COLLOQUE FRANCO-AMERICAIN DE PSYCHIATRIE
FRENCH AMERICAN PSYCHIATRIC MEETING


Paris/Beaune (France) : 8-12 juin 1998
Paris/Beaune (France) : June 8-12, 1998


Shakespeare et les Français

Y. Thoret, Meulan-Les Mureaux, France

  • Pour tenter de comprendre l'opinion que William Shakespeare avait de la France et des Français, on peut étudier ce thème dans trois drames historiques de cet auteur, décrivant des épisodes de la Guerre de Cent ans, Vie et mort du roi Jean, Henri V, et la première partie d'Henri VI.

    Dans ces pièces s'expriment les archétypes nationalistes qui ont toujours cours en temps de guerre. Shakespeare adopte le point de vue anglais de son époque, non dépourvu de chauvinisme. Pour autant, il ne masque pas les défauts de certains nobles anglais.

    Vie et mort du roi Jean oppose des descendants de Guillaume le Conquérant, à la quatrième ou à la cinquième génération. Guillaume, duc de Normandie, conquit l'Angleterre avec une armée de Franco-Normands contre les Anglo-Saxons, à partir de 1066. A sa mort son fils lui succéda ; les fils de celui-ci moururent dans un naufrage et le royaume d'Angleterre aurait du revenir à sa fille, Mathilde, mariée à Geoffroy d'Anjou. Ce prince vivait à Angers et était un grand chasseur, c'est pourquoi on le surnomma Plantagenêt car il aimait traverser à cheval les fourrés et les genêts.

    A cette époque, la succession des femmes n'était pas encore bien établie et le peuple préféra un autre prétendant, bafouant ainsi le droit légitime de l'héritière directe de Guillaume le Conquérant. L'histoire va montrer la revendication permanente de la lignée des Plantagenêt au trône d'Angleterre et leur rivalité guerrière prolongée avec le royaume de France.

    Geoffroy Plantagenêt, duc d'Anjou, reconquit la Normandie et l'Angleterre. Son fils Henri reprit sa succession et conquit également le cœur de l'épouse du roi de France, Eléonor d'Aquitaine. Trouvant son mari trop dévot, elle fit annuler son mariage et épousa le jeune souverain, Henri II, qui régna sur l'Angleterre et la moitié ouest de la France actuelle (Normandie, Anjou, Aquitaine, de la Somme aux Pyrénées).

    Il voulait réunir, enfin, pour ses fils les royaumes de France et d'Angleterre.

    A sa mort, son fils Richard Cœur-de-lion régna quelques années, puis mourut au cours d'un combat. La pièce de Shakespeare, « Vie et mort du roi Jean », se situe à cette période de succession. L'héritier légitime est le fils du frère cadet de Richard ; cet enfant est Arthur, duc de Bretagne. Le dernier frère de Richard, Jean sans terre, revendique aussi la succession au mépris du droit d'Aînesse et cherche à l'obtenir par la force.

    Le roi de France, Philippe-Auguste, s'engage à protéger les droits du jeune prince et vient affronter l'armée de Jean-sans-terre devant la ville d'Angers. Shakespeare montre, à travers ce personnage, le caractère légitimiste et généreux des nobles français.

    Il décrit également le comportement versatile du roi de France qui, pour éviter une bataille, accepte de déshériter le jeune prince Arthur, en mariant son propre fils à une nièce de Jean-sans-terre. C'est maintenant le roi de France qui ambitionne de faire régner son fils sur la France et l'Angleterre.

    Les citoyens de la bonne ville d'Angers arbitrent ce conflit diplomatique et montrent leurs qualités d'éloquence et de persuasion.

    La mère du prince Arthur, une veuve, la princesse Constance, dénonce avec force cette trahison et c'est un des plus beaux personnages du théâtre de Shakespeare. La décision reste irrévocable et, malgré ses véhémentes protestations, elle ne trouvera devant elle que la cruauté du roi Jean et la démission du roi Philippe-Auguste. Elle développe alors un registre de désespoir qui est tout-à-fait intéressant sur le plan psychopathologique. Elle fait partie d'une série de personnages féminins du répertoire de Shakespeare qui expriment avec une grande richesse la protestation, la révolte et le sacrifice face à l'adversité, à l'injustice et à la trahison. C'est une voix de souffrance et de lamentation (vailing character), une image de résistance, une passion pour la justice et le juste droit. Son désespoir ira croissant sans atteindre à la folie, en tant que reconstruction délirante. Elle mourra de chagrin quand elle se rendra compte que le roi Anglais va faire mourir son fils.

    Dans Henri V, pièce portée à l'écran par Laurence Olivier et par Kenneth Branagh, les personnages féminins sont niais et apprêtés. La pièce montre une rivalité de type phallique entre le Dauphin de France qui fait livrer au souverain d'Angleterre un tonneau de balles de jeu de paume et celui-ci qui répondra par la guerre. Les chevaliers Français sont décrits comme ridicules, vantards, arrogants, moqueurs et méprisants envers les Anglais « bâtards de Normands ».

    Enfin, dans la première partie d'Henri VI, le personnage de Jeanne d'Arc exprime la révolte des Français contre le royaume d'Angleterre. Shakespeare discrédite Jeanne en la présentant comme une adepte des pratiques de sorcellerie ; elle fait apparaître des démons, auxquels elle se montre prête à sacrifier sa vie et son âme pour obtenir leur aide dans sa mission de libération. Par contre, le discours par lequel elle parvient à convaincre le duc de Bourgogne de se ranger à nouveau parmi les armées de France est remarquable de lyrisme passionné.

    Loin de ces estampes guerrières, Shakespeare fait référence à la France dans d'autres pièces, telles « Le roi Lear » et « Peines d'amour perdues ». Il célèbre là l'image de la France comme d'un merveilleux jardin, lieu de subtilité, d'élégance, de joie de vivre et de culte de l'amour. La princesse de France, dotée de grâce et de séduction, sait par exemple résumer en quelques mots les rapports entre le masculin et le féminin : « N'oublions pas que les femmes sont engendrées aussi par les hommes et que les hommes ne deviennent tels que s'ils sont reconnus par les femmes ».

    Enfin, face à la folie du roi Lear, la France maintient sa parole et fait intervenir son épouse Cordélia pour soutenir son père, aux moments les plus difficiles.

    Il m'a semblé intéressant d'évoquer avec ce grand auteur certains archétypes concernant notre pays et son histoire.