CHAPITRE 2 -
CARACTERISTIQUES INDIVIDUELLES
(PSYCHOPATHOLOGIE ET
COMORBIDITES) ET FAMILIALES (questions 6-14)
A/
EXISTE-T-IL DES CARACTERISTIQUES CLINIQUES ET PSYCHOPATHOLOGIQUES DES
AGRESSEURS SEXUELS ? (questions 6-11)
(Dr Sébastien Lebrec)
La différence entre ces deux catégories
sera mentionnée dans cet exposé lorsqu’elle est clairement
précisée par les auteurs.
L’étude
de Craissati [1], prend en compte des facteurs contextuels et
stigmatise l’hétérogénéité des
pédophiles. De nombreuses typologies ont été
proposées pour classifier ces délinquants et c’est celle de
Groth qui semblait la plus utilisée [2].
Le premier critère de classification dans cette taxinomie est fonction
du niveau de violence utilisée par l’agresseur. Il permet de
différencier les attentats à la pudeur des viols. Ces derniers
sont motivés par la colère, le sadisme ou le désir de
puissance. Dans le cas des attentats à la pudeur, l’approche se
fait par la séduction ou la persuasion avec la recherche d’une
relation pseudo-affective. Il en existe deux sous types :
fixé ou régressé. Quatre vingt treize de ces agresseurs ont été
récemment évalués par une approche cognitive qui retrouve
cette dichotomie dans les attitudes et les cognitions [3 ] ;
-Sous type fixé : problématique
qui évolue depuis l’enfance avec une orientation
préférentielle sur l’enfant, comme simple compagnon ou
objet sexuel. Prédominance d’homosexuels. Personnes distantes et méfiantes
avec très peu de contacts sociaux.
-Sous type régressé :
l’attirance est apparue à l’age adulte avec une orientation
plutôt
hétérosexuelle. Sujets socialement adaptés.
A
l’heure actuelle une nouvelle classification a vu le jour. Si les
anciennes avaient un support empirique celle-ci fait appel à une analyse
statistique par cluster permettant d’individualiser des groupes plus
fiables. Taxinomie en deux axes [4] ;
-Axe 1 : implique une dichotomie en fonction du
degré de fixation sur les enfants puis sur les compétences
sociales des pédophiles.
-Axe 2 : hiérarchie décisionnelle
prenant en considération ;
-le volume de contacts avec les enfants
-les motivations de ce contact
-le degré de violence
-la présence ou non de sadisme
Dans
une étude se préoccupant du
style d’attachement et de relation à autrui Jamieson [5]
retrouve un manque d’assurance chez les agresseurs sexuels qui ne semble
pas spécifique de cette population mais un facteur de
vulnérabilité chez les délinquants en
général( p non significatif entre une population de 20 incestueux
et de 20 pédophiles extra- familiaux comparée à 20
délinquants non sexuels) De
plus alors qu’aucune différence n’est retrouvée chez
les incestueux il existerait 5 fois plus d’évitants craintifs chez
les pédophiles extra-familiaux par rapport au groupe témoin,
après calcul de l’odds- ratio.
Proulx
[6]
retrouve 3 dimensions chez ces pédophiles, la solitude, les distorsions
cognitives et la faible estime de soi tant au niveau de la personnalité
que de l’image corporelle.
Faller
[7]
retrouve une attirance primaire pour les enfants et en fonction de la
préférence sexuelle de 182 de ces délinquants Firestone [8]
note une différence à la PCL-R avec une plus forte
prévalence de psychopathie chez les bisexuels part rapport au
homosexuels ou aux hétérosexuels (score moyen à la PCL-R
respectivement de 23,00 ; 16,99 et 17,91 avec p<0,042)
Wilson
[9] tente de montrer que les
pédophiles homosexuels sont plutôt immatures et interagissent avec
les enfants sur un mode puéril. Dans le cas de l’inceste, la
victime est le plus souvent élevée au rang d’adulte, Vander
[10]
dans sa revue de la littérature retrouve la nécessité
d’une dynamique familiale favorable à la réalisation
d’un inceste avec un père dominant, autoritaire et socialement
distant. Cette pauvre habilité sociale est retrouvée dans
l’étude de Ballard [11].
Raviart
[12] cite l’existence d’un
déficit des processus cognitifs mis en oeuvre dans les situations
impliquant les autres adultes et Blumenthal [13] cite les déformations des
attitudes et croyances des pédophiles concernant les relations sexuelles
entre enfants et adultes. Dans ce même registre cognitivo-comportemental,
Marshall [14] met en évidence l’utilisation de
stratégies de coping défaillantes chez les pédophiles,
focalisées essentiellement sur l’émotion. Ceci augmenterait
la probabilité d’engager des conduites déviantes [6].
Levin
[15]
dans sa revue de la littérature concernant l’utilisation du MMPI
chez les pédophiles, ne peut conclure à un profil particulier. Il
retrouve cependant un score plus élevé à
l’échelle de schizophrénie chez les pédophiles
utilisant la violence. Celle ci contrairement aux idées reçues
serait utilisée avec une grande fréquence. Sternac [16]
sur une population de 66 pédophiles la retrouve chez 100% des incestueux
(N=29) et 78,4% des non incestueux (N=37)
Haywood
[17],
utilisant le MMPI, compare 45 pédophiles et 40 sujets normaux à
une population cléricale composée de 48 témoins et de 24
pédophiles. Il conclut que
les pédophiles laïques sont plus influencés dans leurs
conduites abusives par des désordres psychopathologiques retrouvant un
score élevé à l’échelle de
schizophrénie (56% des pédophiles laïques versus 13% des curés) et de psychopathie (71% versus 13%) Ce
profil n’est pas retrouvé dans une autre étude incluant 48
patients [18].
Deux
études récentes Bridges [19] et Gacono [20]
utilisent l’épreuve de Rorschach dans son système
intégré (Exner 1991 et 1993). La première qui compare 60
pédophiles à 60 délinquants non sexuels retrouve dans la
population des pédophiles
-
une anomalie de la
vision d’autrui avec introspection douloureuse et pauvre estime de soi.
-
des signes
d’anxiété et d’impuissance face aux
événements
-
une tendance
imaginative
-
une opposition
chronique avec hostilité
-
des traits relevant de
la personnalité narcissique.
La
seconde compare 3 populations composées de 32 psychopathes, 38
meurtriers sexuels et 39 pédophiles. Alors que les psychopathes se
distinguent par leur manque d’intérêt et d’attachement
aux autres ainsi qu’un monde intérieur dénué de
conflit, les deux autres groupes se caractérisent par leurs
préoccupations pour autrui et leurs ruminations dysphoriques. De plus le
pédophile se présenterait comme un coléreux rigide et
inadapté.
Les
pédophiles femmes
Les études concernant les auteurs
d’agressions sexuelles de sexe féminin sont peu nombreuses,
basées sur de faibles échantillons ou des études de cas.
Elles ne peuvent être la source d’une généralisation
sur une population aussi hétérogène mais
représentent une première approche pour la compréhension
de ces pédophiles [21].
Une
première revue de la littérature réalisée en 1991
par ce même auteur retrouve certains éléments communs chez
ces femmes incestueuses :
-
l’isolement
social
-
une faible estime de
soi
-
peu de pathologie
psychotique
-
peu de paraphilies
diagnostiquées au DSM 3 R, hormis le sadisme.
Une
seconde revue effectuée par Grayston [22]
fait mention d’une plus grande fréquence de dépression,
d’idées suicidaires, de conduites addictives ou de troubles
cognitifs chez ces femmes. Elles présenteraient un trouble de la
personnalité marqué par une impulsivité exacerbée,
trait à rapprocher des personnalités borderlines ou antisociales.
De
façon unanime on retrouve dans ces deux revues une donnée
significative concernant l’accomplissement du délit. En effet de
50 à 70 % de ces femmes agressent leur victime à l’aide
d’un complice avec une plus grande proportion de femmes qui agissent de
façon passive ou indirecte c’est à dire qui observent sans
intervenir.
Selon
Travin [23]
les femmes incestueuses reconnaissent le caractère inapproprié de
leur conduite mais nient une implication de leurs fantasmes ou de leurs
désirs sexuels dans la genèse de l’agression.
(Dr Sébastien Lebrec)
En préambule il est important de
préciser que le viol ne fait pas parti de la classification des troubles
mentaux. Cependant il peut être sous tendu par une pathologie comme celle
des paraphilies et notamment du sadisme sexuel [24],
[25].
Les
troubles mentaux sont retrouvés chez les violeurs à des taux
variables, selon les études de 2 à 20 % [26].
Dans leurs revues de la littérature, Ward [27]
et Polaschek [28] ne
retrouvent pas une plus grande prévalence de pathologie de l’axe 1
chez les violeurs. En revanche il existe une grande proportion de troubles de
la personnalité chez ce type d’agresseurs dont les traits
dominants relèvent de la personnalité antisociale. Berkowitz [29]
dans un modèle intégratif, issu d’une revue de la
littérature, surenchérit en stipulant que le manque de conscience
sociale, le besoin de dominance et l’agressivité vis à vis
des femmes sont des facteurs prédisposant au viol. Thomas [30]
note une forte implication de la colère et de l’agressivité
chez les violeurs mais estime qu’elle se retrouve de façon
identique chez les criminels non sexuels.
Levin
[15]
reprenant des études utilisant le MMPI retrouve un score
élevé à l’échelle de la schizophrénie
chez les auteurs d’agressions avec violence tout en précisant que
ces études ignorent les caractéristiques du crime et que le MMPI
est une mesure de psychopathologie et non d’un déterminisme de
personnalité.
D’un
point de vue cognitif, de nombreuses études ont échoué
à identifier chez les violeurs des distorsions concernant leurs
conduites [13] mais il faut souligner le manque de transparence des
échelles de cognition.
La
taxinomie la plus récente à été
réalisée par Prentky [31] et permet à
l’aide d’un outil statistique par cluster d’obtenir une
classification des violeurs comportant deux niveaux de décision. Le
premier considère les motivations premières de l’agresseur
tandis que le second prend en compte les compétences sociales de celui
ci. Il en résulte donc une typologie en 9 types :
-
opportuniste ou
impulsif
-
vindicatif
-
sexuel non sadique
Avec
faible ou forte compétence sociale pour ces trois types.
-
sadique manifeste ou
différé
-
pervers coléreux
Ce
système est en évaluation, 25% des sujets restant inclassables.
Comparant
deux populations appariées composées de 19 médecins
violeurs et de 19 violeurs Langevin [32] ne met pas en
évidence de différence significative entre ces deux populations.
Question
9 - AUTEURS
D’EXHIBITIONNISME ET D’AUTRES CONDUITES D’AGRESSION SEXUELLE
QUE PEDOPHILIE ET VIOL
(Dr Sébastien Lebrec)
Meloy
[33]
et Myers [34] dans leurs revues de la littérature ne
retrouvent pas une plus grande prévalence de pathologie de l’axe 1
chez les meurtriers sexuels hormis celui de sadisme sexuel ou de trouble de
l’humeur (sur un échantillon de38 meurtriers sexuels 68% avaient
une histoire de dépression) Ils insistent sur l’absence
d’une augmentation de prévalence des troubles
schizophréniques chez ces meurtriers. Ils retrouvent cependant des
troubles de la personnalité avec une grande fréquence de traits
appartenant au cluster B avec notamment des personnalités antisociales
et narcissiques. Meloy [33] insiste sur la dimension psychopathique
relevée à la PCL-R, trouble souvent corrélé au
sadisme. Il propose une taxinomie en individualisant deux populations ;
-
compulsive où le
crime est organisé et effectué par des individus souffrant
d’un trouble de personnalité associé à un sadisme
sexuel. Ils sont plutôt psychopathes et présentent un
détachement émotionnel chronique
-
catathimique où
le crime est désorganisé et l’agresseur présente un
trouble de l’humeur avec des traits de personnalité
évitants ou schizoïdes.
Ce
même auteur met en évidence l’existence d’un lien
substantiel entre ces deux populations et des pathologies relevant des
paraphilies : 54% de travestisme, 54% de voyeurisme et 23% d’exhibitionnisme sur un
échantillon de 13 meurtriers sexuels et 40% de ces mêmes
pathologies sur un échantillon de 28 meurtriers sexuels.
LES EXHIBITIONNISTES
Reprenant différents articles utilisant le
MMPI, Levin [15] ne retrouve pas de profil particulier chez les
exhibitionnistes exclusifs. Les traits de personnalité cliniquement
admis comme la timidité, la passivité, l’introspection ou
le manque d’assurance ne transparaissent pas aux différentes
échelles du MMPI.
Dans
une étude rétrospective sur 477 patients ayant
présenté un traumatisme crânien Simpson [35]
retrouve 6,5% d’offenses sexuelles. Parmis celles-ci 65% de frotteurisme
et de toucherisme et 22% d’exhibitionnisme.
De façon générale, ont peu
conclure que les études faisant partie de cette bibliographie sont peu
informatives, les revues de la littérature sont non explicites et les
avis d’experts nombreux. De plus l’utilisation systématique
d’échelles d’évaluation psychologique sans
données informatives les concernant rend les résultats
difficilement interprétables.
Questions 10
et 11 : EXISTE-T-IL DES CARACTERISTIQUES CLINIQUES ET PSYCHOPATHOLOGIQUES
DES AGRESSEURS SEXUELS, ENFANTS ET ADOLESCENTS (EN BANDES ET INDIVIDUEL) ?
(Emmanuelle
Boë)
Les
agressions sexuelles sont, dans environ 20 % des cas, perpétrées
par des adolescents. Ce taux, par tranche d’âge, est le plus
important après celui des jeunes adultes (20 à 24 ans). Ces
chiffres proviennent de revues de la littérature regroupant une
majorité d’études canadiennes et américaines [36,
37]. Nous ignorons la proportion en population française.
Un
premier abus sexuel dans l’enfance ou l’adolescence risque de
n’être que la phase initiale d’une déviance sexuelle
avec répétition des agressions. En effet, les études
d’adultes agresseurs sexuels mettent fréquemment en
évidence un début des troubles à l’adolescence.
Existe-t-il
des moyens de prédire si le jeune abuseur va devenir un adulte
récidiviste ? Les facteurs développementaux, psychosexuels,
cognitifs et émotionnels, font partie intégrante de la
psychopathologie des abuseurs adolescents et rendent particulièrement
délicate cette question. Le risque est de stigmatiser l’adolescent
abuseur, alors que son comportement sexuel inapproprié
n’était qu’un incident de son développement
psychosexuel. Les marges mêmes du comportement sexuel déviant
à l’adolescence sont difficiles à limiter. Les
définitions proposées incluent, soit l’usage de la force ou
de la menace, soit le choix d’un partenaire d’âge
inapproprié. Les premiers sont qualifiés de violeurs, les
deuxièmes de pédophiles ou abuseurs d’enfants. La
différence d’âge avec l’enfant victime
(âgé de moins de 12 ans) n’est pas consensuelle :
certains considèrent qu’un écart de 5 ans est le minimum,
d’autres réduisent cet écart à 3 ans.
À
ces 2 catégories d’abuseurs selon le choix de l’abusé
et la violence déployée, s’ajoutent beaucoup de
classifications possibles. Nous évoquons plus bas plusieurs typologies
proposées.
Le
comportement d’agression sexuelle peut se limiter à une
paraphyllie isolée, faire partie d’un trouble des conduites plus
général ou s’intégrer dans une pathologie
psychiatrique. Nous commençons par aborder la question de la
comorbidité psychiatrique.
.
Recherche
de diagnostic clinique chez les adolescents abuseurs
L’hypothèse
d’une comorbidité psychiatrique chez les abuseurs adolescents est
largement partagée.
Le
retard mental
Le
quotient intellectuel ne distingue pas les agresseurs sexuels des autres
délinquants adolescents [38, 39]. Par contre, les abuseurs sexuels
à QI bas constituent un sous-groupe qui ne commet pas plus d’abus
que les autres mais pratique davantage l’exhibitionnisme et le voyeurisme
[38]. Un trouble du développement psychosexuel est alors impliqué
dans la genèse du comportement déviant.
Trouble
de l’humeur :
La
comorbidité avec un état dépressif concerne 82 % des
sujets dans l’étude cas de Galli [40] ; si les adolescents
abuseurs sont comparés à
des adolescents hospitalisés en psychiatrie ou
incarcérés dans un centre de détention [41], ils
n’ont pas davantage de dépressions.
Un
sous-groupe est significativement plus déprimé que les autres
abuseurs : les adolescents qui ont eux-mêmes été
victimes d’abus sexuels ou physiques dans leur enfance [42]. La
moitié d’entre eux ont un score au BDI de dépression
modérée à sévère.
Abus
de substance
L’usage
de substances psychotropes n’a pas un rôle causal dans la
déviance sexuelle mais peut favoriser le passage à l’acte
sexuel chez des sujets vulnérables psychologiquement. L’alcool et
le cannabis sont parfois incriminés parmi ces facteurs au rôle
facilitateur. Le flunitrazepam (Rohypnol*) est parfois également mis en
cause pour sa fonction désinhibante en cas de surdosage [43].
L’association
d’un trouble de l’humeur et d’une agression sexuelle ne
préjuge pas d’un lien de causalité entre les 2. Cependant,
un débordement des mécanismes psychiques inhibant le passage du
fantasme à l’acte d’agression sexuelle, peut être
favorisé par une humeur dépressive. L’abus de substance,
par sa fonction désinhibante [39], est également impliqué
dans le passage à l’acte sexuel.
Trouble
des conduites
C’est
le diagnostic le plus courant dans cette population. Il concerne près de
la moitié des sujets [42]. Les troubles vont de
l’hyperactivité avec déficit attentionnel à la
délinquance. Un passé de délinquance précède
l’abus sexuel dans 40 à 60 % des cas [8].
Les
troubles de la personnalité
Un
abus sexuel peut s’inscrire dans un trouble des conduites avec
impulsivité et évoquer une psychopathie. Il peut également
relever du comportement compensateur chez un sujet inhibé, dont le
retrait entrave les relations avec ses pairs et conduit à une situation
d’échec social. Nous revenons plus loin sur le déficit en
compétences sociales.
La
psychopathie est souvent recherchée en population d’adolescents
abuseurs. Elle est définie par l’association d’une tendance
à manipuler les autres, d’agressivité,
d’impulsivité, d’un faible niveau d’anxiété
et de conformisme social, d’un comportement antisocial. L’ensemble
des critères au questionnaire PCL-R (Hare Psychopathy Checklist-
Revised) n’est réuni que pour une faible proportion de
sujets : 16 % dans l’étude de Langstrom et coll, 2000, 7 %
parmi la population d’adolescents meurtriers abuseurs sexuels de Myers
[45]. Des traits psychopathiques isolés sont cependant
fréquemment retrouvés. L’étude de Wieckowski [46] va
à contre-courant puisque près de la moitié des abuseurs
répondent aux critères de psychopathie. Toutefois, les sujets
concernés sont de jeunes adolescents abuseurs de 12 à 15 ans et
la précocité de la première agression sexuelle est un
facteur de gravité de la déviance sexuelle, avec en particulier
davantage de risque de récidiver [47].
La
question de la pertinence de l’application du concept de psychopathie,
décrit pour l’adulte, à une population adolescente est
soulevée par Edens [48]. Les changements développementaux
considérables qui interviennent à l’adolescence et
l’absence de recherche longitudinale sur la stabilité du concept
incite à considérer avec prudence le diagnostic de psychopathie
à l’adolescence.
Un
trouble des conduites avec impulsivité à l’adolescence ne
prédit une psychopathie à l’âge adulte que s’il
est associé à une faible réactivité
émotionnelle pour Looper [49]. Ces derniers, par l’étude de
82 adolescents délinquants incarcérés pour un acte
violent, montrent des corrélations entre traits psychopathiques et
faible culpabilité (faible empathie) ou planification des actes
violents. Aucun lien n’est mis en évidence entre traits
psychopathiques et faible réactivité émotionnelle.
Lies
[50] dans une étude prospective sur 10 ans de 2203 écoliers
trouve qu’une immaturité émotionnelle de l’enfant,
décelable par des tests projectifs, prédit une délinquance
à l’adolescence. L’immaturité émotionnelle
recouvre une faible tolérance aux frustrations et une instabilité
affective.
Les
14 adolescents meurtriers sexuels interrogés par Myers [45] se
décrivent comme inhibés sur le plan émotionnel. Ils
présentent tous des traits psychopathiques. La relation entre la
psychopathie et la gestion des émotions est donc fort complexe.
L’extension
du concept de psychopathie de l’adulte à l’enfant ou
l’adolescent ne paraît pas très pertinent. En revanche,
l’exploration de domaines liés à la psychopathie, comme la
capacité d’empathie, peut permettre de comprendre davantage les
adolescents agresseurs sexuels.
Recherche
de caractéristiques cliniques communes aux agresseurs sexuels
adolescents
La
recherche de caractéristiques communes aux abuseurs sexuels
s’inscrit davantage dans une perspective causaliste que la recherche de
diagnostics psychiatriques. Elle sert de fondement aux théories sur la
genèse de la déviance sexuelle (voir chapitre correspondant).
La
capacité d’empathie
L’empathie
vis-à-vis d’une victime correspond à la compréhension
de l’impact de l’outrage et de la souffrance causée,
associée à l’expression de sentiments appropriés tel
le remord. La capacité d’empathie va de pair avec le sentiment de
culpabilité, inversement corrélé aux traits
psychopathiques. Le développement de la capacité d’empathie
est souvent considéré comme un des objectifs du traitement de ces
patients.
Le
degré d’empathie est plus faible chez les agresseurs sexuels
adolescents que chez des témoins sains [51]. La composante cognitive de
l’empathie, comprendre le point de vue d’un autre, et la composante
affective, éprouver de la compassion, sont particulièrement
altérées parmi les cas étudiés. L’empathie a
cependant été peu explorée chez l’adolescent. Les
études d’adultes montrent qu’il est important de démembrer
la notion d’empathie selon plusieurs axes :
·
L’axe temporel du
déroulement du processus d’empathie (phase initiale de perception
d’un affect chez l’autre, phase suivante
d’interprétation de la perception…)
-
L’axe des
situations dans lesquelles l’empathie est éprouvée
(accident de voiture ou abus sexuel par exemple) ;
-
L’axe des
personnes à l’égard de qui l’empathie est
éprouvée (n’importe qui ou sa propre victime).
Les
compétences sociales
La
comparaison des délinquants non sexuels aux délinquants sexuels
met en évidence dans ce dernier groupe de plus faibles
compétences sociales avec tendance au retrait et à
l’isolement [38]. Les auteurs de cette revue avancent
l’hypothèse d’un lien entre retrait social et agression
sexuelle à travers l’histoire d’abus dans l’enfance de
l’abuseur. Il en résulterait des problèmes psychosociaux
avec des difficultés d’intégration dans le groupe des
pairs. Hunter
et al. [52] comparant des adolescents
abusés abuseurs d’enfants et des abusés non abuseurs
montrent une diminution des compétences sociales dans le premier groupe.
Dans
l’hypothèse où un abus sexuel subi diminue les
compétences sociales, c’est seulement lorsque ces
compétences sont très affectées que l’abusé
devient abuseur.
Les
déviances sexuelles
Elles
regroupent les différentes paraphilies, incluant le voyeurisme et
l’exhibitionnisme. Un comportement sexuel accompagné de menace ou
avec un partenaire dont l’âge n’est pas approprié au
type d’interaction sexuelle peut également entrer dans la
définition de la déviance sexuelle. Cet aspect de la paraphyllie
est exclu des études. Les résultats sont
généralement en faveur d’un fort taux de déviance
sexuelle chez les abuseurs sexuels [37] mais sans que la notion de déviance
ne soit toujours bien délimitée.
À
l’opposé, les 127 adolescents abuseurs sexuels
étudiés par Hunter et al. [52] n’ont pas un comportement
sexuel différent du groupe témoin de patients psychiatriques.
L’étude
de sous-groupes d’adolescents abuseurs montre :
·
Parmi les 22
adolescents abuseurs d’enfants de l’étude de Galli et al.
[40], 95 % sont également exhibitionnistes et voyeurs.
·
Le voyeurisme est plus
fréquent parmi les agresseurs sexuels violents que parmi les
non-violents [53].
·
Les grands adolescents
agresseurs sexuels (16-20 ans) sont plus intéressés par le
voyeurisme que les plus jeunes (10-15 ans) [54].
·
L’exhibitionnisme
est plus fréquent en cas de handicap neuropsychiatrique associé
[44].
L’hétérogénéité
des études sur les paraphillies permet seulement de conclure que
plusieurs déviances sexuelles sont fréquemment associées
chez un même adolescent, témoignant d’un surinvestissement
de la sexualité qui se fait probablement au détriment
d’autres domaines de fonctionnement.
Les
fantasmes sexuels déviants sont également recherchés parmi
les adolescents agresseurs sexuels. La présence de nombreux fantasmes
sexuels d’agression ne fait que refléter l’acte commis chez
les adolescents abuseurs violents [53] ou chez les meurtriers sexuels [45]. En
revanche, les agresseurs sexuels de 10 à 20 ans n’ont pas plus de
fantasmes sexuels déviants que les témoins non délinquants
dans l’étude de Daleiden [54]. Ils ont par contre moins de
fantasmes sexuels non déviants. Les fantasmes sexuels qui font partie du
développement psychosexuel normal de l’adolescence sont donc
supprimés au profit de fantasmes déviants. Ce résultat
reflète un trouble développemental et suscite des questionnements
quant au contexte de vie dans lequel l’enfant s’est
développé. Dysfonctionnement familial et expérience
d’abus physique ou sexuel sont particulièrement explorés.
Recherche
d’éléments biographiques impliqués dans la
genèse des troubles
Dysfonctionnement
familial
La
méta-analyse de Graves [55] montre une perturbation des modes
d’interaction familiaux chez une majorité d’agresseurs sexuels :
manque de structure, rigidité relationnelle, confusion des liens. Un
antécédent de maltraitance physique chez les mères
d’abuseurs d’enfants est fréquent, de même qu’un
alcoolisme ou une toxicomanie chez le père (tout type d’abuseurs
confondu). Les violeurs sont souvent élevés dans des familles
monoparentales.
L’environnement
familial chaotique est défini par une discontinuité des soins,
une instabilité du couple parental, des adultes non-familiers qui vont
et viennent à la maison, des déménagements
fréquents, des changements du cadre de vie paraissant arbitraires
à l’enfant. Ce type d’environnement concerne la
majorité des meurtriers sexuels [45] et 70 % des jeunes adolescents
(12-15 ans) délinquants sexuels [46].
D’autres
modèles de famille se rencontrent fréquemment chez les agresseurs
sexuels : les familles violentes et les familles
caractérisées par le manque de limites, de règles,
l’absence de supervision de l’enfant et la confusion des rôles
entre parents et enfants.
Cependant,
les adolescents abuseurs ne sont pas élevés dans la même
configuration familiale selon leurs antécédents d’abus
sexuel ou non [56]. Ceux qui ont subi un abus ont vécu davantage
d’expérience de perte et de discontinuité de soin que les
autres. Ils perçoivent leur famille comme apportant moins de soutien
[52].
Antécédent
d’abus sexuels
La
proportion d’abus sexuels dans la biographie des abuseurs est souvent
élevée, bien que certains auteurs ne trouvent pas des taux plus
élevés que parmi les autres délinquants [57]. Voir tableau
1.
Notons
que lorsque les antécédents d’abus sont peu
fréquents, les populations étudiées sont
particulières : dans l’étude de Langstrom [44], 38 %
des sujets ont des troubles neurologique et les exhibitionnistes sont inclus
(or ce sont 2 critères d’exclusion dans la plupart des autres
études) ; Dans l’étude de Jonson-Reid [57], les
évènements de vie survenus avant l’âge de 7 ans ne
sont pas pris en compte. Or, les abus sexuels surviennent souvent plus
précocement dans l’histoire des agresseurs sexuels [37, 52].
|
Étude |
Abus |
N
cas |
Population |
Particularité |
Langstrom,
2000 [44] |
Longitudinale
sur 3 à 7 ans |
16
% (AS) |
56 |
Centre
médico-judiciaire |
38
% ont des troubles neurologiques |
Jonson-Reid,
2001 [57] |
Cas
témoins |
16,8
% (AS et AP) |
304 |
Centre
correctionnel |
Seuls
les antécédents après 7 ans sont relevés |
Worling,
2001 [58] |
Cas |
49
% (AS et AP) |
112 |
Centre
thérapeutique |
|
Friedrich,
2001 [59] |
Cas
témoins |
53
% (AS) 49
% (AP) |
70 |
Centre
thérapeutique |
|
Shaw,
1993 [41] |
Cas
témoins appariés |
65
% (AS) 77
% (AP) |
26 |
Centre
thérapeutique |
9-15
ans |
Wieckowski,
98 [46] |
Cas |
50
% (AS) 63
% (AP) |
20 |
Centre
médico-judiciaire |
12-14
ans |
Pithers,
98 [60] |
Cas |
86
% (AS) 43
% (AP) |
127 |
Centre
thérapeutique |
6-12
ans |
Veneziano,
2000 [61] |
Cas |
92
% (AS) |
74 |
Centre
thérapeutique |
10-17
ans |
Tableau
1 « AS »
pour Abus sexuel
« AP »
pour Abus physique
La
question d’un antécédent d’abus est
délicate : lorsque la révélation a lieu après
l’inculpation de l’abuseur, ses propos sont peu fiables (se
justifier auprès de ses proches, attendrir les magistrats,…).
Un
tel antécédent peut entrer en jeu dans la genèse de
l’agression sexuelle : le sujet réplique sa propre histoire,
ou affirme une position de maîtrise et de pouvoir pour lutter contre un
vécu d’impuissance.
La
mésestime de soi, fréquente chez les sujets abusés
sexuellement, peut entraver les relations aux pairs et conduire
l’adolescent à chercher de l’affection et des gratifications
sexuelles auprès d’un plus jeune. En faveur de cette
hypothèse, on relève davantage d’antécédents
d’abus sexuels chez les adolescents pédophiles et non violents que
chez les violeurs [56]. Les meurtriers sexuels ont rarement vécu un abus
(14 % dans l’étude de Myers [45]).
Dans
l’hypothèse d’une reproduction de son propre traumatisme
afin de tenter de l’élaborer, Veneziano et al. [61] ont
recherché des caractéristiques communes entre l’abuseur et
sa victime. Des correspondances sont retrouvées concernant
l’âge de la victime et le type d’abus, en particulier
s’il s’agit d’une pénétration anale et si
l’abus concerne un enfant de moins de 6 ans.
Dans
une perspective de prise en charge thérapeutique des agresseurs sexuels,
il est important de noter que le sous-groupe des adolescents abusés
sexuellement est plus susceptible de récidiver que les autres [47].
Recherche
d’une typologie des abuseurs
Devant
l’hétérogénéité des
caractéristiques cliniques et de celles liées aux abus
perpétrés, certains auteurs ont tenté de créer une
typologie des abuseurs adolescents. La pertinence des typologies
proposées se fonde sur le suivi des sujets : une bonne typologie
permet de discriminer les sujets en fonction de leur devenir, en particulier
selon le risque de récidive.
-
Typologie selon les
caractéristiques cliniques des abuseurs
Worling
[58] distingue les types d’abuseurs selon leurs traits de
personnalité.
Le
questionnaire CPI (California Psychological Inventory) est proposé
à 112 sujets de 12 à 19 ans, agresseurs sexuels inclus dans un
programme de traitement. Une analyse en clusters des réponses au CPI est
réalisée et 4 facteurs expliquant 75 % de la variance sont
retenus. Si cette typologie est pertinente, les caractéristiques de
l’abus et le taux de récidive doivent en être fonction.
Les
groupes proposés sont les suivants :
1.
antisocial et
impulsif ;
2.
isolé et indépendant :
3.
réservé
et dans l’hypercontrôle ;
4.
sûr de soi et
agressif.
Les
histoires d’abus sexuels subis et les caractéristiques des
victimes (âge, sexe, victimes connues ou inconnues) ne diffèrent
pas entre les groupes. En revanche, le groupe anti-social a davantage
d’antécédents de maltraitance physique que les autres.
Les
2 premiers groupes reflètent des personnalités plus pathologiques
que les 2 autres et sont supposés davantage récidiver.
Un
suivi de 2 à 10 ans ne montre pas de différence dans le taux de
récidives sexuelles (11 % pour l’ensemble des sujets). Le taux de
délinquance non sexuelle est par contre significativement plus
élevé dans les groupes 1 et 2 (55 %) que dans les groupes 3 et 4
(33 %).
-
Typologie selon les
caractéristiques de l’abus
Langstrom
[44] propose de classifier les abuseurs selon les caractéristiques de
l’abus. Il s’agit d’une démarche inductive :
utiliser les caractéristiques de l’acte pour connaître celui
qui l’a commis.
Les
56 sujets de l’étude ont entre 15 et 20 ans. Ils sont
recrutés dans un centre médico-judiciaire. 6 d’entre eux
ont commis des offenses sexuelles sans contact physique (manifestations
d’exhibitionnisme). Des données biographiques et cliniques sont
recueillies et le questionnaire PCL-R est proposé à la recherche
de traits psychopathiques.
Les
données se rapportant à l’abus sont analysées en
cluster. Une solution à 5 clusters est la plus appropriée. Si
cette typologie est pertinente, les caractéristiques cliniques de
l’agresseur et le taux de récidive doivent en être fonction.
Les
5 groupes proposés sont les suivants :
·
abus d’un jeune
garçon inconnu, avec pénétration, dans un lieu
public ;
·
exhibitionnisme (envers
des pairs ou des femmes adultes) ;
·
abus d’une
adolescente ou femme adulte, avec violence associée, dans un lieu
public ;
·
abus d’un enfant
(garçon ou fille) connu dans un lieu privé, avec
pénétration mais peu de violence associée, souvent de
façon répétée ;
·
abus d’une
adolescente ou femme adulte connue, avec pénétration et violence
associée, dans un lieu privé.
Le
groupe 2 a plus de troubles neurologiques ou neuropsychiatriques que les
autres.
Le
groupe 4 a plus d’expérience de séparation familiale et
n’utilise jamais de substance psychotrope pour passer à
l’acte sexuel.
Les
auteurs proposent de catégoriser les groupes 1 et 2 en paraphilie
(pédophilie pour le groupe 1, exhibitionnisme pour le groupe 2) et les 3
autres groupes en troubles des conduites avec impulsivité.
Le
score de psychopathie et les antécédents d’abus ne
distinguent pas les groupes.
Les
sujets sont suivis pendant 3 à 7 ans.
Le
taux de récidive sexuelle est de 20 % au total, 11 % si l’on
exclut les exhibitionnistes.
Ce
taux varie selon le groupe : davantage de récidives sexuelles mais
moins de délinquance avec violence dans les groupes 1 et 2 que dans les
groupes 3, 4 et 5.
·
Selon les
données cliniques et biographiques
Pithers
[60] tente de créer une typologie incluant un maximum de données
sur les antécédents des sujets et leurs caractéristiques
cliniques.
L’étude
se porte sur 127 sujets préadolescents recrutés dans un centre de
traitement pour trouble des conduites sexuelles. Une batterie de questionnaires
(remplis par les parents et l’enfant indépendamment) permet
d’évaluer leur psychopathologie. Des données biographiques
et sur l’histoire des troubles sont recueillies.
Une
analyse en cluster de toutes ces données permet de distinguer 5
groupes :
1.
Absence de trouble
associé ;
2.
Réactif à
un abus ;
3.
Traumatisé par
un abus ;
4.
Antisocial ;
5.
Agressif sexuellement.
La
majorité des sujets a un antécédent d’abus sexuel et
l’âge de début est de 4 ans en moyenne. Le délai
entre cet épisode et l’apparition des troubles est plus grand (4
ans) dans le groupe 4 que dans les autres (2 à 3 ans).
Un
plus grand nombre d’abuseurs sexuels et l’association à une maltraitance
physique distingue le groupe 3 des autres. Un état de stress
post-traumatique est retrouvé chez 91 % des sujets du groupe 3.
Le
groupe 4 comporte un tiers de filles contrairement aux autres groupes dans
lesquels la proportion de fille est faible (groupe 3) ou quasi-nulle.
L’abus
sexuel perpétré implique plus souvent de la violence et une
pénétration dans le groupe 5 que dans les autres groupes.
Les
groupes 2 et 3 ont davantage de comorbidité psychiatrique que les
autres.
Le
groupe 5 a plus de trouble des conduites que les autres.
Les
auteurs suivent longitudinalement ces enfants, mais les données de ce
suivi ne sont pas encore disponibles. Ils attendent, du groupe agressif
sexuellement, une évolution vers une sociopathie sexuelle, avec des
récidives pendant l’adolescence. Le groupe antisocial devrait
évoluer vers un comportement délinquant non spécifique.
En
conclusion, la population des enfants et adolescents agresseurs sexuels est
hétérogène, à la fois sur le plan psychiatrique et
sur les caractéristiques du comportement sexuel déviant. Une
typologie des sujets s’avère nécessaire pour comprendre les
troubles et préjuger du devenir des sujets. Aucune n’a encore
été validée par une étude prospective suffisamment
longue. La typologie de Pithers [60] nous paraît particulièrement
pertinente car elle intègre différents niveaux d’analyse,
à la fois psychopathologiques, biographiques et liés à
l’acte d’abus.
Nous
avons vu que l’acte perpétré (l’usage de la violence,
la différence d’âge avec la victime…) distinguait des
sous-groupes : sur les compétences sociales, les paraphilies
associées, les antécédents et le devenir.
Nous
avons également relevé l’importance des facteurs
biographiques, antécédents de maltraitance et famille
dysfonctionnelle.
Ces
facteurs étant fortement intriqués les uns avec les autres (par
exemple : antécédent d’abus sexuel dans une famille
dysfonctionnelle et faible compétence sociale en résultant), il
est difficile d’isoler les effets de chacun d’entre eux dans une
perspective causaliste.
Seul
un modèle étiologique plurifactoriel peut être
envisagé. Par exemple, Hunter [52] propose le modèle suivant. Des
facteurs de personnalité comme une faible estime de soi et un pessimisme
facilitent, à l’adolescence, un comportement d’agression
sexuelle sur enfant. Un support familial satisfaisant est par contre un facteur
protecteur. Il est peu fréquent en cas d’antécédent
d’abus sexuel. Le nombre d’abus subis et le jeune âge au
moment de ces expériences favorisent la reproduction du comportement
abusif sur autrui.
2 –
B / DONNEES CONTEXTUELLES (questions 12, 13)
Question
12 - EXISTE T-IL UNE HISTOIRE PARTICULIERE CHEZ LES AGRESSEURS SEXUELS ? QUEL
EST LE ROLE DE CE FACTEUR ?
(Dr
Laurence Lemaître)
Dans une analyse de cohorte réalisée
auprès d'une large population d' étudiants, Koss et Dinero [62]
relèvent plusieurs facteurs anamnestiques impliqués dans le
développement d'un comportement sexuel agressif vis à vis des
femmes : abus sexuels et premières expériences sexuelles
précoces, exposition durant l'enfance à un climat de violence
familiale.
Dans une étude similaire
réalisée auprès de jeunes malaisiens étudiants les
auteurs [63] retrouvent les mêmes facteurs, l'influence de la violence
parentale exerçant une action indirecte en favorisant l'apparition d'un
comportement agressif non sexuel vis à vis des femmes.
Examinons les théories qui tentent d'intégrer
ces différents facteurs dans la survenue des agressions sexuelles :
La "théorie du
traumatisme" de Groth suggère que des individus victimes d' abus
sexuels dans leurs enfance peuvent tenter de dépasser ce traumatisme en
perpétrant à leur tour des agressions sexuelles sur des enfants.
Selon cette théorie, l'abus sexuel précoce occupe une place
centrale dans le développement ultérieur d'un comportement
d'agression sexuelle.
Plus le traumatisme initial est
important, plus la victime aura tendance à chercher à le
dépasser en perpétrant le même type d'abus sexuels.
Dans une méta-analyse étudiant une
population d'agresseurs sexuels pédophiles, Hanson [64] rapporte un taux
deux fois plus élevé d'antécédents d'abus sexuels
précoces parmi les agresseurs homosexuels par rapport au groupe
d'agresseurs hétérosexuels. Si l'on considère comme
certains auteurs qu'un abus sexuel précoce de nature homosexuelle est
plus traumatisant pour le jeune garçon qui est atteint directement dans
sa masculinité, ces résultats s'accordent donc avec la
théorie du traumatisme.
Hansen fournit cependant une explication
alternative à la théorie du traumatisme : le taux
élevé de contacts sexuels précoces avec des hommes adultes
pourrait être l'expression précoce d'un intérêt
homosexuel chez les futurs agresseurs homosexuels pédophiles.
Cependant si les agresseurs sexuels
pédophiles ont plus de probabilité d' avoir été
abusés sexuellement et maltraités physiquement dans leurs
enfances par rapport à la population générale, Hanson [64]
cite plusieurs études qui
ne retrouvent pas de différences significatives nettes avec les autres
agresseurs sexuels, les délinquants non sexuels ou la population
psychiatrique. Il conclut que plusieurs formes de maltraitance survenues dans
l'enfance peuvent donc aboutir à plusieurs formes de troubles du
comportement ou de problèmes psychologiques, et, l'abus sexuel
précoce ne peut être considéré comme la cause
majeure des agressions sexuelles ultérieures.
La qualité du système
familial dans lequel évolue l'individu serait par contre importante
à considérer dans la genèse des agressions sexuelles. Les
antécédents d'abus physiques ou de négligence parentale
pourraient expliquer la faible capacité d'empathie
développée par les agresseurs sexuels pour leurs victimes. Car un
enfant élevé dans un environnement où il se sent vulnérable
et ne reçoit pas d'aide de ses proches, aura plus de mal à
développer des capacités d'attention et de soins vis à vis
d'autrui.
Plusieurs psychanalystes se sont
interrogés sur la place des figures parentales dans le
développement des perversions sexuelles.
Hammer [65] réalise en 1965 une
étude sur 286 pervers sexuels (exhibitionnistes, violeurs
hétérosexuels,
pédophiles homosexuels et hétérosexuels) auxquels
il fait passer une série de tests projectifs : les mères
apparaissent comme des figures dominantes et intrusives. Elles infèrent
massivement dans les efforts de leurs fils à établir des liens
avec d'autres femmes et adoptent parfois une attitude sexuellement
séductrice vis à vis de leurs fils. La figure paternelle
apparaît soit indifférente et distante, soit cruelle et dure.
Tardif [66] utilise "le
questionnaire Clarke des relations parents-enfants", PCR, de Paitich et
Langevin (1976), afin d'établir un profil perceptuel des figures
parentales parmi deux groupes de pédophiles homosexuels et
hétérosexuels comparés à un groupe de
délinquants non sexuels. Selon les résultats, les
pédophiles homosexuels ont une perception plus négative de la
relation mère-enfant telle que mesurée par l'agressivité
et la sévérité de la mère envers le sujet. Les
pédophiles hétérosexuels occupent une position
intermédiaires entre les pédophiles homosexuels et les
délinquants non sexuels, sans différence significative avec les
deux autres groupes. Les échelles se rapportant au père
s'avèrent peu discriminante et les perturbations de la relation
père-enfant semblent être d'un autre registre que celle de la
relation mère-enfant. D'autres auteurs ont en effet évoqué
l’absence ou le désengagement du père comme une
problématique particulière des déviants sexuels.
Les dimensions d'absence ou de non
implication d'un parent ainsi que les lacunes observées face à la
discipline et à l'éducation semblent bien cibler les
problèmes rencontrés dans les familles de délinquants
sexuels qui sont aussi des caractéristiques retrouvées dans les
familles de délinquants non sexuels. Si une histoire particulière
peut être individualisée parmi les agresseurs sexuels, elle
n'apparaît pas spécifique à cette population. Nous
remarquons que plusieurs études rapportent des antécédents
plus nombreux d'abus sexuels dans l'enfance et de liens d'attachement aux
parents désorganisés parmi les pédophiles homosexuels qui
semblent s'individualiser comme un sous-groupe des agresseurs sexuels
possédant des caractéristiques propres.