Stress et environnement : Histoire personnelle, Personnalité, Comportement, Psychopathologie, Support social et stress

Dr Jean-Michel Thurin (Paris)

Stress : initiateur de processus global ou facteur relatif régulé par un ensemble d'autres facteurs au sein de l'organisme ?

Les deux situations se rencontrent : le stress (psychique) peut intervenir

comme un événement qui va envahir brutalement ou progressivement tout le sujet psychosomatique
comme un facteur relatif à un ensemble d’autres facteurs qui vont
- l’accentuer (antécédents histoire),
- le médiatiser ou l’attiser (personnalité),
- le relativiser ou le renforcer (soutien social),
- le réduire ou l’accompagner (comportements, adaptations bénéfiques ou néfastes),
- se surajouter à son effet propre (âge, accès au soin, effets secondaires, etc.)
Il y a plusieurs temps du stress (immédiat, processus, rappel) et les facteurs collatéraux vont intervenir à chaque étape.

Ces effets environnementaux ont été étudiés

1. Par des études expérimentales portant sur des variations de paramètres biologiques ou des affections se produisant dans un délai court après un événement déclenchant (rhumes, herpès)

2. Par des études longitudinales prospectives portant sur des affections graves :
- Cancer : sein, mélanome
- VIH
- autres

Pour cette seconde catégorie, il existe une boite noire que ne renseignent que partiellement les résultats des études 1.

En effet, nous sommes dans une situation où ce qui se produit dans un temps court et à un niveau relativement élémentaire ne peut plus s'appliquer au sein d'un organisme soumis dans la durée à des facteurs non seulement variés mais aussi contradictoires dans leurs effets. Par contre, la répétition du stress et de comportements associés va prendre ici toute sa portée s'il s'avère que ses effets sont alors du même ordre.

Histoire personnelle : vulnérabilité

Un environnement précoce insécurisant (séparation, négligence, abus, violence, ...), des événements de vie antérieurs (décès familial, divorce, migration, catastrophes, ...) constituent un facteur d’accueil et d’amplification des macro et micro stress ultérieurs.
Cette sensibilisation devient facteur de risque pour la santé psychique et/ou somatique de l’individu et le développement de dépendances.

Relations familiales précoces

J Womens Health 1998 Nov;7(9):1135-47
Early life stress, negative paternal relationships, and chemical intolerance in middle-aged women: support for a neural sensitization model.
Bell IR, Baldwin CM, Russek LG, Schwartz GE, Hardin EE

Mise en relation

échelles de stress de l’enfance et relations parentales
Comparaison de l'état de santé, en particulier tension orthostatique, de femmes d’âge moyen présentant un syndrome d'intolérance chimique (IC) avec fatigue chronique, fibromyalgie, hypersensibilité médicamenteuse, maladies construites) et dépression, dépression (DEP) et absence de troubles.
Un modèle neurobiologique de l'IC, de la somatisation, de la dépression récurrente et du PTSD est la sensibilisation neurale, c'est à dire, l'amplification progressive des réponses de l'hôte ( à la fois comportementales, neurochimiques) à des stimulis intermittents répétés (par exemple, drogues, produits chimiques, médiateurs endogènes, stress).

Les deux groupes dépressifs ont hauts niveaux de stress et d’abus ancien. Le groupe « IC » a des relations paternelles les plus distantes et fragiles que le groupe DEP et a le plus haut niveau de dysfonction limbo somatique.

Déménagements, abus ...

Addict Behav 1998 Sep-Oct;23(5):623-34
Frequent childhood geographic relocation: its impact on drug use initiation and the development of alcohol and other drug-related problems among adolescents and young adults.
DeWit DJ

Relations très importantes entre déplacement et initiation précoce de drogues illicites, surtout chez les hommes

Relations avec problèmes d’alcool non significatives

Alcohol 1997 May-Jun;32(3):267-74
Factors in childhood and youth predicting alcohol dependence and abuse in Swedish women: findings from a general population study.
Spak L, Spak F, Allebeck P

L’abus sexuel durant l’enfance est le plus important facteur d’alcoolisme à l’âge adulte (population de femmes suédoises)

Éducation ...

Am J Psychiatry 1995 Apr;152(4):529-35
Risk factors for PTSD-related traumatic events: a prospective analysis.
Breslau N, Davis GC, Andreski P

Parmi les jeunes adultes, ceux qui ont le moins d ’éducation et avec les scores d'extraversion et de nervosité sont les plus exposés aux événements traumatiques et à l'apparition de syndromes de stress post-traumatique. Mais les enfants sont plutôt de nature résistante et toutes les expériences traumatiques ne conduisent pas à la psychopathologie

J. Paris Does childhood trauma cause personality disorders in adults? Can J Psychiatry 1998 Mar;43(2):148-53

Alors ?

Intervention d’autres facteurs (génétiques) qui, quoique soumis pour une part à l’environnement, ont un rôle déterminant ?

Ou pondération du risque lié au stress antérieur et actuel par d’autres facteurs ?

Personnalité
Modalités comportementales
Pathologies pré existantes
Soutien social
Psychothérapie

L’un n’empêche pas l’autre !

Personnalité

Type A (susceptibilité coronarienne)

- Hyper réactivité à la fois psychologique et physiologique
- Hostilité, colère facile, compétition, dureté

Type C (susceptibilité cancéreuse)

Déni, suppression des émotions (en particulier de la colère), amabilité pathologique, évitement des conflits, patience et compliance exagérées, hyper rationalité et contrôle rigide de l’expression émotionnelle.

Défense longtemps fonctionnelle, jusqu’à accumulation d’épreuves et de stress impliquant dépression et réactions de désespoir et solitude.

JW Shaffer et al.
Suivi à 30 ans de 972 médecins : ”solitaires” beaucoup plus susceptibles de développer cancer que groupe “acting out et expression des émotions“.

Comportements individuels

Lazarus et Folkman (1984)
classent comportements d’adaptation en deux grandes catégories : adaptation centrée sur problème et adaptation centrée sur émotion.

Adaptation centrée sur le problème : recherche active de solutions au problème existant, incluant recherche d’information et élaboration de stratégies alternatives.
Adaptation centrée sur émotion : déni, retrait, utilisation de drogues .... comportements dirigés vers soulagement de détresse intérieure.
- Pagel et al. (1985) : culpabilité et perte de contrôle prédisent significativement une plus sévère dépression parmi les époux soignant leurs femmes atteinte de maladie d’Alzheimer.
- Levine et al. (1983) : les donneurs de soins qui utilisent la stratégie de résolution de problème et de se parler positivement ont des comportements beaucoup plus astucieux avec leurs proches déments que ceux qui n’utilisent pas de telles stratégies.

Personnalité et comportement

Optimisme.

Chez des femmes de 18 à 45 ans, une perspective optimiste amortit le les effets du stress aigu. Cependant quand le stress persiste à un haut niveau, les optimistes montrent des altérations immunologiques plus importantes que les pessimistes.

Pessimisme

Forte corrélation fut trouvée entre les événements stressants et la progression du cancer chez femmes avec un style de réaction pessimiste et sans espoir Goodwin et al. (1986)

Déni

- Avec un suivi de 15 ans, survie plus longue chez les femmes ayant un cancer du sein qui ont initialement réagi avec un esprit combatif ou le déni, par rapport à celles qui ont on réagi sans aide et sans espoir ou avec une acceptation stoïque.- Patients les plus satisfaits de leur vie ont le moins bon pronostic Cassileth et al (1988).

Traits et Comportement

Hostilité

Chez des jeunes cadets de l'US Air Force, l'hostilité est corrélée avec un risque accru de maladie dans les quatre semaines suivant l'évaluation

Anxiété

(sub clinique) associée à des réponses significativement réduites de la prolifération lymphocytaire au Con A (concanavalinA) et des niveaux réduits d'interleukine-2 circulante. De même, des sujets subcliniquement déprimés. Pas de différence retrouvée au niveau du cortisol ou des ß endorphin pour médiatiser ces relations.

Expression

Introversion

Réponse à la phytohemagglutinin (PHA) dans une population d'étudiants : les sujets introvertis ont moins de réponses lymphocytaires à la PHA que les extravertis, de même que les sujets anxieux.

Expression de la détresse

2 aspects à prendre en compte : fragilité/dépression et expression des émotions

Expression de la détresse au moment du diagnostic peut être considérée comme une réponse adaptative, analogue à une réaction normale à une blessure. Elle produira une réponse de soutien de la part de l’environnement du patient. Cela peut être aussi associé à une mobilisation des défenses corporelles, en termes d’augmentation de l’immunité cellulaire (Dean & Surtees, 1989)

En résumé (Temoshok)

- Expérience de la détresse très importante : mauvais pronostic
- Répression des émotions : mauvais pronostic
-Expression “ normale ” de la détresse : bon pronostic
- Modèle intégratif de Temoshok : personnalité C + difficulté à exprimer les émotions + tendance au sentiment de perte d'espoir et d'absence d'aide prédisposent certains individus à un déclenchement plus aisé et à une progression plus rapide du cancer.

Ces facteurs psychosociaux ont une plus grande importance chez les sujets d'âge inférieur à 55 ans.

Cancer du poumon, comportement, détresse et survie

Arch Gen Psychiatry 1999 Aug;56(8):756-62
Coping, distress, and survival among patients with lung cancer.
Faller H, Bulzebruck H, Drings P, Lang H

103 patients suivis après le diagnostic et avant le début du traitement.
Variables psychologiques réunies à partir d’auto-questionnaires et d’entretiens.
Suivi de 7 à 8 ans. 11 patients survivants
Le comportement dépressif et la détresse émotionnelle sont associés de façon significative avec une survie plus courte, indépendamment de l’influence de facteurs pronostics bio-médicaux

Personnalité, stress et polyarthrite rhumatoïde

Ann N Y Acad Sci 1999 Jun 22;876:419-25
Rheumatoid arthritis, personality, stress response style, and coping with illness. A preliminary survey.
Marcenaro M, Prete C, Badini A, Sulli A, Magi E, Cutolo M

Quinze patients hospitalisés et ambulatoires ont passé un entretien clinique et différents tests psychométriques spécifiques. Des événements de vie traumatiques ou stressants précèdent l’éclosion des troubles dans 86% des cas. 60% des cas montrent une corrélation entre embrasement de la maladie et micro événements. 40% des patients présentent une personnalité obsessive-compulsive, 40% une personnalité border-line, 7% une personnalité schizoïde et dépendante.
Dans ce groupe, également alexithymie.

Événements stressants, Support social et déclenchement du SIDA

Psychosom Med 1999 May-Jun;61(3):397-406
Progression to AIDS: the effects of stress, depressive symptoms, and social support.
Leserman J, Jackson ED, Petitto JM, Golden RN, Silva SG, Perkins DO, Cai J, Folds JD, Evans DL

82 hommes HIV+ suivis pendant 5 ans1/2

Événements stressants, vulnérabilité, compétences, et troubles anxio-dépressifs

Eur Arch Psychiatry Clin Neurosci 1999;249(2):86-95
Surviving adversity: event decay, vulnerability and the onset of anxiety and depressive disorder.
Surtees PG, Wainwright NW

2 groupes de femmes ayant subi une expérience de vie traumatique : décès récent ou infarctus du myocarde du conjoint. Évaluation à très court terme et à 3 mois.
Réduction dans le temps de l’effet traumatique
Facteurs de risque de troubles anxieux et dépressifs : consultation antérieure en psychiatrie, capacités d’adaptation (coping) réduites

Vulnérabilité, histoire individuelle, comportements

Br J Psychiatry 1994 Aug;165(2):248-58
The South London Somatisation Study. II. Influence of stressful life events, and secondary gain.
Craig TK, Drake H, Mills K, Boardman AP

Comparaison d’une population de somatisants, de patients psy, de patients mixtes, et de bien portants
Les événements sont plus fréquents chez les somatisants et les psy. Les plus blessants se retrouvent chez les patients psy.
Introduction dans le modèle de la notion de bénéfice secondaire.
L’existence de problèmes familiaux et de maladies physiques durant l’enfance est liée à une réduction nette de la propension à adopter un comportement de neutralisation de l’effet d’une expérience traumatique.

Cancer et soutien social

E. Maunsell et al. (1995)

Interrogent 224 femmes avec un diagnostic récent de cancer du sein dans un entretien pour savoir si elles ont eu un confident avec lequel elles ont parlé de leurs problèmes personnels dans les 3 mois suivant leur opération. Ces femmes ont été suivies durant 7 ans.
Pourcentage de survie chez les femmes sans confident : 56% et 72% pour les femmes avec au moins un confident. Sorte de relation dose-réponse ; les pourcentages de survivantes à 7 ans s’accroissent suivant que les femmes rapportent avoir respectivement 0, 1 ou 2 confidents.
Importance clinique du support social semble considérable. Le pourcentage de mortalité associé avec la variable support social a été comparé au pourcentage de mortalité associé au traitement médical, comme décrit dans la littérature. La réduction de la mortalité relative chez les femmes ayant au moins un confident dans cette étude est de 16 %, ce qui est plus important que la différence absolue de pourcentage de mortalité en 7 ans de 6% trouvée chez les femmes qui se traitaient soit par la chimiothérapie soit par l’hormonothérapie comparativement avec celles qui n’étaient pas traitées.

Trois acteurs en interactivité : patient, famille, support social

Psychosom Med 1999 Jul-Aug;61(4) : 411-9
Predictors of burden and infectious illness in schizophrenia caregivers.
Dyck DG, Short R, Vitaliano PP

Objectif : tester modèles prédictifs du fardeau des donneurs de soins à des schizophrènes et les épisodes infectieux pour ceux qui sont en contact régulier avec le membre malade de la famille.
Méthode : trois enquêtes parallèles : questionnaire de santé à 70 donneurs de soin. ressources (comportement actif et support social), vulnérabilités (expression de la colère et comportement passif) et fardeau du donneur de soin. Évaluation des symptômes positifs (hallucinations et délire) et négatifs (anhédonie et asociabilité) du patient.
Résultats : fardeau plus important prédit par des symptômes négatifs plus importants (stresseur), un comportement de contrôle de la colère et de culpabilité (vulnérabilité) et une réduction du support social tangible (ressource). Présence de maladies infectieuses (x4) prédictible par des symptômes positifs du patient plus sévères (stresseur) et moins de satisfaction avec le support social.
Conclusion
Les éléments précédents montrent que non seulement il existe des facteurs de sensibilisation qui peuvent être acquis au cours d'expériences antérieures et de certaines conditions de l'enfance, mais également des facteurs individuels de personnalité et de comportement.
Ces facteurs sont associés à d'autres, interindividuels, tels que l'éducation, la capacité d'expression, le comportement, le soutien social qui font intervenir plus ou moins directement l'entourage.
On est donc en présence d'un système qui a la capacité de renforcer ou de réduire l'action d'un événement psychique sur le soma, sachant que le poids de son intervention est lui aussi relatif à l'état du système. Ainsi, dans les tumeurs, le facteur âge va-t-il progressivement prendre plus d'importance que les facteurs environnementaux. Dans un état dépressif, non seulement les événements vont prendre plus d'importance mais les capacités de relativisation et de réparation seront réduites par la difficulté de la personne de s'exprimer, de faire appel à son entourage, ....
C'est ici que se manifeste pleinement l'intérêt d'une connaissance précise des facteurs de risque mais aussi de chance qui peuvent modifier considérablement une trajectoire à un moment donné.
Un des problèmes est l'historisation et le renforcement réciproque des différents facteurs qui peuvent conduire un individu à devenir à haut risque, chaque nouvelle situation et ses adaptations précaires renforçant les facteurs qui interviennent négativement sur la biologie du sujet. Ainsi, une situation d'insécurité, un état de dépression, la solitude peuvent rendre un sujet particulièrement exposé à des événements qui retentiront par différentes voies sur un organisme présentant déjà des défaillances plus ou moins graves. Cette action pourra être aggravée par des "adaptations" qui n'apportent pas de véritable secours mais aggravent certaines conditions biologiques et sociales (alcoolisme). De véritables "réflexes comportementaux", impliquant à la fois des défenses psychiques et des réponses biologiques, visant à annuler l'événement ou à inverser ses effets peuvent se mettre en place (dépendances). Ces comportements peuvent devenir de véritables conditionnements. Leur mise en évidence ne doit pas faire négliger l'immaturité et l'insécurité permanente sous-jacentes, de même que les moyens médicamenteux et d'hygiène qui peuvent avoir un action sur un ou plusieurs maillons de la chaîne.
Dans ces cas, on comprend bien que l'action sur un seul facteur risque de ne pas être suffisante.
La pratique médicale devrait penser le traitement en analysant les différents facteurs, leurs actions et en déterminant en face les moyens dont elle dispose. Plusieurs spécialités sont ainsi amenées à intervenir et la question de leur mise en convergence est posée. Cela correspond à une nouvelle définition opérationnelle de la "médecine globale".
Dernière mise à jour : vendredi 29 octobre 1999 17:02:16
Dr Jean-Michel Thurin

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