SYMPOSIUM INTERNATIONAL

Organisé par le CIDEF (Centre International de l'Enfance et de la Famille)

Programme CEDRATE - 6 - 8 mars 1997, Paris


LES ENFANTS

DE LA GUERRE

Devenir, mémoire et traumatisme


  • Compte-rendu par Bernard DORAY

  • Synthèse des débats




    LE RECIT PEUT-IL ETRE THERAPEUTIQUE ?

    l'expérience du Burundi

    Assumpta NANIWE

    L'enfant traumatisé a-t-il perdu ses facultés adaptatives ? Ou alors a-t-il choisi de se retrancher dans un monde à lui parce que la réalité lui paraissait intolérable ? Ou tout simplement il souffre... Et si nous l'aidions à reprendre contact avec la réalité... et si nous l'aidions à reprendre goût à la vie... Voici les résultats de notre expérience réalisée avec quarante enfants ayant vécu des actes de violence et traumatisés à différents degrés. Dans cet exposé, je voudrais surtout focaliser votre attention sur la problématique qui guidait notre démarche. Nous sommes dans un contexte où le phénomène de traumatisme se manifeste à grande échelle, beaucoup d'individus sont touchés d'une façon ou d'une autre. Quelle stratégie faut-il adopter pour une prise en charge efficace ? Faut-il s'orienter vers des techniques thérapeutiques individuelles ou des techniques d'approche de masse ou de groupes ? Deux objectifs étaient visés par l'expérience : . proposer des activités expressives à l'enfant traumatisé dans un but thérapeutique tout en essayant de respecter le mode de pensée valorisé dans sa culture ; . proposer des recommandations pour une prise en charge de l'enfant traumatisé adaptée au contexte burundais.

    Contexte de l'expérience

    En octobre 1994, une année après le déclenchement des affrontements interethniques qui, malheureusement aujourd'hui continuent de faire des ravages, une enquête a été effectuée avec l'appui de l'Unicef auprès d'un échantillon de 3000 enfants, tiré au hasard parmi une population d'enfants victimes d'actes de violence (mort des parents, victimes d'exactions de toutes sortes, spectateurs d'actes de violence, déplacés etc...).

    Les conclusions, contenues dans un rapport publié en 1995 ont démontré l'ampleur des dégâts psychiques chez ces enfants. La plupart d'entre eux présentaient des signes du syndrome post-traumatique et nécessitaient à l'évidence une prise en charge psychologique. Quel type de prise en charge ?

    Notre souci majeur évidemment était de rechercher des outils qui seraient à la fois adéquats par rapport aux caractéristiques du traumatisme qui est un concept universel, mais en même temps, ces outils devraient être pertinents par rapport à la culture burundaise, spécialement par rapport au sens et à l'utilisation de la parole considérée aujourd'hui comme un moyen thérapeutique possible en cas de traumatisme. Le Burundi en en effet, est un pays où la parole constitue un médium puissant, véhiculant un contenu culturel riche et varié, mais paradoxalement, cette parole est réprimée, prohibée, lorsqu'il s'agit d'exprimer ses sentiments profonds. Ainsi, le Burundais apprendra très tôt à cacher ses sentiments, à ne pas extérioriser ses états d'âmes. Il apprendra également que le non-dit est très chargé de sens et que c'est aussi à travers des signes et des symboles qu'il peut comprendre et interpréter la réalité.

    La situation est assez complexe ; d'une part, le contrôle de soi, le silence constituent des qualités valorisées par la culture, d'autre part la parole constitue une voie possible de guérison. C'est notamment la thèse prônée par l'Ecole Norvégienne de Psychologie en période de crise et mise en pratique par différentes organisations comme l'Unicef.

    Quelle stratégie faut-il adopter dans ce contexte ? Faut-il aller à l'encontre de la culture parce qu'il y a nécessité ou y-a-t-il moyen d'utiliser la parole autrement par nécessité thérapeutique ? L'expérience

    Elle s'est déroulée à Bujumbura avec 40 enfants présentant des perturbations psychiques importantes sélectionnés parmi les 3000 enquêtés. Avant la guerre, ces enfants vivaient dans leurs familles respectives à la campagne, mais actuellement certains vivent dans une institution d'accueil (Village S.O.S., Refuges pour enfants de la rue) d'autres vivent soit avec un ou les deux parents dans un camp des déplacés, d'autres chez un tuteur généralement un membre de la famille élargie qui les a recueillis après la mort des parents.

    Ces adultes ont été associés au travail réalisé avec les enfants par des entretiens, où nous expliquions ce qu'on attendait d'eux. Nous considérons en effet qu'ils ont un rôle important à jouer dans l'évolution positive de l'enfant. Notons cependant que certains d'entre eux avaient vécu des expériences de détresse intense, d'autres sous-estimaient la nature et la profondeur de la souffrance morale de leur enfant. Il y avait donc un travail à faire de ce côté-là. Les enfants étaient répartis en quatre groupes constitués sur la base de leur âge ; il y avait un groupe de moins de 6 ans / de 6 à 8 ans / de 9 à 12 ans / de 13 à 16 ans.

    Le fonctionnement des activités expressives:
    . 4 ateliers d'expression ont été constitués ;
    . un atelier des jeux et sports ;
    . un atelier de musique ;
    . un atelier de créativité (dessin, modelage, théâtre, bricolage) ;
    . un atelier des marionnettes.

    Trois fois par semaine, les enfants participaient à leur propre rythme à l'un ou l'autre atelier. L'objectif essentiel visé était de les amener à s'exprimer. Un animateur principal, épaulé par quatre encadreurs (un par atelier), était chargé de la supervision des activités et un psychologue observait le comportement des enfants selon un protocole préalablement établi. Cette grille d'observation permettait d'analyser le comportement des enfants, de déceler à travers ce qu'ils font, leur état psychique, car généralement l'état d'esprit d'un enfant transparaît à travers ses gestes, ses mimiques, son entrain aux activités, ses relations avec ses camarades et avec son environnement en général.

    Tous les thèmes qui étaient proposés prenaient comme référence la vie de l'enfant, par exemple avec le dessin, on invitait les enfants à dessiner leur maison, leur famille, leur animal préféré, la vie antérieure, la vie présente. Avec le théâtre, les enfants étaient responsables de leur jeu. C'est eux qui choisissaient le thème, la répartition des rôles. Le rôle des animateurs et du psychologue se limitait à superviser les activités, mais aussi à inciter les enfants à s'exprimer sur leur création, le pourquoi d'un tel thème, le choix de tel ou tel rôle, le choix d'une couleur etc... Les résultats

    Je parlerai plutôt de constat ou de tendance car la période d'observation (4 mois) n'était pas suffisamment étendue pour tirer des conclusions.

    Le cas de X illustre l'évolution générale des enfants, qui dans l'ensemble était positive.

    X est un garçon de 12 ans, vivant dans un camp de déplacés.

    Il est orphelin et n'a pas de tuteur attitré. Il vient de la campagne qu'il a quittée, à la recherche d'un grand frère qu'il n'a jamais retrouvé. Il était scolarisé avant la guerre mais actuellement il ne l'est plus. Il se trouve dans un état de dépression profonde.

    Au cours de la 1è semaine, X est assis dans son coin, indifférent à ce qui se passe autour de lui, refusant de se mêler aux activités du groupe. A partir de la 2è semaine, il est attiré par les jeux et le sport, il refuse de chanter, de dessiner, de participer à l'atelier des marionnettes, il ne veut que jouer au ballon, activité à laquelle il s'adonne à fond, comme s'il voulait se défouler.

    C'est vers le deuxième mois qu'il manifeste de l'intérêt pour le dessin. A partir de ce moment, un déclic sembla s'être opéré chez cet enfant. Il devient plus communicatif, plus détendu aussi, il explique volontiers ce qu'il a dessiné, et à travers ses dessins nous avons pû connaître son histoire.

    Nous avons constaté que les enfants se projetaient dans leur création et s'exprimaient plus facilement au fur et à mesure que passait le temps. Par exemple le choix d'une couleur n'était pas innocent. C'est ainsi que, lorsqu'il dessinait sa vie antérieure à la crise, présente et future, il utilisait des couleurs différentes. Pour dessiner sa vie antérieure, il utilisait des couleurs gaies et claires, le bleu dominait, tandis que les dessins se rapportant à sa vie d'aujourd'hui et future étaient dominés par des couleurs sombres ; le noir était omniprésent, le rouge aussi.

    Les thèmes développés dans leurs créations étaient également significatifs.

    Au cours des premières semaines, 100 % des productions des enfants développaient des thèmes guerriers ; ils dessinaient des karachuikors des militaires, des hommes en tenue de combat des morts, des maisons qui brûlent, ils modelaient des fusils, des hommes sans bras.

    Petit à petit, nous avons observé un changement au niveau du choix des thèmes. Par exemple ils avaient abandonné les thèmes liés à la guerre, mais dessinaient des thèmes liés à la paix comme l'école où les enfants sont en train de jouer, leur mariage où ils se voient en adulte avec une famille heureuse.

    Par le dessin, le jeu, le bricolage, la marionnette, la parole avait pu être suscitée. Mais faut-il conclure pour autant que ces enfants traumatisés étaient guéris ? Des signes positifs s'observaient certes, confirmés également par l'entourage. Est-ce que ce changement était-il dû au fait que l'enfant avait pu s'exprimer ou cette amélioration était due au cadre agréable que constituait la classe expérimentale ?

    Pour analyser la situation, plusieurs paramètres entrent en jeu, notamment la situation dans laquelle vit l'enfant.

    Nous avons par exemple observé que les enfants vivant dans les camps de déplacés, même s'ils ont encore des parents, évoluent moins bien que les autres, ceux qui avaient regagné une institution d'accueil s'en tiraient mieux que les autres, en tout cas mieux que ceux qui sont dans des familles d'accueil avec un tuteur peu attentif à leur problème.

    La valeur thérapeutique du récit traumatique ne peut être niée, mais des obstacles à son accomplissement ne manquent pas. Par exemple, le récit peut être fait, mais l'affect qui lui est rattaché peut être réprimé ou dénié, les souvenirs peuvent être présentés mais dissociés des émotions qu'ils suscitent. Chez certains enfants en effet, surtout au début de l'expérience, il se dégageait de leur récit un détachement, une récitation mécanique des faits et des gestes liés à leur expérience traumatique.

    C'est comme s'ils voulaient se dédoubler, essayant peut-être inconsciemment de préserver leur intimité, leur douleur, conformément à la morale prescrite par la culture, mais entraînés par les activités expressives qui leur était proposées, le contenu de leur psychisme se déversait malgré eux.

    Une autre piste que nous avons explorée est celle de l'utilisation des symboles dans une démarche thérapeutique.

    L'utilisation des symboles semble pertinente par rapport à la culture burundaise qui excelle d'ailleurs dans le recours aux signes ou aux symboles pour véhiculer des messages. llustration

    Vers le 3è mois, au cours d'une séance collective, consacrée à la narration libre, les enfants ont raconté des histoires vécues avec tout ce qui s'y rattache comme malheur, horreur et sentiments . Les sentiments dominants étaient négatifs.

    A la fin une boîte noire a été présentée aux enfants. Ces derniers étaient invités à jeter tous les affects négatifs qu'ils ressentaient dans cette boîte présentée symboliquement comme un récipient dans lequel ils pouvaient enterrer les idées qui les font souffrir. Les gestes de rejet des enfants étaient accomplis avec insistance, parfois avec rage comme s'il voulaient marquer leur souci de gommer ce passé douloureux.

    Il faut essayer de puiser dans la culture des éléments symboliques qui peuvent donner à l'enfant la possibilité de gérer son expérience malheureuse.

    Certaines cultures africaines disposent des cérémonies symboliques qui peuvent jouer un rôle de catharsis. On rapporte par exemple qu'au Mozambique, face à l'enfant soldat devenu par la force des choses enfant-tueur, des cérémonies spéciales sont mises en place pour faire disparaître symboliquement l'enfant-tueur et donner naissance à un nouvel enfant qui doit retrouver une place au village. Pour ce faire, le guérisseur fait absorber des potions vomitives ou laxatives pour expulser le Mal du corps, puis il le fait régresser grâce à des techniques de nursing, enfin, il le fait dialoguer avec un arbre qui symbolise les ancêtres et à la fin de la cérémonie, l'enfant est prêt à renaître au sein de la communauté villageoise.

    Au Burundi, les rites et les cérémonies liées aux funérailles peuvent aussi jouer le rôle de catharsis. Il faut aussi essayer de trouver des ressources culturelles pour des raisons d'efficacité thérapeutique.

    En conclusion, l'expérience s'est passée dans un cadre privilégié dans la mesure où l'on disposait d'un matériel riche et varié avec la possibilité de mettre en place des techniques individuelles, ce qui n'est pas toujours possible en situation normale.

    Le sourire retrouvé chez la plupart des enfant, leur visage plus détendu, leur entrain au jeu, leur création plus harmonieuse avec le temps, constituent des indicateurs éloquent de l'impact positif des activités expressives sur le psychisme de ces enfants perturbés.

    Faut-il généraliser l'expérience ? Des problèmes d'ordre pratique se posent.

    Cependant, même s'il est difficile de mettre en place des techniques individuelles, il faut savoir que le traumatisme a touché individuellement et c'est individuellement qu'il sera traité.

    Toutefois, pour des raisons d'efficacité thérapeutique, les ressources culturelles doivent être sollicitées. Il faut donc mettre en place un cadre thérapeutique constitué à la fois par une prise en charge psychologique réalisée par des spécialistes et par un travail communautaire exploitant largement le contenu de la culture.




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