Stress et axe corticotrope
Réflexions autour de la physiopathologie de la dépression et du PTSD
Pr Michel REYNAUD
CHU de Clermont-Ferrand
DONNEES GENERALES CONCERNANT L'AXE CORTICOTROPE
Les mécanismes d'adaptation au stress mettent en route deux systèmes
neuroendocriniens couplés mais relativement autonomes :
- l'axe catecholamnergique
- l'axe corticotrope
La mise en route de l'axe corticotrope semble destinée en premier lieu à
supprimer ou à atténuer les effets du stress aigu, notamment ceux induits
par les catécholamines, une fois que l'individu à trouvé la bonne réponse
adaptative.
Cette mise en route de l'axe corticotrope serait corrélée à la mise en
route des mécanismes cognitivo-affectifs permettant de contrôler la
situation. On peut donc considérer qu'il s'agit d'un axe allant du sens du
contrôle, de la maîtrise, du soutien social à la perte du contrôle, la
soumission et la résignation. : lorsque les stratégies de "coping" (les
mécanismes d'adaptation cognitivo-affectifs) ont été efficaces, la
cortisolémie revient à la normale. Dans le cas contraire, lorsque la
sensation de stress persiste, lorsque le sujet a l'impression d'être sans
maîtrise sur la situation ou que la situation traumatisante perdure
objectivement, il y aura alors maintien de l'hyper-cortisolémie.
Différents travaux sur l'animal et sur l'homme, ont montré que la
réactivité de l'axe corticotrope était déterminée, au moins partiellement,
par des facteurs génétiques et par des facteurs environnementaux précoces
(voire néonataux).
LES PERTURBATIONS DE L'AXE CORTICOTROPE DANS LA DEPRESSION
(schéma)
Un certain nombre de données sont maintenant parfaitement documentées
prouvant une perturbation du fonctionnement de l'axe
hypothalamo-hypophyso-surrénalien dans la dépression, dans la même manière
que dans le stress chronique.
Ces données sont les suivantes :
- l'hypercortisolémie
Déjà mise en évidence en 1973 par Sachar, cette donnée est maintenant
admise par tous. Toutefois, elle ne concerne pas tous les déprimés, mais
simplement une majorité. Il n'est pas, à l'heure actuelle, possible de la
corréler à un type particulier de dépression. Cette hypercortisolémie
s'accompagne d'une modification du bio-rythme de sécrétion du cortisol avec
une tendance à l'avance de phase et surtout un nombre de pics sécrétoires
plus élevés. Quand cette hypercortisolémie est présente, elle est le plus
souvent non freinable par le test à la dexaméthasone.
- l'hypercortisolurie
Il s'agit-là d'une donnée plus récente. La cortisolurie des 24 heures est
augmentée de façon quasi constante, mais souvent avec une importance
modérée. Cette hypercortisolurie persiste en général après la guérison
clinique et précède vraisemblablement la dépression.
- le CRF est augmenté
Différentes études ont montré que le taux de CRF dans le liquide
céphalo-rachidien est augmenté significativement par rapport aux témoins,
et qu'il est corrélé positivement à l'hyper-cortisolémie. Signalons, par
contre, que la sécrétion basale d'ACTH n'est pas systématiquement majorée.
- hyperplasie des surrénales
L'augmentation des surrénales dans la dépression a été retrouvée chez un
tiers des patients déprimés. La taille des surrénales est environ 60 % plus
grande chez ces déprimés que chez les témoins. Ces résultats ont été
trouvés aussi bien au scanner et à la résonance magnétique nucléaire que
lors d'étude anatomo-pathologique chez les suicidés. On considère que cette
augmentation de volume se fait au dépend de la cortico-surrénale et non de
la médullo-surrénale, celle-ci représentant moins de 10 % du volume de la
surrénale. Une autre étude, conduite par Rubin, visant à mesurer en IRM,
chez 11 déprimés chroniques, le volume de la glande surrénale a mis en
évidence que non seulement ce volume augmentait de 70 %, en moyenne, mais
également qu'il revenait à une taille normale au sortir de la dépression.
- l'augmentation de volume de l'hypophyse dans la dépression
Elle concerne également un tiers des déprimés. Cette augmentation est en
moyenne de 25 % de plus que chez les témoins et elle augmente avec l'âge,
ce qui tend à laisser penser que la taille de l'hypophyse a quelque chose à
voir avec l'accumulation des stress et des dépressions de l'existence.
Schéma 19
- la diminution de volume de l'hippocampe dans la dépression
Il est à peu près admis que l'hippocampe est un des sites de régulation
principaux du feed-back des glucocorticoïdes. Il était logique de penser
que la taille de l'hippocampe pouvait être diminuée dans certaines
dépressions. Ceci a été confirmé par un travail récent qui a mis en
évidence une corrélation négative entre la taille de l'hippocampe, mesurée
par RMN, et le cortisol de 23 h, l'âge de début de la dépression et le
nombre d'hospitalisations.
Les hypothèses explicatives
Il est possible d'élaborer un schéma cohérent qui situe ces anomalies les
unes par rapport aux autres et établit des liens entre le stress chronique
et la dépression.
Dans un premier temps, une hyper-secrétion de CRF entraîne une
hyper-secrétion d'ACTH et de cortisol. Secondairement, les surrénales
s'hypertrophient et entraînent une hyposensibilité des récepteurs aux
glucocorticoïdes ce qui maintient l'hyper-cortisolémie (malgré la
normalisation des taux d'ACTH). Rappelons que le stress augmente le teneur
du cortex en CRF. On peut donc proposer le modèle suivant : chez un sujet
prédisposé, des situations de stress survenant en fin d'adolescence ou à
l'âge adulte sont à l'origine d'une sécrétion de CRF qui induit des
comportements dysphoriques dont la durée dépasse celle des événements
déclenchants. La répétition de ces épisodes (et donc de la sécrétion de
CRF) aboutira progressivement à l'autonomisation du processus et des
réactions comportementales. Cette autonomie explique l'apparence de
spontanéité que peuvent avoir les rechutes dépressives ultérieures. Lors
des états dépressifs, on pense que l'hypercortisolémie induite par le CRF
désensibilise les récepteurs aux glucocorticoïdes, ce qui tend à pérenniser
l'hypercortisolémie (glucocorticoïdes cascade hypothesis). On aboutit à
l'hypertrophie des surrénales évoquée ci-dessus. Soulignons également que
l'ACTH n'est pas sécrété seule, que les autres peptides qui dérivent comme
elles du même précurseur (le POMC) jouent certainement un rôle. De plus,
nous l'avons vu, l'axe hypothalamo-hypophyso-corticosurrénalien est en
interaction avec le locus coeruleus et le système noradrénergique et ces
deux systèmes se renforcent mutuellement.
L'hypertrophie de l'hypophyse sans qu'il y ait forcément d'augmentation de
l'ACTH résulterait de l'augmentation de sécrétion du CRF, le CRF étant un
puissant facteur de croissance des cellules corticotropes de l'hypophyse.
Cette sécrétion chronique aurait probablement désensibilisé les récepteurs
au CRF de ces cellules corticotropes.
L'origine de cette sensibilité particulière au stress doit être évoquée
dans la sensibilisation qu'induisent les événements de vie précoces
néfastes, telles les carences affectives. Il a pu être démontré que les
carences précoces induisent une beaucoup plus grande sensibilité aux stress
ultérieurs avec une plus grande activation de l'axe corticotrope et de
l'axe catécholaminergique
LES PERTURBATIONS DE L'AXE CORTICOTROPE DANS LE PTSD
(schéma)
La diminution de la cortisolémie et de la cortisolurie.
La cortisolémie et la cortisolurie sont diminuées
,
le test à la dexaméthasone met en évidence une hyperfreination avec
baisse du cortisol plasmatique plus importante que chez les sujets
contrôles ; comme si le bio-feed-back hypothalamique était renforcé et que
les récepteurs aux corticoïdes de l'hypothalamus étaient hypersensibles.
Augmentation du nombre et de la sensibilité des récepteurs aux corticoïdes
: mise en évidence par le test à la dexaméthasone, elle a été retrouvée sur
les lymphocytes
L'augmentation du CRF constitue un paradoxe
On assiste donc à une dissociation entre la stimulation hypothalamique et
une hypoactivité corticotrope.
Deux explications sont possibles :
- soit l'augmentation du CRF non hypothalamique
- mais surtout le CRF hypothalamique élevé n'active plus normalement l'axe
corticotrope : dans le PTSD le système a trouvé son propre équilibre.
Il existe une dysharmonie du feed-back dans les différentes régions du
cerveau chez les PTSD : le traumatisme serait ainsi capable d'aller
modifier de façon sélective et définitive le fonctionnement de certaines
populations de récepteurs aux corticoïdes dans le cerveau.
Ainsi, l'axe corticotrope, apparemment hypoactif, est en réalité hyperreactif
- L'axe corticotrope est hyperfonctionnel.
- Les récepteurs aux corticoïdes sont hyperréactifs : en effet, lors du
test à la métapyrone (blocage de synthèse de cortisol), l'ACTH augmente 2 à
4 fois plus que chez les témoins.
Il n'y a pas d'anomalies de fonctionnement de la surrénale ni de
l'hypophyse, mais seulement une hypersensibilité des récepteurs aux
corticoïdes dans l'hypophyse.
Diminution du volume de l'hippocampe chez les sujets souffrant de PTSD
Les vétérans du Viet-Nam souffrants de PTSD ont un volume de l'hippocampe
droit diminué de 8%.
Le volume de l'hippocampe (gauche) est diminué de 12 % chez des malades qui
avaient des antécédents d'abus sexuels.
Le PTSD est l'empreinte indélébile d'un événement traumatique.
L'étude du fonctionnement de l'axe corticotrope montre que dans les heures,
les jours et mois qui ont suivi un viol ou un accident de la route :
Mais le terrain du PTSD précéderait le PTSD lui-même.
L'hypothèse n'est
plus de considérer l'événement traumatique comme un facteur causal mais
plutôt comme un facteur déclenchant. Parallèlement, le syndrome de stress
post-traumatique perd son statut de conséquence unique de l'événement
traumatique.
Des taux bas de cortisol au moment d'un évènement traumatique sont ainsi
corrélés à une expérience antérieure de trauma : il est vraisemblable que
ce soit un traumatisme antérieur qui soit à l'origine des cortisolémies
basses observées après un événement traumatique à l'âge adulte.
Un traumatisme inaugural lors d'une période critique de la maturation du
système nerveux (dans la petite enfance), aurait produit une augmentation
massive de cortisol, et cette augmentation massive initiale de cortisol
aurait définitivement déréglé le système, dans le sens d'un
hypocortisolisme chronique, avec hypersensibilité permanente de certains
groupes de récepteurs aux corticoïdes dans le cerveau.
Enfin, le PTSD permet de poser, de façon passionnante, la question de la
transmission transgénérationnelle des traumatismes.
Il existe une beaucoup plus grande fréquence de PTSD chez les personnes
parentes au premier degré de survivants à un traumatisme grave : ainsi la
fréquence des PTSD chez les enfants de personnes qui ont survécu à
l'Holocauste est trois fois plus importante que dans la population générale.
Ces descendants ont des cortisolémies significativement plus basses que la
population générale (et ces cortisolémies sont encore plus basses s'ils ont
un PTSD). Enfin, leur rythme circadien de cortisol est identique à celui
des PTSD.
Ceci mène à l'hypothèse étonnante d'un axe corticotrope dont le
fonctionnement particulier aurait été transmis par un événement n'existant
que dans la mémoire de leurs parents.
Deux hypothèses explicatives peuvent être avancées :
- soit certaines particularités comportementales caractérisant les
survivants de l'Holocauste, deux attitudes sont habituellement décrites : "
hyperarousal " (hyper éveil) : troubles du sommeil, irritabilité, colères,
"emotional numbing" : (paralysie, froideur des émotions) restriction des
affects.entraînent un fonctionnement affectif de l'environnement parental
capable de modeler l'axe corticotrope d'un enfant.
- soit il y a eu transmission d'un trait génétique : ceux qui ont survécu
avaient depuis toujours un fonctionnement de l'axe corticotrope mieux adapté.
Interactions catecholamines-corticoïdes
La noradrenaline
On retrouve dans le PTSD un locus coerulus hyperréactif au stress, avec
hypersecrétion noradrénergique .
Interactions catecholamines/axe corticotrope/renforcement mnésique
- l'association d'une hyperactivité sympathique et d'une faible activité de
l'axe adrénergique hypothalamo-pituitaire après un stress renforce la
consolidation mnésique. L'hypothèse repose sur l'effet des deux systèmes
hormonaux sur le cerveau ou bien sur une réponse inappropriée et prolongée
du système sympathique au stress normalement contrôlé par les niveaux de
cortisol circulant. L'effet pathologique du traumatisme interviendrait par
l'intermédiaire des modifications fonctionnelles de la capacité cérébrale à
répondre à de nouveaux stress et par le renforcement de l'apprentissage et
de la consolidation de cette mémoire traumatique.
PTSD ET DEPRESSION
(schéma)
PTSD et dépression peuvent apparaître comme les deux pôles d'un spectre de
maladies :
PTSD et dépression peuvent apparaître comme les deux pôles d'un spectre de
troubles psychiques caractérisés par des anomalies de réponse del'axe
corticotrope, avec réactivité anormale (hypo et hyper) des récepteurs aux
corticoïdes. Il existe, pour les expliquer, à la fois des hypothèses
génétiques, mais aussi des hypothèses développementales (le fonctionnement
des neurotransmetteurs et des systèmes hormonaux est façonné par
l'environnement).
Mais on retrouve aussi rapidement les limites de l'opposition entre PTSD et
dépression
La comorbidité PTSD et dépression est fréquente : PTSD, dépression, stress
chroniques, troubles du comportement alimentaire, alcoolisme toutes ces
pathologies font partie du même spectre de maladie.
On retrouve des facteurs de risque individuels, à première vue, assez
proches: antécédents de traumatisme précoce (séparation, abus sexuel et
maltraitance), certains traits de personnalité névrotique, antécédents de
troubles psychiatrique (anxiété, dépression) et troubles des conduites
durant l'enfance.
Réfléchir sur l'hétérogénéité des réponses des individus face à un traumatisme.
Les études biologiques sur la dépression et sur le syndrome de stress
post-traumatique nous encouragent à réfléchir sur l'hétérogénéité des
réponses des individus face à un traumatisme. Il paraît vraisemblable qu'il
faille prendre en compte les facteurs de stress antérieurs et ultérieurs et
les autres facteurs de risque dans l'apparition d'altération du système
neuroendocrinien.
Les systèmes noradrénergique et corticotrope sont des systèmes au
développement plastique, modulables par l'environnement et qui
interagissent entre eux.
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LES PERTURBATIONS DE LAXE CORTICOTROPE DANS LA DEPRESSION
Schéma
Hypothèses explicatives
Sujet prédisposé situations de stress
premier temps
secondairement
autonomisation du processus
apparence de spontanéité des rechutes dépressives
axe corticotrope est en interaction avec le locus coeruleus et le système noradrénergique
LES PERTURBATIONS DE LAXE CORTICOTROPE DANS LE PTSD
Schéma
Discussion
Le PTSD est lempreinte indélébile dun événement traumatique
Mais le terrain du PTSD précéderait le PTSD lui-même
Le PTSD permet de poser la question de la transmission transgénérationnelle des traumatismes
Deux hypothèses explicatives
Interactions catecholamines-corticoïdes
PTSD : locus coerulus hyperréactif au stress
Interactions catecholamines/axe
corticotrope/renforcement mnésique
PTSD ET DEPRESSION
PTSD et dépression peuvent apparaître comme les deux pôles dun spectre de maladies :
les limites de lopposition entre PTSD et dépression
la comorbidité PTSD et dépression est fréquente
facteurs de risque individuels, à première vue, assez proches
Réfléchir sur lhétérogénéité des réponses des individus face à un traumatisme
Dernière mise à jour : samedi 9 octobre 1999 19:37:10
Dr Jean-Michel Thurin