ce cas présente le processus d'apparition d'un syndrome post traumatique et ses caractéristiques cliniques.
2) Marcelle L. 32 ans
Aucun antécédent névropathique jusqu'en 1950. Elle fait à cette époque des oreillons avec manifestations encéphalitiques. Une ponction lombaire ne révèle rien d'anormal. Aussitôt après, apparaissent des céphalées, des crises d'hypersomnie, une asthénie marquée. Puis elle se montre intolérante à l'égard de son mari et de fréquentes disputes conjugales surviennent. Puis l'intolérance diffuse sur le plan alimentaire : elle ne peut plus supporter les ragoûts, les sauces et elle se fait traiter "pour le foie". Survient une grossesse au cours de laquelle tous les troubles disparaissent pour reprendre aussitôt après l'accouchement. Elle s'est progressivement brouillée avec toutes ses amies. Son ménage fortement ébranlé par ses troubles caractériels se brise enfin et son mari l'abandonne. Aussitôt après, réapparaissent les céphalées, l'hypersomnie, l'asthénie et, deux ans après l'atteinte ourlienne, à l'occasion d'un rappel de son drame conjugal, s'installe une névrose anxieuse avec son cortège habituel d'angoisse, de dépression et d'insomnie."
Ce cas pose la question de l'initiation d'une pathologie mentale par un stress infectieux et les réactions immunitaires qui l'accompagnent.
3) M. D a 22 ans. Il est canonnier de DCA pendant la guerre de 39-40. Au cours dun bombardement, il voit succomber tous les autres servants de sa pièce de batterie. Il présente en quelques heures tous les signes de la maladie de Basedow : exophtalmie, tremblement, tachycardie à 150 par minute, diarrhée, sueurs et légère augmentation du volume du corps thyroïdien. Avant le choc, il ne présentait aucun symptôme de cette maladie.
4) Une femme de 39 ans est appelée au téléphone chez un voisin. Elle attend une nouvelle importante : le résultat du bac de son fils. Elle se précipite dès quon la prévient. Malheureusement, le chien du voisin surpris, se jette sur elle et la mord. Dans les jours qui suivent, elle perd tous ses cheveux et ses règles sinterrompent à jamais. Elle restera définitivement chauve.
Ces cas marquent de façon absolument indiscutable linfluence que peut avoir une émotion sur des fonctions somatiques complexes.
5) Un homme est opéré d'un cancer du poumon. Vingt ans se passent. Son petit fils auquel il est très attaché est renversé par une voiture et décède. Un mois plus tard, son cancer récidive. Il meurt en quelques semaines.
Ce cas pose le problème de la levée brutale du contrôle de cellules cancéreuses.
Jean-Michel THURIN
(1) SIVADON P., Phénomènes d'intolérance et mécanismes allergiques en pathologie mentale, L'Évolution psychiatrique, 11, avril-juin 1955, pp 299-326.
(2)DELAY J., La psychophysiologie humaine", , Collection "Que sais-je ?"
(3) THURIN JM., Une vie sans soi, Ed Frison-Roche, 1996, 240p
Dernière mise à jour : mercredi 27 octobre 1999 15:24:20 Dr Jean-Michel Thurin
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