COLLOQUE FRANCO-AMERICAIN DE PSYCHIATRIE
FRENCH AMERICAN PSYCHIATRIC MEETING


Paris/Beaune (France) : 8-12 juin 1998
Paris/Beaune (France) : June 8-12, 1998


Réhabilitation et resocialisation des malades présentant des pathologies invalidantes en France

D. Leguay, Les Ponts de Cé, France

  • Nous envisagerons le sujet de la réhabilitation en France en traitant d'abord du présent, lui-même issu du passé, puis de l'avenir et des perspectives qui se profilent.

    Sur le présent, trois points de vue complémentaires : les réalités pratiques, le système qui les soutient, la philosophie qui les inspire.

    Sur l'avenir, nos réflexions, nos questions, nos espoirs : nous serons subjectifs.

    Les réalités du présent, l'héritage du passé

    * Dans toutes les réflexions sur l'organisation des soins de santé mentale en France s'impose un préalable : le concept de secteur. Bien qu'il ait été certainement déjà décrit longuement à nos hôtes, nous reviendrons sur ce principe fondateur de la psychiatrie française. S'il fait notre fierté, nous estimerons avec une suffisance toute française que c'est à juste titre.

    Le secteur de psychiatrie générale a structuré les pratiques de soins sur un modèle unique qui fait sa force, mais aussi sa méconnaissance de tout ce qu'il n'est pas. Il y a à la fois une réussite et une impasse du secteur.

    La réussite, qui est considérable, c'est la primauté donnée à la prise en charge des patients chroniques dans une continuité structurante, qui vient étayer les fragilités de la continuité psychique. C'est le souci de santé publique, de prévention, c'est la préoccupation de l'égalité devant la maladie, c'est la priorité donnée à l'analyse psychodynamique et sociale, à la réinsertion, aux alternatives de progrès à l'hospitalisation.

    L'impasse, la faille, le « talon d'Achille » du système tient à cette réussite : l'ensemble de la prise en charge psychothérapique se concentre sur cette pratique médicale, dans un cadre exclusivement sanitaire, ignorant, non en théorie, mais en pratique, la dimension sociale. Cette méconnaissance est liée autant à des oppositions conceptuelles (maladie/handicap, soins/pédagogie, interprétation-production de sens/apprentissage) qu'à l'ignorance réciproque de deux mondes professionnels qu'ont historiquement opposés, et opposent encore, la formation initiale des acteurs, les règles administratives présidant au fonctionnement et au développement des institutions, et les pratiques de terrain.

    * Les réalités du secteur sont constituées par la pluralité des formules d'alternatives à l'hospitalisation (hôpitaux de jour, centres d'accueil et de crise, centres de consultations ambulatoires, appartements thérapeutiques, ateliers thérapeutiques...) prenant sens dans la continuité d'une démarche de soins et l'articulation de ses séquences, l'unicité d'une équipe et d'un projet, elles-mêmes fondées sur la solidité et la pérennité d'un « budget global » hospitalier. Les résultats en sont, depuis quinze ans, une désinstitutionnalisation importante et globale, un retour à la communauté civile d'une grande proportion de patients chroniques avec une qualité de vie acceptable et sans clochardisation.

    * Les réalités du monde médico-social, en matière de resocialisation des patients psychiatriques, sont moins connues. Gouvernées par la Loi du 30 juin 1975, les institutions associatives qui les ont mises en œuvre ne sont pas financées par le budget de l'assurance maladie (qui a globalement suivi, au moins jusqu'en 1996, l'évolution des demandes), mais par des budgets d'Etat, soumis à planification en fonction de besoins prouvés. Autant dire que, du fait de l'absence d'une politique incitative comme de consensus sur le bien-fondé et la faisabilité pratique, les réalisations furent inégales et disparates. Les manques concernent essentiellement l'hébergement protégé au long cours, les lieux de vie, et le travail protégé.

    * Or la tradition psychiatrique hospitalière française, dominée depuis le début des années 50, et sous l'influence de quelques grandes voix, par les théories psychanalytiques, la recherche du sens, la prise en compte de la subjectivité, au lieu de considérer la pédagogie, l'apprentissage, ou la suppléance sociale comme des alliés à la démarche thérapeutique a toujours voulu y voir un obstacle à l'évolutivité du sujet. Ce dernier n'était pas considéré comme la victime de l'organisation régressive et stérilisante de sa personnalité, encore moins d'une maladie invalidante, mais implicitement comme le sujet d'un processus toujours réversible, au gré de son désir ou de l'habileté relationnelle de son thérapeute. On craignait par dessus tout de le « figer » dans son handicap. Ainsi les conditions de vie des malades ont trop longtemps été subordonnées aux conditions de dispensation du soin.

    L'avenir : quelles directions de travail ?

    * S'il fait maintenant également consensus en France, après les nombreuses études de qualité de vie, que les patients gravement invalidés n'en souhaitent pas moins vivre en dehors de l'institution hospitalière, la réussite en pratique d'une réinsertion se heurte aux mêmes difficultés que celles qui ont été relevées ailleurs dans le monde. Les retours à l'institution ne sont pas rares, la rareté du travail, la pauvreté relationnelle, la vulnérabilité aux difficultés de l'existence et le déficit en habiletés sociales fragilisent ceux des patients qui ont choisi d'avoir un logement autonome. Toutefois certains phénomènes de précarisation décrits dans les expériences de désinstitutionnalisation aux Etats-Unis ou en Italie sont, semble-t-il, moins fréquents en France. Les patients souffrant de pathologies psychiatriques lourdes, du fait de leur reconnaissance administrative et de la protection sociale qui en résulte, ont un logement et des revenus leur permettant de vivre, ou de survivre, sans mettre leur vie en danger. Il n'existe pas ou peu, non plus, de phénomènes de transinstitutionnalisation. Le secteur psychiatrique, par sa pérennité, assure les soins ambulatoires, le suivi social en lien avec les tuteurs et les travailleurs sociaux du quartier, et la certitude d'un retour hospitalier possible.

    * Les lacunes du système français se tiennent à deux niveaux :

    La méconnaissance, ou la résistance, de la psychiatrie française aux techniques de réhabilitation, considérées, ainsi qu'il est dit plus haut, comme désubjectivantes, est un obstacle culturel à prendre en compte, alors que le besoin en est, les problèmes pratiques des malades et la mise en œuvre de solutions d'apprentissage ou de suppléance indispensables. De fait, les équipes infirmières comme médicales auront plus tendance à être à l'écoute des patients qu'à les aider dans le concret. Peu chercheront à donner au patient fragilisé par l'apragmatisme schizophrénique les moyens conceptuels, relationnels, ou de savoir-faire, pour faire reculer de manière volontariste l'incurie, le repli, l'isolement, le réflexe persécutif, la désorganisation dangereuse de la conduite.

    Le clivage administratif entre institutions sanitaires et institutions sociales empêche encore actuellement de penser et de mettre en œuvre des structures de prise en charge adaptées aux patients psychotiques et qui associent dans un même lieu soins (ou au moins tolérance de la pathologie) et actions de réinsertion. Ainsi en est-il de foyers d'hébergement, de structures de travail protégé, de structures d'aide à la réinsertion en milieu ordinaire de travail, de lieux de vie pour personnes gravement atteintes, comme les autistes, qui manquent aujourd'hui cruellement.

    Alors que chacun maintenant s'accorde à reconnaître à ces personnes leur droit à la « citoyenneté », à la solidarité de la société sans qu'intervienne comme discriminative la nature de la pathologie dont ils souffrent, alors que globalement les moyens financiers sont présents pour qu'évoluent leur condition dans ces domaines, les moyens culturels, administratifs et techniques font encore défaut.

    Les développer est l'enjeu des prochaines années pour l'évolution des pratiques psychiatriques, et pour les conditions d'existence des malades.