Suivi après la crise suicidaire,
à moyen et long terme

Dr Alain Braconnier

Centre Philippe Paumelle - Paris

La prise en charge post-critique des suicidants est très variable selon les patients, selon les modalités d’exercice et surtout selon le contexte du dispositif de soins où ils sont accueillis. Le médecin oriente les suicidants selon les troubles présentés et en fonction des ressources sanitaires et sociales locales.

Plus étonnant encore, une méta-analyse effectuée par Patrick Hardy conclue que la plupart des études prospectives contrôlées n’ont retrouvé aucune différence significative en matière de taux de suicide ou de récidive entre les suivis par des traitements structurés (psychiatrique, psychosocial, psychopharmacologique ou psychothérapique) et un accompagnement ou même une absence d’accompagnement. Certes, un certain nombre de biais méthodologique peuvent expliquer cette absence de différence : grande variabilité de la durée du suivi (selon les études de 3 mois à 5 ans), de la taille des échantillons (de 20 sujets à 1351), exclusion pour des raisons éthiques des cas les plus sévères, etc. Un autre élément est à prendre en compte : un suivi structuré ne montre pas une différence significative d’efficacité peut-être en partie due au manque d’alliance thérapeutique ou d’adhésion des suicidants. La conclusion de l’auteur est donc que si l’intérêt d’une intervention structurée psychiatrique initiale durant la phase d’hospitalisation aux urgences est certes maintenant reconnu par tous, l’efficacité des prises en charge ultérieures ne répond pas à des recommandations étayées par la littérature et dépend beaucoup plus de leur adéquation aux besoins spécifiques des suicidants.

Il devient alors logique de penser que les programmes thérapeutiques globaux paraissent moins pertinents que des stratégies adaptées à des sous-groupes particuliers de suicidants selon la psychopathologie (déprimé ou non déprimé, état limite ou non état limite, situation de crise ou stress chronique, isolement ou contexte soutenant, etc.). En effet, comme le souligne M. Walter, les protocoles post-hospitaliers généraux à visée psychothérapique ou à visée sociale paraissent peu adaptés à l’ensemble des suicidants, des traitements plus ciblés ont pu faire la preuve d’une certaine efficacité. A titre d’exemple cet auteur cite Montgomery qui a montré l'efficacité de l’administration d’un psychotrope (20 mg IM de Flupendixol, toutes les 4 semaines, chez les suicidants récidivistes présentant une personnalité borderline). De même Salkovskis a mis en évidence que les thérapies cognitivo-comportementales étaient susceptibles de réduire les tendances suicidaires chez des sujets à haut risque de récidive. Dans la même démarche, Lineham trouve une diminution de la récidive suicidaire pour des patients suicidants  " état limite " traités pendant un an par TTC.

Il faut ajouter que la majorité des études prospectives contrôlées ne portent pas sur l’approche psychothérapique analytique et encore moins sur la psychanalyse telle qu’elle est souvent proposée en pratique par un certain nombre de praticiens ou de centres français.

Il faut donc souligner que le lieu, le moment et le caractère formel des rencontres au moment de la crise définissent un cadre institutionnel où peuvent être envisagés et discutés de façons diverses les conditions exactes de sortie du suicidant ainsi que les modalités de la conduite à tenir ultérieurement. A ce stade le contact avec le médecin traitant est bien entendu capital afin que le patient et son entourage perçoivent clairement un souci de continuité des soins comme cela a été conseillé dans le rapport de mars 1989 de la Direction Générale de la Santé sur " L’accueil et la prise en charge à l’hôpital des adolescents suicidants ". Ce même rapport retenait qu’en ce qui concerne les jeunes suicidants un tiers présentait des troubles psychiatriques patents conduisant à envisager une orientation spécialisée, qu’il s’agisse d’un transfert vers un dispositif de soins de secteur, vers une maison de santé ou vers une prise en charge ambulatoire soutenue individuelle ou familiale. Le rôle du praticien ou de l’équipe au moment de la crise suicidaire consiste alors souvent à dédramatiser une telle orientation et à servir de relais afin que le jeune patient et son entourage n’éprouve aucun sentiment de rejet ou d’exclusion. Mais ce même rapport, toujours pour les jeunes patients, pensait qu’au contraire le simple retour à domicile assorti d’un suivi ultérieur régulier par le médecin traitant pouvait être envisagé en l’absence de tout élément pathogène patent et compte tenu de la mobilisation familiale ainsi que de la qualité des investissements. Au total ce rapport proposait que pour près d’un jeune suicidant sur deux il apparaissait indispensable d’aménager des modalités spécifiques de prises en charge à court et moyen terme. Ceci est conseillé pour des sujets ne présentant pas de troubles mentaux patents mais qui demeurent en situation de crise suicidaire en raison notamment des difficultés d’élaboration et de verbalisation qu’ils éprouvent. Le problème est que, comme ce rapport le souligne, du moins en ce qui concerne les jeunes patients et tout particulièrement, ce type de jeune patient, l’adresse qui est donnée n’est pas suivie d’effet car les sujets ne s’y rendent presque jamais en raison de la crainte que leur inspire le champ psychiatrique traditionnel. La proposition qui en découle est de mettre en place un dispositif hospitalier de consultations externes lié étroitement au lieu où la crise suicidaire a été prise en charge, destiné à recevoir les jeunes patients au cours de rencontres à échéance limitée dans le temps afin de les accompagner jusqu’à la résolution de la crise ou de les préparer à s’engager ultérieurement dans une démarche psychothérapique plus traditionnelle. Ce rapport insistait sur l’aspect favorable de cette stratégie puisque l’indice de fréquentation de ces consultations atteindrait 80 % des jeunes auxquels elles sont proposées ce qui incite à penser que l’acceptation de soins psychiatriques à l’hôpital général est l’objet d’une crainte et d’un rejet moins massifs. Ce constat a été réalisé par Xavier Pommereau. L’approche " intermédiaire " ainsi proposée a été définie par le Docteur Pommereau par une durée d’intervention limitée à six mois et une fréquence maximum d’une consultation par semaine, voire le plus souvent une par quinzaine, mais avec la possibilité de fonctionner sur un mode suffisamment souple pour proposer seulement trois à cinq entretiens mensuels ou trimestriels. Bien évidemment pour les jeunes patients les parents sont systématiquement associés, cette équipe considérant que la mobilisation de ces derniers a un puissant effet de soutien et que l’indication d’une prise en charge familiale est discutée cas par cas. Cette même équipe souligne dans ce rapport remontant à 1989 que cette stratégie a néanmoins des limites liées en particulier à l’absence de structures de relais et de la trop brève durée d’un certain nombre de séjours au moment de la crise, brièveté de la durée qui ne permet pas de mettre en place ce suivi ultérieur. Cette équipe souligne donc, comme beaucoup, l’intérêt d’une mise en observation de quelques jours permettant la mise en œuvre des modalités de la prise en charge ultérieure. Le Docteur Pommereau dans un document plus récent souligne la nécessité de prendre en compte le temps et donc la poursuite ultérieure du travail dans un cadre externe après la crise suicidaire pour que le sujet se prépare et puisse tenter de donner un sens à un acte aussi important que le geste suicidaire. Toujours à propos de cette population d’adolescents suicidants, la nécessité d’un suivi ultérieur est souligné, une fois de plus en contradiction avec les études programmées. Il faut citer ici l’intérêt sur lequel certains insistent, d’une prise en charge institutionnelle comme peut le réaliser la Fondation des Etudiants de France. Un autre point souligné par beaucoup d’auteurs est que l’orientation du patient vers des intervenants qu’il ne connaît pas après une crise suicidaire, sans établissement de liens étroits entre les équipes, est dans la quasi totalité des cas vouée à l’échec. Par contre chacun insiste sur la possibilité d’accroître la compliance des patients par diverses dispositions préalables à la sortie : planification des rendez-vous, remise des coordonnées d'un centre ou d’une équipe, respect d’un délai suffisamment court. Un élément considéré comme souhaitable est le fait que le patient soit revu rapidement, entre deux à sept jours après la sortie de l’institution où était traitée la crise suicidaire. Il est même recommandé que si le sujet ne se présente pas aux rendez-vous qui lui ont été proposés il est utile que les intervenants effectuent des rappels de ces rendez-vous, au besoin par téléphone. De même le bon sens amène à penser que s’il y a des indices importants de détresse persistant au moment de la sortie de la crise suicidaire, il est utile de favoriser des actions sur le lieu de vie comme les visites à domicile. S. Kogan affirme un taux d’observance de 37 % quand seule l’indication d’un nom et d’un numéro de téléphone est donné au patient. Mais d’un point de vue plus général H.J. Möller conclue à un taux d’observance primaire (présence au premier rendez-vous) de 30 % et un taux d’observance effectif (présence à au moins 3 rendez-vous) de 24 %.

Il faut évidemment prendre aussi en compte des facteurs liés aux patients et/ou à la famille et des facteurs liés au clinicien qui a effectué le premier entretien auprès des suicidants.

Le seul facteur significatif concernant le patient lui-même est l’existence d’un contact antérieur avec un service de psychiatrie, comme si le patient voulait prévenir une réhospitalisation par le recours à un traitement ou une prise en charge ambulatoire. Par contre les caractéristiques socio-démographiques, économiques et même diagnostiques interviennent peu. Bien évidemment le déni de la tentative de suicide par le patient et/ou sa famille est significatif. Le rôle de la famille est repéré par certains auteurs comme particulièrement important. Un lien est observé entre la faible observance et l’existence d’un dysfonctionnement familial ou l’existence d’une pathologie psychiatrique non traitée chez les parents des jeunes suicidants.

Parmi les facteurs relatifs aux médecins, la prise d’un rendez-vous par le patient lui-même et la longueur de la liste d’attente sont incontestablement des éléments défavorables alors que la distance kilométrique ou plus étonnamment le type de prise en charge proposée ne semble pas jouer un rôle majeur. Mais le facteur essentiel concernant le taux d’observance semble relever du clinicien qui effectue le premier entretien auprès du suicidant. Si certains cliniciens sont capables de convaincre la plupart des suicidants, d’autres les persuadent très peu comme ceux par exemple qui annoncent brutalement en fin d’entretien la nécessité d’un tel suivi. La plupart des auteurs s’accordent pour reconnaître que le taux d’observance double si le clinicien lui-même prend le rendez-vous de suivi avec le collègue receveur.

Cependant c’est surtout la continuité des soins qui paraît le meilleur garant d’une bonne observance : quand le clinicien établit une relation psychothérapique par une série d’entretiens préliminaires le taux d’observance est significativement amélioré (plus de 60 %). Le taux optimal de rendez-vous pour l’observance, par une moyenne de quatre à cinq rendez-vous rapprochés le premier mois suivant le geste et un suivi assuré par le même médecin qui a initialement pris en charge le patient aux urgences à l’hôpital (D. Cremniter).

Il apparaît donc urgent maintenant de repérer les suicidants ayant un risque d’évolution péjorative et de déterminer les stratégies thérapeutiques les plus adaptées. A ces deux questions il est encore insuffisamment aujourd’hui répondu.

Bibliographie

Rapport sur " l’accueil et prise en charge à l’hôpital des adolescents suicidants ", 1989, Direction Générale de la Santé

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Dernière mise à jour : dimanche 29 octobre 2000 19:36:11

Monique Thurin