Lintervenant doit pouvoir sappuyer sur un schème théorique afin de bien établir la progression du processus suicidaire et les interventions durgence à élaborer. La possibilité de bien cerner létape dans laquelle se situe la personne suicidaire permettra détablir adéquatement les interventions à mettre en place.
Dans la description que nous ferons du processus suicidaire, gardons en tête quau cours de ce cheminement lambivalence est toujours présente. Elle côtoie la souffrance et tous les sentiments liés à limpression qua la personne suicidaire dêtre dans une impasse. La personne suicidaire a généralement le sentiment ou la certitude davoir épuisé tous les moyens mis à sa disposition pour résoudre la crise à laquelle elle fait face. En effet, certaines personnes ont épuisé leur répertoire de stratégies personnelles. Le suicide leur apparaît alors comme lunique solution à la souffrance.
On peut diviser le processus suicidaire selon les étapes suivantes :
A. La recherche de stratégies ou de solutions à la crise.
B. Lapparition des idées suicidaires.
C. La rumination de lidée suicidaire.
D. La cristallisation et la planification dun scénario suicidaire.
E. Lélément déclencheur et le passage à lacte.
Le graphique suivant illustre un schéma du processus suicidaire.
Durant cette première étape, lindividu fait linventaire des différentes solutions possibles à ce moment; certaines peuvent être familières, dautres nouvelles. Chacune de ces solutions est évaluée en regard de sa capacité de changer la situation vécue par lindividu ainsi quen fonction de son efficacité à diminuer la souffrance.
Certains individus entament le processus avec un éventail de solutions très large; ils identifient une ou des stratégies et ils arrivent à résoudre rapidement la crise. Toutefois, dans certains cas, léventail de stratégies est restreint dès le départ ou se rétrécit au fur et à mesure que les solutions sont écartées. Ces moyens sont repoussés a priori, ou à la suite de leur mise en application, parce quils ne satisfont pas aux besoins actuels et pressants.
À cette étape, le suicide na pas encore été envisagé ou lintention sest manifestée par une vague idée :
" Jaimerais être loin dici. "
" Je partirais pour un long voyage. "
" Cela va passer... je lespère. "
Modalités dintervention À cette étape, la personne suicidaire est toujours à la recherche de stratégies pouvant lui permettre de retrouver graduellement létat déquilibre. Lintervention vise à établir un lien de confiance, à transmettre un sentiment defficacité personnelle et à faire diminuer le sentiment dimpuissance. La recherche de stratégies concrètes est importante; lintervenant et la personne suicidaire doivent sentendre sur un plan dintervention et sur un suivi dans les plus brefs délais.
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Au cours de la recherche et de lélimination des solutions, il se peut que la personne pense au suicide comme à lune des solutions envisageables pour faire taire la souffrance quelle vit. Cette première apparition dune idée suicidaire peut surprendre. Lidée peut disparaître et ne plus revenir ou, au contraire, réapparaître plus tard. À ce moment, les idées suicidaires peuvent sexprimer de la manière suivante :
" Si jétais mort, cela réglerait le problème. "
" Si cela continue... je me jette en bas du pont! "
" Je ne pourrai plus supporter ce fardeau très longtemps... jaime mieux être mort. "
" Ce nest pas la peine de se battre. "
" Si javais un accident... cela mettrait un terme à tous mes problèmes. "
Le processus se poursuit et lindividu jongle avec lidée suicidaire. Il rejette les solutions qui nont pas réduit lintensité de la crise et les émotions engendrées par celle-ci. Il tente, par exemple, de parler de son malaise, de changer de travail ou damis, de déménager, de modifier ses attitudes, etc. Quelquefois, ces tentatives napportent aucune amélioration ou aucun soulagement à la souffrance; les échecs accumulés ne font que confirmer limpasse dans laquelle la personne suicidaire se trouve.
Le suicide revient régulièrement comme une solution et lon sy attarde chaque fois un peu plus longtemps, élaborant toujours un peu plus les scénarios éventuels. Bien quanodine au départ, lidée devient, peu à peu, de plus en plus persistante et sérieuse.
" Cela réglerait les choses. "
" Je nembêterais plus personne, ma famille ou mes amis. "
" Jaurais la paix, je naurais plus mal... "
" Si javais du courage... je me tuerais. "
" Mourir un jour ou mourir... maintenant. "
" Cela ne me donne rien de me battre. "
" Je ne men remettrai jamais... mieux vaut en finir. "
Lindividu nenvisage que peu de nouvelles solutions et la souffrance incessante diminue son niveau dénergie. Les échecs répétés augmentent son sentiment dêtre inadéquat et porte atteinte à ses sentiments destime de soi et de valeur personnelle.
Modalités dintervention À cette étape, la personne suicidaire est souvent submergée par une détresse émotive intense. Lintervention doit tendre à favoriser lexpression de la souffrance et de la douleur. Lexpression de la souffrance et le fait dêtre compris par quelquun entraînent souvent une diminution du niveau de détresse. Lexpression de la souffrance permettra à la personne suicidaire de faire des liens avec les événements qui ont précipité cette crise. Lexpression des émotions lui permettra de mieux évaluer sa situation, sans distorsions cognitives. Ainsi, la personne sera plus apte à trouver des solutions qui lui permettront de retrouver léquilibre. Lintervenant doit assurer un suivi à court terme, revoir la personne suicidaire dès quune démarche aura été entreprise. Si la démarche fut positive, le suivi permettra de renforcer les efforts de la personne suicidaire. Si les démarches furent infructueuses, lintervenant devra trouver rapidement une autre alternative avant que le découragement et le désespoir ne sinstallent chez la personne suicidaire. Le suivi thérapeutique et le renforcement positifs des efforts déployés par la personne en crise sont ici la clé de lintervention. Lintervenant pourrait à ce moment-ci mobiliser le réseau de soutien en vue de briser lisolement dans lequel peut se situer la personne en crise. |
Cette phase du processus est caractérisée par une grande angoisse face à lincapacité de régler la crise et face au sentiment de ne plus avoir de solutions. Il est important de souligner quil sagit toujours dune évaluation subjective que lindividu fait de labsence de solutions, et non dune absence réelle de solutions. Une aide et un soutien permettent souvent didentifier des recours que la personne aveuglée par la crise navait pu prendre en considération.
Lindividu rumine donc le projet suicidaire; le retour constant et régulier de lidée du suicide génère une angoisse et un stress qui attisent la souffrance et la douleur. Lindividu est de plus en plus convaincu quil nexiste aucune autre solution pour mettre un terme à cette douleur atroce et constante. Lidée suicidaire devient quasi-obsédante.
"Je pense au suicide continuellement , cela me harcèle à tout moment".
"Je me réveille le matin sachant que jy penserai toute la journée, mon seul répit cest le sommeil, et encore..."
"La moindre déception, la moindre difficulté me ramène à cela".
"Cest obsédant, plus rien na de goût, de saveur, personne de mon entourage narrive à matteindre".
"Le matin, je me mets à pleurer en pensant que jai à affronter une autre journée avec cela en tête".
"Cest tout ce quil me reste... cest la seule alternative..."
Modalités dintervention À cette étape, la personne en crise suicidaire exprime des distorsions cognitives importantes, elle peut généraliser des sentiments (ex. : plus personne ne maime, je dérange tous les gens de mon entourage, etc.) et faire des erreurs cognitives importantes (ex. : il ny a plus rien à faire, jai tout essayé, etc.). En plus, la personne narrive plus àa trouver des stratégies pour faire face à ces difficultés. Lintervenant devra établir avec la personne suicidaire un bon contact, établir un lien de confiance, lui permettre dexprimer la souffrance et surtout tenter de comprendre ce qui a contribué à lémergence de la crise actuelle. Une meilleure formulation de la crise est un objectif primordial. À cette étape, lintervenant tente dexpliquer de façon compréhensible ce qui arrive à la personne qui le consulte. Cette formulation porte sur lidentification des facteurs précipitants, leur signification, les mécanismes de contrôle disponibles et ceux qui devront être développés. Lintervenant aborde lexploration de ce qui pourrait être fait pour développer de nouveaux mécanismes dadaptation. Lintervenant élabore une stratégie daction quil suggère à la personne suicidaire sous la forme dune entente pour les prochaines consultations et propose de nouvelles solutions à la crise. |
On appelle cristallisation le moment où le suicide est considéré par lindividu comme étant la solution ultime à son désarroi et à sa souffrance. À cette étape, la décision est prise et le scénario suicidaire (où, quand, comment) sélabore, si ce nest déjà fait. Il est clair que cette décision est toujours empreinte dambivalence et quelle reflète à quel point la douleur est devenue intolérable. Lindividu a alors la conviction que toutes les solutions possibles ont été tentées et quà présent seul le suicide réussira à faire taire et à arrêter la souffrance.
La cristallisation sinscrit dans le continuum du processus suicidaire; il ne faut toutefois pas oublier que ce processus peut être plus ou moins rapide et quil est influencé par la nature de la crise. Parfois, à cause du caractère plus impulsif de certaines personnes comme les adolescents, le processus suicidaire pourra être plus rapide. Il est possible, dans certaines situations, quun individu en vienne rapidement à cette étape. Il arrive fréquemment, à ce moment, que lindividu se sente brièvement libéré du fardeau de la souffrance, puisquil sait que cette douleur prendra fin prochainement. Cette phase est parfois caractérisée par des signes de mieux-être; on parle alors de rémission spontanée. Cette rémission est caractérisée par un répit dû à la suspension prochaine de la douleur et non à la cessation de la vie. De plus, le sentiment davoir pris une décision permet de reprendre un certain contrôle, perdu depuis longtemps. Cette reprise de contrôle amène un sentiment de calme, lequel peut être interprété à tort par lentourage comme un signe de mieux-être. De là limportance de toujours évaluer adéquatement la situation à laide de questions précises, et de ne pas se fier uniquement à une observation purement comportementale.
Lorsque la planification du suicide est terminée, le moment du passage à lacte est parfois bien déterminé ou encore reporté à un événement particulier comme un anniversaire. Il pourrait également correspondre à lapparition dune nouvelle difficulté.
" Je vais le faire en fin de semaine, jaurai alors tout ce quil me faut. "
" Je règle mes affaires, je fais mon testament, ensuite je me tire. "
" Si je nai pas de réponse positive à ma demande, je me suicide. "
Cest généralement à ce moment que sont rédigés les testaments et les lettres dadieu, ou que lon donne des objets ayant une valeur sentimentale.
" Tiens, je te donne mes skis, je nen aurai plus besoin. "
" Je técris pour te remercier de ce que tu as fait pour moi. "
À cette étape du processus suicidaire, les émotions de la personne tendent à la couper des autres et à lisoler. Elle considère le suicide comme la seule solution à sa souffrance, puisque toutes les solutions pour modifier sa situation ont, pour la plupart, échoué. Le suicide représente une ultime tentative de reprendre le contrôle dans la tourmente. Un plan précis est envisagé et un événement précipitant peut amener un passage à lacte.
Modalités dintervention À cette étape, lintervenant doit faire une évaluation du potentiel suicidaire et de la dangerosité du scénario suicidaire - où, quand, comment. Lintention suicidaire doit être directement abordée. Lintervenant évalue la précision et la létalité du scénario suicidaire. Il pose toutes les questions nécessaires afin de savoir où, quand et comment aura lieu le passage à lacte suicidaire. Laccès aux moyens doit être évalué et lintervention doit viser à éliminer tout accès direct à ces moyens. Lexpression des émotions et la validation de la souffrance doivent servir à créer un lien de confiance, ce qui permettra de rendre la souffrance humainement supportable. Lintervenant doit encourager la personne suicidaire à se donner une autre chance, à tenter une autre démarche. Il doit être respectueux mais directif en regard du plan dintervention et des démarches à entreprendre. À cette étape, la personne suicidaire ayant souvent très peu dénergie, lintervenant peut entreprendre les démarches pour elle. Ou alors, les démarches quentreprendra la personne suicidaire seront simples à effectuer et les probabilités de succès seront très élevées. Lintervenant devrait élaborer une entente en ce qui a trait aux démarches à entreprendre avec la personne suicidaire. Les rencontres de suivi doivent être très rapprochées dans le temps (soit au bout de quelques heures, ou le lendemain, tout en sassurant que la personne suicidaire est dans un milieu sécuritaire durant la journée ou la nuit) afin de stimuler et dencadrer la démarche de celle-ci. La mobilisation du soutien social peut être un objectif valable, si le milieu social nest pas trop épuisé par les difficultés de la personne en crise ou sil ne constitue pas la source de la crise.
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Soulignons ici que, lorsque le processus suicidaire est avancé et que lidée du suicide est cristallisée, le passage à lacte est imminent. Il est fréquemment lié à un événement précipitant qui nest souvent que la goutte qui fait déborder le vase. Pour lentourage et les observateurs externes, lévénement déclencheur peut sembler relativement banal, par exemple un échec scolaire. Cet événement est cependant le dernier en ligne dune série de pertes et déchecs affectifs qui ont laissé leurs marques. Il ne faut donc pas juger lévénement en soi, mais tenir compte de lensemble du processus.
Modalités dinterventions À cette étape, la personne est en tentative suicidaire ou près du passage à lacte. Lévaluation du scénario suicidaire doit être effectuée rapidement. Des signes comportementaux (rythme de la voix, regards, cohérence de la pensée) permettront dévaluer si la personne est en danger, car celle-ci aura peut-être déjà consommé des médicaments. Cette observation est importante, particulièrement si lintervention seffectue au téléphone. Les questions de lintervenant doivent être précises et directes, et elles doivent permettre dobtenir un maximum dinformations avant que la personne en tentative de suicide soit épuisée ou endormie. Si la personne est en danger, lintervenant doit être directif et proactif. Il doit prendre les décisions en vue de protéger la vie de la personne suicidaire, même si celle-ci refuse dêtre aidée. Si la personne a déjà consommé des médicaments ou si elle est dans un état de danger immédiat, lintervenant devra prendre des mesures durgence, soit appeler une ambulance et sassurer que la personne est conduite à lhôpital. Si par ailleurs la personne dit avoir une arme à feu, ou tout autre moyen dangereux à sa disposition, il sagira de lamener à repousser léchéance du passage à lacte, de lui parler despoir et de lui redonner le sentiment que tout nest pas perdu. Maintenir avec la personne suicidaire un lien émotif permettra de gagner un peu de temps, de retarder léchéance. Lorsque le lien de confiance est bien établi et que la personne, étant un peu plus ambivalente, accepte de repousser son geste suicidaire, lintervenant pourra lui demander de décharger son arme à feu ou déloigner delle ce qui pourrait la blesser. Cest aussi à ce moment que lintervenant doit être directif et quil doit orienter la personne en crise vers des soins immédiats. À cette étape, lhospitalisation est souvent la seule solution possible. Il est important de ne pas juger la personne en crise, de ne pas la rejeter ou la dévaloriser. Il importe dêtre directif, mais aussi transparent et respectueux, et de lui expliquer pourquoi nous prenons pour elle une décision qui peut être contraire à ce quelle dit souhaiter. Un suivi devra être fait tout de suite après lhospitalisation, ou dès lhospitalisation, et lorientation appropriée devra être effectuée. Cest à cette étape-ci que lorganisation entre les différents services est la plus importante. Un manque de concertation entre ces services pourra rendre un suivi inefficace, ce qui serait dramatique pour la personne suicidaire. |
Lévaluation de laccès aux moyens est primordiale dans le cadre de lévaluation de la dangerosité. Ainsi, lintervenant doit poser des questions précises afin davoir des réponses précises. Les réponses de la personne suicidaire permettront également de mieux apprécier la situation et de mieux évaluer lurgence de lintervention, qui nen sera que plus adéquate. Il est clair que lintervention sera différente dans le cas dune personne qui nous dit quelle a lintention de se suicider le soir même, avec les moyens qui se trouvent à sa disposition - arme à feu, médicaments, etc. - comparativement à lintervention nécessaire pour une personne qui nous dit penser vaguement au suicide, mais qui ne songe à aucun scénario précis. Il faut établir une entente claire avec la personne suicidaire afin quelle puisse faire un entreposage sécuritaire des armes à feu et des munitions, généralement à lextérieur de son domicile. Lintervenant doit aussi veiller à évaluer la quantité de médicaments à la portée de la personne suicidaire et faire jeter ou entreposer ailleurs les médicaments en surplus. Il en va de même pour tout autre moyen : arme blanche, etc.
Plusieurs personnes suicidaires sont également des personnes impulsives (Brent et al., 1999); laccès immédiat aux moyens augmente le risque et lurgence du passage à lacte. Certaines personnes semblent incapables de résister à leurs impulsions suicidaires; il est donc nécessaire de retirer ou de faire retirer du domicile tous les moyens qui peuvent mettre la personne en danger. Les experts en suicidologie estiment que, si certains moyens sont moins accessibles, le moment de passer à lacte peut être retardé. Ils croient aussi que lutilisation dun moyen moins radical offre la possibilité dune intervention médicale efficace.
Si la personne suicidaire est incapable de se protéger elle-même, il faut alors faire intervenir une personne de la famille ou un proche (une personne en qui lindividu suicidaire a confiance), afin quelle puisse protéger la personne suicidaire et sassurer quil nexiste pas daccès immédiat à un moyen de passer à lacte.
Quelles sont les meilleures modalités dintervention selon limminence du passage à lacte? Recommandations
La progression de la crise suicidaire passe par différentes étapes et chacune delles exigera des interventions différentes. Ces interventions devront être immédiates, sans délai et réalisées par des intervenants capables de procéder adéquatement à lintervention en situation de crise auprès de personnes suicidaires. Il est souhaitable davoir des intervenants formés à lintervention durgence dans tous les endroits stratégiques (hôpitaux, écoles, centres jeunesse, etc.) afin quils puissent être en mesure de faire une évaluation rapide et juste du type de crise, du risque de lurgence et de la dangerosité de la situation, et ainsi mettre en place un plan dintervention adéquat. Le suivi à la suite dune crise suicidaire est nécessaire et lorganisation des services devrait être planifiée en conséquence.
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Dernière mise à jour : dimanche 29 octobre 2000 19:36:11 Monique Thurin