Laccueil est une urgence. La victime doit être reçue rapidement et dans le calme pour quelle puisse parler et être écoutée. La personne doit se sentir rassurée, en confiance afin de ne pas vivre sa prise en charge comme une nouvelle agression. Elle doit être reçue, de préférence, en tête à tête avec le médecin ou, à sa demande ou avec son consentement, en présence dune tierce personne.
Le but de cet accueil est dévaluer le degré durgence de lexamen et la nécessité ou non de transférer la personne vers un centre spécialisé.
La qualité de cet accueil est capitale pour la victime dans le sens d'une restauration ultérieure et pour les suites judiciaires.
Si la victime est adressée sur réquisition, il faut lui expliquer le but de la réquisition, son importance et ses obligations légales, puis résumer la mission qui est confiée au médecin.
Si la victime se présente spontanément, on doit lui donner, dès le stade de laccueil, les informations nécessaires pour un éventuel dépôt de plainte, voire lorienter vers une structure spécialisée. Elle peut être aidée dans ses démarches par un proche, lassistante sociale du secteur ou une association daide aux victimes.
Toute victime doit être informée de ses droits. Idéalement, tout centre daccueil de victimes de violences sexuelles devrait disposer dune documentation informant les victimes de leurs droits.
Ne pas considérer lenfant seulement dans sa situation d'enfant abusé : cest avant tout un enfant.
Même si lagression sexuelle fait encore peur, et que sa simple évocation risque de paralyser les professionnels, cet enfant souffre.
Il a besoin avant tout de quelque chose que chacun peut lui apporter : de lempathie et de la chaleur humaine plutôt que de la technicité. Pour l'aider, il est aussi nécessaire de bien connaître les professionnels vers lesquels l'orienter.
L'attente doit être la plus courte possible, dans un cadre respectant son intimité.
On utilise au mieux, une salle dexamen gynécologique adaptée avec un bon éclairage.
Dans ce même lieu tous les gestes pourront être réalisés : entretien, examen médical, photos éventuellement, prélèvements bactériologiques et médico-légaux, soins, conseils et recommandations sur le suivi ultérieur...
Les conditions optimales permettent à la personne de se laver à lissue de lexamen et de shabiller de linge propre.
Lagression sexuelle a été vécue dans leffroi, avec un fort sentiment dimpuissance, sans capacité de réagir sous peine de mettre sa vie en danger. Elle est ressentie ensuite comme une expérience impensable, intransmissible et irréparable. La plupart des personnes agressées se taisent, incapables den parler.
Aussi, il faut beaucoup de courage à la victime pour surmonter ses sentiments de terreur, de culpabilité, d'incompréhension, de honte et disolement et oser faire ses démarches de plainte ou de demande de soins.
L'accueil des victimes de violences sexuelles est primordial, car il permet de réconforter, de rassurer des victimes choquées, traumatisées, de les informer et de les préparer à la prise en charge médicale en facilitant lacceptation et le bon déroulement de lexamen clinique, mais il permet également de préparer la victime aux éventuelles suites tant sur un plan judiciaire et médical que psychologique et social.
Le simple entretien sur les circonstances de l'agression permet dapprécier avec la victime lurgence de la réalisation dun examen médical.
Si les faits sont récents, datant de moins de 3 jours : cest une urgence médico-légale.
° pour la constatation des lésions cliniques récentes avant cicatrisation.
°pour les prélèvements médicaux (biologie, toxiques...) et médico-légaux (empreintes génétiques, recherche de spermatozoïdes...).
° pour la mise en route dune contraception durgence.
°pour la mise en route dun traitement prophylactique (traitement antirétroviral, antibiothérapie).
Létat de la victime peut nécessiter des soins avec une éventuelle hospitalisation de courte durée. Les conditions du transfert vers la structure de soins sont organisées selon la situation. Un avis est sollicité auprès du médecin référent des accidents dexposition (Circulaire DGS/DH/DRT/DSS n° 98/338 du 9/04/98, relative aux recommandations de la mise en oeuvre dun traitement antirétroviral après exposition aux risques de transmission du VIH).
Il faudra conseiller de conserver les vêtements portés par la victime au moment de lagression, bien insister pour que ni la victime ni ses vêtements ne soient lavés avant lexamen ; les vêtements devront être conservés dans du papier kraft. Les prélèvements corporels doivent être faits dans un délai maximum de 72 h après lagression.
L'absence de médecin compétent ou la nécessité de soins vitaux peuvent amener à différer l'examen.
Si les faits sont plus anciens, datant de plus de 3 jours :
Il appartient au médecin dapprécier le degré durgence de la prise en charge médicale et psychologique de la victime. Cependant pour des faits datant de trois à huit jours, il est judicieux d'organiser rapidement l'examen sans trop le différer. Ceci permet éventuellement de constater des lésions en cours de cicatrisation, le délai de celle-ci étant habituellement de cinq à huit jours.
En cas dimpossibilité de réaliser un examen médico-légal dans des conditions de compétence et notamment de matériel suffisant, il est préférable dorienter la personne vers un centre hospitalier général de proximité.
Il a besoin dêtre ÉCOUTÉ, pas interrogé. Le médecin n'est pas un enquêteur : que lenfant évoque ou non des faits réellement vécus, s'il en parle c'est qu'il a besoin d'aide.
Il a besoin dêtre RÉCONFORTÉ.
° Lagresseur est extérieur à la famille ; les parents ont aussi besoin daide et sont souvent trop choqués pour aider eux-mêmes leur enfant. Il faut chercher avec eux des relais.
° Lagresseur vit avec lenfant ; celui-ci doit alors être PROTÉGÉ, le jour même sil existe un risque de récidive au domicile.
Il a besoin dêtre écouté au moment où il est prêt à parler. On peut le féliciter davoir réussi à le faire et lencourager à parler.
Il doit veiller à apporter de laide à un enfant peut-être réellement agressé, toujours potentiellement en danger dans ce type de situation. Il peut aussi apporter son aide à un adulte toujours en difficulté. Le médecin doit pouvoir proposer à ladulte de parler avec lui en dehors de la présence de lenfant. Rapidement le médecin doit introduire dautres intervenants pour ne pas se retrouver inefficace, voire utilisé, manipulé (ces situations prenant parfois laspect dun syndrome de Münchhausen par procuration). Il doit proposer de parler à lenfant seul.
Le médecin doit :
° SAVOIR que labus sexuel peut être un motif invoqué pour obtenir la garde de lenfant en cas de séparation du couple parental.
Le récit de lenfant peut alors être « appris » ou « contaminé » par le parent revendicateur.
° SAVOIR AUSSI quun parent anxieux, inquiet, dans un contexte de séparation conflictuelle, sans possibilité de communication, peut en venir à interpréter des symptômes de lenfant, témoins de sa propre souffrance (cauchemars, recherche de proximité corporelle, masturbation compulsive etc.) comme des indices dun éventuel comportement incestueux.
Ces deux situations dans lesquelles lenfant est toujours en danger, doivent impérativement faire lobjet dune évaluation psychosociale approfondie.
Exemples de questions à poser non directives, ouvertes :
« je voudrais comprendre pourquoi tu fais à nouveau pipi au lit. »
« Jai limpression que quelque chose ne va pas à la maison, que quelquun te fait souffrir. »
« Ce que je constate sur ton corps me fait penser que quelquun ne se conduit pas bien avec toi. »
« Cest peut-être difficile pour toi den parler parce quon ta peut-être dit que cétait un secret. »
« Peut-être ta-t-on dit que quelquun pourrait mourir si tu révélais ce secret. »
« Cest peut-être difficile aussi pour toi den parler parce que par moments tu aimes beaucoup cette personne et à dautres moments tu la détestes. »
« Cest peut-être quelquun que tu aimes beaucoup et cest pour cela que cestdifficile den parler. »
1. « L'enfant en danger » Editions Fleurus.
Lentretien permet de répertorier de la façon la plus précise possible les circonstances de lagression de façon à guider lexamen clinique et les prélèvements. Il permet den évaluer le retentissement somatique et psychique. Il doit donc être conduit avec méthode. Il faut se présenter, se nommer pour permettre à la victime de restaurer une relation humaine. Cet entretien doit être pratiqué avec patience et respect pour ne pas constituer une nouvelle agression.
Ce quil ne faut pas faire
- Parler dinterrogatoire, mais de consultation ou dentretien.
- Dire « se faire violer » mais être violé ou agressé.
- Mettre en doute ou corriger la parole de la victime. Lécoute dubitative constitue une nouvelle agression morale. Croire ce que lautre vous dit, cest reconnaître son existence.
- Conseiller loubli.
- Chercher à dédramatiser et banaliser.
Ce quil faut faire
- Reconnaître que la victime a subi un traumatisme réel et ainsi lui laisser exprimer son effroi et son bouleversement.
- Aider la victime à reprendre confiance dans son propre jugement et lui rappeler quelle sait ce dont elle a besoin : sur quel ami ou proche peut-elle compter pour la soutenir ?
- Verbaliser la contrainte quelle a subie pour laider à comprendre ses réactions.
- Permettre à lentourage de la victime dexprimer pour son propre compte, sa souffrance, sa colère et son désarroi.
La prise en charge de lentourage permettra aussi de soulager la victime qui vit parfois douloureusement les effets de son agression sur ses proches.
- Rappeler la loi : possibilité pour la victime de porter plainte, de se faire aider dans ses démarches par une association d'aide aux victimes ou un avocat.
Si lenfant ne parle pas, le médecin peut lui dire quil pourra parler plus tard, à lui même ou à une autre personne de confiance. Il lui exprime sans chercher à le faire parler quil comprend que cest très difficile de dire certaines choses, surtout si on a subi des pressions, des menaces. Sans donner de détails, il rappelle quil y a des choses que les adultes nont pas le droit de faire aux enfants. Il propose à l'enfant de le revoir.
Dans tous les cas, il convient de parler à lenfant des autres personnes qui peuvent intervenir, de lACCOMPAGNER vers létape suivante soit physiquement, soit au moins par des explications suffisantes.
Son accueil diffère peu par rapport à celui des femmes adultes. Il convient néanmoins d'individualiser cette catégorie de victimes qui ne peuvent plus être considérées comme des enfants au terme de la loi du 23 décembre 1980, puisque la révélation d'abus sexuels chez une mineure de plus de 15 ans ne permet pas de délier le médecin du secret. Comme pour les adultes, le médecin nest délié de ce secret professionnel que lorsque ladolescente donne son accord pour la dénonciation des faits dont elle a été victime.
Ces jeunes sont plus fragiles et plus vulnérables. Elles se trouvent dans une situation de détresse psychologique avec très souvent un sentiment de culpabilité. Elles ont souvent du mal à communiquer ce qui leur est arrivé, parce quelles nosent utiliser ou quil leur manque les mots pour le dire. Un rôle important du médecin est alors daccepter, sans les juger, l'imprécision et de traduire en termes cliniques simples des faits innommables pour elles. De plus, on relève fréquemment chez ces victimes la notion dagression sous influence, qu'elle soit d'origine toxique (alcool, psychotropes, drogues) ou de domination (violences intra-familiales, personnes ayant autorité, enseignant).
La réalité des violences sexuelles intra-conjugales est restée longtemps occultée voire niée, alors que selon certaines enquêtes, près des deux tiers des victimes de violences conjugales subiraient aussi des violences sexuelles. La prise en charge est délicate, car très souvent le tableau clinique est difficile à individualiser avec des motifs de consultation et des plaintes sans rapport avec le viol. Parfois, le diagnostic peut être évoqué à partir d'un non-dit, une hésitation, un regard fuyant. Parfois, le mari accompagne sa femme à la consultation, il peut apparaître comme trop présent, trop prévenant, répondant à la place de son épouse.
L'accueil de ces victimes est fondamental. Le médecin traitant peut être amené à jouer un rôle clef. Il pourra soutenir la victime en lui disant qu'elle n'est pas seule, que personne n'a de droit sur elle ni sur son corps, qu'être mariée ne donne pas tous les droits à son mari. Il pourra lui indiquer et lui expliquer les voies de recours possibles.
Les abus sexuels peuvent être difficiles à évaluer et à diagnostiquer. La personne handicapée peut être la victime dun individu qui, profitant de l'autorité qu'il exerce, abuse soit de sa crédulité soit de son incapacité à se défendre. L'agresseur est souvent un proche et alléguera volontiers que la victime était consentante. Dans ce genre de situations, il ne faut pas hésiter à adresser les victimes dans un centre d'accueil spécialisé où la prise en charge pourra se faire au sein d'une équipe pluridisciplinaire.
Rappelons cependant le rôle clef que peut jouer le médecin traitant dans ce type de situations. Il pourra, en effet, être conduit à poser le diagnostic d'agression sexuelle devant un faisceau darguments
cliniques.
Moins fréquentes et surtout moins souvent révélées, les agressions sexuelles chez l'homme sont reconnues juridiquement. Le viol de l'homme est homosexuel ou hétérosexuel, une femme pouvant être auteur des faits.
L'accueil des victimes de sexe masculin répond aux mêmes objectifs que l'accueil des victimes de sexe féminin, c'est-à-dire : informer, préparer à l'examen clinique, programmer les examens complémentaires et proposer un accompagnement.
Quelques éléments sont particuliers aux agressions des victimes de sexe masculin :
un diagnostic difficile à poser : très souvent la composante sexuelle n'est pas révélée d'emblée et le diagnostic est évoqué devant la constatation de blessures somatiques, parfois importantes, comme des hématomes, des fractures ou des luxations inexpliqués. Le dialogue et l'entretien préalable sont fondamentaux. Ils pourront conduire la victime à des révélations et laider à accepter l'examen clinique.
La prise en charge des victimes de sexe masculin nécessite, elle aussi, une structure spécialisée pluridisciplinaire : consultation médico-judiciaire, service de chirurgie générale, urologie ou gastro-entérologie, voire service des urgences chirurgicales, consultation à visée psychothérapique.
Ce type dagression est très souvent le résultat d'un acte collectif (dit "en réunion") dans des milieux homosexuels et hétérosexuels où la victime, parfois désinhibée par l'alcool ou par la drogue, a pu être attirée par l'un des participants, ceci entraînant un intense sentiment de honte et de culpabilité rendant les révélations difficiles.
Certains parents, certains enseignants dénoncent des activités à caractère sexuel quils ont surprises ou dont ils ont eu connaissance entre jeunes enfants.
La curiosité sexuelle et les jeux sexuels existent entre enfants du même sexe, de sexe opposé et de la même classe dâge. Ce qui les caractérise, cest labsence de violence physique, de menace, dintimidation, de peur, de chantage, de coercition. Il sagit vraiment dun jeu, sans caractère envahissant, ni compulsif, susceptible de sarrêter si un adulte y met un terme.
Quand ces conditions nexistent pas, quand des enfants, même dun âge similaire, sadonnent de façon répétitive à des activités de voyeurisme, dexhibitionnisme, de masturbation, de tentative de pénétration des orifices sexuels ou anaux, à des contacts oro-génitaux, de façon envahissante et non contrôlable, il ne sagit plus de jeux
sexuels. Dans ce cas il faut considérer lagresseur comme probablement lui-même victime dagressions antérieures ou vivant dans un climat de pornographie et demander une évaluation pluridisciplinaire.
Dernière mise à jour : jeudi 18 octobre 2001 19:12:05 Dr Jean-Michel Thurin |