Comment désamorcer une crise suicidaire avant la phase aiguë ou le passage à l’acte?

Monique SÉGUIN, Ph.D.

Directrice du programme de psychologie - Université du Québec à Hull
Directrice du Laboratoire de recherche sur le suicide et le deuil - Centre de recherche Fernand-Seguin Hôpital Louis-H. Lafontaine, Montréal
Nous répondrons à cette question en développant quatre points. Premièrement, nous élaborerons brièvement le cadre théorique de la progression de la crise permettant de préciser les objectifs d’intervention qui favoriseront la gestion de la crise suicidaire.

Le deuxième point abordé permettra de constater qu’il existe des divergences dans la conception de l’intervention en situation de crise. Nous présenterons trois modèles issus de l’analyse de différentes pratiques. Ces modèles conceptuels de l’intervention en situation de crise varient en fonction des professionnels qui réalisent l’intervention. Comme il existe des différences entre les intervenants professionnels et les intervenants paraprofessionnels, nous tenterons de distinguer les rôles de chacun et les champs d’expertise des uns et des autres, selon une approche d’effets différentiels.

Troisièmement, nous aborderons un aspect essentiel permettant de désamorcer une situation de crise, c’est-à-dire l’évaluation du potentiel suicidaire. Cette évaluation s’avère une étape nécessaire afin de déterminer quel type d’intervention d’urgence doit être mis en place. Cette méthode d’évaluation du potentiel suicidaire devrait être connue de tous les intervenants auprès de personnes en phase de crise.

Quatrièmement, nous proposons des stratégies d’intervention selon une séquence qui favorise l’apprentissage ou l’enseignement de cette approche.

PARTIE I Progression de la crise (état d’équilibre, état de vulnérabilité et état de crise)

On croit fréquemment qu’une crise se produit de manière spontanée. En fait, il est possible qu’un grand choc, comme un décès, précipite un état de crise. Cependant, de façon générale, il se produit une progression de l’état d’équilibre vers un état vulnérable, lequel culmine finalement à l’état de crise. La reconnaissance de ces différentes étapes permettra de désamorcer (dans certains cas) la crise suicidaire avant le passage à l’acte.

Généralement, l’individu manifeste un ensemble de réponses comportementales lorsqu’il est confronté aux événements stressants de la vie. Habituellement, ces réponses permettent de maintenir un état d’équilibre. En effet, lorsqu’un événement vient rompre cet état d’équilibre, par exemple un ou des changements majeurs survenant dans son milieu, l’individu cherche à retrouver l’équilibre antérieur par la mise en place d’un ensemble de stratégies et de mécanismes d’adaptation. Cependant, la déstabilisation s’accentue lorsqu’une personne affronte des obstacles importants ou lorsqu’un enchaînement d’événements négatifs se produit. Ainsi, la perte du travail peut induire la perte d’estime de soi ou encore la perte d’amis, empêchant la personne en crise de maintenir ou d’atteindre, pour un certain temps, cet état d’équilibre ou de stabilité.

Lorsque l’individu perd ses capacités habituelles de faire face aux événements stressants, on dira qu’il se trouve dans un état de vulnérabilité. À cette étape, l’individu a épuisé son répertoire de réponses habituelles. Il ne parvient plus à évacuer une tension devenue trop intense au moyen des réponses qu’il connaît. L’individu en état de vulnérabilité évalue sa situation de manière négative; ces sentiments contribuent d’accroître la tension et celle-ci devient de plus en plus difficile à éliminer. L’épuisement des ressources cognitives peut provoquer une plongée dans le monde des émotions, émotions souvent négatives qui embrouillent de plus en plus sa perception de la réalité. L’individu se dirige rapidement vers une phase de désorganisation et de confusion émotive (Kirk, 1993).

L’état de déséquilibre prend alors graduellement le dessus et la personne se retrouve en crise. À cette étape, si la personne arrive, par une recherche de solutions, à une résolution efficace du problème, l’équilibre est retrouvé et la crise est évitée. Si, par ailleurs, la recherche de solutions s’avère infructueuse et/ou lorsque la personne est confrontée à des échecs répétés ou à un événement déclencheur supplémentaire, le stress et la tension continuent d’augmenter et poussent la personne vers un état de crise. Il s’agit d’une période de désorganisation, de trouble et de stress importants pendant laquelle la personne tentera de trouver une solution acceptable permettant de diminuer le niveau de tension.

L’état de crise est une période de déséquilibre intense. Cette période se caractérise par trois grandes étapes : (1) une période de désorganisation qui culmine jusqu’à (2) une phase aiguë avant de se conclure par (3) une période de récupération. La phase aiguë peut se distinguer par un éventail de réactions qui varient en intensité, allant jusqu’au passage à l’acte suicidaire. Remarquons qu’il est possible de vivre un état de crise sans vivre de passage à l’acte. De plus, le passage à l’acte ne se manifeste pas obligatoirement par une tentative de suicide, mais peut se traduire par une fugue, une crise d’agressivité ou toute autre façon permettant d’éliminer momentanément le stress causé par une situation difficile. C’est au cours de cette période de phase aiguë que pourra survenir la tentative de suicide chez un individu vulnérable.

La période de crise et de trouble intense peut durer de 6 à 8 semaines (Messick et Aguilera, 1976). Cette période de déséquilibre est exigeante pour l’individu et ne peut être tolérée longtemps; une action structurante devient alors nécessaire. L’individu adoptera, de façon consciente ou inconsciente, des solutions, adéquates ou non, pour retrouver un certain équilibre.

Le graphique suivant représente l’évolution de l’état psychologique d’une personne en état de crise suicidaire. (manque graphique)

Résolutions possibles de la crise

Les issues quant à la résolution de la crise peuvent varier. On peut parler d’une résolution de la crise en termes d’une résolution adéquate, d’une résolution inadéquate, d’un retour à l’équilibre antérieur ou d’une précipitation vers la crise suicidaire.

Résolution adéquate

On parle de résolution adéquate lorsqu’il y a recadrage du problème de départ, que la crise se résorbe et qu’il y a apprentissage de nouvelles stratégies d’adaptation. Toute crise peut représenter une occasion de croissance personnelle et constituer une valeur positive dans le développement d’une personne. À la suite d’une crise, l’individu peut fonctionner d’une façon plus adaptée qu’il ne le faisait antérieurement puisqu’il se sera doté d’une meilleure capacité d’expression de sa souffrance et de nouveaux mécanismes de maîtrise de soi.

Retour à l’équilibre antérieur

Après la crise, l’individu peut retrouver le même niveau de fonctionnement que par le passé. Ici, la crise ne s’est pas avérée une occasion d’apprentissage et d’introspection personnelle. Il est probable que l’individu se soit donné des moyens pour tendre vers un équilibre en utilisant de meilleurs moyens de résolution de problèmes. L’intervention en situation de crise aura permis à moyen ou à long terme de résoudre les problèmes qui ont engendré la crise.

Résolution inadéquate

Dans ce cas-ci, l’individu adopte des stratégies qui lui permettent peut-être de réduire le degré de stress et d’anxiété à court terme, mais qui pourraient avoir, à long terme, des conséquences néfastes (ex. : l’alcoolisme et la toxicomanie). Ces moyens constituent surtout des tentatives pour engourdir la douleur et l’individu risque de créer d’autres difficultés qui devront être traitées ultérieurement. Dans ce contexte, il arrive fréquemment que l’individu demeure dans un état de vulnérabilité jusqu’à ce qu’un autre événement vienne le replonger en état de crise.

Crise de type psychosocial ou psychiatrique

Le passage à l’acte suicidaire n’est pas en soi un diagnostic, mais un comportement qui caractérise le malaise vécu par une personne qui souffre, indépendamment de ses difficultés psychologiques. Il est important d’éviter de placer toutes les personnes en état de crise suicidaire dans la même catégorie diagnostique et ainsi d’offrir un traitement unique et universel à toutes les personnes en crise. Le modèle de crise est un modèle conceptuel qui correspond à une période définie dans le temps et qui offre un appui théorique à une technique d’intervention d’urgence. Ce modèle correspond à une période de désorganisation ciblée dans le temps, mais ne saurait se substituer à des modèles théoriques de la psychopathologie.

Cependant, la description d’un individu en situation de crise telle que proposée par Caplan (1964) et Messick et Aguillera (1976) correspond bien à la situation d’une personne qui vit une période de déséquilibre et qui peut éventuellement retrouver un état d’équilibre avec le soutien approprié. L’événement déclencheur de la crise est souvent de nature psychosociale : une perte, une rupture, ou une série d’adversités. Un événement tragique entraîne souvent une cascade d’événements complexes qui rendront le maintien de l’équilibre de plus en plus précaire. Dans un contexte comme celui-ci, l’intervention sera axée sur le rétablissement de l’équilibre, l’expression des émotions, la compréhension des événements qui ont mené à la crise, l’apprentissage de nouvelles habiletés de résolution de problèmes et le recadrage cognitif.

Mais qu’en est-il des personnes psychologiquement vulnérables qui se retrouvent régulièrement en situation de crise? Le modèle de crise ne saurait être une explication étiologique de la pathologie, bien qu’une personne ayant des troubles de santé mentale puisse aussi être en crise. L’observation clinique nous permet de constater que, lorsque des personnes ayant des antécédents de santé mentale déficiente ou de grande vulnérabilité psychologique vivent des situations difficiles, elles se retrouvent plus rapidement en état de crise. L’explication vient probablement de ce que ces personnes n’étaient pas en phase d’équilibre lorsque les situations de stress sont apparues. Ces personnes vivent souvent dans un état de vulnérabilité continuel, et le moindre événement stressant peut les précipiter en situation de crise.

La littérature fait état de sous-groupes souvent bien distincts d’individus ayant des comportements suicidaires. Sans entrer dans une discussion clinique et épidémiologique des différents sous-groupes de personnes suicidaires (ce qui sera abordé plus loin), pour des fins d’enseignement et d’intervention clinique, nous définirons deux grands sous-groupes. Premièrement, les personnes qui sont en crise suicidaire à la suite d’une crise de nature psychosociale et, deuxièmement, les personnes adoptant des comportements suicidaires à la suite d’une crise de nature plus intériorisée que nous qualifions de crise psychiatrique. En résumé, même si le modèle de crise décrit un processus de manière générique, diverses personnes vivront des crises suicidaires et l’expression de ces dernières pourra différer. Par conséquent, la nature de l’intervention devrait varier en fonction du type de personne en crise.

PARTIE II Modèles d’intervention en situation de crise issus des pratiques

On observe des divergences dans les styles d’intervention en situation de crise que pratiquent les professionnels et dans ceux des paraprofessionnels qui interviennent dans des services alternatifs ou associatifs. Nous présenterons trois modèles issus de l’analyse des différentes pratiques.

Le premier modèle repose principalement sur le dépistage et l’évaluation; le deuxième modèle, utilisé surtout par des intervenants paraprofessionnels, est centré sur la résolution de problèmes; enfin, le troisième modèle, qui retient le plus d’intérêt, est le modèle convergent décrit par Aguilera (1995). Bien que ces modèles n’aient pas été spécifiquement conçus pour la crise suicidaire, nous en ferons une brève revue afin de dégager les différences possibles entre les pratiques et, ultérieurement, proposer les meilleures interventions susceptibles de désamorcer la crise suicidaire.

Modèle de dépistage et d’évaluation (Screening/Assessment Model)

Ce type d’intervention s’inspire des modèles médicaux, bien que les principes de dépistage et d’évaluation soient mis en application dans un contexte psychothérapeutique (Burgess et Baldwin, 1981). Le modèle de dépistage et d’évaluation met d’abord l’accent sur l’évaluation complète des difficultés, des tensions et des problèmes vécus par l’individu et, dans un deuxième temps, sur la proposition de traitements appropriés.

Le cadre structuré de l’intervention en situation de crise qui découle de ce modèle est principalement sous la responsabilité d’un clinicien. Ce dernier effectue une évaluation psychologique en profondeur des expériences passées de la personne, de son histoire familiale et sociale et de ses antécédents médicaux. À la suite de cette évaluation, la personne est orientée vers d’autres ressources ou services communautaires afin d’y recevoir le traitement approprié. Dans ce cadre, le rôle du clinicien qui reçoit la personne, généralement dans les salles d’urgence médicales ou psychiatriques, est de désigner et de coordonner des ressources et des services qui pourraient l’aider. Par conséquent, l’évaluation du fonctionnement passé et présent de l’individu ainsi que l’obtention de services adéquats pouvant faciliter la résolution de la crise actuelle sont les seules responsabilités du thérapeute appliquant le modèle de dépistage et d’évaluation. Ce modèle de dépistage et d’évaluation constitue donc une intervention de courte durée, limitée à une ou deux rencontres, ce qui restreint des possibilités d’intervention plus élaborées.

En somme, selon Burgess et Baldwin (1981), cette forme d’intervention de crise n’est adéquate que pour certaines personnes en difficulté, dont celles souffrant de psychopathologie chronique ou récurrente. Ce modèle est plus adapté aux structures qui reçoivent les personnes en urgence et qui mettent en place des politiques limitant les services de crise à des activités d’évaluation et d’orientation.

Modèle de résolution de problèmes

Ce modèle a été élaboré dans les années 60 en réaction à une augmentation de la demande des services de santé mentale (Lecomte et Lefebvre, 1986). Depuis les années 70, ce sont généralement les paraprofessionnels œuvrant dans des services alternatifs ou associatifs en santé mentale qui dispensent ce type de service. Le modèle de résolution de problèmes a été initialement considéré comme innovateur en favorisant le counselling par les pairs. Des personnes n’ayant pas d’expérience de psychothérapie reçoivent une formation en intervention en situation de crise afin d’acquérir des habiletés pour pouvoir aider des pairs en difficulté. Cette formation de type humaniste met l’accent sur l’écoute active, l’établissement d’une relation chaleureuse avec la personne en état de crise et la diffusion d’information pouvant aider cette personne à prendre des décisions. L’objectif est de permettre à l’individu formé de posséder suffisamment de compétences pour pouvoir aider une personne en crise à définir et à évaluer les différentes solutions possibles pour résoudre son problème.

Dans les faits, ce modèle de résolution de problèmes se traduit par une intervention en situation de crise peu structurée, mais propice à l’innovation pouvant avoir lieu non seulement en entretien face à face, mais aussi par téléphone, voire au moyen du réseau de communication Internet.Le nombre de séances d’intervention varie selon les besoins de la personne. Ainsi, un plus long soutien peut être nécessaire pour les personnes qui éprouvent davantage de difficultés à faire face à un problème immédiat. En outre, l’intervention se centre surtout sur le présent, quoique le futur soit envisagé pour certains aspects de la résolution de problèmes (Jacobson et Portuges, 1976).

Bien que ce modèle ait donné des résultats fructueux auprès de nombreuses personnes en difficulté, il a tout de même été l’objet de critiques (Lecomte et Lefebvre, 1986). Par exemple, le fait que le contenu et le nombre des séances ne soient pas clairement définis permet à certaines personnes de consulter à répétition, sur une longue durée et à haute fréquence, ce qui engendre l’établissement d’une certaine dépendance à cette forme de soutien. Cette situation peut favoriser la régression de la personne et l’incapacité d’acquérir de nouvelles habiletés de résolution de problèmes. D’un autre côté, Torop et Torop (1972) ont remarqué que les intervenants formés à cette méthode sont souvent jeunes et idéalistes quant à leur rôle auprès des personnes en difficulté, ce qui entraîne un surinvestissement des problématiques, une tendance à se faire manipuler par certaines personnes et, conséquemment, une possibilité accrue d’épuisement " professionnel ".

Modèle d’intervention en situation de crise

Le modèle convergent trouve son origine dans les travaux de Caplan (1964), Messik et Aguilera (1976) et il a été repris par Aguilera (1995). Il fait actuellement figure d’autorité pour l’intervention en situation de crise et il est adopté autant par des professionnels que par des paraprofessionnels. Selon Aguilera (1995), la psychothérapie brève est le modèle précurseur de l’intervention en situation de crise et elle poursuit comme objectif la résolution immédiate de la crise, et ce, en une à six séances.

Pas plus les événements que le stress ne suffisent à déclencher une crise. La personne entre en crise lorsque le stress, qui est induit par l’événement stressant, est perçu comme une menace. La crise survient lorsque la personne perçoit l’événement stressant comme une difficulté insurmontable dépassant ses ressources d’adaptation. À cause du rôle central que joue la perception dans la crise, l’intervention repose sur un modèle d’orientation cognitive.

Aguilera (1995) propose un paradigme qui explique l’influence qu’ont les événements stressants sur la déstabilisation de l’individu. Une crise serait provoquée plus ou moins directement par une perception déformée de l’événement et/ou par un manque de soutien adéquat, et/ou par l’absence de mécanismes de maîtrise adéquats. Conséquemment, l’intervention doit porter sur le ou les facteurs de déstabilisation. Lorsque la dimension cognitive est défaillante, la situation est perçue comme étant menaçante, d’autant plus que l’individu en crise généralise les répercussions négatives sur les objectifs futurs. Par ailleurs, si l’individu souffre d’isolement social, il deviendra plus vulnérable au déséquilibre lorsque surviendra une perte ou une menace de perte.

Ce modèle s’applique bien aux crises suicidaires parce qu’il tient compte du sentiment d’ambivalence que peut avoir la personne suicidaire, de l’état d’impulsivité souvent présent dans la composante suicidaire et de la rigidité cognitive qui ne lui permet plus d’entrevoir de nouvelles solutions. L’intervention doit donc (1) permettre un rééquilibre émotif par l’expression de la souffrance et de la détresse, (2) favoriser une restructuration cognitive en proposant une perception plus réaliste de l’événement, (3) prendre en considération et mobiliser la composante de soutien social, (4) inciter l’individu à utiliser des mécanismes de maîtrise qui ont déjà fonctionné dans le passé, sinon (5) aider la personne à se doter de nouveaux mécanismes de maîtrise.

Différence de perception chez les auteurs américains et les auteurs européens

La théorisation de la crise varie selon qu’elle est abordée par des auteurs américains ou anglo-saxons, ou par des auteurs européens. Les premiers (Caplan, 1964; Langsley, Machotka et Flomenhaft, 1971; Marmar et Horowitz, 1988, et d’autres) perçoivent la crise comme une période durant laquelle l’individu est submergé sur le plan émotif. À ce moment, il a une perception cognitive rigide et déformée de la réalité et il éprouve des difficultés à résoudre des problèmes. L’intervention porte sur les événements présents alors que les problèmes du passé sont peu ou pas abordés, à moins qu’ils n’aient des liens directs avec les événements actuels. L’intervention vise la résolution actuelle de la crise et un retour à l’équilibre.

Pour les auteurs européens (Andreoli, 1986; Ottino, 1999; Souris, 1988, et d’autres), le lien entre les conflits passés et présents est plus étroit. La réactualisation des conflits sous-jacents demeure l’objectif thérapeutique et l’intervention en situation de crise vise à offrir à la personne un espace de transition " dans lequel le sujet pourra élaborer ses conflits et structurer de nouveaux étayages " (Souris, 1988). Malgré ces différences de conception, un objectif commun pour tous les auteurs semble être la nécessité de mettre l’accent sur une intervention intensive, rapide et précoce. Pour ce faire, l’évaluation du potentiel suicidaire est nécessaire.

PARTIE III Évaluation du potentiel suicidaire

Lorsque des intentions suicidaires sont dépistées chez une personne en crise, il est nécessaire d’évaluer la gravité de la crise avant d’établir un plan d’intervention.

Au cours de l’évaluation du potentiel suicidaire, le clinicien s’intéresse à l’évaluation (a) du risque suicidaire (facteurs prédisposant à l’apparition du geste), (b) de l’urgence du passage à l’acte (imminence de la conduite suicidaire), et (c) du danger entraîné par le scénario suicidaire (létalité du moyen).

Selon Pruett (1990), la clé d’une évaluation adéquate se trouve dans la formation des intervenants. Ces derniers doivent être bien formés à la reconnaissance des facteurs de risque qui peuvent augmenter les intentions suicidaires. Ils doivent être en mesure de reconnaître les intentions suicidaires, de considérer les signes, les symptômes et les éléments du passé tels que les tentatives de suicide antérieures, ainsi que de discerner tous les éléments pouvant vraisemblablement influencer le processus suicidaire (ex. : l’abus d’alcool, de drogues, de médicaments, les antécédents familiaux, les problèmes de santé mentale, etc.).

Les crises suicidaires, malgré qu’elles soient de durée limitée, peuvent être récurrentes. Les cliniciens qui évaluent régulièrement le potentiel suicidaire doivent être précis et rigoureux dans leur plan d’intervention et dépasser les seules impressions cliniques, lesquelles peuvent s’avérer trompeuses dans le cas de certains patients. D’ailleurs, une étude britannique récente (Appleby, Shaw, Amos, McDonnell et Harris, 1999) analysant 2 170 décès par suicide de personnes ayant eu des problèmes psychiatriques estime que 20 % de ces personnes avaient été en contact avec des services de santé mentale 24 heures avant leur décès et que 50 % d’entre elles avaient été en contact avec des services de santé mentale la semaine précédant le décès. De plus, les professionnels de la santé mentale avaient évalué le risque de suicide comme étant absent ou faible dans 84 % des cas, modéré dans 13 % des cas et élevé dans seulement 2 % des cas. Ce qui pose la question de l’efficacité de l’évaluation. Est-ce que dans des milliers d’autres situations l’évaluation a été adéquate ou est-ce une indication de la difficulté qu’ont les intervenants d’évaluer le potentiel suicidaire?

Évaluation du risque suicidaire, de l’urgence et de la dangerosité

Cette étape consiste à évaluer le degré de perturbation de l’individu afin de déterminer l’imminence et la dangerosité du geste suicidaire. L’évaluation du potentiel permet de cerner des pistes concrètes et directes d’intervention. D’ailleurs, nous verrons plus loin (question no 2) que l’intervention à privilégier diffère si la personne est au début ou si elle est à la fin du processus suicidaire.

L’évaluation du potentiel suicidaire constitue la première étape de l’intervention. Elle consiste essentiellement en la cueillette d’information. Il s’agit d’écouter la personne suicidaire raconter sa trajectoire de vie avec toutes les pertes qui y sont rattachées. Ces informations permettent de définir le problème actuel et de déterminer l’élément déclencheur de la crise ainsi que les autres éléments qui affectent les capacités de la personne de résoudre sa situation actuelle. Plusieurs instruments de mesure standardisés peuvent être utilisés. La discussion des qualités psychométriques dépasse le cadre de cette question; cependant, une liste d’instruments est présentée à l’Annexe I (Labelle et al., 2000).

La tâche pour les intervenants en situation de crise est lourde et exigeante. En effet, les intervenants doivent repousser l’échéance du passage à l’acte tout en concevant un plan de traitement, reconnaître les intentions de la personne en crise et discerner tous les éléments (tels que les abus d’alcool, de drogue, de médicaments, les tentatives de suicide antérieures, les antécédents psychiatriques ainsi que les problèmes de santé mentale existant dans la famille) qui augmentent le risque suicidaire. Ce type d’évaluation tente de déceler une comorbidité symptomatique, c’est-à-dire qu’il cherche à établir la présence de plusieurs difficultés de santé mentale chez l’individu et/ou des problèmes de comportement qui peuvent produire des interférences au moment de l’intervention. L’intervention est différente lorsqu’une personne suicidaire présente plusieurs pathologies, car le risque de suicide augmente (la démence et le retard mental constituent des exceptions).

Facteurs de risque suicidaire

De plus en plus d’études bien menées identifient des facteurs qui augmentent le risque soit de tentatives de suicide, soit de décès par suicide (Isometsä et al., 1994, 1996; Brent et Moritz, 1996; Shaffer et al., 1996, etc.). Ces facteurs sont nombreux et nous ne présenterons que les plus significatifs (Organisation mondiale de la santé, 2000). Nous insisterons ici sur les facteurs de risque de décès par suicide puisque d’autres auteurs ont traité des facteurs de risque associés aux tentatives de suicide. Il sera principalement question d’évaluer quelles personnes sont les plus à risque de décès par suicide.

 

Les facteurs individuels

Antécédents suicidaires de l’individu

Présence de problèmes de santé mentale (troubles affectifs, abus et dépendance à l’alcool et aux drogues, troubles de personnalité, etc.)

Pauvre estime de soi

Tempérament et style cognitif de l’individu (impulsivité, rigidité de la pensée, colère, agressivité)

Présence de troubles de santé physique (maladie, handicap, etc.)

Les facteurs familiaux

Présence de violence, d’abus physique, psychologique ou sexuel dans la vie de l’individu

Existence d’une relation conflictuelle entre les parents et l’individu

Pertes et abandons précoces

Problèmes de toxicomanie et d’alcoolisme chez les parents de l’individu

Négligence de la part des parents

Présence de conflits conjugaux majeurs

Comportements suicidaires de la part de l’un ou des deux parents

Problèmes de santé mentale chez l’un ou chez les deux parents

Les facteurs psychosociaux

Présence de difficultés économiques persistantes

Isolement social et affectif de l’individu

Séparation et perte récente de liens importants, deuil

Placement dans un foyer d’accueil, en institution ou dans un centre de détention, traitement discriminatoire

Difficultés académiques ou professionnelles

Effet de contagion (à la suite du suicide d’un proche, endeuillé à la suite d’un suicide)

Difficulté avec la loi

Présence de problèmes d’intégration sociale

En outre, les facteurs de risque peuvent être repérés à tout âge. Lorsqu’ils sont reconnus, ils s’avèrent des outils précieux pour aider les intervenants à évaluer le potentiel suicidaire.

Pour des fins cliniques, le risque peut s’évaluer selon qu’il est faible, moyen ou élevé. Cette évaluation, associée à celle de l’urgence et de la dangerosité, permettra à l’intervenant d’instaurer une intervention appropriée.

Évaluation de l’urgence

Pour déterminer les priorités de l’intervention, il convient de procéder assez rapidement à l’évaluation de l’urgence, c’est-à-dire à l’évaluation de la probabilité et de l’imminence d’un passage à l’acte. L’identification de ces éléments permet de situer la personne dans le processus suicidaire et de définir les priorités de l’intervention (Séguin et al., 1999).

Il importe aussi de reconnaître l’événement déclencheur qui est à l’origine de la crise suicidaire. Cet événement est habituellement assez récent. Il peut paraître anodin ou insuffisant pour déclencher un passage à l’acte ou, au contraire, il peut s’avérer très grave. Cet événement, qui suscite la crise ou provoque le passage à l’acte, n’est souvent que la goutte qui fait déborder le vase ou le dernier en liste d’une longue série de pertes affectives ou d’événements traumatisants. Il faut donc considérer l’ensemble de la situation et évaluer l’ensemble des pertes récentes qui ont touché la personne en crise suicidaire (voir le tableau plus bas).

Évaluation de la dangerosité

Au cours de cette évaluation, l’intervenant doit nécessairement prendre en considération la létalité du scénario en questionnant la personne suicidaire sur ses intentions et sur les moyens qu’elle pense utiliser au moment du passage à l’acte. L’intervenant doit évaluer adéquatement l’élaboration du scénario suicidaire. Les questions directes quant au scénario suicidaire (où, quand, comment) peuvent sembler embarrassantes à poser. Elles peuvent mettre l’intervenant dans la gêne, parce qu’il n’est pas concevable, dans notre culture, d’oser aborder directement de telles questions. Il faut donc aller au-delà de l’indisposition que ces questions peuvent susciter et se rappeler qu’elles peuvent être réconfortantes et apaisantes pour une personne qui songe à se suicider. Aborder le sujet directement permet à la personne suicidaire d’être considérée dans ce qu’elle vit actuellement et dans son désir de mourir. La personne suicidaire interprète les questions directes de l’intervenant comme une compréhension de sa souffrance.

Lorsque les questions sont précises, les réponses ont également plus de chances d’être précises. Les réponses de la personne suicidaire permettent à l’intervenant de mieux apprécier la situation et de mieux évaluer l’urgence et la dangerosité du passage à l’acte; l’intervention n’en sera alors que plus appropriée. Il est clair que l’intervention sera différente dans le cas d’une personne qui nous dit avoir l’intention de se suicider le soir même, avec les moyens qui se trouvent à sa disposition (armes à feu, médicaments, monoxyde de carbone, etc.), comparativement à l’intervention nécessaire pour une personne qui dit penser vaguement au suicide, mais qui ne songe à aucun scénario précis.

Si l’accessibilité directe aux moyens ne pose pas d’entrave à la réalisation de son projet, c’est-à-dire si l’individu a facilement accès à des armes à feu, à des médicaments ou à tout autre moyen de mettre fin à ses jours, il faut alors considérer que la dangerosité est extrême et agir en conséquence. Plus loin, nous aborderons la réduction de l’accès aux moyens suicidaires et les techniques d’intervention en urgence suicidaire.

 

Une personne est généralement considérée en urgence faible lorsqu’elle :

  • désire parler et qu’elle est à la recherche de communication;
  • cherche des solutions à ses problèmes;
  • pense au suicide, mais n’a pas de scénario suicidaire précis;
  • maintient des projets réels pour les prochains jours;
  • pense encore à des moyens et à des stratégies pour faire face à la crise;
  • n’est pas anormalement troublée, mais psychologiquement souffrante.
  • Une personne est considérée en urgence moyenne si :

  • son équilibre émotif est fragile;
  • elle envisage le suicide et son intention est claire;
  • elle a envisagé un scénario suicidaire, mais son exécution en est reportée;
  • elle ne voit de recours autre que le suicide pour cesser de souffrir;
  • elle a besoin d’aide et exprime directement ou indirectement son désarroi.
  • Une personne est considérée en urgence élevée si :

  • elle est décidée, sa planification est claire (où, quand, comment) et le passage à l’acte est prévu pour les jours qui viennent;
  • elle est coupée de ses émotions, elle rationalise sa décision ou, au contraire, elle est très émotive, agitée ou troublée;
  • elle se sent complètement immobilisée par la dépression ou, au contraire, elle se trouve dans un état de grande agitation;
  • la douleur et l’expression de la souffrance sont omniprésentes ou complètement tues;
  • elle a un accès direct et immédiat à un moyen de se suicider : médicaments, armes à feu, lames de rasoir, métro, etc. :
  • elle a le sentiment d’avoir tout fait et tout essayé.
  • Au cours de l’évaluation du potentiel suicidaire, le clinicien s’intéresse à l’évaluation (a) du risque suicidaire (facteurs prédisposant à l’apparition du geste), (b) de l’urgence du passage à l’acte (imminence de la conduite suicidaire), (c) du danger entraîné par le scénario suicidaire (létalité du moyen). Pour des fins cliniques, cette triple évaluation peut s’établir sur une échelle à trois niveaux : faible, moyen ou élevé. Ainsi, une personne pourra être à risque faible, en urgence élevée et le scénario suicidaire pourra être de létalité élevée. Ou alors une autre personne pourra être à risque élevé, en urgence faible et le scénario suicidaire pourra être de létalité faible. Cette évaluation permettra de mieux évaluer le type d’intervention à mettre en place et permettra aux intervenants d'adopter un vocabulaire commun.

    Partie IV Comment désamorcer une crise suicidaire?

    Les objectifs spécifiques en vue de désamorcer une crise suicidaire sont de :

    (1) repousser l’échéance du passage à l’acte;

    (2) soutenir la personne suicidaire pendant la phase aiguë de la crise;

    (3) transmettre à cette personne le sentiment qu’avec de l’aide elle pourra s’en sortir.

    Il s’agit, dans un premier temps, de désamorcer la crise, puis d’intervenir selon les causes sous-jacentes qui l’ont engendrée. Les principes dont nous discuterons ici sont ceux auxquels nous faisons appel au moment d’une intervention en situation de crise suicidaire, donc différents de ceux qui guident nos interventions au cours d’une psychothérapie. L’intervention en phase de crise est généralement immédiate et directive puisqu’elle intervient à un moment ou l’individu suicidaire est (1) ambivalent, (2) impulsif et (3) fait preuve de rigidité cognitive. Il ne s’agit pas de rechercher la neutralité thérapeutique, mais bien de créer un lien qui permettra à la personne suicidaire de se sentir comprise et validée dans sa souffrance. Ce type d’intervention peut se pratiquer soit dans un entretien face à face (dans un bureau, au domicile de la personne suicidaire ou dans tout autre lieu où se trouve la personne en crise), soit au téléphone, et maintenant de plus en plus sur Internet (pour plus d’information sur la prévention du suicide par courriel, voir Wilson et Lester, 1998). À notre connaissance, aucune évaluation de l’efficacité des interventions sur Internet n’a été publiée jusqu’à maintenant.

    L’intervention en situation de crise se pratique en phase de vulnérabilité ou en phase aiguë de la crise et elle est centrée sur l’événement vécu par l’individu au moment de l’intervention. Lorsque la crise se dissipe, la personne peut alors réévaluer sa situation, souvent de façon différente, et ainsi considérer qu’il existe d’autres options acceptables et satisfaisantes. L’intervention en phase de crise aura permis à l’individu suicidaire de poser graduellement quelques jalons d’un mieux-être afin de poursuivre son cheminement. À la suite de l’intervention en situation de crise, il sera nécessaire d’orienter la personne suicidaire vers un professionnel de la santé mentale. Ce professionnel peut alors poursuivre, avec la personne suicidaire, un travail sur le plan de l’organisation de la personnalité, dans un objectif à plus long terme.

    Ayant à l’esprit une préoccupation d’enseignement, la séquence d’intervention présentée ci-dessous est proposée comme schéma possible d’intervention en situation de crise suicidaire. Cette séquence est souvent plus conceptuelle que pratique et devra être adaptée à des situations variées.

    Qui peut désamorcer une crise suicidaire?

    Il semble assez clair que l’intervention en situation de crise peut être appliquée avec succès par des intervenants tant professionnels que paraprofessionnels (voir la deuxième section de la Question 1). Cependant, des nuances doivent être faites quant aux rôles professionnels de chacun, entre la place de la prise en charge que peuvent réaliser des intervenants paraprofessionneles et la place de la prise en charge qui incombe aux professionnels, afin de bien établir qui peut intervenir pour désamorcer une crise suicidaire, auprès de quelles clientèles et dans quel contexte.

    Le modèle convergent, décrit par Aguilera (1995), peut être enseigné aux intervenants intéressés à œuvrer en situation de crise suicidaire. Cet enseignement destiné à tous les intervenants au sens large permettra d’élargir le filet social de sécurité et de faire en sorte que plusieurs intervenants adéquatement formés et supervisés sauront comment agir au cours d’une situation de crise suicidaire, indépendamment de l’endroit où surviennent ces crises. Comme les crises suicidaires ne sont pas prévisibles, elles peuvent émerger dans tous les milieux, à toute heure, et il devient nécessaire d’avoir des intervenants bien formés à la technique d’intervention en situation de crise dans presque tous les milieux (hôpitaux, écoles, centres jeunesse, etc.). La dimension de la formation, dans ses modalités tant techniques qu’organisationnelles, est une question primordiale qui sera abordée un peu plus loin. Bien que l’intervention de crise puisse être utilisée par les intervenants professionnels et par les intervenants paraprofessionnels, il n’en demeure pas moins que les objectifs d’intervention pourront différer en fonction de l’un ou l’autre de ces intervenants.

    Les intervenants paraprofessionnels qui œuvrent dans des organismes associatifs pourraient avoir des actions plus ciblées. L’intervention à l’égard des personnes qui vivent une crise de nature psychosociale doit être centrée sur l’expression de la souffrance, la restructuration cognitive et l’élaboration de stratégies de résolution de problèmes, et elle peut être assurée par des intervenants paraprofessionnels bien formés et pouvant compter sur une supervision clinique. Cependant, avec les personnes en crise psychiatrique, l’intervention des paraprofessionnels devrait viser la réduction de la tension et prévoir une orientation vers des professionnels de la santé mentale.

    Quant aux intervenants professionnels, leur action devrait être plus étendue et viser la formation et la supervision d’intervenants, de même que l’établissement de meilleures pratiques thérapeutiques en fonction des sous-groupes de personnes en crise suicidaire. Ces aspects seront élaborés à la question suivante.

    Stratégies et séquences d’intervention

    (1) L’établissement d’un lien de confiance entre un ou des intervenants et la personne suicidaire

    Cette dimension relève beaucoup des compétences individuelles de chaque intervenant. La capacité d’accueil et d’ouverture à l’autre, la capacité d’empathie à l’égard de la personne suicidaire et du projet de suicide, la capacité qu’aura l’intervenant de se lier à une personne agressive plutôt que de réagir de manière défensive, et la capacité de mettre en mots ce que vivent les personnes désespérées et silencieuses feront toute la différence au moment de l’intervention en phase de crise.

    L’établissement d’un lien de confiance exige l’acceptation du comportement suicidaire. Cela ne veut pas dire qu’il faut cautionner le geste suicidaire, bien au contraire, mais plutôt accepter qu’un individu souffre au point de vouloir se suicider.

    L’intervenant peut prendre position en disant à la personne suicidaire qu’il ne souhaite pas qu’elle se suicide et qu’il fera tout en son pouvoir pour qu’elle ne passe pas à l’acte. Toute la nuance réside entre un bon contact et un contact autoritaire. Un bon contact suppose que la personne suicidaire aura confiance en l’intervenant avec qui elle est en rapport et qu’elle saura que l’intervenant fera preuve de respect, de compréhension et de franchise à son égard ainsi que de précision quant à l’aide qu’il pourra lui apporter. Une attitude moralisatrice ou des jugements de valeur sont à éviter. Le respect mutuel est à la base d’un lien thérapeutique fort. De nombreux auteurs considèrent ce lien comme l’un des éléments nécessaires à la réussite de l’intervention (Aguilera, 1995; Grayson et Cauley, 1989; Muehlebach, Gognalons, Abensur et Andreoli, 1993; Souris, 1988). La souplesse dans l’intervention est recommandée. L’intervenant peut servir de personne-ressource ou jouer un rôle de conseiller, mais il faut nécessairement que s’établisse une relation de confiance entre les deux parties (Muehlebach, Gognalons, Abensur et Andreoli, 1993).

    Dire, raconter, exprimer la souffrance et la douleur constitue la première étape. Cette ouverture permet à la personne suicidaire l’expression d’émotions trop souvent réprimées. Cette étape d’expression de la douleur oblige la personne suicidaire à clarifier, ordonner et mettre dans une séquence temporelle les différents événements qui se sont produits. Ce processus lui permet aussi de mettre de l’ordre dans les émotions associées aux événements douloureux qu’elle vit. Cette étape donne également à l’intervenant l’occasion de mieux comprendre et d’évaluer la situation de la personne suicidaire.

    Cette " écoute " est dynamique, active et participante. Les émotions sont reçues pour ce qu’elles sont. L’intervenant parle du suicide pour comprendre, évaluer et signifier à la personne sa compréhension de la situation. De plus, parler du suicide nous en apprend beaucoup sur les motivations qui poussent une personne à vouloir mourir, sur les intentions qui se cachent derrière son comportement et sur les gains secondaires possibles qu’elle recherche. Enfin, en permettant que s’exprime la partie en elle qui " veut " vivre, on en apprend beaucoup sur ses ressources. Le point central de l’intervention est la verbalisation, la mise en mots de ce que la personne vit et la reconnaissance de sa souffrance. Cette expression des émotions permet une résolution progressive de la crise.

    Il est important d’écouter sans porter de jugements de valeur. Une attitude moralisatrice peut gêner la communication et amener la personne suicidaire à se sentir évaluée dans ses efforts de s’en sortir ou à croire que l’on doute de la validité ou de l’authenticité de sa souffrance. Il s’agit avant tout de reconnaître la douleur et la souffrance et ainsi de se positionner comme témoin de la souffrance de l’autre.

    (2) L’évaluation rapide et efficace du risque et de l’urgence suicidaire et de la dangerosité du scénario suicidaire. L’évaluation doit être immédiate afin d’amorcer une intervention d’urgence.

    Lorsque la personne suicidaire est en crise, elle peut être en proie à une panique intense et vivre de grands moments d’angoisse. Il se peut qu’elle veuille réduire son malaise rapidement. Elle est généralement empressée d’obtenir de l’aide et, par le fait même, très motivée à recevoir du soutien afin de résoudre son problème et ainsi régler la situation. L’intervention doit être immédiate parce que l’urgence d’agir est souvent présente. Il est important de saisir la demande d’aide lorsqu’elle est exprimée, car l’ambivalence du geste suicidaire peut permettre une résolution de la crise.

    L’efficacité de l’intervention dépend grandement de l’évaluation du problème et, conséquemment, de l’habileté qu’aura l’intervenant à poser des questions précises dans un cadre respectueux et emphatique (sans que l’entretien prenne la forme d’un interrogatoire).

    Le meilleur moyen d’établir un bon contact avec une personne suicidaire est d’aborder directement le sujet. Cette manière directe a souvent pour effet de susciter un immense soulagement de la part de la personne suicidaire. Il arrive fréquemment que la personne en détresse laisse des messages obscurs ou indirects à son entourage quant à ce qu’elle vit, précisément parce qu’elle a peur de la réaction que ses intentions suicidaires provoqueraient si elle en parlait ouvertement. Le fait de pouvoir confier sans crainte ses intentions à quelqu’un qui n’a pas peur d’aborder le sujet et qui comprend permet à la personne suicidaire de considérer son comportement sous un autre jour. C’est un contrepoids à l’isolement et à la solitude.

    (3) L’évaluation du facteur précipitant. Ce dernier s’est habituellement produit quelques semaines avant la crise et peut se traduire par un ou plusieurs événements ayant engendré une réaction en chaîne. Cet événement déclencheur peut aussi bien faire partie de la sphère sociale que de la vie intrapsychique de l’individu. Toutefois, il peut être difficile à reconnaître pour l’intervenant, puisque la personne elle-même est parfois inconsciente de la nature des éléments qui ont précipité sa crise. Or, il importe de bien le cerner afin d’évaluer le type de crise : de nature psychosociale ou de nature psychiatrique.

    Il est important de comprendre ce qui amène la personne à vouloir mourir et de mettre l’accent sur la crise actuelle, sur ce qui se passe au moment présent et sur l’événement déclencheur plutôt que sur l’histoire de vie. L’intervenant doit aider la personne suicidaire à définir la séquence d’événements qui a conduit à la crise suicidaire actuelle.

    Ici, l’intervenant amorce un début de restructuration cognitive. En identifiant les éléments qui font difficulté, l’intervenant identifie aussi les éléments positifs (s’il en existe), permettant ainsi une restructuration cognitive passant de " tout va mal " à " certaines choses vont mal ". Si la crise est de nature psychiatrique, il convient de structurer la personne en réduisant la tension et de l’orienter vers une prise en charge psychologique.

    (4) Encourager l’exploration et l’expression des émotions afin de diminuer le sentiment de détresse

    L’intervenant devrait maintenant avoir une bonne idée de la situation et des facteurs déclencheurs. À cette étape, il doit permettre à la personne d’exprimer ses sentiments quant à ce qu’elle vit. Il faut adopter une attitude d’acceptation, de soutien et de non-jugement envers celle-ci afin qu’elle puisse laisser libre cours à ses émotions. Par l’expression des émotions, l’intervenant peut valider la détresse de la personne suicidaire; ce faisant, il crée un lien avec la personne qui souffre puisqu’il se positionne comme témoin à la souffrance de l’autre. En agissant de la sorte, l’intervenant brise l’isolement dans lequel se situe la personne suicidaire. Ainsi, puisque la personne se sent alors un peu mieux comprise, un peu moins seule, sa propre souffrance pourra maintenant lui apparaître humainement supportable. Seulement à ce moment-là pourra-t-elle envisager d’entreprendre d’autres actions.

    (5) La formulation de la crise. À cette étape, l’intervenant tente d’expliquer de façon compréhensible sa perception de ce qui arrive à la personne qui le consulte. Cette formulation porte sur l’identification et la signification des facteurs précipitants et sur les mécanismes d’adaptation disponibles, ainsi que sur l’exploration de ce qui pourrait être entrepris pour mettre en place de nouveaux mécanismes. L’intervenant élabore une stratégie d’action qu’il suggère à la personne sous la forme d’une entente pour les prochaines consultations et il propose de nouvelles solutions à la crise.

    Lorsque cela est possible, il importe que la personne et l’intervenant collaborent à la recherche de solutions pouvant répondre adéquatement à la situation problématique ayant engendré la crise. À cette étape, il importe aussi d’explorer les conséquences et les émotions engendrées par chacune des solutions trouvées. L’assistance de l’intervenant est la plupart du temps requise dans la définition et la conceptualisation de nouvelles stratégies d’adaptation mieux ajustées aux situations problématiques actuelles.

    Il est essentiel de susciter l’engagement de la personne en crise suicidaire dans un processus de résolution de problèmes. La personne doit avoir un rôle actif dans la recherche et la mise en œuvre de solutions adéquates. Ce rôle de recherche de solutions permet à la personne suicidaire de reprendre confiance en elle-même, confiance qu’elle avait perdue. Si la personne suicidaire n’est pas partie prenante de la recherche de solutions, les options qui lui seront suggérées risquent de ne pas lui sembler valables.

    Après une première étape axée sur l’évaluation du potentiel suicidaire et sur l’établissement d’un lien de confiance, une période d’action doit suivre : la personne suicidaire est invitée à poser des gestes, explorer des solutions et rencontrer les personnes ressources appropriées, en fonction de la situation vécue. Selon certains auteurs, l’intervention doit dépasser l’écoute passive et déboucher sur des mouvements concrets afin de maximiser l’effet thérapeutique.

    La personne suicidaire doute de la possibilité de s’en sortir. Il est donc nécessaire de raviver cet espoir en lui transmettant la certitude qu’il existe une solution autre que le suicide et qu’elle possède les ressources pour surmonter ses difficultés. Il importe de faire ressortir les aspects positifs et les forces de cette personne afin qu’elle puisse reprendre confiance en elle-même et entrevoir une issue positive. Si l’intervenant perçoit en l’autre des attitudes et des aptitudes positives, il y a de fortes chances qu’il puisse influencer et aider la personne et son environnement à le percevoir ainsi, favorisant par le fait même un rapprochement entre la personne et son réseau social.

    Au cours de l’élaboration du plan d’intervention, l’intervenant devra peut-être devenir plus directif. Cette directivité n’est pas un obstacle à l’expression des émotions ou au maintien du lien de confiance. L’intervenant doit trouver le bon équilibre entre faire preuve de respect et être directif. Le respect n’exclut pas la directivité dans le cas où la personne qui est en crise ne sait plus quoi faire, où aller, par quoi commencer, surtout si elle est dans une situation où l’urgence suicidaire est élevée.

    La personne en crise doit sentir que cette forme " d’autorité " montre à quel point on tient à elle et qu’il ne s’agit pas d’une confrontation ou d’une négation de son pouvoir, ce à quoi elle pourrait être réfractaire. Il s’agit plutôt d’être franc et honnête avec cette personne en lui disant ce qu’on a l’intention de faire ou d’entreprendre, puis de lui demander son accord.

    Il est important, dans toute forme de contact avec une personne suicidaire, de respecter les limites de cette personne et les nôtres, et de ne rien exiger qui soit en dehors du pouvoir de cette personne ou du nôtre. La directivité ne saurait être qu’à court terme. Il ne s’agit pas de s’approprier le pouvoir décisionnel de l’autre et de faire des choix de vie à sa place. Il s’agit plutôt de répondre le plus adéquatement possible à une situation d’urgence temporaire.

    (6) Briser l’isolement, soutenir la famille et les proches, et mettre en place des structures de protection auprès de la personne suicidaire

    L’intervention de crise doit avoir pour but de briser l’isolement dans lequel se confine souvent une personne suicidaire, et d’élargir son réseau social. Dans tout processus de résolution de crise, il importe de bien reconnaître les ressources disponibles afin de pouvoir les mobiliser et les mettre à contribution lorsque nécessaire. La mobilisation du réseau peut s’avérer efficace pour désamorcer une crise aiguë.

    L’entourage immédiat peut constituer une ressource d’aide primordiale. Que ce soit la famille, les amis, les collègues de travail, toutes ces personnes peuvent représenter une source de soutien pour la personne suicidaire. L’intervenant peut aider cette personne à désigner les membres de son entourage qui sont en mesure de la soutenir et de lui offrir une forme d’accompagnement. Cependant, il est possible que les membres de l’entourage soient trop épuisés ou qu’ils manquent de ressources pour aider davantage la personne en crise. Il faudra alors mobiliser le réseau secondaire.

    L’intervenant doit donc connaître les différentes orientations disponibles afin de pouvoir offrir à la personne suicidaire de réelles solutions de rechange et être en mesure d’élaborer un plan d’intervention réaliste. L’élaboration de ce plan doit tenir compte de la validité des options auprès de la personne suicidaire.

    Offrir des solutions de rechange valables consiste à :

    (1) établir et préciser avec la personne suicidaire des démarches qui permettront de diminuer le niveau de tension ou de malaise;

    (2) rechercher des orientations adéquates et accessibles qui correspondent aux besoins de la personne suicidaire;

    (3) planifier des démarches simples et réalistes que la personne peut entreprendre et dont elle peut rendre compte;

    (4) accompagner et soutenir la personne suicidaire pour qu’elle évite des échecs difficiles (Morissette, 1984).

    Ces options doivent être en relation directe avec les besoins immédiats de la personne suicidaire et favoriser, à court terme, un mieux-être et une diminution de la souffrance, en plus de stimuler une reprise du sentiment de contrôle sur sa propre vie.

    (7) Arrêt du processus autodestructeur et établissement d’ententes avec la personne suicidaire afin d’assurer un suivi, du moins à court ou à moyen terme

    Il est souvent bénéfique d’établir une entente claire entre l’intervenant et la personne suicidaire. Cet accord, qui lie la personne à l’intervenant, doit viser à modifier concrètement la situation et peut constituer une entente de non-suicide ou un report de l’échéance du passage à l’acte suicidaire. Durant cette " période d’accalmie ", la personne dispose de temps pour réaliser les démarches prévues et cheminer graduellement vers une résolution positive de la crise.

    Les démarches prévues doivent être claires et précises, et elles ne doivent pas submerger les ressources de la personne suicidaire. Un suivi doit également être planifié dans un bref délai, souvent en moins de 24 heures, et un numéro d’urgence (accessible 24 heures par jour) doit aussi être remis à la personne suicidaire.

    (8) L’après-crise

    Peu de temps après une crise aiguë, il est possible d’observer une légère amélioration. Au même moment, il est fréquent de voir les membres de l’entourage et les intervenants se démobiliser. Il est normal de vouloir reprendre son souffle et de chercher à laisser à la personne suicidaire un répit, un moment d’intimité, etc. Cependant, si la personne suicidaire vient de retrouver un peu son souffle, elle demeure tout de même dans un état vulnérable. Cette personne a le sentiment d’avoir encore beaucoup de chemin à parcourir pour retrouver l’équilibre antérieur et un bien-être réel, et ce sentiment peut la plonger dans un profond découragement.

    La période qui suit une crise suicidaire est considérée comme une période à risque de récidive. Il importe donc de mettre en place des mécanismes qui amènent de vrais changements ou qui donne l’espoir d’une amélioration réelle. Certaines solutions définies pendant la crise peuvent malgré tout s’avérer inefficaces et l’on devra en trouver de nouvelles. Les liens de soutien établis au moment de la crise permettent de garder le contact et de continuer à offrir un appui durant la transition vers une prise en charge psychologique.

    Quelques mises en garde

    Après avoir décrit les éléments de base de l’intervention de crise avec une personne suicidaire, force nous est de constater que ces quelques principes directeurs sont incomplets.

    Une personne suicidaire est souvent une personne désespérée qui ne croit plus à un possible changement. Cette personne a souvent l’impression d’avoir tout essayé, sans succès, et que la seule échappatoire à sa souffrance constitue le suicide. Le fait de parler ouvertement du suicide avec une personne suicidaire permet de lui transmettre le sentiment qu’elle n’est plus seule et qu’il existe des moyens de l’aider. On donne aussi l’espoir en présentant à la personne suicidaire une solution autre que le suicide. Il importe d’émettre la conviction qu’il existe d’autres issues, d’autres recours que le suicide pour arrêter la souffrance, la rendre tolérable et régler la situation. Cette discussion permet souvent d’élargir le champ cognitif de cette personne, lui laissant entrevoir d’autres solutions valables pour elle.

    Transmettre l’espoir équivaut à mettre la personne en contact avec quelque chose de significatif pour elle, qui soit autre que la mort, comme lui permettre de prendre conscience de ses qualités, de ses intérêts, de sa valeur ou de celle d’autres personnes de son entourage. Être en mesure de véhiculer l’espoir de façon sincère et intègre est une des plus grandes qualités que peut avoir un intervenant de crise.

    Dans certaines occasions, nos interventions seront efficaces alors que, dans d’autres cas, ces mêmes interventions se verront rejeter par la personne suicidaire. Quelquefois, les meilleures interventions et les meilleurs intervenants n’arriveront pas à désamorcer la crise suicidaire. Il est donc nécessaire que l’intervenant puisse compter sur des ressources de soutien, de supervision et d’échange. Ne pas travailler seul évite que ne s’installent l’insécurité et l’épuisement que pourrait entraîner une intervention en solitaire. La problématique suicidaire est souvent très complexe et exige différents types d’interventions qu’une personne seule ne peut accomplir : interventions médicales, thérapie, intervention en situation de crise, intervention auprès de la famille, etc. La personne suicidaire peut également être en crise à toute heure et avoir besoin de soutien plus d’une fois par jour. Il serait illusoire de croire qu’un seul intervenant puisse être efficace à tous ces niveaux d’intervention. Il est aussi plus facile de se rendre disponible et présent à tour de rôle pour intervenir auprès de la personne suicidaire, puisque l’intervention est souvent exigeante pendant la phase aiguë de la crise. En se relayant de la sorte, un suivi et une présence pendant et après la crise sont assurés.

    Il est difficile de décrire dans toute sa complexité la réalité du rapport qui s’établit entre un intervenant et un individu suicidaire au moment d’une intervention d’urgence. Les principes directeurs ne peuvent être que des généralités et ne tiennent pas compte des habiletés individuelles que chacun d’entre nous avons développées au cours de nos expériences et de nos apprentissages. Il est aussi impossible de tenir compte des particularités de chaque situation et de chaque crise suicidaire.

    Toutefois, ces quelques principes constituent des éléments de réponse sur lesquels il est possible de s’appuyer au moment d’une intervention auprès de personnes en détresse suicidaire. Ils ne remettent pas en question les interventions efficaces qu’effectuent ou qu’ont effectué les intervenants. Ces principes peuvent, nous l’espérons, servir de guide à l’expérience pratique.

     

    Comment désamorcer une crise suicidaire avant la phase aiguë ou le passage à l’acte?

    Recommandations

    Malgré un modèle générique de la crise qui suit une progression allant d’un état d’équilibre à un état de vulnérabilité, puis à un état de crise, toutes les crises suicidaires ne se ressemblent pas pour autant. L’intervenant devra distinguer entre les crises de nature psychosociale et celles de nature psychiatrique afin d’établir un plan d’intervention adéquat pour chaque personne.

    Il semble assez clair que l’intervention en situation de crise peut être appliquée avec succès tant par des intervenants professionnels que par des intervenants paraprofessionnels. Le modèle convergent décrit par Aguilera (1995) peut être enseigné aux intervenants intéressés à œuvrer en situation de crise suicidaire.

    Bien que l’intervention en phase de crise puisse être utilisée par les intervenants professionnels et par les intervenants paraprofessionnels, il n’en demeure pas moins que les objectifs d’intervention pourront être différents en fonction du professionnel qui interviendra.

    Les intervenants paraprofessionnels qui œuvrent dans des organismes associatifs devraient agir de façon plus ciblée. Leur intervention auprès des personnes qui vivent une crise de nature psychosociale devrait être centrée sur l’expression de la souffrance, une restructuration cognitive et l’élaboration de stratégies de résolution de problèmes efficaces à court terme. Avec les personnes en crise psychiatrique, leurs intervention devrait viser la réduction de la tension , et une orientation vers des professionnels de la santé mentale.

    Quelle est la place de la prise en charge psychologique ?

    Comment définir la place de la prise en charge psychologique dans un sens large (intervention clinique, encadrement et supervision) alors que de plus en plus d’intervenants paraprofessionnels, ayant une formation spécifique et une supervision adéquate, peuvent intervenir au moment de la crise? L’intervention psychologique effectuée par un professionnel de la santé mentale doit donc prendre place à deux niveaux :

    (1) En élaborant et en définissant de meilleures pratiques en fonction des différents sous-groupes de personnes en crise suicidaire (incluant l’élaboration et la mise en place d’approches novatrices spécifiques pour les personnes suicidaires qui font des récidives).

    (2) En assumant l’encadrement, le soutien et la supervision clinique des interventions de crise.

    Partie I Définir de meilleures pratiques en fonction des différents sous-groupes de personnes en crise suicidaire

    Il existe un éventail important de modalités d’intervention en phase de crise. Ces modalités s’étendent sur une gradient d’interventions de courte durée allant jusqu’à des interventions de longue durée. Ces interventions varient en durée et en intensité; il peut s’agir d’une intervention unique, qu’elle soit faite au téléphone ou réalisée face à face, ou de quelques rencontres d’intervention, c’est-à-dire entre deux et six sessions, et parfois même d’interventions structurées de psychothérapies pouvant se poursuivre pendant plusieurs mois. Actuellement, l’attention des chercheurs et des cliniciens se porte sur l’identification d’approches différentielles afin de définir quel type d’intervention s’avère le plus approprié pour quel sous-groupe particulier de personnes suicidaires. Certaines études ont tenté d’évaluer les interventions en situation de crise quant à leur efficacité et quant à la satisfaction des personnes qui ont reçu les services. Nous présentons les conclusions de ces études.

    Intervention de courte durée

    Deux études ont mesuré l’efficacité du traitement à court terme. Dans le cadre des interventions en situation de crise, on croit habituellement que la personne en crise vit une détresse émotionnelle intense, que ses efforts pour venir à bout de la situation sont inefficaces et qu’elle est intéressée à recevoir de l’aide. Des études ont été entreprises afin de vérifier chacun de ces présupposés. Halpern (1973, 1975) a comparé 89 personnes en crise à 89 autres qui ne l’étaient pas, mais qui consultaient un thérapeute pour d’autres difficultés. En comparant les deux groupes, l’étude a révélé que les personnes en crise se sentaient davantage impuissantes, anxieuses, bouleversées et confuses en plus d’éprouver des doutes démesurés à propos de leurs habiletés à faire face efficacement à des situations sociales. Halpern a également constaté que les individus en crise étaient moins défensifs et qu’ils étaient plus ouverts à accepter l’aide proposée.

    Une étude a tenté de vérifier si une intervention brève au moment d’une crise satisfaisait aux besoins des patients. La recherche de Endler, Edwars et Kowalchuck (1983) a permis d’interroger 58 patients non hospitalisés de l’Unité d’intervention de crise de l’Hôpital Général de Toronto Est (Crisis Intervention Unit at Toronto East General Hospital). Brièvement, les conclusions de cette étude ont démontré que l’intervention en phase de crise satisfaisait aux besoins des patients ayant des traits d’anxiété peu développés. Toutefois, en ce qui a trait aux personnes en crise qui possèdent de forts traits d’anxiété, il est préférable d’adjoindre un traitement thérapeutique à plus long terme à l’intervention en situation de crise. Il ressort de ces deux études que l’intervention en phase de crise peut représenter un traitement acceptable pour les personnes déconcertées par l’émergence d’une difficulté soudaine. Cependant, pour les patients aux prises avec des problèmes chroniques, l’offre additionnelle d’une intervention à moyen et à long terme est recommandée.

    Études sur la clientèle

    Plusieurs recherches ont porté sur l’évaluation de la satisfaction des clients à la suite des interventions. Ainsi, une étude menée dans des centres de crise de Washington a évalué, six à douze mois suivant l’intervention en situation de crise, l’opinion de 104 clients qui avaient fait l’objet d’une seule séance d’intervention. Les résultats révèlent que 80 % des clients ont noté que l’intervention à laquelle ils ont eu recours a été utile, voire très utile, et que 85 % des répondants ont qualifié le contact avec l’intervenant comme ayant été très positif. De plus, sur une échelle en cinq points, un étant le score le plus bas et cinq le score le plus élevé, la moyenne autorapportée d’amélioration du bien-être du client se situait à quatre points (Getz, Fujita et Allen, 1975).

    Une étude effectuée parmi une population étudiante en Alabama rapporte que, sur 66 appels téléphoniques, 76 % des gens qui ont bénéficié de ce service qualifiaient l’aide reçue d’efficace (King, 1977).

    Un autre suivi effectué auprès de 109 clients du Centre de crise du comté d’Hennepin à Minneapolis (Hennepin County Crisis Intervention Center in Minneapolis) indique que 79 % des clients étaient satisfaits ou très satisfaits du service fourni (Stelmachers, Lund et Meade, 1972).

    Le Centre de crise de San Antonio (Crisis Center of San Antonio) a procédé à un suivi auprès de 142 clients qui avaient téléphoné en situation de crise. Les résultats de leur enquête démontrent que 96 % d’entre eux ont évalué l’assistance reçue comme ayant été utile ou très utile et que 98 % ont estimé que l’intervenant les avait bien compris dans leur situation respective (Preston, Schoenfeld et Adams, 1975).

    Le Service de référence et de counselling par téléphone d’Austin, au Texas (Telephone Counselling and Referral Service), a effectué un suivi similaire auprès de 74 clients quelques jours après les appels. Les résultats de l’enquête révèlent que 80 % des répondants ont trouvé l’aide offerte utile et que tous ont noté une diminution significative de leur perception de la sévérité de leurs problèmes durant les jours suivant l’intervention. Selon eux, ce changement résultait soit des bienfaits de l’appel (43 %), soit de l’action entreprise (26 %), soit du passage du temps (23 %) ou de l’assistance d’une autre personne (7 %) (Slaikeu et Willis, 1978).

    Hornblow et Sloane (1980) ont interviewé 214 individus qui avaient récemment fait appel au service téléphonique d’un centre de crise. Les chercheurs en sont arrivés à la conclusion que, pour 63 % des appels, les intervenants avaient identifié correctement au moins une ou deux des émotions intenses vécues par les appelants.

    Gingerich et al. (1988) ont téléphoné à 171 clients d’un service de crise, sept à quatorze jours suivant leur appel. L’intervention a été jugée utile par 91 % d’entre eux. Afin d’évaluer la qualité de l’aide reçue et ses différentes composantes, Gingerich et ses collaborateurs ont évalué l’aide apportée sur une échelle en quatre points : pauvre, moyen, bon ou excellent. Ainsi, en comptabilisant les catégories qualifiées de bonnes et d’excellentes, les résultats démontrent que 96 % des appelants y ont classé les capacités d’écoute de l’intervenant entre bon et excellent, 94 % en vertu de son intérêt en ce qui concerne leurs problèmes, 86 % sur l’exactitude de l’information transmise et 87 % sur le caractère compréhensif de l’intervenant. Le suivi a également dévoilé que, pour 55 % des clients, le problème pour lequel ils avaient fait appel a été perçu, à la suite de l’intervention en phase de crise, comme étant moins sévère, tandis que 36 % d’entre eux ont affirmé que l’intervention n’avait rien changé.

    L’étude de Kirk, Stanley et Brown (1988) a évalué 32 patients externes d’une unité d’intervention en situation de crise située dans un hôpital en Australie. Cette recherche a mesuré le stress vécu avant et après le contact initial, en plus de vérifier si les patients avaient ensuite appliqué le plan d’intervention élaboré avec le thérapeute. Les résultats démontrent que 93 % des patients ont mis ce plan en pratique. L’enquête a révélé que le stress ne diminuait de façon appréciable à la suite de l’intervention que lorsque l’intervenant avait réussi à saisir exactement les besoins de la personne en crise.

    Une autre étude dirigée par Young (1989) au centre de crise Lafayette, en Indiana, a analysé les appels effectués auprès de 80 clients immédiatement après qu’ils aient eu recours au service téléphonique d’intervention en situation de crise. Le bilan de l’enquête révèle que 96 % des clients ont rapporté des changements positifs à la suite de l’intervention. En résumé, en compilant les résultats de neuf études regroupant 992 clients, il ressort que 83 % de ceux-ci ont évalué l’intervention de crise comme ayant été secourable. De plus, parmi les établissements de crise qui ont décidé d’avoir recours à une évaluation de leurs services, la plupart ont obtenu un jugement d’efficacité de la part des usagers quant aux interventions effectuées. Le niveau de tension semble diminuer uniquement lorsque l’intervenant réussit à nommer exactement les difficultés et la souffrance de la personne en crise. Par ailleurs, ces études ne permettent pas de se prononcer sur le maintien à long terme du mieux-être exprimé par les personnes en crise.

    Interventions structurées de psychothérapies de longue durée

    Selon Linehan (1999), deux stratégies d’intervention sont possibles avec les personnes ayant des comportements suicidaires. La première stratégie d’intervention tient pour acquis que le comportement suicidaire est un symptôme qui se manifeste à la suite d’un problème de santé mentale. Dans cette perspective, le traitement vise donc à traiter la maladie mentale, en supposant que, lorsque le problème de santé mentale est traité, les comportements suicidaires diminuent. Cette approche est sous-entendue par la plupart des approches psychodynamiques et biologiques.

    La deuxième stratégie vise la réduction des comportements suicidaires. Les approches comportementales ou cognitives abordent directement, avec la personne, les comportements suicidaires actuels ou passés. Ces approches présupposent que les comportements suicidaires (idéations suicidaires, tentatives de suicide et décès par suicide) peuvent être réduits indépendamment des désordres que vit la personne. Cette approche est sous-entendue en intervention en situation de crise.

    Selon Linehan (1999), le suicide et les tentatives de suicides ne sont pas des réponses inévitables à la dépression et au sentiment d’impuissance. Ainsi, le traitement sera plus efficace s’il cible en premier lieu les comportements adoptés par l’individu confronté à des événements d’adversité, plutôt que la psychopathologie en elle-même.

    Plusieurs études ont tenté de définir quelles approches seront les plus efficaces auprès de quels sous-groupes de personnes suicidaires. Ainsi, Linehan suggère qu’il faut faire la distinction entre les personnes (1) qui font des tentatives de suicide avec intention de mourir, (2) celles qui font des tentatives de suicide ambivalentes (ambivalent suicide attempt), (3) celles qui ont des comportements d’automutilation sans intention de mourir, et (4) celles qui font des tentatives de suicide récurrentes.

    L’évaluation des meilleures pratiques cliniques constitue un champs de recherche récent et, actuellement, aucun consensus n’émerge de ces études. Bien que la description des traitements et des contextes thérapeutiques soit abondante dans la littérature, il existe peu d’études qui évaluent ou démontrent l’efficacité de traitements dans la réduction des comportements suicidaires.

    Dans une revue de littérature sur l’efficacité des traitements qui visent la réduction des récidives suicidaires, Linehan (1999) a analysé diverses études qu’il a réparties en deux grands groupes. Premièrement, il a considéré les études qui ont pour principal but de traiter la dépression. Les résultats suggèrent que les quelques études comparatives ne démontrent pas d’évidences claires confirmant la supériorité d’un traitement pharmacologique seul.

    Parmi les études portant sur les interventions de traitement psychothérapeutique à long terme, treize études randomisées ont été réparties en deux groupes : (1) six études excluant les personnes à risque élevé de suicide et (2) sept études incluant les personnes à risque élevé de suicide ainsi que les personnes qui font des récidives suicidaires. L’analyse de ces études suggère que, lorsque les traitements excluent les individus à risque élevé de suicide (particulièrement les personnes ayant un diagnostic de troubles de personnalité de type borderline), les résultats des six premières études démontrent qu’il n’y a aucune différence importante entre le traitement expérimental (psychothérapie) et le traitement habituel (hospitalier). Sur les sept études qui incluent les individus à risque élevé, six d’entre elles démontrent des résultats bénéfiques en ce qui a trait au traitement psychothérapeutique.

    Les traitements qui semblent avoir le plus d’efficacité sont ceux qui utilisent une approche comportementale de résolution de problèmes ou la thérapie comportementale dialectique élaborée par Linehan (1991). La thérapie comportementale dialectique permet aux personnes suicidaires de participer à la fois à des sessions de thérapie hebdomadaire et à un groupe de soutien qui vise l’augmentation des habiletés sociales en plus de pouvoir établir des contacts téléphoniques avec un thérapeute, au besoin. Cette thérapie dure un an.

    Une méta-analyse effectuée par Van der Sande et ses collègues (1997) a recensé quinze études avec groupes de comparaison dont les participants étaient répartis au hasard. Ces études sont divisées en quatre catégories d’analyse :

  • L’intervention psychiatrique (hospitalisation, évaluation, suivi, visite à domicile). Cette intervention vise à augmenter la fidélité au traitement pharmacologique. Six études regroupant des données sur 1 023 patients ont été analysées. Les résultats n’indiquent pas de réduction significatives des récidives.
  • L’approche d’accueil. Ce type d’approche garantit la disponibilité d’hébergement aux personnes en crise suicidaire (carte d’accès aux urgences, disponibilité d’hébergements garanties). Trois études regroupant des données sur 317 patients ont été analysées. Les résultats n’indiquent pas de réduction significative des récidives.
  • L’intervention de crise psychosociale (intervention de trois mois auprès de patients ambulatoires). Deux études regroupant des données sur 480 patients ont été analysées. Les résultats n’indiquent pas de réduction significative des récidives.
  • L’approche cognitive-behaviorale. Quatre études regroupant des données sur 122 patients ont été analysées. Les résultats tendent à confirmer la supériorité de ce type d’intervention, sans seuil de signification.
  • Par contre, dans une méta-analyse récente, Hawton et ses collaborateurs (1998) concluent que, même si plusieurs études démontrent une efficacité auprès des patients suicidaires qui font des récidives, les résultats ne sont pas concluants quant à la forme d’aide la plus efficace pour les patients étant les plus à risque pour eux-mêmes.

    Linehan (1997) soutient que l’apprentissage qui vise l’augmentation des compétences de résolution de problèmes peut être une piste prometteuse auprès des personnes qui font des tentatives de suicide. Il semble par ailleurs que ces résultats laissent supposer que les modes d’intervention doivent être différents en fonction des sous-groupes de personnes suicidaires. Selon Linehan (1997), les personnes suicidaires qui n’ont pas de désordre sévère actuel ou qui ne sont pas à risque élevé peuvent bénéficier d’interventions moins soutenues. Il mentionne que la politique d’hospitalisation de ces patients n’est pas nécessaire, alors qu’un traitement intensif serait nécessaire lorsque l’individu est sérieusement en détresse ou à risque élevé de suicide. En conclusion, il semble préférable, par souci d’efficacité, de disposer de traitements différents qui pourront donner de meilleurs résultats en fonction des différents sous-groupes de personnes suicidaires, plutôt que d’un seul traitement universel appliqué à toute personne suicidaire. Cependant, d’autres approches doivent être élaborées et évaluées afin de pouvoir offrir un éventail de services appropriés pour toutes les personnes suicidaires.

    Partie II Encadrement, soutien et supervision clinique des interventions en situation de crise

    Efficacité de l’intervention - Qui réalise l’intervention?

    Afin d’être en mesure de désamorcer une crise suicidaire, les intervenants doivent être bien formés et doivent faire l’objet d’une supervision adéquate. Ce rôle peut être attribué aux intervenants professionnels qui font la prise en charge suicidaire.

    Dans les études présentées précédemment, il semble que la variable la plus importante de l’efficacité de l’intervention se résume au sentiment de satisfaction éprouvé par le client qui a été compris de l’intervenant. L’efficacité des techniques d’intervention en situation de crise repose sur la manière dont l’intervenant les utilisent. Par conséquent, pour que l’intervention soit efficace, l’intervenant doit utiliser ces méthodes de façon satisfaisante. Plusieurs études ont évalué la performance des intervenants en situation de crise.

    Genther (1974) a conduit une étude auprès de dix services téléphoniques de crise en Nouvelle-Angleterre. Il a démontré, à l’aide d’appels simulés, qu’interrompre le client pour lui poser des questions non pertinentes, le placer en attente au milieu d’une discussion critique ou lui donner de nombreux conseils sont des pratiques qui nuisent à l’intervention de crise.

    Dans le même ordre d’idées, Davies (1982) a identifié huit comportements ayant un effet néfaste. Les principaux sont les suivants : procéder à une intervention en moins d’une minute, donner un faux réconfort, poser des questions hors propos ou non pertinentes, parler sans cesse, prodiguer nombre de conseils peu appropriés et discuter des sentiments du client en dernier lieu plutôt que de concentrer toute son attention sur ce dernier tout au long de l’intervention. Ces comportements constituent des obstacles au bon déroulement de toute intervention en situation de crise.

    Knickerbocker et Knickerbocker (1972) et McGee (1973) ont analysé, au Suicide and Crisis Intervention Service de Gainesville, en Floride, 92 enregistrements d’interaction entre intervenant et client. Cette étude a établi une corrélation positive entre la démonstration d’habiletés d’entraide de la part de l’intervenant et une diminution du niveau d’anxiété et de dépression pour le client. En d’autres mots, les intervenants qui possédaient des qualités d’empathie, d’authenticité et de cordialité avaient plus de facilité à amener les clients à définir leurs sentiments et leurs difficultés. Ainsi, pour ces appelants, les sentiments d’anxiété et de dépression diminuaient davantage que pour ceux qui interagissaient avec des intervenants moins habiles. Ces résultats ont été en grande partie appuyés par les études de Bleach et Claiborn (1974) ainsi que par celles de Carothers et Inslee (1974).

    Doyle, Foreman et Wales (1977) ont évalué l’efficacité de douze nouveaux intervenants du Centre de crise de l’Université de Cincinnati. Ils ont observé que les intervenants soumis à une supervision méticuleuse démontraient davantage d’empathie envers les clients que les intervenants qui n’avaient pas ce type de supervision. Ce qui nous amène à nous demander si l’efficacité des intervenants est liée aux talents naturels ou aux éléments appris au cours d’une formation. Les études suivantes apporteront une réponse à cette interrogation.

    L’étude de Lester (1970), menée au Suicide Prevention and Crisis Service de Buffalo, et évaluant l’efficacité des intervenants, démontre que ceux-ci ont fait preuve d’un seuil minimal d’empathie et d’authenticité envers les clients. Une évaluation similaire a été effectuée auprès de treize stagiaires au moment de leur première supervision et les résultats indiquent que leurs niveaux d’empathie, de considération et d’authenticité n’atteignaient pas les seuils nécessaires pour qu’une intervention soit efficace.

    O’Donnel et George (1977) ont évalué le rôle joué au Centre communautaire de santé mentale et de service d’urgence de Dekalb, en Illinois (Community Mental Health Center Emergency Service), par dix intervenants professionnels en intervention en situation de crise par téléphone, par dix nouveaux intervenants formés à cette approche et par dix collégiens non formés (bénévoles). L’efficacité du travail des professionnels et du groupe de bénévoles ne différait pas de façon significative en ce qui a trait à l’établissement de relations harmonieuses avec les clients, à l’engagement du client dans sa résolution de problèmes et à l’utilisation des ressources communautaires. De plus, les intervenants des trois groupes ont démontré une même facilité à faire preuve d’empathie et d’authenticité, certains ayant même dépassé le niveau minimal d’aptitudes.

    De leur côté, Elkins et Cohen (1982) ont mesuré les habiletés d’intervention en situation de crise avant et après les 55 heures de la formation offerte aux intervenants du Phone/Baton Rouge Crisis Intervention Center. Les résultats ont dévoilé une hausse importante des qualifications requises par l’intervention en situation de crise à la suite de la formation.

    Thomas (1983) a recueilli des données sur les compétences d’intervenants bénévoles du Volunteer Supportive Advocate Program of Erie County avant et après leur formation et il les a ensuite comparées à celles du groupe contrôle formé d’étudiants universitaires à leurs débuts en psychologie. Tout d’abord, spécifions qu’avant et après la formation les 22 intervenants bénévoles ont démontré plus de compétences en counselling que les 20 étudiants du groupe contrôle. Les intervenants bénévoles ont aussi fait preuve de plus grandes habiletés d’intervention à la suite de la formation, tandis que les habiletés du groupe contrôle n’ont pas changé durant la même période.

    Frauenfelder et Frauenfelder (1984) ont comparé les habiletés à soutenir la personne en crise et à utiliser des techniques de reflet de deux groupes, l’un composé de 17 intervenants bénévoles et l’autre formant un groupe contrôle de 28 étudiants inscrits à un cours d’introduction à la psychologie. Les intervenants ont reçu une formation et on a relevé une mesure pré- et postformation de leurs compétences. Les résultats indiquent que les intervenants bénévoles ont démontré une plus grande habileté d’intervention à la suite de la formation.

    Mishara et Daigle (1992) ont évalué les appels reçus dans deux centres de prévention du suicide du Québec. Les résultats indiquent que la réponse des intervenants se situait dans deux champs principaux : l’acceptation et l’investigation. Ils ont aussi observé que les personnes suicidaires se sentaient mieux après leur appel et que 27 % présentaient moins de risque de suicide à la fin de celui-ci.

    Selon Leenaars (1994), les clients perturbés ou particulièrement vulnérables nécessitent, de la part du clinicien, non seulement une attention empathique, mais aussi une directivité et une attitude proactive. Les intervenants bien formés et expérimentés :

  • procèdent en général à des orientations mieux ciblées et de manière plus appropriée;
  • utilisent plus de questions fermées et donnent moins de conseils;
  • sont plus enclins à parler d’eux-mêmes (self-disclosure);
  • utilisent des stratégies orientées vers la résolution des problèmes;
  • utilisent plus et mieux leur jugement clinique;
  • abordent plus ouvertement, plus facilement et de manière plus directe les comportements suicidaires.
  • En somme, les recherches précédentes mettent en évidence qu’une formation adéquate ainsi qu’une supervision des nouveaux intervenants constituent des conditions préalables à l’efficacité de l’offre de services d’intervention en phase de crise.

    De manière générale, il semble que les habiletés progressent et augmentent avec la formation et la supervision plus qu’avec la seule expérience (Elkins et Cohen, 1982; Frauenfelder et Frauenfelder, 1984; Sakowitz et Hirschman, 1975).

    Par conséquent, la formation des intervenants, la supervision et le suivi postformation constituent des éléments pivots de l’efficacité de l’intervention. Sans une formation adéquate et une supervision régulière, et éventuellement une organisation des services de crise et des suivis de crise, les efforts déployés par les intervenants seront à eux seuls insuffisants.

    Qui assure la formation des intervenants et le suivi des interventions ?

    Il semble donc que tous les intervenants puissent pratiquer l’intervention en phase de crise, au sens large. Il devient alors nécessaire d’assurer une qualité d’intervention et une efficacité de l’évaluation du potentiel suicidaire. Cette qualité passe par la formation et la supervision clinique, lesquelles devraient être effectuées par des professionnels de la santé mentale. Il sera indispensable d’assurer une formation de qualité et de mettre en place des moyens de supervision et de suivi à la formation. La supervision en question permettra de maintenir les acquis, puisque tous les intervenants n’auront pas nécessairement à mettre en pratique ce type d’approche régulièrement. Un suivi permettant l’établissement de nouvelles formations plus spécifiques (ex. : adolescents suicidaires, deuil après un suicide, etc.) peut s’avérer un excellent moyen de maintenir des interventions de qualités de la part d’intervenants tant professionnels que paraprofessionnels. La nécessité d’accréditation de la formation pourrait rapidement devenir un enjeu important, puisque l’expérience nous apprends que plusieurs personnes et groupes peuvent avoir la prétention d’assumer une formation en intervention en situation de crise. Un manque de vigilance pourrait avoir comme conséquence que toutes les formations n’aient pas le même niveau de qualité.

     

    Quelle est la place de la prise en charge psychologique?

    Recommandations

    Les professionnels de la santé mentale devraient :

  • élaborer et mettre en place des approches novatrices et spécifiques pour les personnes suicidaires qui font des récidives;
  • favoriser la mise en place d’approches thérapeutiques et l’évaluation à l’égard de meilleures pratiques en fonction des sous-groupes de personnes en crise suicidaire;
  • soutenir et traiter les populations à risque (personnes ayant un trouble affectif, personnes âgées, toxicomanes, etc.).
  • Il est nécessaire d’assurer une qualité d’intervention et une qualité de l’évaluation du potentiel suicidaire. Cette qualité passe par la formation et la supervision clinique, lesquelles devraient être effectuées par des professionnels de la santé mentale.

    La supervision clinique à la suite d’une formation en intervention en phase de crise suicidaire permettrait de maintenir les acquis, puisque tous les intervenants n’auraient pas nécessairement à mettre régulièrement ce type d’approche en pratique.

    La mise en place de formations spécifiques plus spécialisées (ex. : auprès de personnes endeuillées à la suite d’un suicide, etc.) peut s’avérer un excellent moyen pour maintenir des interventions de qualité de la part des intervenants tant professionnels que paraprofessionnels.

    La nécessité d’accréditation de la formation pourrait rapidement devenir un enjeu important.

     


    Dernière mise à jour : dimanche 29 octobre 2000 19:36:11

    Monique Thurin