Programme CEDRATE - 6 - 8 mars 1997, Paris
Corinne CHAIGNE et Isabelle STEFANELLI
Au travers de la souffrance et des difficultés rencontrées durant les années de guerre - difficultés autant psychologiques que de la vie au quotidien - Madame Sarac nous a relaté l'histoire de femmes qu'elle et son équipe ont accueillies à l'hôpital de Kosevo.
Les éléments qui vont suivre, ne peuvent en aucun cas être une généralité. C'est pourquoi, dans le cadre de la recherche concernant la population infanto-juvénile dans les guerres et les génocides, nous avons l'intention d'aller dans différentes villes de Bosnie afin de recueillir d'autres témoignages pour étayer notre questionnement.
Pour le plus grand nombre ces femmes ont été détenues en captivité dans un entrepôt. Elles ont été violentées et violées par plusieurs hommes. Le viol a été organisé voir institutionnalisé afin de " polluer " la culture, la société musulmane de Bosnie. Par là même, la femme devenait un élément important dans cette stratégie de guerre. Les femmes ont été libérées lorsque leur grossesse est arrivée à son terme.
A l'hôpital, elles n'ont été que l'expression de détresse, de souffrance, accompagnée pour la plupart d'un repli sur soi, mutisme. Il semble que la seule envie a été de voir disparaître la violence exhorbitante dont elles ont été l'objet, par l'abandon de l'enfant né de ces actes.
Il y a évidemment des contre exemples qui nous ont été relatés. Parmi ceux-ci, l'histoire d'une femme violée qui a mis au monde un enfant et a souhaité et pu le garder avec l'accord de son mari, celui-ci a considéré que sa femme a été victime de la guerre au même titre que lui. Cependant, pour un grand nombre, l'abandon semble avoir été une solution. Dans ces conditions de violence et de douleur, comment le foetus a t-il pu se développer ? Quelles ont été les répercutions sur le développement lorsque la conception n'a pas été l'expression du désir d'enfant, mais un acte de violence que représente le viol ? Quel sera le ressenti de l'enfant au travers du déni de grossesse de sa mère et le rejet à sa naissance ?
Ces bébés sont considérés par les autorités comme les autres enfants abandonnés ou orphelins et adoptables selon le code de la famille yougoslave toujours en vigueur en Bosnie. Ils représentent environ 5% des enfants pris en charge par l'hôpital de Kosevo. En effet, cette décision de les inclure dans la prise en charge globale, permet semble-t-il de ne pas les stigmatiser.
En Bosnie, la tradition fait que l'on se doit d'adopter les enfants abandonnés. Les orphelins ne sont que rarement placés en institution. C'est la famille - au sens large du terme - qui les recueille, les liens de sang étant très forts.
Cependant, la société bosniaque semble subir des modifications. A ce titre, on nous a relaté des difficultés que peuvent rencontrer les personnes âgées qui jusqu'alors avaient leur place au sein de la famille et qui peuvent se retrouver actuellement seules.
Au travers de ces modifications de la culture familiale, comment peut-on envisager la place symbolique et imaginaire de l'enfant dans cette société ?
En ce qui concerne l'adoption, le service social de l'hôpital considère donc que c'est une solution plus adaptée pour l'enfant qu'une institution. C'est pourquoi, il a été mis en place un Conseil d'Adoption comprenant entre autres : des juristes et des psychiatres. Ce Conseil a déterminé les critères de qualité particuliers pour les familles adoptantes : niveau de culture, aisance matérielle, principalement urbaines...
Des couples désireux d'enfant, depuis plusieurs années, sollicités, ont accepté d'adopter des enfants nés de viol.
Comment l'institution a-t-elle réussi à créé un lien entre ces enfants - destinés à destabiliser la structure familiale - et le désir d'enfant de familles musulmanes ?
Ces familles, durant 40 jours, ont été mises en relation avec l'enfant à la pouponnière.
Selon le processus légal, elles ont 2 ans pour revenir sur leur décision d'adoption. Cependant, les familles sont suivies par un psychologue, un pédagogue et un travailleur social. Avant l'âge de 5 ans, l'enfant doit savoir qu'il a été adopté. Parallèlement, la mère génitrice a 5 ans pour faire valoir ses droits sur l'enfant.
La famille détentrice des origines de l'enfant a le libre arbitre de l'aborder avec celui-ci. Quelle sera la part du secret ou de la vérité dans la transmission ? A 18 ans, si cela n'est pas, l'enfant peut en principe, interroger les institutions sur ses origines et l'identité de sa mère biologique.
Quelle sera la place de ces mères dans un dispositif qui ne décide pas de barrer son identité comme c'est le cas dans les accouchements sous X ?
Il nous paraît intéressant de connaître le devenir de ces enfants, tant sur le plan psychoaffectif que social, d'où l'importance de savoir comment ces évènements vont s'inscrire dans l'histoire, les mémoires et quelle en sera la transmission ?