LA PSYCHIATRIE EN UKRAINE |
29-30 juin 1998 KIEV |
Ces journées, qui se sont déroulées les 29 et 30 juin 1998 à KIEV en UKRAINE, ont réuni une centaine d'ukrainiens venus de tout le pays, et une délégation française de quinze personnes (des psychiatres, mais également des soignants et le Directeur du Centre Hospitalier des Murets ) , sous légide du vice-ministre de la santé ukrainien et du secrétariat à la santé en France , qui avait adressé un message de réussite de B.Kouchner .
Elles ont été organisées conjointement par le Docteur Semion Glouzman président de l'Association des Psychiatres d'Ukraine et Catherine Wallisky, attachée culturelle de l'ambassade d'Ukraine à Kiev. Elles font suite à une mission Psychiatrique réalisée en septembre 1997 par les Docteurs Jolivet, Sabatier et moi-même afin de renouer des contacts interrompus depuis quelques années avec les Psychiatres français. Nous avons tenu assez rapidement à organiser ces journées afin de montrer notre volonté de collaboration et d'échanges avec nos collêgues d'Ukraine.
Depuis un premier séjour de septembre 1997, nous avons mis en place un Comité franco-ukrainien de Psychiatrie**, et fait part à nos collêgues français de la situation de l'Ukraine. Le Dr Semion Glouzman doit être prochainement invité aux prochaines journées de l'AFPP de Strasbourg.
Les premières journées franco-ukrainiennes de Psychiatrie ont été organisées sur le plan de thèmes , par des psychiatres français et ukrainiens. La formule adoptée faisait intervenir un français et un ukrainien sur chaque thème. Les interventions concernaient la place de l'hôpital spécialisé, le point sur les thérapies, la place des associations et des familles la première demi-journée . Les deux autres demi journées concernaient les problèmes d'addictions et de toxicomanie, et les problèmes de formation pour les psychiatres et le personnel soignant. Les dernières interventions faisaient le point sur la pédo-psychiatrie et la place de la loi en Psychiatrie, sujets particulièrement importants pour les ukrainiens.
Quelques remarques sur ces journées. La première est le manque d'habitude de nos collègues d'Ukraine à respecter le temps de parole investi. Il a fallu les interventions "musclées" des modérateurs français et ukrainiens pour rappeler au respect du temps. Il y a eu deux interventions longues, non prévues au programme. L'une, d'une psychiatre de Donietzk sur les problèmes de Santé Mentale suite à la "liquidation" des avaries de la centrale atomique de Tchernobyl. Beaucoup de " liquidateurs" *** souffrent en effet depuis , de très nombreux problèmes psychiatriques et d'alcoolisme aggravant les problèmes somatiques et sociaux. Chaque année le nombre de ces patients augmente.
L'autre intervention fût celle d'un représentant d'une association de famille, afin de protester sur le cadre réglementaire de la loi sur les internements en Ukraine ( cadre par ailleurs toujours pas défini , et héritier de l'ancienne loi soviétique ). Le litige porte sur le fait que les associations de famille souhaitent avoir la possibilité de participer à l'internement par un avis équivalent de l'hospitalisation à la demande d'un tiers en France. Nous fûmes surpris de la réaction des Psychiatres ukrainiens à la suite de cette intervention, somme toute banale dans le contexte français. Dans un premier temps, ce représentant ne pu être entendu, car son micro était coupé, puis en apparté S.GLouzman, qui pourtant a l'expérience du refus de parole de la période stalinienne, nous qualifia ce représentant de "communiste". Cette attitude interrogea beaucoup la délégation française...
Les intervenants ukrainiens nous présentèrent un tableau assez précis de la Psychiatrie ukrainienne dont je donnerai quelques éléments. Le Dr.Abramov de Kiev souligna la disproportion dans l'infrastructure des Hôpitaux, pas de distinction de placement avec comme principe souvent celui de l'isolement. A partir d'un échantillon de 3300 malades sélectionnés, 60% sont des schizophrènes, 30% des troubles psycho-organiques. 32% de ces malades sont hospitalisés 1 mois en moyenne. Dans "11% des cas il y a un déficit de médicaments, et de nourriture"!!!... Dans "83%de cas (!!!...) le niveau de vie des malades est au niveau du seuil minimum, 25% sont en dessous du seuil de pauvreté.
Dans 90% des cas les établissements psychiatriques sont des services fermés, alors que les lits " aigus " ne constituent que 15% du total.
A ce tableau assez sombre ; il faut ajouter la difficulté en Ukraine d'un véritable travail épidémiologique, tâche entreprise par le Dr S.Glouzman et l'association des Psychiatres ukrainiens.
L'intervention du Pr.Poltavets évoqua les méthodes de traitement. A ce propos, il insista à côté des méthodes "classiques" (médicamenteuses, psychothérapiques ), sur l'importance des méthodes "ésotériques". Ce terme désigne l'utilisation de méthodes inspirées de sources religieuses, liées au retour des pratiques religieuses chez les psychiatres comme dans la population générale ( Selon le Dr.Yourieva 50% des Psychiatres en Ukraine sont croyants et pratiquants et seraient près à avoir recours à des méthodes "ésotériques".). Pour lui, la Psychiatrie en Ukraine sinspire de la Psychiatrie américaine et sinspire sur trois mythes :
1/ Tout symptôme provient dune anomalie biologique.
2/La Psychothérapie est contre indiquée pour les psychoses.
3/Tout facteur biologique ou clinique produisant un effet sur le psychisme du patient est prôné comme une méthode de soin ( alors que rien ne le prouve scientifiquement ).
En ce qui concerne la question des usagers et des associations de famille, le Dr.Choumliansky de Jitomir insista sur la faiblesse de leur organisation en l'état actuel des choses. Ce point contraste cependant avec leur impact au niveau politique puisqu'ils ont empéché la mise en place d'une loi sur la Psychiatrie il y peu de temps.
Par ailleurs,quelques membres d'associations de familles ont assistées à ces journées, dont un qui a pris à plusieurs reprises la parole.
Les problèmes liés aux pratiques addictives et toxicomaniaques furent abordés l'après -midi.
Le programme composé à la fois par français et ukrainiens évoquaient de nombreux sujets : "Pour soigner les addictions faut-il des institutions spécialisés ? Les traitements de substitution et leur avenir, Traitement de l'alcoolisme, òu en est-on? ".
Le Dr.Vicvsky a insisté sur lopportunité pour soigner les toxicomanes dun travail très simple," peu couteux "et sans hospitalisation, basé sur la relation avec lentourage, la famille, associé à la réflexion sur la cause de l addiction.
LE Dr.Skopitch abordant le traitement de lalcoolisme a souligné lui aussi le contraste entre les méthodes actuelles et passées du " traitement par le travail et les médicaments aversifs ". On est passé depuis les années 70 à une approche "biopsychosociale". Mais le manque de moyens financiers menace les soins (par exemple les patients doivent payer leurs médicaments).
En Ukraine, c'est plus l'approche des problèmes alcooliques que la toxicomanie qui est développé. Nos collêgues parlent de la Clinique Narcologique, pour évoquer l'approche des problèmes de dépendance. Le retard dans le domaine des traitements substitutifs, et de la prise en charge des toxicomanes semblent très importants. . A noter le remarquable et très apprécié exposé à la fois psychopathologique et thérapeutique du Dr Descombey qu'il illustra du rappel de la dette que la clinique alcoolique doit à Fouquet.
Nous eûmes droit à un exposé assez sidérant d'un collêgue ukrainien de Karkhov sur " Les traitements substitutif" qui laissa toute la délégation française très perplexe. Impossible de résumer son intervention où fût évoquer, l'usage de "radiation intravasculaire dans la schizophrénie ", l" utilisation d'injection d'Haldol dans le LCR!!!, l"analgésie centrale".
Ces travaux présentés à la fois du point de vue de la "recherche" et du" traitement" dans le cadre des affections psychiatriques, par un membre "imminent " des Psychiatres ukrainiens selon Glouzman, montre selon lui, la "diversité " du modèle psychiatrique ukrainien (!!!).
En ce qui concerne la formation des médecins, il faut savoir que la Psychiatrie n'est étudié que pendant 12 jours !! pendant le cursus médical . Ceux qui se destinent à la Psychiatrie font un stage d'un mois dans un service de Psychiatrie. Il existe deux types de formation ; l'une est publique, l'autre " alternative".La formation concerne les abords généraux de la Psychiatrie, en particulier, l'usage des classifications, la CIM 10 notamment.Les programmes sont orientés vers la Psychiatrie biologique. Si on veut aborder la question des approches psychothérapiques, il faut avoir recours à la formation " alternative ".Celle-ci est payante et se fait sous forme de sessions de formation.
Après l'exposé de Marylin Vinograde sur l'approche en Psychiatrie de l'enfant en France, le Prof. Kouznetsov évoqua la situation des 235000 enfants qui sont suivis en Ukraine,à travers des écoles spécialisées et quelques institutions. Dans ce domaine l'abord reste essentiellement médicamenteux et psychopédagogique. Rappelons à ce propos quil y a en Ukraine 10 millions denfants sur une population totale de 50,6 millions dhabitants.
L'intervention du Dr.Ostachko de Donietzk montra la différence entre la mentalité française et ukrainienne dans le cadre des soins et de l'éducation. Il propose de confronter le "tu peux" (te comporter comme tu veux, dire tout ce qui te vient à l'idée ) de la mentalité européenne par l'impératif " tu dois "..(tu dois être honnête et sans préjugés,...) dans la mentalité ukrainienne.Comment comprendre cette assertion qui nous renvoie aux souffrances anciennes du peuple ukrainien sous le régime communiste et avant tzariste ? Faire qu'à l'impératif "tu dois" vienne à la place la liberté de le faire si tu le veux. Ce psychiatre est un des rares parmis nos collêgues ukrainiens à avoir une approche de la Psychanalyse, qu'il découvrit lors d'un séjour en France. Il est aussi un des rares à parler français.
De cet exposé il ressort que l'aspiration à la liberté semble forte dans les changements souhaités dans la Psychiatrie, et au delà de la Psychiatrie,dans la société dans son ensemble.
L'enseignement de la Psychothérapie et de la Psychanalyse est apparue il ya peu de temps en Ukraine. Il existe des cours de courte durée pour les étudiants en médecine, et pour les étudiants qui veulent se spécialiser en Psychiatrie. Une école de formation vient même d'apparâitre en Ukraine à Lvov, où la formation dure 5 ans. Dans cette école il existe 4 axes d'enseignement de la Psychothérapie 1/Psychanalyse2/Psychothérapie familiale3/Psychodrame4/Gestalt thérapie.Cette école est entièrement payante.
Ces journées devaient se clore par la visite de l'hôpital Pavlov de Kiev. C'est le seul hôpital psychiatrique de Kiev.Il comprend 1700 malades partagés en 26 unités de Psychiatrie adultes, d'adolescents et d'enfants. Cet hôpital, à la différence d'autres dans la province a moins de difficultés....Il dispose de différentes sortes de psychotropes , les personnels : psychiatres, infirmiers sont "payés", (autour de 100dollars/mois). Les effectifs sont restreints 3 médecins pour 80 patients, 1 à 2 infirmiers pour 80 malades.Ils travaillent sur 24 heures !!! Certaines méthodes thérapeutiques assez archaiques sont encore utilisées, tel l'"electrosleepthérapy" afin d'induire le sommeil chez les enfants agités, ou encore certaines méthodes electrophorétiques dans l'énurésie de l'enfant...
Il est difficile de faire un bilan de ce court voyage mais soulignons quand mêmes plusieurs choses.
La satisfaction des collêgues ukrainiens après la conférence, grâce à l'écho que cela pût avoir dans leur pays ( présence de la vice-ministre de la santé, interviews télévisés des conférenciers ),et aussi de par la formule utilisée,qui "invitait" Psychiatres français et ukrainiens à communiquer sur le même thême. "Ils se sont sentis à égalité ",nous confia Semion Glouzman. La question de la réforme de la Psychiatrie en discussion dans ce pays,à pu aussi par notre intermédiaire être abordée.
Mais 2 jours de rencontre ne peuvent changer un systéme aussi malade et au bord de la ruine qu'est le système psychiatrique ukrainien, héritier du système soviétique ! Ces contacts qui se sont renoués à travers ces deux visites doivent avoir des prolongements, et nous nous devons d'apporter notre soutien à l'Association des psychiatres ukrainiens.
Le travail entrepris par le Dr SEMION GLUZMAN, Président de lAssociation Ukrainienne de psychiatrie, vise à mettre en place une coopération avec différents courant de la psychiatrie Européenne dont la France.
Les contacts établis avec des psychiatres français il y a quelques années se sont quelques peu ralenties. Actuellement beaucoup de littérature psychiatrique américaine est traduite et éditée en Ukraine. Le Dr SEMION GLUZMAN se dépense sans compter afin de soutenir ses collègues à travers le pays mais " il samuse " à dire quil a plus de soutien des ex-représentants du KGB que du ministère de la santé en Ukraine.***** Il nous demande, à nous Psychiatre français, de le soutenir à plus haut niveau. Afin qu'à la suite de lemprise bureaucratique liée à lexercice de la psychiatrie dans le contexte soviétique, les dirigeants politiques ne puissent continuer à défendre leurs propres intérêts privés ou personnels au dépend des intérêts de santé publique et ce malgré un discours officiel très " ouvert " qui nous évoque la fameuse langue de bois des années communistes.
Le contenu humaniste de la psychiatrie française peut peut-être aider nos collègues à rompre lisolement dans lequel ils sont. Nous envisageons de proposer plusieurs actions, la traduction du manuel de psychiatrie dHenri EY est déjà engagée et sera achevé à la fin de l'année. On peut envisager des échanges de stagiaires et des partenariats inter-hospitaliers.**** Plusieurs responsables auprès de lAmbassade de France rencontrés à Kiev et au ministère de la santé à Paris se disent prêts à aider à mettre en place cette collaboration.
DOCTEUR EMMANUELLE FAKHRI
juin-juillet 1998
* Ce comité s'est réunit une première fois en mai 1998 , il est constitué de membres représentatifs d'associations et du corps professionnel des Psychiatres français .Pour toute demande de participation on peut s'adresser à moi au C.H."Les Murets" .** Ce terme désigne les 250000 ouvriers envoyés à Tchernobyl en 1986 , afin de colmater les avaries de la centrale atomique, souvent sans aucune précaution vis à vis des radiations. Beaucoup sont morts , d'autres ont souffert des multiples conséquences de l'exposition aux radiations .
*** Le Dr.S.Glouzman est invité aux journées de Strasbourg de l'AFPP sur "Psychiatrie et Liberté" (8-9 octobre 1998) , où il parlera de "La Psychiatrie en Ukraine dans les années post-totalitaire .
**** Cette délégation en juin comprenait outre le président et le vice-président de la CME du CH"Les Murets " , le directeur qui a rencontré son collêgue directeur médical de Tchernigiv .