* Pédopsychiatre au CH de St Egreve. Grenoble, Pdte de l'API
** Psychiatre CMP Compoint - Paris
A la fin des années 80 les mauvais traitements infligés aux enfants devenaient un sujet de préoccupation majeure chez les professionnels de la santé, de l'éducation et du secteur social.
L'estimation de leur fréquence leur donne rang de problème de santé publique dès cette époque.
Parmi ces mauvais traitements ceux qui impliquent la sexualité ont assez rapidement focalisé l'attention.
Nous devons préciser ici que sous le vocable de « maltraitance sexuelle » nous entendons parler des situations décrites
par : H. Kempe [1] et nommées par lui « Abus sexuels sur mineurs d'âge » : participation d'un enfant ou d'un adolescent mineur à des activités sexuelles qu'il n'est pas en mesure de comprendre, qui sont inappropriées à son âge et à son développement psycho- sexuel , qu'il subit sous la contrainte par violence ou séduction ou qui transgressent les tabous sociaux
et par Mme le Dr Rouyer [2]: qui inclut toutes les formes d'inceste, de pédophilie, les attentats à la pudeur, l'utilisation des enfants à des fins pornographiques et la prostitution infantile, c'est-à-dire toutes les formes de relations sexuelles imposées à l'enfant.
Le silence dans lequel ces mauvais traitements avaient été maintenus jusque-là à laissé place à une profusion de discours, débats, articles.
Les États-Unis, le Canada, l'Angleterre s'étaient mobilisés auparavant et leurs travaux ont alimenté les réflexions et les pratiques des professionnels lors du lancement de la campagne d'information-prévention dans notre pays.
Actuellement, soit avec un recul de 15 ans, l'existence des maltraitances sexuelles impliquant des enfants n'est plus à démontrer et les modalités d'aide et de soins pour les enfants et leurs familles se sont multipliées et diversifiées.
Pourtant des difficultés persistent et sont régulièrement exprimées, en particulier par les soignants en psychiatrie infantojuvénile, à propos de la mise en évidence de telles situations ainsi que des liens entre ces maltraitances et les profils cliniques des victimes.
La question posée pour cette conférence de consensus :
« Comment reconnaître une maltraitance ancienne chez l'enfant et l'adolescent ? »
s'inscrit dans ces préoccupations des professionnels.
Pour réunir quelques éléments de réponse à cette question nous partirons des définitions suivantes tirées du dictionnaire le Robert.
Reconnaître : Sera utilisé au sens de accepter, tenir pour vrai après une recherche, être conduit à connaître, à savoir. Se rendre compte. Discerner. Distinguer. Eprouver.
Cette acception est à différencier de celle qui prévaut quand « reconnaître » est utilisé au sens de : admettre officiellement l'existence juridique d'un fait. Cette reconnaissance là ne pouvant être que le produit d'une enquête ne relevant pas des soignants.
Signe : Chose aperçue qui permet d'affirmer, avec plus ou moins de certitude, l'existence ou la vérité d'une autre chose à laquelle elle est généralement liée.
Symptôme : phénomène, caractère perceptible ou observable lié à un état ou à une évolution qui permet de déceler (une maladie).
Nous nous plaçons en effet vis-à-vis de cette question dans notre position de pédopsychiatre interpellé comme praticien du soin. La maltraitance sexuelle peut-être évoquée par un enfant,une personne de son entourage , ou bien l'hypothèse de son existence peut-être émise par le soignant. Dans l'un et l'autre cas cette évocation va imposer une démarche d'évaluation en vue d'établir la conduite à tenir.
Les maltraitances sexuelles sont des événements qui à l'instar de nombreux autres accidents de la vie constituent des facteurs d'environnement susceptibles d'avoir des effets pathogènes.
C'est ainsi qu'ils sont retenus dans la Classification Française des Troubles Mentaux de l'Enfant et de l'Adolescent. La démarche diagnostique du soignant va s'appliquer à relever les signes évocateurs d'une souffrance psychique , d'un trouble du développement ou de l'organisation de la personnalité. Il pourra éventuellement mettre ces troubles en rapport avec un traumatisme identifiable dont la connaissance participe à la représentation qu'il est possible de se faire de la dynamique psychique du patient.
Mais les maltraitances sexuelles sont également des faits répréhensibles qui concernent le monde judiciaire et le secteur social chargés l'un et l'autre de participer à la sécurité des personnes, et la législation fait obligation à tout récipiendaire d'une telle révélation, y compris les soignants, d'en informer ces services.
Ainsi la révélation d'un tel événement survenant au cours d'une consultation ou d'un soin psychothérapique va-t-elle amener à sortir du colloque singulier pour s'assurer que le patient ; ou tout autre enfant ; seront protégés du danger de récidive.
Ceci suppose que le récit des maltraitances, ou que des signes suffisamment évocateurs entraînent la conviction de l'existence d'un danger potentiel.
La notion d'ancienneté.
Le terme d'atteinte ancienne nécessite d'être précisé. Dans les données communément admises la notion d'ancienneté renvoie à la révélation, par l'enfant, des premiers actes composant les maltraitances sexuelles ,que celles-ci perdurent ou se soient interrompues depuis.
Les atteintes sexuelles portées à la connaissance des professionnels sont dans leur grande majorité imputées à un membre de la famille ou à une personne connue voire très proche de l'enfant et de sa famille.
Environ 10 % seulement, des atteintes sexuelles sur mineurs relèveraient d'un auteur étranger à l'enfant et à sa famille selon les statistiques publiées chaque année par l'ODAS.
C'est ,en particulier, à cette caractéristique statistiquement prédominante d'abus intrafamilial que peut-être rattaché le dévoilement différé et parfois très tardif de tels événements, bien que d'autres éléments interviennent pour contribuer au maintien du silence.
En effet la proximité des protagonistes : l'enfant, l'auteur et les membres de la famille reliés à eux, suppose une implication affective qui va contribuer au silence de l'enfant. La complexité des affects mobilisés, leurs articulations, contradictions, ambivalences, sont autant d'obstacles que l'enfant doit surmonter pour élaborer une position personnelle en se libérant de l'emprise et décider de s'ouvrir à un confident. Le succès d'une entreprise aussi ardue peut difficilement être attendu dans de brefs délais.
Des études en témoignent ,dont celle menée par A. Crivillé[3] lequel cite des études similaires menées par L. Deltaglia[4] ainsi que par l'ADSEA de l'Aisne et également des études menées à l'étranger.
M. Rouyer [5] précise « les réactions peuvent être différées jusqu'à l'âge adulte » et P. Alvin [6]exprime la même opinion sur le délai de révélation plus long dans les atteintes intrafamiliales, à propos des adolescent(e)s ainsi que J Y Hayez et E. De Becker [7]
A cet aspect concernant la difficulté des victimes pour prendre la parole et le faire rapidement après les faits, s'associent :
- le rapport à la temporalité des enfants étroitement corellé à l'âge,
- le niveau de suggestibilité , lui aussi lié à l'âge et influencé par la personnalité
- et les modes de fonctionnement de la mémoire , l'oubli, le refoulementŠ. .
Repères temporels et spatiaux- et mémoire interviendront dans l'évaluation des indicateurs .
Les indicateurs de reconnaissance.
L' existence de maltraitances sexuelles peut-être évoquée dans différentes circonstances.
1. Il s'agit du motif de consultation.
2. La consultation est demandée pour un autre motif mais les maltraitances sont évoquées rapidement.
3. L'enfant est déjà connu , engagé dans une prise en charge thérapeutique, et il fait une révélation verbale.
4. L'enfant est déjà connu , il n' exprime rien verbalement mais ses productions : comportement, jeux, dessins amènent le soignant à soupçonner l'existence de maltraitances.
Tous les auteurs qui ont travaillé sur ce thème insistent sur le fait que c'est un ensemble d'éléments qui va constituer un faisceau d'indicateurs permettant au consultant d'émettre des hypothèses voire de se forger une intime conviction sur l'existence de maltraitances sexuelles survenues à une période de la vie de l'enfant.
La certitude de leur existence ne pourrait venir que sur la constatation d'éléments objectifs tels que des traces corporelles que les psychiatres ne sont pas habituellement en mesure de recueillir compte tenu des modalités de leur pratique.
Tous les auteurs s'accordent également à souligner qu'un récit exprimé par l'enfant, par un parent, fût-ce par l'auteur lui-même ne suffit pas à emporter la conviction. Tous insistent sur la nécessité de procéder à une évaluation minutieuse des données de la révélation : circonstances de la révélation elle-même, circonstances des faits évoqués, personnes concernées,...
Ce sont autant d'indices qui vont conduire vers des présomptions. Celles ci se construisent progressivement, à partir d'éléments disparates, venus à la connaissance par différents canaux et au moins en ce qui concerne l'enfant et ses proches de manière parfois voire souvent involontaire.
Quoi qu'il en soit des modalités de construction des présomptions dans l'esprit du consultant, le faisceau d'éléments constitutifs d'une reconnaissance de maltraitances sexuelles comprend :
1. Des signes cliniques concernant le développement psychologique de l'enfant et ses relations avec son environnement.
2. Des facteurs de son environnement, à rechercher dans les transactions familiales, les modalités d'inscription sociale des différents membres de la famille.
Les signes cliniques manifestés par les enfants
Sont décrits par différents auteurs :
JY Hayez et E. De Becker [ 10 ], Pr M. Myquel [11 ],A. Crivillé[12 ], Pr C. Epelbaum [13 ] , G. Lopez[14 ], M . Rouyer [5 ] et [15 ]. M. Duranton[ 16], M. Dumaine[17], Y.Coinçon[18] , M. Manciaux [ 19]
- Les troubles fonctionnels : énurésie, encoprésie, céphalées, douleurs abdominales, troubles du sommeil, troubles des conduites alimentaires.
- Les troubles du comportement : inhibition ou au contraire agitation, agressivité, troubles des apprentissages, troubles des conduites sociales.
- Les troubles relationnels : repli sur soi, fuite du regard, peur de l'adulte, mutisme, provocation, dysrégulations sexuelles qui s'expriment dans les jeux avec les pairs et / ou dans les relations avec les adultes.
Il est noté que les signes psychiques restent difficiles à décrire car ils sont loin d'être univoques ou pathognomoniques. Il faut les évaluer en fonction de la phase de développement de l'enfant.
Les signes cliniques présentés par les enfants et les adolescents peuvent prendre toutes les formes et être associés entre eux pour constituer tous les syndromes décrits dans la Classification Française Des Troubles Mentaux de l'Enfant et de l'Adolescent.
On retrouve ainsi des manifestations modulées en fonction de l'âge de l'enfant au moment de la survenue des premiers actes de maltraitances.
- Chez les plus jeunes sont décrits des troubles fonctionnels dans lesquelles le corps est particulièrement impliqué ainsi que des troubles graves du développement psychique et relationnel.
- Chez les enfants en période de latence ce sont les troubles de la socialisation et des apprentissages qui dominent les tableaux cliniques décrits.
- Chez les adolescents ont retrouve les troubles du comportement, conduites impulsives, auto agressives, addictions, fugues. Pour eux l'incidence est importante sur la question de l'identité déjà primordiale dans les préoccupations de leur tranche d'âge. Chez les adolescentes les grossesses précoces, les infanticides peuvent être des signes d'alerte sans toutefois être pathognomoniques.
Quand les atteintes sexuelles surviennent à l'adolescence et que l'auteur est un proche de la victime, elles ont souvent pour effet de précipiter une décompensation sur un mode variable en fonction de la structuration préalable de la personnalité.
Quel que soit l'âge de l'enfant au moment de la révélation, si l'on constate la présence
d' éléments constitutifs du syndrome de stress post-traumatique, ce syndrome est par l'ensemble des auteurs rapporté plutôt à ce qui préside à la révélation qu'aux maltraitances elles-mêmes quand celles-ci sont anciennes.
Les auteurs qui évoquent un syndrome de stress post-traumatique comme devant faire penser à une éventuelle maltraitance sexuelle le décrivent dans le cadre de faits récents rapportés dans un court délai, ou bien pour les maltraitances anciennes, quand après une interruption un événement est venu réactiver le vécu traumatique.
À côté de l'âge de l'enfant lorsque débutent les atteintes sexuelles, d'autres données peuvent également influencer les tableaux cliniques présentés par les enfants au moment de la révélation.
Ce sont :- la durée des maltraitances,
- la nature de la relation entre l'enfant et l'auteur des faits
- ainsi que leur proximité affective,
- la confiance que l'enfant sait pouvoir accorder à une ou plusieurs personnes de son entourage,
- sa constitution personnelle qui peut le rendre particulièrement vulnérable.
Plus la maltraitance est précoce plus la construction de la personnalité est centrée sur le traumatisme et dans ce traumatisme un des principaux éléments est que l'enfant a été trahi par une ou des personnes en qui il avait placé sa confiance. Cette trahison est doublée d'un sentiment d'impuissance à empêcher le déroulement des faits ou leur répétition et induit souvent une mésestime de soi. S'ajoute à cet aspect le fait d'avoir à intégrer le vécu émotionnel et parfois sensoriel qui dépasse les capacités d'intégration et de compréhension de l'enfant.
Devant un tableau clinique qui n'a aucune caractéristique spécifique il est essentiel de garder l'esprit disponible en particulier pour faire le diagnostic différentiel.
Il a déjà été souligné que le syndrome de stress post-traumatique pouvait s'observer surtout dans les maltraitances récentes ou en fonction des circonstances de la révélation. Mais ce syndrome peut également survenir dans de nombreuses situations traumatiques sans rapport avec des maltraitances sexuelles.
De même les dysfonctionnements de la sexualité infantile qui sont assez couramment reliés a des antécédents de maltraitances sexuelles peuvent également s'observer chez les enfants en difficultés psychiques sans qu'ils aient été abusés. Ces conduites ou discours sexualisés doivent également être étudiés en fonction de la culture familiale et de son incidence sur le développement de l'enfant.
Bien que la littérature soit abondante sur la question du profil clinique des enfants victimes d'atteintes sexuelles il existe peu d'étude comparatives entre des cohortes d'enfants porteurs de tel ou tel symptôme ou syndrome ayant vécu ces événements et des cohortes porteurs des mêmes syndromes ou symptômes ne les ayant pas vécus.
Toutes les études se réfèrent à des cohortes d'enfants suivis dans les services de soins ou les services sociaux . Les cohortes en question comptent au maximum une centaine de cas, et présentent des biais de recrutement dans la mesure où ce sont des services spécialisés particulièrement sollicités pour ce type de situation.
Enfin il faut noter également qu'il est assez difficile, comme en témoignent tous les auteurs, de différencier les troubles psychiques éventuellement préexistants à la mise en oeuvre des atteintes sexuelles ainsi que les troubles psychiques préexistants à la révélation de ces maltraitances. Les problèmes techniques rejoignent ici les problèmes éthiques .Burns-Beeckmans.V, et Houdmont.B. [20 ]
Les soignants en pédopsychiatrie sont accoutumés à travailler dans l'après coup mais le sont moins à avoir à départager ce qu'il en est de la réalité de ce qu'il en est du vécu des patients.
Il n'existe pas d'instrument diagnostic standardisé pour aider les cliniciens dans ce domaine.
La prudence s'impose surtout à propos des maltraitances anciennes, en raison des nombreuses distorsions que la mémoire peut appliquer à ce qu'elle retient et délivre à distance des faits. Les processus de mémorisation diffèrent selon l'âge du sujet. Les traces sensorielles et émotionnelles prévalentes pendant la petite enfance sont enrichies par les capacités cognitives d'une part mais appauvrit par le processus normal d'effritement de la mémoire d'autre part au furet à mesure de l'avancée en âge. De plus la mémoire peut être contaminée par des informations reçues postérieurement à l'événement dans ces situations comme dans la vie ordinaire. On pourra voir apparaître alors une diminution des éléments mémorisés concernant des détails sur les faits au profit d'une mémoire des scénarios plus développée et plus précise.
Plusieurs auteurs et en particulier H.Van Gijseghem [21] et [23] et S.J. Ceci et M. Bruck [22] se sont intéressés à cette problématique. Ils ont travaillé sur les critères de fiabilité des discours des enfants et proposé des repères. Mais de nombreux cliniciens, sans rejeter l'apport de ces chercheurs, insistent sur l'impérieuse nécessité de différencier la recherche de la vérité du diagnostic clinique.
Actuellement la position la plus souvent tenue consiste à dire que les critères de crédibilité proposés par les chercheurs que nous venons de citer sont plus volontiers utilisables dans le cadre de la procédure pénale éventuellement engagée que dans le cadre d'un bilan clinique.
Les facteurs d'environnement constituent ce que Y.H. Haesevoets [8] appelle « l'écologie de l'abus de pouvoir sur l'enfant » et M. Dumaine [17] « la contextualité ».
Y.H.L.Haesevoets faisant état de son expérience et des travaux de :
Browning et Boatman (1977), Meiselman K.C. (1978),Everstine D. et Everstine L.(1985)[9]
Il établit une liste comportant dix-huit items qui traduisent l'absence ou la faiblesse de mise en oeuvre des mécanismes de défense contre l'inceste dans certaines familles .
La connaissance de ces particularités peut amener un consultant bien informé à reconnaître certaines caractéristiques du fonctionnement familial , fréquemment rencontrées dans les familles à transactions incestueuses. La présence de ces caractéristiques corroborées par des symptômes manifestés par l'enfant ou par un discours convaincant doit amener vers une investigation minutieuse.
Les dix-huit caractères inventoriés par D. et L Everstine et cités dans le travail de Y.H. Hasevoets concernent :
- Les personnalités engagées : le père, la mère, l'enfant, la personne incriminée si ce n'est pas un des parents
- Les liens entre les personnes citées
- Le contexte environnemental
- L'histoire familiale.
Selon ces auteurs, si plus de trois ou quatre de ces 18 indices sont retrouvés , il est nécessaire d'approfondir les investigations. Mais là encore tous les auteurs sont unanimes à inciter chaque intervenant à la plus grande rigueur dans l'évaluation et le respect des protagonistes. La difficulté est régulièrement soulignée de travailler à l'élucidation de ces situations sans créer ou majorer les traumatismes déjà subis par l'enfant voire par certains membres de sa famille.
J.Y. Hayez et E. De Becker soulignent que dans de nombreux cas l' évaluation pour collecter les informations en vue d'une éventuelle procédure et celle qui est menée avec une intention thérapeutique sont étroitement liées soit du fait de l'urgence, soit du fait des risques de récidive sur le même enfant ou sur un autre, soit encore du fait de la pression exercée par la famille ou un de ses membres en vue d'obtenir des décisions de protection.
Cette information recherchée sur les faits, le contexte, les personnalités, le fonctionnement familial, le réseau de vie de la famille, et les ressources potentielles pour répondre aux besoins de l'enfant va être obtenue au moyen d'entretiens, tests psychologiques, observation des jeux et dessins de l'enfant, examen somatique, observation directe ou indirecte de l'enfant de sa famille et de leur relation. Dans le meilleur des cas l'urgence peut être différée et ces observations sont menées dans un climat dépassionné.
Mais souvent, y compris en cas de maltraitances anciennes, suspendues, le climat redevient passionné au moment de la révélation.
C'est dans ces situations que les risques d'interprétations hâtives sont évidemment majeurs.
J.Y.Hayez propose un schéma type du déroulement de l'entretien avec l'enfant, servant de point de repère plutôt que de modèle.
Il s'appuie pour ce faire sur les travaux de : Sgroi(1986),Mariage(1991), Paradis et Perron(1991),Jack et Yeo(1992),Steller et Boychuck(1992), Yuille(1993).
Il propose le schéma suivant :
- L'interview sera menée par une personne sereine et dépourvue d'a priori, prête à attendre que l'enfant s'exprime.
- L'entretien se déroule dans un local proposant peu de sollicitation susceptible de faire diversion
- La plage horaire est choisie pour que l'enfant soit dans les meilleures dispositions et que le temps ne soit pas compté
- L'entretien débute par une mise en confiance de l'enfant, il s'agit de manifester de l'intérêt pour lui et non pour ce qu'il lui est arrivé
- L'informer de l'objet principal de l'entrevue
- L'inviter à faire un récit libre éventuellement complété par des questions ouvertes si nécessaire.
La préoccupation partagée par les soignants , les intervenants sociaux et judiciaires de ne pas aggraver la situation des enfants victimes a été à l'origine d'expériences dont la plus connue est appelée la procédure Mélanie. Il s'agit d'un enregistrement vidéo de l'entretien mené avec l'enfant pour élucider la situation, préciser les données, dans l'objectif d'éviter à l'enfant des auditions répétées, de permettre l'engagement d'une procédure pénale si nécessaire et d'engager des soins ou au moins une prise en charge sociale adaptée. Cette expérience menée sur l'île de la Réunion a inspiré la loi de juin 1998 qui prévoit l'enregistrement vidéo et audio de l'audition de l'enfant, réalisée au décours de la première révélation .
Nous n'avons pas connaissance d'une évaluation de la mise en oeuvre de cette loi et de ses effets sur les enfants, leur famille, les procédures engagées.
Conclusion
A notre connaissance, l'essentiel des études publiées à ce jour reposent sur des séries de patients suivis par les auteurs des publications, soit des cohortes comptant un nombre de patients non significatif statistiquement.
Mais toutes se rejoignent sur l'impossibilité de décrire l'existence d'un syndrome caractéristique des enfants victimes d'atteintes sexuelles. Ce n'est donc pas sur un tel critère que pourra être reconnue l'existence de maltraitances sexuelles.
Tous les auteurs figurant dans la bibliographie soulignent que ce type de maltraitances est évoquée à partir du discours d'un des protagonistes dans la plupart des cas.
Toutefois les intervenants sociaux et les soignants bien informés sur les circonstances dans lesquelles surviennent ces maltraitances dont la majorité est intrafamiliale peuvent avoir l'attention attirée par les modalités de fonctionnement de la famille. Sur le plan de la clinique présentée par les enfants certains aspects comme les dysfonctionnements sexuels, les inhibitions massives ou au contraire les attitudes séductrices pourront mettre en alerte.
En fait l'éventualité d'une atteinte sexuelle infligée à un enfant devrait être évoquée systématiquement, quel que soit la présentation clinique de celui-ci et le motif annoncé de la consultation. Mais les praticiens les plus expérimentés dans ce domaine témoignent du fait que leur disponibilité favorise l'expression sans qu'il puisse être fait une recherche systématique. .
Les difficultés à aborder ces questions sont à la hauteur des tensions véhiculées par les familles et par le corps social à propos des situations de maltraitances à enfant en particulier sexuelles. Dans ces conditions de travail l'évaluation pour aider l'enfant et/ou pour élucider les faits soulève des problèmes techniques et éthiques. La justice, les travailleurs sociaux demandent à la pédopsychiatrie de participer à l'entreprise consistant à conjuguer l'aide à apporter aux enfants et l'arrêt d'une conduite répréhensible.
Si les soignants ne mettent pas en cause la validité de ces demandes, ils souhaitent que l'évaluation, et la recherche d'élucidation gardent du sens en restant essentiellement au service des enfants et de leur famille.
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Dernière mise à jour : dimanche 30 novembre 2003 Renseignements